Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20150810


Dossier : T‑1294‑14

Référence : 2015 CF 961

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Fredericton (Nouveau‑Brunswick), le 10 août 2015

En présence de monsieur le juge Bell

ENTRE :

Rossi, Joseph Anthony Nicholas

demandeur

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   Vue d’ensemble

[1]               Le demandeur, Joseph Anthony Nicholas Rossi [M. Rossi], sollicite le contrôle judiciaire de la décision du ministre des Transports [le ministre], prise le 24 avril 2014 en vertu de l’article I.4 de la politique sur le Programme d’habilitation de sécurité en matière de transport [la politique], d’annuler son habilitation de sécurité.

[2]               Monsieur Rossi, gestionnaire chez Gate Gourmet, une société de services alimentaires pour le secteur aérien, requiert une habilitation de sécurité pour l’accès aux zones de sûreté à accès réglementé de son lieu de travail, l’aéroport international Pierre‑Elliott‑Trudeau [l’aéroport] à Montréal (Québec). Monsieur Rossi a commencé en 1998 à travailler dans le domaine des services alimentaires à l’aéroport, et c’est alors qu’on lui a octroyé sa première habilitation de sécurité. Après 1998, l’habilitation de sécurité de M. Rossi a été renouvelée tous les cinq ans. La plus récente demande de renouvellement a été présentée le 13 janvier 2013, la date d’expiration prévue étant le 31 janvier 2018.

[3]               En application de mesures de sécurité renforcées à l’aéroport, le ministère des Transports [le ministère] a reçu, le 6 décembre 2013, un rapport relatif à une vérification des dossiers d’exécution de la loi [rapport de vérification]. Le rapport de vérification faisait état de liens entre M. Rossi et des personnes impliquées dans l’importation et l’exportation de drogue à l’aéroport. Selon le rapport, une association était soupçonnée entre M. Rossi et un groupe du crime organisé, plus particulièrement l’organisation la Torre. Des contrôles de sécurité de routine effectués par la Gendarmerie royale du Canada, ainsi que le contenu du rapport de vérification, ont fait s’inquiéter le personnel du filtrage de sécurité du ministère sur l’aptitude de M. Rossi à conserver une habilitation de sécurité.

[4]               Par conséquent, le 17 décembre 2013, le ministère a informé M. Rossi par lettre de la teneur du rapport de vérification et de ses inquiétudes quant à son aptitude à conserver une habilitation de sécurité. Le ministère faisait aussi savoir à M. Rossi que la question serait examinée par l’organisme consultatif chargé de formuler des recommandations au ministre au sujet de l’octroi, du renouvellement, de l’annulation ou de la suspension des habilitations de sécurité. Le ministère invitait M. Rossi à fournir des renseignements relativement aux allégations formulées dans le rapport de vérification ainsi que toute autre information qu’il estimait souhaitable.

[5]               Le 18 décembre 2013, M. Rossi s’est entretenu avec un représentant du ministère. Il a dit craindre que des fonctionnaires du ministère l’aient confondu avec son père, qui avait les mêmes nom et prénom que lui et qui avait déjà travaillé dans le domaine des services alimentaires à l’aéroport. Monsieur Rossi a aussi répondu deux fois par écrit à la lettre du ministère. On a confirmé par la suite que c’était bien au plus jeune M. Rossi que s’intéressaient les fonctionnaires.

[6]               Le 11 mars 2014, l’organisme consultatif a recommandé au ministre d’annuler l’habilitation de sécurité de M. Rossi. Le 17 avril 2013, la déléguée du ministre [ci‑après visée par toute mention du ministre] a décidé d’annuler l’habilitation de sécurité. Cette décision, qui fait l’objet du présent contrôle, a été communiquée à M. Rossi le 24 avril 2013. Le ministre se disait d’avis que le fait pour M. Rossi d’être soupçonné d’une association avec l’organisation la Torre soulevait des inquiétudes quant à son jugement, sa fiabilité et son honnêteté. Le ministre faisait aussi état de l’association de M. Rossi avec deux acteurs clés du trafic de drogue transitant par l’aéroport et de la récente condamnation de l’un d’eux, lui ayant valu une peine de près de dix années d’emprisonnement, pour complot et importation d’une substance illicite.

[7]               Pour les motifs énoncés ci‑dessous, je rejetterais la demande de contrôle judiciaire.

II.                Régime législatif

[8]               D’entrée de jeu, je reconnais que je puise abondamment dans les observations écrites du défendeur pour l’exposé du régime législatif applicable à l’octroi et à l’annulation des habilitations de sécurité visant les aéroports canadiens. Le ministre est chargé de promouvoir la sécurité dans les aérodromes canadiens, conformément aux dispositions de la Loi sur l’aéronautique [la Loi], LRC 1985, c A‑2, et du Règlement canadien de 2012 sur la sûreté aérienne [le Règlement], 2012 DORS/2011‑318, ainsi qu’aux politiques promulguées par le défendeur. La sécurité à l’aéroport est principalement régie par la Loi et le Règlement.

[9]               En vertu de l’alinéa 165a) du Règlement, l’accès aux zones réglementées de l’aéroport est réservé aux titulaires d’une carte d’identité de zone réglementée. L’alinéa 146(1)c) du Règlement prévoit que nul ne peut obtenir une telle carte d’identité sans d’abord posséder une habilitation de sécurité. Les habilitations de sécurité ne peuvent être délivrées que sur demande faite au ministre. L’article 4.8 de la Loi prévoit enfin que le ministre peut, « pour l’application de la présente loi, accorder, refuser, suspendre ou annuler une habilitation de sécurité ».

[10]           Le mode d’exercice par le ministre du large pouvoir discrétionnaire que la Loi lui confère est exposé dans la politique. La politique décrit la procédure applicable aux demandes, suspensions et annulations d’habilitations de sécurité. L’un des objectifs de la politique est de prévenir l’entrée non contrôlée dans les zones réglementées d’un aéroport de toute personne que le ministre croit, suivant la prépondérance des probabilités, être sujette ou susceptible d’être incitée à commettre un acte d’intervention illicite pour l’aviation civile [non souligné dans l’original].

[11]           Le programme est administré par le directeur du Programme de filtrage de sécurité; celui‑ci examine les demandes et fait les vérifications de sécurité pertinentes, comme les vérifications de casier judiciaire, les enquêtes auprès d’organismes d’application de la loi et les vérifications dans les fichiers du Service canadien du renseignement de sécurité (le SCRS). Lorsque le directeur a des inquiétudes quant à l’aptitude du titulaire d’une habilitation de sécurité, il renvoie le dossier à l’organisme consultatif mis sur pied en application de la politique. L’organisme consultatif procède à son propre examen du dossier et il formule une recommandation au ministre concernant l’octroi, le renouvellement, l’annulation ou la suspension de l’habilitation de sécurité.

[12]           L’organisme consultatif est constitué du directeur, ainsi que d’au moins deux autres personnes choisies par ce dernier en raison de leur connaissance des objectifs du programme d’habilitation de sécurité. Avant d’examiner un dossier, l’organisme consultatif informe l’intéressé des renseignements défavorables qu’on a mis au jour et il l’invite à présenter ses observations. On renvoie aussi l’intéressé à la politique s’il veut obtenir de l’information sur les motifs pouvant fonder une recommandation défavorable de l’organisme consultatif. Une fois la décision finale prise par le ministre, l’intéressé en est informé ainsi que de la possibilité d’en demander le contrôle judiciaire.

III.             Arguments des parties

A.                Arguments du demandeur

[13]           Monsieur Rossi soutient que la décision est déraisonnable parce qu’il n’a jamais été reconnu coupable d’une infraction criminelle, qu’il ignorait les activités criminelles de ses collègues de travail et qu’aucune preuve ne montre qu’il avait des liens avec les personnes impliquées dans le trafic de drogue à l’aéroport. Il ajoute que l’annulation de son habilitation de sécurité n’est rien d’autre qu’une déclaration de culpabilité par association, et qu’aucune preuve ne montre qu’il est une personne qui est « sujette ou susceptible d’être incitée à […] commettre un acte d’intervention illicite pour l’aviation civile ».

[14]           Monsieur Rossi fait également valoir que son droit à l’équité procédurale a été violé de deux manières : (1) la lettre du 18 décembre 2013 renfermait trop peu de renseignements pour qu’il puisse répondre pleinement aux allégations portées contre lui, et (2) la lettre du 24 avril 2014 l’informant de la décision d’annuler son habilitation de sécurité renvoie à une déclaration de son avocat. Monsieur Rossi affirme que le ministre a manifestement pris en compte une preuve extrinsèque, puisqu’il n’a retenu les services d’un avocat qu’en mai 2014. Il était donc impossible, selon M. Rossi, que le ministre ait pu prendre en compte des observations faites par un avocat qui le représentait. Monsieur Rossi estime que la prise en considération par le ministre d’une preuve extrinsèque constitue une violation des principes d’équité procédurale ou de justice naturelle.

[15]           Monsieur Rossi affirme également que les droits qu’il tire de la Charte ont été violés, mais il n’en donne aucun détail, ni ne mentionne les faits ayant donné lieu à cette violation. J’estime que M. Rossi n’a pas jeté les fondements d’une contestation relative à la Charte et je ne compte rien dire de plus sur la question.

B.                 Arguments du défendeur

[16]           Le défendeur soutient qu’au vu de la preuve, la décision d’annuler l’habilitation de sécurité de M. Rossi a un caractère raisonnable. Son avocate déclare qu’en se plaignant d’être déclaré coupable par association et d’être puni pour des actes qu’il n’a pas commis, M. Rossi démontre qu’il ne comprend pas bien le régime législatif applicable. Le défendeur fait valoir que la décision prise par le ministre en application de l’article I.4 de la politique est de nature prospective. À son avis, il est reconnu dans la décision que le fait d’être associé à des individus dont l’influence peut s’avérer négative peut suffire comme motif pour que le ministre croie raisonnablement qu’une personne est sujette ou susceptible d’être incitée à commettre un acte d’intervention illicite pour l’aviation civile.

[17]           Le défendeur soutient également qu’il n’y a eu aucun manquement à l’équité procédurale. Il fait valoir que le demandeur a obtenu tous les renseignements disponibles et qu’il a eu l’occasion d’y répondre. Il ajoute que le demandeur a démontré, lorsqu’il a répondu à la lettre du 17 décembre 2013, qu’il connaissait les événements qu’on y décrivait, ou tout au moins qu’il comprenait de quoi il s’agissait. Le demandeur ne peut donc pas dire que les renseignements communiqués ont fait en sorte qu’il lui a été difficile de répondre aux allégations. Quant au renvoi dans la lettre de décision à l’observation d’un avocat, le défendeur affirme que le ministre disposait d’une preuve abondante pour prendre la décision qui a été la sienne, et que la mention d’un avocat constituait une malencontreuse erreur typographique.

IV.             Questions en litige

[18]           Je formulerais les questions en litige comme suit :

1.         La décision d’annuler l’habilitation de sécurité de M. Rossi était‑elle raisonnable dans les circonstances?

2.         Le ministre a‑t‑il commis un manquement à l’équité procédurale du fait de ne pas avoir fourni à M. Rossi suffisamment de renseignements sur les allégations portées contre lui et d’avoir renvoyé dans la lettre de décision à une preuve extrinsèque (l’observation de l’avocat)?

V.                Norme de contrôle

[19]           La décision d’annuler l’habilitation de sécurité du demandeur commande la norme de contrôle de la raisonnabilité (Clue c Canada (Procureur général), 2011 CF 323, [2011] ACF n° 401, au paragraphe 14 [Clue]). La Cour n’interviendra que si elle conclut que la décision n’appartient pas aux « issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190 [Dunsmuir], au paragraphe 47).

[20]           La question de savoir si le processus suivi pour en arriver à la décision d’annuler l’habilitation de sécurité du demandeur satisfaisait aux exigences de l’équité procédurale commande la norme de contrôle de la décision correcte (Pouliot c Canada (Transports, de l’Infrastructure et des Collectivités), 2012 CF 347, 216 ACWS (3d) 527 [Pouliot], au paragraphe 7). Lorsqu’elle applique cette norme, la Cour ne fait pas montre de retenue face à la procédure adoptée par le ministre; elle se livre plutôt à sa propre analyse.

VI.             Questions préliminaires

[21]           Le défendeur a soulevé deux questions préliminaires. Les deux questions ont été réglées au début de l’audience et il ne sera pas nécessaire de s’étendre sur le sujet, mais disons à des fins de confirmation : que l’intitulé est modifié pour que le Procureur général du Canada soit désigné à titre de défendeur (en conformité avec la règle 303 des Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106), et les éléments dont le ministre ne disposait pas lorsqu’il a pris sa décision ne seront pas pris en compte dans le cadre de la présente demande de contrôle judiciaire.

VII.          Analyse

A.                La décision d’annuler l’habilitation de sécurité du demandeur est‑elle raisonnable?

[22]           La norme de preuve qui doit être appliquée pour étayer la décision du ministre d’annuler l’habilitation de sécurité de M. Rossi consiste à ce que le ministre croit, suivant la prépondérance des probabilités, que M. Rossi est sujet ou susceptible d’être incité à commettre un acte d’intervention illicite pour l’aviation civile [non souligné dans l’original]. Le juge Harrington a fait à cet égard les commentaires suivants dans le jugement MacDonnell c. Canada (Procureur général), 2013 CF 719, [2013] ACF n° 799 [MacDonnell], au paragraphe 29 :

La politique est prospective; autrement dit, elle tient de la prédiction. La politique n’exige pas que le ministre croie selon la prépondérance des probabilités qu’un individu « commettra » un acte qui « constituera » un acte d’intervention illicite pour l’aviation civile ou qu’il « aidera ou incitera » toute autre personne à commettre un acte qui « constituerait » une intervention illicite pour l’aviation civile, mais seulement qu’il soit « sujet » à le faire.

[Non souligné dans l’original.]

(Voir également Clue, au paragraphe 20, Thep‑Outhainthany c Canada (Procureur général), 2013 CF 59, [2013] ACF n° 44 [Thep‑Outhainthany], au paragraphe 24; Christie c Canada (Procureur général), 2015 CF 210, [2015] ACF n° 203, au paragraphe 23; Henri c Canada (Procureur général), 2014 CF 1141, [2014] ACF n° 1266, au paragraphe 28.)

[23]           L’argument de M. Rossi selon lequel la décision est déraisonnable parce qu’aucune preuve ne démontre son association avec l’une quelconque des personnes s’adonnant au trafic de drogue à l’aéroport et selon lequel il ignorait les activités criminelles de ces personnes est mal fondé. Comme la Cour l’a souligné ci‑dessus, la politique est prospective. La Cour a conclu que le simple fait d’entretenir des liens avec des personnes impliquées dans la narco‑criminalité ou avec les membres d’une organisation criminelle suffisait pour l’annulation par le ministre, dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire, d’une habilitation de sécurité (Christie, précité, aux paragraphes 24 et 25; Thep‑Outhainthany, précité, au paragraphe 25). En outre, l’absence de casier judiciaire n’est pas déterminante (Thep‑Outhainthany, précité, au paragraphe 20).

[24]           Pour en arriver à sa décision d’annuler l’habilitation de sécurité de M. Rossi, la déléguée du ministre a pris en compte les éléments de preuve suivants réunis par la Section des enquêtes fédérales aéroportuaires de la GRC :

1.             La GRC a fait enquête sur une organisation qui importait de la cocaïne, en utilisant l’aéroport, de la République dominicaine au Canada.

2.             Dans son enquête, tenue du 12 octobre 2007 au 4 juin 2007, la GRC a recouru à des outils d’enquête comme la surveillance, l’analyse des communications téléphoniques, l’utilisation d’enregistreurs de numéros de téléphone et l’interception de communications.

3.             L’organisation visée par l’enquête recourait aux services d’employés de la société – de services alimentaires pour le secteur aérien – CARA (société ayant précédé Gate Gourmet et ancien employeur de M. Rossi) qui utilisaient l’aéroport pour l’importation de cocaïne.

4.             L’enquête a entraîné la saisie de 9 kg de cocaïne en janvier 2008 et de 2 kg de cocaïne en avril 2008.

5.             L’organisation visée par l’enquête devait son nom à deux de ses membres, dont l’un, l’individu A, était un proche associé de M. Rossi.

6.             L’organisation dont l’individu A faisait partie avait des liens avec le crime organisé et certains de ses membres étaient en relation avec des membres de l’organisation la Torre.

7.             Le proche associé de M. Rossi, l’individu A, a été inculpé en 2008 de chefs d’importation d’une substance interdite et de complot en vue de commettre une infraction criminelle, ce qui lui a valu une peine de 59 mois d’emprisonnement. En outre, l’individu A était propriétaire d’un restaurant que la GRC considérait être un lieu de rencontre pour discuter de trafic de drogue. Enfin en 2006, M. Rossi a été vu dans le restaurant de l’individu A en compagnie d’un acteur clé de l’organisation visée par l’enquête.

[25]           M. Rossi reconnaît trois éléments dans sa réponse à la lettre exprimant les inquiétudes de l’organisme consultatif. Premièrement, il a produit un film, dans le cadre de ses études à l’Université Concordia, dont l’action se déroule au restaurant de l’individu A. Deuxièmement, il a fréquenté ce restaurant en compagnie de collègues de travail chez CARA, son ancien employeur. Enfin, il a parfois fréquenté le même gym qu’une des autres personnes faisant l’objet d’enquête.

[26]           Au vu de l’ensemble du dossier, y compris le rapport de vérification – lequel est jugé fiable (MacDonnell, au paragraphe 31, citant Fontaine, au paragraphe 75) ‑, j’estime que la conclusion tirée par la déléguée du ministre relativement à l’habilitation de sécurité de M. Rossi appartenait aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

B.                 Le ministre a‑t‑il commis un manquement à l’équité procédurale du fait de ne pas avoir fourni à M. Rossi suffisamment de renseignements sur les allégations portées contre lui et d’avoir renvoyé dans la lettre de décision à une preuve extrinsèque (l’observation de l’avocat)?

[27]           Dans l’arrêt Baker c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 RCS 817, [1999] ACS n° 39, aux paragraphes 21 à 27 [Baker], la Cour suprême, en plus d’énoncer les facteurs à prendre en compte pour établir le degré d’équité procédurale requis dans une situation donnée, nous enseigne que l’analyse effectuée doit être contextuelle. On a récemment résumé comme suit, dans la décision Henri, au paragraphe 22, le contexte dans lequel s’inscrit l’annulation d’une habilitation de sécurité :

Si le contenu obligationnel de l’équité procédurale s’avère légèrement plus élevé lorsqu’une habilitation existante est annulée que lorsque quelqu’un se la voit refuser pour la première fois, il demeure néanmoins minimal (Pouliot, précitée, au par. 10); concrètement, cela veut dire que la protection procédurale liée au processus pouvant mener à l’annulation d’une habilitation de sécurité se limite au droit de connaître les faits reprochés et à celui de faire des représentations à l’égard de ces faits; elle ne comprend pas le droit à une audience (Pouliot, précitée, au par. 10; Rivet c Procureur général du Canada, 2007 CF 1175, au par. 25; DiMartino et Koska c Canada (Ministre des Transports), 2005 CF 635, au par. 36; Peles, précitée, au par. 16; Clue, précitée au par. 17).

[Non souligné dans l’original.]

[28]           En l’espèce, la décision n’était pas de nature à exposer M. Rossi à une importante restriction de ses droits. Il allait pouvoir continuer de travailler à l’aéroport, mais plus au poste de gestion qu’il avait occupé jusqu’alors. De plus, dans sa lettre du 17 décembre 2013, le ministère a informé M. Rossi des points qui le préoccupaient. On l’y invitait aussi à consulter la politique et à communiquer des renseignements additionnels sur le contexte entourant les incidents en cause et ses liens présumés. Monsieur Rossi a répondu à cette lettre par un appel téléphonique et deux courriels.

[29]           J’estime sans fondement l’argument de M. Rossi selon lequel la lettre du 17 décembre 2013 renfermait trop peu de renseignements pour qu’il puisse y répondre adéquatement. La lettre faisait état d’un [traduction] « proche associé » (présenté comme l’individu A) de M. Rossi qui était propriétaire d’un restaurant. Ce restaurant était dit être un lieu de rencontre pour les trafiquants de drogue. On précisait dans la lettre que l’individu A avait été reconnu coupable des crimes mentionnés plus tôt dans les présents motifs. Monsieur Rossi était également informé, dans la lettre, qu’il avait été vu dans le restaurant avec un autre acteur clé visé par l’enquête. Monsieur Rossi pouvait identifier, au vu de la lettre, tant l’individu A que l’[traduction] « autre important » acteur. Il pouvait ainsi communiquer en réponse des renseignements sur ses liens avec ces deux personnes.

[30]           S’agissant de l’individu A, M. Rossi a pu parler de sa réalisation d’un film au restaurant au cours de ses études à l’Université Concordia. Quant à l’autre personne, M. Rossi a pu donner des précisions sur leur fréquentation du même gym. À mon avis, les renseignements fournis par le ministre respectaient ou surpassaient l’obligation de communication énoncée dans des jugements tels que MacDonnell, Clue et Salmon c Canada (Procureur général), 2014 CF 1098, 247 ACWS (3d) 499. Enfin, ainsi que la Cour l’a expliqué dans le jugement Lorenzen c Canada (Transport), 2014 CF 273, 239 ACWS (3d) 10, au paragraphe 52, la déléguée du ministre n’avait à accepter ni les explications ni la thèse de M. Rossi (voir également Henri, au paragraphe 60).

[31]           Il ne fait aucun doute qu’un large pouvoir discrétionnaire est conféré au ministre en matière d’octroi ou d’annulation d’habilitations de sécurité. Pour ce qui est des attentes légitimes de M. Rossi, une habilitation de sécurité ne constitue pas un droit, mais bien un privilège. Il est raisonnable pour quiconque de s’attendre à ce que ses liens personnels soient jugés pertinents lorsqu’il s’agit d’octroyer ou de renouveler une habilitation de sécurité.

[32]           Quant à l’importance de la décision pour l’intéressé, M. Rossi ne sera pas emprisonné et il ne perdra pas son emploi non plus. Comme je l’ai indiqué précédemment, la nature de son emploi va changer, puisqu’il n’aura plus accès aux zones réglementées; il continuera toutefois à travailler à l’aéroport dans le secteur des services alimentaires, auprès du même employeur.

[33]           J’examinerai maintenant l’argument de M. Rossi selon lequel le ministre a manqué à son obligation d’équité procédurale lorsqu’il a tenu compte d’une preuve extrinsèque ou inexistante sous forme de [traduction] « déclaration écrite » fournie par son avocat. Il est bien vrai que la décision mentionne une telle déclaration d’avocat. Nul ne conteste qu’à la date de la décision, M. Rossi n’avait pas retenu les services d’un avocat. La question qui se pose est donc celle de savoir si le ministre a véritablement pris en compte une preuve extrinsèque ou inexistante, ou encore si le dossier de M. Rossi a pu être confondu avec celui d’un d’autre.

[34]           Après examen de ce motif de contrôle, j’en viens à la conclusion que la mention de l’observation de l’avocat de M. Rossi constitue une malencontreuse erreur typographique. D’après le sommaire des discussions de l’organisme consultatif, figurant au premier volume du dossier du défendeur, aux pages 43 à 45, le ministre disposait de tous les renseignements requis, y compris les observations de M. Rossi lui‑même, pour prendre sa décision. D’ailleurs, dans le premier paragraphe de la décision, la déléguée du ministre indique que la décision repose sur les événements décrits dans la lettre du 17 décembre 2013, les arguments du 18 décembre 2013 de M. Rossi, la recommandation de l’organisme consultatif ainsi que la politique.

[35]           À mon avis, le renvoi erroné à l’observation d’un avocat ne constitue pas un manquement à l’équité procédurale, ni ne rend la décision déraisonnable selon les paramètres établis dans l’arrêt Dunsmuir. Dans l’arrêt Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre‑Neuve‑et‑Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, [2011] 3 RCS 708, aux paragraphes 16 et 17, la Cour suprême enjoint aux cours de révision de ne pas tenter de trouver une mine d’erreurs, et d’évaluer plutôt le caractère raisonnable de la décision en examinant, dans leur ensemble, les éléments présentés. Ainsi que l’affirme la juge Abella, au paragraphe 16 de l’arrêt, « les motifs répondent aux critères établis dans Dunsmuir s’ils permettent à la cour de révision de comprendre le fondement de la décision du tribunal et de déterminer si la conclusion fait partie des issues possibles acceptables ». En l’espèce, j’estime après prise en compte de l’ensemble des éléments que la décision se justifie. Le renvoi à l’observation – inexistante – de l’avocat n’était pas nécessaire au processus décisionnel. À mon avis, ce processus n’a été entaché par aucune erreur qui viole le droit de M. Rossi à l’équité procédurale.

VIII.       Conclusion

[36]           La décision d’annuler l’habilitation de sécurité de M. Rossi satisfaisait, dans les circonstances, au critère de la raisonnabilité. J’estime de plus que le ministre a respecté, en contexte, le droit à l’équité procédurale de M. Rossi. L’intervention de la Cour n’est pas justifiée.   


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

« B. Richard Bell »

Juge

Traduction certifiée conforme

Linda Brisebois, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


 

DoSSIER :

T‑1294‑1

 

INTITULÉ :

Rossi, Joseph Anthony Nicholas c MINISTRE DES TRANSPORTS

LIEU DE L’AUDIENCE :

MONTRÉAL (QUÉBEC)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 8 JUIN 2015

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE BELL

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

LE 10 AOÛT 2015

COMPARUTIONS :

Roberto T. De Minico

POUR LE DEMANDEUR

Sara Gauthier

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Trudeau Dufresne De Minico

Avocats ‑ Notaires

Montréal (Québec)

POUR LE DEMANDEUR

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

Montréal (Québec)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.