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Date : 20150722


Dossier : T‑2374‑14

Référence : 2015 CF 891

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 22 juillet 2015

En présence de monsieur le juge Gascon

ENTRE :

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L’IMMIGRATION

demandeur

et

ZAHER SULEIMAN

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   Aperçu

[1]               Monsieur Suleiman est entré au Canada en juillet 2004 et est devenu résident permanent le jour même. Il a présenté une demande de citoyenneté canadienne le 1er avril 2009. Puisque l’agent de la citoyenneté chargé de l’examen de sa demande n’était pas convaincu que M. Suleiman satisfaisait aux obligations de résidence au cours de la période de référence visée, M. Suleiman a rempli un questionnaire sur la résidence. En avril 2014, après avoir examiné la demande de M. Suleiman, son questionnaire sur la résidence et d’autres documents, l’agent de la citoyenneté a soulevé certaines préoccupations à l’égard du dossier de M. Suleiman et de la crédibilité de ses déclarations au sujet de sa présence au Canada.

[2]               L’affaire a donc été renvoyée à un juge de la citoyenneté qui a tenu une audience de deux heures et demie avec M. Suleiman en octobre 2014, dans le cadre de laquelle il l’a questionné et a discuté des préoccupations concernant le nombre de jours qu’il a résidé au Canada. Le juge de la citoyenneté a conclu que M. Suleiman satisfaisait aux obligations de résidence et, le 20 octobre 2014, il a approuvé la demande de citoyenneté de M. Suleiman.

[3]               Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration a présenté une demande de contrôle judiciaire de la décision du juge de la citoyenneté au motif que le juge a tiré de nombreuses conclusions de fait erronées et n’a pas fait montre d’une compréhension des préoccupations soulevées par l’agent de la citoyenneté. De même, le ministre affirme que les motifs du juge de la citoyenneté à l’appui de sa décision étaient inadéquats et insuffisants. En réponse, M. Suleiman soutient que la décision du juge de la citoyenneté était raisonnable et que les erreurs de fait relevées par le ministre étaient sans conséquence sur la décision. De plus, M. Suleiman réclame des dépens au ministre.

[4]               L’issue de la présente demande de contrôle judiciaire repose sur les évaluations de la crédibilité effectuées par le juge de la citoyenneté à l’égard de la résidence au Canada de M. Suleiman et sur le caractère suffisant de ses motifs. Pour les motifs qui suivent, la demande de contrôle judiciaire du ministre est rejetée. Je ne suis pas convaincu que la décision du juge de la citoyenneté est déraisonnable ni que les divergences relevées par le ministre étaient essentielles à la décision du juge. Je conclus également que les motifs de la décision expliquent de manière adéquate comment le juge de la citoyenneté est parvenu à la conclusion que M. Suleiman avait satisfait à l’obligation de résidence. Toutefois, je suis d’accord avec le ministre qu’il n’y a pas de raisons spéciales justifiant l’adjudication de dépens à M. Suleiman en l’espèce.

II.                Contexte

[5]               Dans sa décision datée du 20 octobre 2014, le juge de la citoyenneté a conclu, selon la prépondérance de la preuve, que M. Suleiman a satisfait à l’obligation de résidence prévue à l’alinéa 5(1)c) de la Loi sur la citoyenneté, LRC 1985, c 29, pour obtenir la citoyenneté canadienne, comme il a été établi dans la décision Re Pourghasemi (1993), 62 FTR. 122, 19 Imm. LR. (2d) 259 (CF 1re inst). Ce critère de présence effective prévoit que le ministre doit attribuer la citoyenneté à toute personne qui, au cours de la période de référence visée de 4 ans, soit 1 460 jours, a résidé au Canada pendant au moins 3 ans (soit 1 095 jours) en tout.

[6]               Le juge de la citoyenneté a établi la période de référence du 1er avril 2005 au 1er avril 2009 et a souligné que M. Suleiman avait déclaré 1 402 jours de présence au Canada et 58 jours d’absence du Canada au cours de cette période.

[7]               Après avoir résumé les étapes ayant mené à sa décision, y compris son examen du questionnaire sur la résidence et des documents présentés par M. Suleiman ainsi que la comparution de M. Suleiman à une audience devant lui, le juge de la citoyenneté a énoncé les faits tels qu’il les comprenait. Plus particulièrement, le juge de la citoyenneté a tenu compte de ce qui suit :

Les 20 années d’expérience de travail de M. Suleiman acquises à Dubaï au sein d’Ernst and Young et la cessation de son emploi au début de 2005;

L’arrivée au Canada de M. Suleiman avec sa famille en juillet 2004 et son voyage de retour à Dubaï environ trois mois plus tard pour y régler ses affaires;

Le retour au Canada de M. Suleiman en mars 2005;

Le fait que M. Suleiman n’a quitté le Canada que deux fois depuis mars 2005 pour faire de courts séjours à Dubaï afin de voir sa famille;

Le fait que M. Suleiman a résidé avec son cousin pendant environ sept mois lorsqu’il est revenu au Canada en 2005, puis dans l’appartement qui appartenait à son frère après que son épouse et ses enfants en sont déménagés, jusqu’en 2010;

L’action en divorce de M. Suleiman, finalement réglée en 2011.

[8]               Le juge de la citoyenneté a ensuite renvoyé aux préoccupations en matière de crédibilité soulevées par l’agent de la citoyenneté en ce qui concerne le dossier de M. Suleiman et a invoqué :

Les incohérences entre le questionnaire sur la résidence de M. Suleiman et les éléments de preuve de la décision rendue dans son action en divorce relativement à la cessation de son emploi à Dubaï;

L’absence de timbres d’entrée au Canada dans le passeport de M. Suleiman;

Un timbre des Émirats arabes unis daté du [traduction] « 25 mai 2005 », une date non déclarée par M. Suleiman;

Un visa de résident des Émirats arabes unis dans le passeport de M. Suleiman valide pendant toute la période de référence;

L’absence ou la rareté de documents financiers pour 2005 et 2006;

L’absence d’éléments de preuve de paiements d’hypothèque, de loyer ou de services publics au cours de la période de référence.

[9]               Le juge de la citoyenneté a examiné chacune des préoccupations de l’agent de la citoyenneté au sujet du dossier de M. Suleiman et en a discuté dans la décision. Plus particulièrement, le juge de la citoyenneté a conclu qu’il était difficile d’établir le degré d’incohérence entre le questionnaire sur la résidence de M. Suleiman et la décision rendue dans son action en divorce puisque les observations figurant dans l’ordonnance rendue dans le divorce concernant l’emploi à Dubaï de M. Suleiman étaient [traduction] « très vagues ».

[10]           Le juge de la citoyenneté a conclu que l’absence de timbres d’entrée au Canada dans le passeport de M. Suleiman ne pouvait permettre de tirer des conclusions puisque les agents de l’Agence des services frontaliers du Canada à l’aéroport Pearson n’ont pas systématiquement estampillé le passeport des résidents permanents qui sont rentrés au Canada au cours de cette période.

[11]           À la suite de son examen du passeport de M. Suleiman, le juge de la citoyenneté a conclu qu’un timbre du [traduction] « 25 mai 2006 » (et non 2005) était clairement visible, soit une date correspondant à une absence du Canada déclarée par M. Suleiman.

[12]           Pour donner suite à la préoccupation de l’agent de la citoyenneté selon laquelle le passeport de M. Suleiman contenait un visa de résidence des Émirats arabes unis valide au cours de la période de référence, le juge de la citoyenneté a conclu que le visa ne visait pas toute la période, et a fait remarquer que couramment, les visas ne sont pas annulés lorsqu’une personne quitte Dubaï pendant qu’un visa est valide.

[13]           Le juge de la citoyenneté a reconnu la préoccupation de l’agent de citoyenneté au sujet de l’absence de documents financiers pour 2005, de la rareté de ceux pour 2006 et du manque d’éléments de preuve concernant les paiements de loyer ou d’hypothèque ou de services publics; toutefois, il a accepté l’explication de M. Suleiman selon laquelle il n’a pas travaillé en 2005, et que son revenu était faible en 2006, car il n’a commencé à travailler que lorsqu’il a épuisé ses ressources financières. Le juge de la citoyenneté a également souligné l’explication de M. Suleiman voulant que son ex‑épouse ait conservé et détruit la plupart de ses documents, et qu’il n’avait pas divulgué son divorce sur son questionnaire sur la résidence parce qu’il en avait honte et que ce n’est qu’en 2011 que le divorce a été réglé.

[14]           Le juge de la citoyenneté a jugé crédibles la documentation et les explications de M. Suleiman puisqu’elles corroboraient sa déclaration selon laquelle il résidait au Canada pendant la période où il avait déclaré résider au pays. En outre, le juge de la citoyenneté a souligné l’absence d’éléments de preuve selon lesquels M. Suleiman a quitté le Canada à des fins autres que ses absences déclarées.

[15]           Le juge de la citoyenneté a conclu que, selon la prépondérance des probabilités, M. Suleiman avait démontré qu’il avait résidé au Canada pendant un nombre suffisant de jours pour satisfaire à l’obligation de résidence visée à l’alinéa 5(1)c) de la Loi sur la citoyenneté.

III.             Analyse

A.                Les conclusions du juge de la citoyenneté relativement à la résidence de M. Suleiman au Canada étaient‑elles déraisonnables?

[16]           Le ministre fait valoir que le juge de la citoyenneté a tiré un certain nombre de conclusions de fait erronées dans sa décision, ce qui suffit à rendre sa décision déraisonnable. Monsieur Suleiman répond que le juge de la citoyenneté a eu l’occasion d’évaluer sa crédibilité au cours d’une audience qui a duré plus de deux heures et demie, et que le ministre n’a pas produit de transcription de l’audience. Dans sa décision, le juge de la citoyenneté a jugé crédibles les explications de M. Suleiman. L’avocat de M. Suleiman a reconnu qu’il pourrait y avoir des divergences mineures entre la demande et le questionnaire sur la résidence de M. Suleiman, mais indique que ces divergences n’ont aucune conséquence importante sur le critère de présence effective appliqué par le juge de la citoyenneté, étant donné que M. Suleiman dépassait l’obligation de résidence d’une marge considérable d’environ 300 jours.

[17]           Je suis d’accord avec M. Suleiman et je suis convaincu que les conclusions du juge de la citoyenneté sont raisonnables et que les divergences mineures relevées par le ministre ne sont pas suffisamment importantes pour rendre la décision déraisonnable. Le juge a procédé à un examen approfondi et détaillé des éléments de preuve liés à la présence de M. Suleiman au Canada. Le juge de la citoyenneté aurait peut‑être pu donner d’autres motifs à l’appui de certaines conclusions, mais son raisonnement ne présente aucune lacune déterminante et je suis convaincu qu’il a tenu compte de l’ensemble de la preuve.

[18]           Il est bien établi que la norme de la décision raisonnable s’applique à un examen de la décision du juge de la citoyenneté en vue de décider si l’obligation de résidence a été satisfaite [Hussein c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2015 CF 88, au paragraphe 10; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Pereira, 2014 CF 574, au paragraphe 18; Atwani c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 1354, au paragraphe 10).

[19]           Lorsqu’il s’agit d’examiner une décision selon la norme de la décision raisonnable, l’analyse tient compte de la justification de la décision, de la transparence et de l’intelligibilité du processus décisionnel. Les conclusions comportant des questions de fait ou des questions mixtes de fait et de droit ne doivent pas être modifiées à condition que la décision appartienne aux « issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » [Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47 (Dunsmuir); Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, au paragraphe 59]. Lorsqu’il s’agit d’examiner des conclusions de fait selon la norme de la décision raisonnable, la Cour n’a pas pour rôle d’apprécier de nouveau les éléments de preuve ni l’importance relative accordée par l’agent d’immigration à tout facteur pertinent [Dunsmuir, au paragraphe 47; Kanthasamy c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2014 CAF 113, au paragraphe 99]. Selon la norme de la décision raisonnable, si le processus et l’issue en cause cadrent bien avec les principes de justification, de transparence et d’intelligibilité, la cour de révision ne doit pas y substituer l’issue qui serait à son avis préférable [Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Safi, 2014 CF 947, au paragraphe 16 [Safi]; Farag c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 783, au paragraphe 26].

[20]           De même, il est bien établi en droit que les tribunaux doivent faire preuve d’un degré élevé de retenue à l’égard des conclusions relatives à la crédibilité que tirent les organismes et tribunaux administratifs [Aguebor c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] ACF no 732 (CAF), au paragraphe 4; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vijayan, 2015 CF 289, au paragraphe 64; Pepaj c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2014 CF 938, au paragraphe 13; Huntley c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2014 CF 573, au paragraphe 37). Plus particulièrement, il y a lieu de faire preuve d’une telle retenue à l’égard des conclusions quant à la crédibilité tirées par les juges de la citoyenneté puisque ces derniers sont les mieux placés pour « tirer une conclusion de fait quant à savoir si a été établie, à titre de question préliminaire, l’existence d’une “résidence” » [Martinez‑Caro c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 640, au paragraphe 46].

[21]           Le ministre allègue que le juge de la citoyenneté a tiré plusieurs conclusions de fait erronées en ce qui concerne les questions liées au passeport, les divergences entre le questionnaire sur la résidence de M. Suleiman et les éléments de preuve figurant dans l’ordonnance de divorce du tribunal, ainsi que les déplacements de M. Suleiman à l’extérieur du Canada en 2004 et en 2005.

[22]           Les arguments du ministre en ce qui a trait à ces conclusions de fait invitent la Cour à substituer son point de vue concernant les éléments de preuve à celui du juge de la citoyenneté. Le juge a entendu le témoignage de M. Suleiman directement à l’audience et a soigneusement examiné les éléments de preuve avant d’arriver à la conclusion que le nombre de jours pendant lesquels M. Suleiman avait résidé au Canada au cours de la période de référence était suffisant. Le ministre n’a montré aucun élément de preuve qui contredit cette conclusion. Rien ne permet non plus de conclure que le juge de la citoyenneté n’a pas tenu compte des éléments de preuve substantiels qui contredisaient carrément ses conclusions [Cepeda‑Gutierrez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1998), 157 F.T.R. 35 (CF 1re inst), au paragraphe 17].

[23]           Un décideur tel qu’un juge de la citoyenneté est réputé avoir pris en considération tous les éléments de preuve au dossier [Hassan c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1992] ACF no 946 (CAF), au paragraphe 3]. Le défaut de mentionner un élément de preuve ne signifie pas qu’il n’a pas été pris en compte ni qu’une erreur susceptible de contrôle a été commise. En l’espèce, le juge a également eu l’occasion de tenir une longue audience avec M. Suleiman, pour laquelle il n’existe aucune transcription contredisant les éléments de preuve au dossier ou l’affidavit déposé par M. Suleiman. Dans sa décision, le juge de la citoyenneté a, de toute évidence, pris en considération le témoignage oral fourni par M. Suleiman. Un examen de la décision révèle que le juge a conclu ce qui suit :

M. Suleiman a quitté son emploi à Dubaï au début de 2005 et est revenu au Canada en mars 2005, après avoir réglé ses affaires à Dubaï;

M. Suleiman n’a quitté le Canada que deux fois depuis mars 2005 pour faire de courts séjours à Dubaï afin de voir sa famille;

M. Suleiman avait des lieux de résidence au Canada lorsqu’il est revenu au pays en 2005 et tout au long de la période de référence, d’abord avec son cousin puis dans un appartement appartenant à son frère;

M. Suleiman n’avait pas voyagé à l’extérieur du Canada à des fins autres que ses absences déclarées;

Il y a eu des explications satisfaisantes en ce qui concerne l’absence de timbres d’entrée canadiens sur le passeport de M. Suleiman, la prétendue date du timbre du [traduction] « 25 mai 2005 » et le visa de résidence des Émirats arabes unis dans le passeport de M. Suleiman.

[24]           Au vu de ces éléments, il était raisonnable pour le juge de la citoyenneté de conclure que M. Suleiman satisfaisait à l’obligation de résidence. En outre, j’observe qu’il ne s’agit pas d’une situation où la durée de résidence de M. Suleiman était près du nombre minimal de jours nécessaires pour respecter le critère de présence effective; même en présence de légères divergences dans les éléments de preuve en ce qui touche certaines dates de voyage, la durée de résidence de M. Suleiman était bien au‑dessus du seuil de 1 095 jours.

[25]           Je me tourne maintenant vers les allégations plus précises soulevées par le ministre. Le ministre conteste la déclaration du juge de la citoyenneté selon laquelle les remarques faites dans le cadre de l’action en divorce concernant l’emploi de M. Suleiman à Dubaï étaient [traduction] « très vagues ». Selon l’ordonnance de divorce du tribunal, M. Suleiman a indiqué que son emploi à Dubaï avait pris fin en 2005 ou 2006; étant donné que M. Suleiman a déclaré dans son questionnaire sur la résidence que son emploi avait plutôt pris fin avant son entrée au Canada en juillet 2004, le ministre affirme que M. Suleiman a fourni des renseignements inexacts dans son questionnaire sur la résidence ou dans le cadre de l’action en divorce. Je ne juge pas déraisonnable la conclusion tirée par le juge relativement à l’emploi de M. Suleiman à Dubaï. Dans sa décision, le juge de la citoyenneté a indiqué que, d’après la preuve dont il disposait, M. Suleiman est revenu au Canada en mars 2005 et a mis fin à son emploi à Dubaï au début de 2005; cela ne contredit pas l’ordonnance de divorce du tribunal. De même, M. Suleiman souligne que, dans son affidavit (qui n’a pas été contredit), le juge de la citoyenneté l’a effectivement interrogé au sujet de cette question précise au cours de l’audience et était satisfait de sa réponse.

[26]           Le juge aurait sans doute pu expliquer de façon plus approfondie la divergence évidente en ce qui a trait au questionnaire sur la résidence, mais sa décision à cet égard n’est pas pour autant déraisonnable. Sa conclusion est plutôt fondée sur la preuve au dossier. En outre, je conviens avec M. Suleiman que cette divergence est de toute façon accessoire et sans importance sur la décision puisque la date de cessation de son emploi à Dubaï précède la période de référence allant d’avril 2005 à avril 2009.

[27]           Le ministre a raison de souligner que les demandeurs de la citoyenneté ont, en tout temps, une obligation positive de fournir des renseignements véridiques, exacts et complets et de s’abstenir de faire de fausses déclarations. Toutefois, cela ne veut pas dire que chaque élément nécessite une preuve corroborante. Il est bien établi que la Loi sur la citoyenneté n’exige pas la corroboration à tous les égards; plutôt, il « en revient au décideur initial, en tenant compte du contexte, de déterminer l’étendue et la nature de la preuve requise » [Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c El Bousserghini, 2012 CF 88, au paragraphe 19 (El Bousserghini)]. Le juge de la citoyenneté n’a peut‑être pas concilié la divergence évidente aussi clairement que le ministre l’aurait souhaité dans ses motifs, ou expliqué de manière aussi détaillée que le ministre l’aurait espéré la façon dont M. Suleiman a convaincu le juge que la divergence ne nuisait pas à sa crédibilité. Toutefois, rien n’indique que la conclusion tirée par le juge relativement au retour de M. Suleiman au Canada avant le début de la période de référence était déraisonnable.

[28]           De même, le ministre soutient que le juge de la citoyenneté a commis une erreur de fait en ce qui concerne les dates de voyage à Dubaï de M. Suleiman d’octobre à décembre 2004 et de décembre 2004 ou janvier 2005 à mars 2005. Là encore, je souligne que ces voyages ont eu lieu avant la période de référence et n’ont aucune incidence sur les calculs liés aux obligations de résidence. Étant donné que le juge de la citoyenneté a eu l’occasion de tenir une audience avec M. Suleiman, j’estime qu’il avait le droit de ne pas tirer une conclusion défavorable quant à la crédibilité d’après les éléments de preuve.

[29]           Le ministre fait également valoir que le juge de la citoyenneté a commis une erreur de fait en déclarant que M. Suleiman n’a quitté le Canada que deux fois depuis son retour en mars 2005, alors que sa demande de citoyenneté et son questionnaire sur la résidence indiquent qu’il a en fait quitté le Canada trois fois. En supposant qu’il y ait une divergence, les éléments de preuve révèlent que, dans le pire des cas, la différence représente environ 14 jours d’absence du Canada (73 jours comparativement à 59) sur les 1 460 jours pris en considération pour la période de résidence. Je conviens avec l’avocat de M. Suleiman qu’une différence si mineure est sans intérêt, étant donné que le juge de la citoyenneté a également conclu que tous les voyages de M. Suleiman à l’extérieur du Canada avaient été déclarés. Là encore, il n’était donc pas déraisonnable pour le juge de la citoyenneté de ne pas en faire mention de façon détaillée dans sa décision.

[30]           Il ne s’agit pas d’une situation où, à l’instar de la décision Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Pereira, 2014 CF 574, le juge de la citoyenneté a excédé son pouvoir discrétionnaire et a accepté des explications chancelantes et invraisemblables concernant les absences non déclarées, et ce, sans essayer d’obtenir des précisions (aux paragraphes 23 et 30). En l’espèce, le juge de la citoyenneté a examiné ces préoccupations avec M. Suleiman à l’audience et a conclu que ce dernier s’était acquitté du fardeau d’établir la résidence au moyen d’éléments de preuve suffisants et crédibles. Toutes les erreurs ou divergences relevées par le ministre se rattachent aux conclusions de fait tirées par le juge de la citoyenneté après qu’il a eu l’occasion de mettre en doute la crédibilité de M. Suleiman lors de l’audience et après qu’il en a été satisfait. De plus, il s’agit de divergences concernant des événements qui se sont produits en dehors de la période de référence, et elles n’auraient eu aucune incidence sur le résultat lié à l’obligation de résidence. Les erreurs de fait mineures relevées par le ministre sont loin de rendre la décision déraisonnable et ne sont pas suffisamment importantes pour justifier l’intervention de la Cour.

[31]           Comme l’a déclaré la Cour dans la décision Moreno c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 841, les erreurs sans conséquence, même s’il y en a plusieurs, ne suffisent pas à rendre une décision déraisonnable. Une décision imparfaite contenant des erreurs sans conséquence demeure raisonnable.

[32]           De même, le ministre conteste la façon dont le juge de la citoyenneté a soupesé les déclarations de M. Suleiman en fonction de la preuve matérielle, faisant valoir que le juge de la citoyenneté n’a pas obligé M. Suleiman à s’acquitter de son fardeau de la preuve en vertu de la Loi sur la citoyenneté. Le ministre indique que M. Suleiman n’a fourni aucune preuve matérielle corroborante visant à établir sa résidence au Canada au cours de la période d’avril 2005 à juin 2006, et que cela était déraisonnable compte tenu des divergences relevées dans la preuve. Le ministre soutient que l’absence de timbres d’entrée canadiens et de preuves documentaires établissant la résidence au Canada est importante puisque le juge de la citoyenneté a omis d’établir si, en l’absence des preuves corroborantes en cause, M. Suleiman a été en mesure de s’acquitter de son fardeau de preuve.

[33]           Je ne souscris pas à cette interprétation de la décision. Je conclus plutôt que la décision reflète que le juge de la citoyenneté a porté son attention sur ces questions et y a donné suite. Il a conclu que l’absence de timbres d’entrée canadiens dans le passeport de M. Suleiman ne permettrait de tirer aucune conclusion étant donné la pratique adoptée par l’Agence des services frontaliers du Canada au cours de cette période, soit celle de ne pas estampiller le passeport des résidents permanents qui reviennent au Canada. Il a également examiné et pris en compte les documents financiers peu nombreux pour 2005 et 2006 ainsi que l’absence d’éléments de preuve concernant les paiements de loyer ou d’hypothèque ou de services publics effectués par M. Suleiman, et a accepté l’explication de M. Suleiman au sujet de sa période de chômage en 2005, de l’épuisement de ses ressources financières en 2006 et de la destruction de documents par son ex‑épouse dans le contexte de son divorce. Au vu des éléments de preuve, il n’était assurément pas déraisonnable pour le juge de la citoyenneté de conclure que M. Suleiman s’est acquitté du fardeau de démontrer sa résidence au Canada au cours de la période de référence. Le juge de la citoyenneté a jugé crédibles la documentation et les explications fournies par M. Suleiman puisqu’elles corroboraient son affirmation selon laquelle il résidait au Canada au cours de la période où il avait déclaré résider au pays.

[34]           La Cour comprend le désir du ministre de recevoir des motifs plus détaillés ou plus complets de la part d’un juge de la citoyenneté, puisque le processus établi par la Loi sur la citoyenneté exige d’un agent de la citoyenneté qu’il renvoie une affaire devant un juge de la citoyenneté lorsqu’il a des préoccupations et n’est pas convaincu que les obligations de résidence sont satisfaites. Toutefois, le critère que doit appliquer la Cour ne consiste pas à savoir si la décision satisfait aux attentes du ministre; le critère vise le caractère raisonnable de la décision. Les conclusions tirées par le juge de la citoyenneté répondent toutes au critère du caractère raisonnable. Dans les cas où il aurait pu y avoir certaines divergences, celles‑ci étaient sans importance ou pouvaient être conciliées de façon raisonnable dans la décision.

[35]           Je juge raisonnable l’issue finale compte tenu de l’ensemble de la preuve et des principes juridiques applicables. La décision appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit, et la Cour ne doit pas intervenir à cet égard dans le cadre d’un contrôle judiciaire.

B.                 Les motifs donnés par le juge de la citoyenneté pour appuyer sa décision étaient‑ils suffisants et adéquats?

[36]           Le ministre soutient que les motifs donnés par le juge de la citoyenneté sont inadéquats puisqu’ils n’expriment pas une compréhension des questions soulevées par la preuve, encore moins des préoccupations que l’agent de la citoyenneté a portées à l’attention du juge de la citoyenneté. Ainsi, ces motifs ne permettent pas à la partie responsable de l’examen de comprendre pourquoi le juge de la citoyenneté a pris sa décision. Je ne suis pas d’accord, et je trouve au contraire que les motifs du juge de la citoyenneté étaient adéquats.

[37]           Le droit applicable a grandement évolué depuis l’époque où l’arrêt Dunsmuir a été prononcé en ce qui concerne le caractère adéquat des motifs d’une décision administrative, tant pour ce qui est du niveau de détail de l’analyse auquel devraient être assujetties les décisions reposant sur des faits, comme celle qui nous intéresse en l’espèce, que pour ce qui est du caractère suffisant des motifs en tant que raison justifiant à elle seule le contrôle judiciaire. Dans l’arrêt Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Newfoundland and Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62 [Newfoundland Nurses], la Cour suprême du Canada a formulé des indications quant à la manière d’aborder les situations dans lesquelles le décideur fournit des motifs brefs ou limités. L’insuffisance alléguée des motifs ne constitue plus à elle seule un fondement pour accueillir une demande de contrôle judiciaire : les motifs n’ont pas à être exhaustifs ou parfaits ni à traiter de l’ensemble des éléments de preuve ou des arguments présentés par une partie ou figurant dans le dossier.

[38]           Le décideur n’est pas tenu de mentionner tous les détails qui étayent sa conclusion. Il suffit que les motifs permettent à la Cour de comprendre le fondement d’une décision et de déterminer si la conclusion fait partie des issues possibles acceptables (Newfoundland Nurses, au paragraphe 16). Les motifs doivent être lus comme un tout, en corrélation avec le dossier, dans le but de décider s’ils offrent la justification, la transparence et l’intelligibilité requise d’une décision raisonnable (Dunsmuir, au paragraphe 47; Agraira c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2013 CSC 36, au paragraphe 53; Construction Labour Relations c. Driver Iron Inc., 2012 CSC 65, au paragraphe 3). Dans la décision Safi, prononcée récemment, la Cour a analysé la question du caractère adéquat des motifs d’une décision du juge de la citoyenneté. Dans cette décision, la juge Kane a fait écho aux principes énoncés dans l’arrêt Newfoundland Nurses et a fait observer que le décideur n’est pas tenu d’expliciter chaque motif, argument ou détail dans sa décision, ni de tirer une conclusion explicite sur chaque élément constitutif du raisonnement qui l’a mené à sa conclusion finale. Les motifs doivent « être examinés en corrélation avec le résultat et ils doivent permettre de savoir si ce dernier fait partie des issues possibles » (Safi, au paragraphe 17).

[39]           En l’espèce, la décision du juge de la citoyenneté satisfait à ce critère; les motifs indiquent clairement pourquoi il a déterminé que M. Suleiman a satisfait à l’obligation de résidence et de quelle façon il a tenu compte de la preuve. Par conséquent, l’argument selon lequel les motifs du juge n’étaient pas suffisants n’est pas fondé. Le contrôle judiciaire porte sur la décision en soi, et non sur le processus décisionnel. Une cour de révision examine le dossier dans le but de confirmer la décision; lorsqu’elles sont manifestes, les lacunes de la preuve peuvent être comblées s’il est possible de le faire en s’appuyant sur la preuve, et des inférences logiques comprises dans le résultat peuvent être tirées (Komolafe c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 431, au paragraphe 10). Cela étant dit, je reconnais que l’arrêt Newfoundland Nurses ne donne pas à la Cour toute la latitude voulue pour fournir des motifs qui n’ont pas été donnés ni ne l’autorise à deviner quelles conclusions auraient pu être tirées ou à émettre des hypothèses sur ce que le décideur a pu penser. Toutefois, ce n’est pas le cas en l’espèce; il s’agit plutôt d’une situation dans laquelle la cour de révision peut établir les liens et les distinctions qui s’imposent dans la décision du juge de la citoyenneté.

[40]           Dans la présente demande de contrôle judiciaire, il incombe au ministre de convaincre la Cour que son intervention est justifiée. Toutefois, il incombait à M. Suleiman de prouver qu’il satisfaisait à l’obligation de résidence, et le juge de la citoyenneté avait le devoir de fournir des motifs pour montrer comment il était arrivé à sa décision (Abbas c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 145, au paragraphe 8; El Falah c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 736, au paragraphe 21; Tlili c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 476, au paragraphe 3). C’est ce que le juge de la citoyenneté a fait.

[41]           La norme applicable est celle de la décision raisonnable, et non celle de la décision parfaite. En matière de citoyenneté, les motifs de décision sont souvent très brefs et ne portent pas toujours sur toutes les divergences dans la preuve. Toutefois, même lorsque les motifs de la décision sont brefs ou mal rédigés, la Cour doit faire preuve de retenue à l’égard de l’appréciation de la preuve par le décideur et de ses décisions au sujet de la crédibilité, pourvu que la Cour soit en mesure de comprendre la décision du juge de la citoyenneté (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Thomas, 2015 CF 288, au paragraphe 34 [Thomas]; Canada (Citoyenneté et Immigration) c Lee, 2013 CF 270, au paragraphe 35 [Lee]; Canada (Citoyenneté et Immigration) c Purvis, 2015 CF 368, aux paragraphes 24 et 25 [Purvis]).

[42]           Dans la décision Thomas, par exemple, le juge de la citoyenneté a conclu que la défenderesse était crédible et avait répondu aux préoccupations de l’agent de citoyenneté et a accepté les explications de la défenderesse. En réponse à l’argument du ministre selon lequel la preuve était insuffisante, le juge Mosley a indiqué que les notes auraient pu être plus claires et plus détaillées, mais que la décision finale reposait sur une appréciation raisonnable de la preuve, y compris des explications données par la défenderesse. Le juge Mosley a souligné qu’il n’y avait pas de lacunes inexpliquées dans la preuve puisque le défendeur a donné des explications que le juge de la citoyenneté a jugées crédibles. Le juge Mosley a rappelé que la Cour doit, en l’absence d’une erreur manifeste, faire montre de retenue à l’égard de l’appréciation de la preuve effectuée par le décideur et des conclusions de ce dernier relatives à la crédibilité (Thomas, aux paragraphes 33 et 34).

[43]           Il faut établir une distinction entre les affaires dans lesquelles la Cour accepte d’intervenir et l’espèce. Dans la décision Canada (Citoyenneté et Immigration) c Raphaël, 2012 CF 1039 [Raphaël], l’agente de la citoyenneté a souligné quelques préoccupations, notamment un visa délivré à une date à laquelle la demanderesse prétendait se trouver au Canada, des relevés bancaires qui présentaient généralement de nombreuses transactions, mais qui présentaient des périodes sans activité alors que la demanderesse était supposée être au Canada, et des visites chez le médecin à des dates pendant lesquelles elle était supposée être en voyage. Le juge Boivin a conclu que la décision n’était pas raisonnable, car plusieurs lacunes dans la preuve n’avaient pas été traitées, et la Cour n’a pas été en mesure de comprendre le raisonnement du juge de la citoyenneté (Raphaël, au paragraphe 28). Dans la décision Safi, la juge Kane a reconnu que certaines des lacunes non réglées n’étaient pas importantes et étaient probablement le résultat d’un simple malentendu, mais a ajouté que des éléments posaient problème et nécessitaient un examen plus poussé, notamment des timbres illisibles du passeport, certains voyages qui n’avaient pas été déclarés et un visa délivré sous un autre nom. La juge Kane a indiqué qu’il n’était pas possible de déterminer clairement de quelle manière le juge de la citoyenneté avait apprécié la preuve et que ce dernier avait semblé ignorer des éléments de preuve au dossier qui auraient dû l’inciter à fouiller davantage la question (Safi, aux paragraphes 44 et 45).

[44]           Dans la décision Canada (Citoyenneté et Immigration) c Jeizan, 2010 CF 323, le juge de Montigny a conclu que le manquement au chapitre des jours de résidence était beaucoup plus important que ce qu’avait déterminé le juge de la citoyenneté et que la preuve documentaire limitée posait problème, en particulier puisque de nombreux reçus présentés pour prouver la présence de la demanderesse au Canada portaient des dates auxquelles, de son propre aveu, elle n’était pas présente au Canada. La Cour a également annulé les décisions d’un juge de la citoyenneté d’accorder la citoyenneté lorsqu’elle a constaté que le défendeur avait fait des fausses déclarations importantes (mettant souvent en cause de longues absences du Canada) dont le juge de la citoyenneté n’avait pas tenu compte dans sa décision (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Elzubair, 2010 CF 298; Canada (Citoyenneté et Immigration) c Dhaliwal, 2008 CF 797).

[45]           La présente affaire est différente. Le juge de la citoyenneté a défini le critère de résidence qu’il a appliqué et a abordé les préoccupations de l’agent de la citoyenneté quant à la crédibilité; il n’y avait pas de lacunes dans la preuve ni de périodes qui n’ont pas été prises en compte. Je n’hésite aucunement à conclure que les motifs sont suffisants et adéquats en ce qui concerne le critère établi dans l’arrêt Newfoundland Nurses. La décision démontre clairement pourquoi le juge de la citoyenneté a approuvé la demande de M. Suleiman et a rejeté les préoccupations de l’agent de la citoyenneté.

C.                Y a‑t‑il des raisons spéciales qui justifieraient l’adjudication de dépens en l’espèce?

[46]           Monsieur Suleiman demande l’adjudication de dépens, étant donné que la demande de contrôle judiciaire n’était pas fondée et qu’il s’est écoulé un délai démesuré de cinq ans avant que le juge de la citoyenneté se prononce sur sa demande de citoyenneté.

[47]           La Cour n’adjuge habituellement pas de dépens dans les instances en matière d’immigration puisque l’article 22 des Règles des cours fédérales en matière d’immigration et de protection des réfugiés, DORS/93-22, prévoit que « [s]auf ordonnance contraire rendue par un juge pour des raisons spéciales, la demande d’autorisation, la demande de contrôle judiciaire ou l’appel introduit en application des présentes règles ne donnent pas lieu à des dépens ». Bien que chaque affaire présente des circonstances qui lui sont propres, le critère de l’existence de « raisons spéciales » est rigoureux (Aleaf c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 445, au paragraphe 45; Ibrahim c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CF 1342, au paragraphe 8). En l’espèce, j’estime qu’il n’existe pas de raisons spéciales justifiant l’adjudication de dépens.

[48]           Dans l’arrêt Ndungu c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CAF 208, au paragraphe 7, la Cour d’appel fédérale a présenté un résumé détaillé des circonstances dans lesquelles la Cour reconnaît l’existence de [traduction] « circonstances particulières » justifiant l’adjudication de dépens. Selon cette décision, en fonction d’une analyse de la jurisprudence, des « raisons spéciales » justifiant que les dépens soient adjugés à l’encontre du ministre existent dans les circonstances suivantes :

-          Le ministre cause à un demandeur une perte considérable de temps et de ressources en adoptant des thèses incompatibles devant la Cour fédérale et la Cour d’appel fédérale;

-          Un agent d’immigration contourne une ordonnance de la Cour;

-          Un agent d’immigration adopte une conduite trompeuse ou abusive;

-          Un agent d’immigration rend une décision uniquement après un délai déraisonnable et injustifié;

-          Le ministre s’oppose de façon déraisonnable à une demande de contrôle judiciaire qui est manifestement valable en droit.

[49]           Je ne conclus pas que les circonstances en l’espèce sont semblables ou étroitement similaires aux situations qui justifient l’adjudication de dépens. Le fait que le ministre a choisi d’exercer son droit prévu par la loi de demander un contrôle judiciaire et que sa demande est rejetée ne permet pas de conclure à l’existence de raisons spéciales. De plus, je conviens avec le ministre que le délai de cinq ans entre la demande de M. Suleiman et la décision du juge de la citoyenneté ne constitue pas une raison justifiant l’adjudication de dépens, puisque M. Suleiman aurait pu demander l’aide de la Cour concernant tout préjudice qu’il aurait pu subir pendant ces cinq années, mais a choisi de ne pas le faire.

[50]           Par conséquent, je ne suis pas convaincu qu’il existe en l’espèce des « raisons spéciales » justifiant l’adjudication des dépens, et je refuse de rendre pareille ordonnance.

IV.             Conclusion

[51]           Pour les motifs susmentionnés, la demande de contrôle judiciaire est rejetée. S’il est vrai que le ministre aurait préféré une décision plus élaborée, le juge de la citoyenneté a néanmoins répondu à toutes les préoccupations soulevées par l’agent de la citoyenneté dans sa décision et a expliqué pourquoi ces préoccupations n’avaient pas d’incidence sur sa conclusion relativement à l’obligation de résidence. Sa décision est raisonnable, et les motifs présentés sont suffisants. Je n’estime pas que le juge de la citoyenneté a tiré des conclusions de fait déraisonnables ni qu’il a mal saisi les questions soulevées par l’agent de la citoyenneté. Le juge de la citoyenneté a plutôt réglé les préoccupations soulevées, d’abord en discutant de ces préoccupations avec M. Suleiman, puis en les expliquant dans sa décision.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée sans frais.

« Denis Gascon »

Juge

Traducteur certifié conforme

Mylène Boudreau, B.A. en trad.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-2374-14

INTITULÉ :

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION c ZAHER SULEIMAN

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 2 JUIN 2015

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE GASCON

DATE DES MOTIFS :

LE 22 JUILLET 2015

COMPARUTIONS :

M. Christoph Crighton

POUR LE DEMANDEUR

M. Jared Will

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DEMANDEUR

Law Offices of Jared Will

Avocats

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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