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Date : 20150806


Dossier : IMM‑6058‑14

Référence : 2015 CF 949

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 6 août 2015

En présence de monsieur le juge Fothergill

ENTRE :

SHAROF SHUKUROV

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   Introduction

[1]               Monsieur Sharof Shukurov a présenté une demande de contrôle judiciaire en application de l’article 72 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR]. Il conteste le rejet par la Section d’appel des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié [la SAR] de son appel interjeté à l’encontre d’une décision rendue par la Section de la protection des réfugiés [la SPR]. La SPR a conclu que M. Shukurov n’avait pas qualité de réfugié au sens de la Convention suivant l’article 96 de la LIPR ni celle de personne à protéger suivant le paragraphe 97(1) de la LIPR.

[2]               Pour les motifs qui suivent, j’ai conclu que la SAR n’a pas appliqué la bonne norme de contrôle à la décision de la SPR ni le bon critère pour établir l’admissibilité d’éléments de preuve supplémentaires présentés en appel. Je ne puis affirmer si le résultat aurait été le même si la norme et le critère appropriés avaient été appliqués, et par conséquent, la demande de contrôle judiciaire est accueillie.

II.                Le contexte

[3]               Monsieur Shukurov est un citoyen de l’Ouzbékistan. Sa demande d’asile était fondée sur les affirmations suivantes :

      Monsieur Shukurov était gérant d’hôtel à Samarkand, en Ouzbékistan. En janvier 2013, un policier a téléphoné afin de réserver la piscine et le sauna de l’hôtel dans le but de divertir ses invités. Monsieur Shukurov a obtempéré et a pris en note la réservation.

      Le propriétaire de l’hôtel a vu la réservation et a reconnu le nom du policier. Se fiant à son expérience passée, le propriétaire craignait que le policier ne paie pas pour utiliser la piscine et le sauna. Il a donc pris des mesures afin d’installer des pancartes indiquant que la piscine et le sauna étaient hors d’usage.

         Lorsque le policier est arrivé avec ses invités et qu’il s’est rendu compte qu’il ne pourrait pas utiliser le sauna ou la piscine, il s’est fâché contre M. Shukurov. Ce dernier, qui n’était pas au courant des mesures prises par le propriétaire de l’hôtel, ne pouvait pas donner d’explication.

      Deux jours après l’incident, le policier a demandé à M. Shukurov un montant équivalent à 5 000 $ afin de l’indemniser pour l’embarras qui lui avait été causé devant ses invités. Quand M. Shukurov a protesté, le policier l’a menacé de porter de fausses accusations criminelles contre lui.

         Monsieur Shukurov s’est plié aux exigences du policier et a versé un paiement initial de 1 000 $. Le policier a dit qu’il s’attendait à ce que le reste soit payé en versements mensuels de 500 $.

      Monsieur Shukurov s’est adressé à un autre policier et à un poursuivant public afin d’expliquer sa situation difficile et de déposer une plainte. Il s’est fait dire par ces fonctionnaires qu’une plainte ne servirait à rien et que le policier serait protégé par d’autres fonctionnaires, et que ce genre d’extorsion était monnaie courante.

      Monsieur Shukurov a alors décidé de quitter le pays. Le 24 février 2013, il a présenté une demande visant à obtenir un visa canadien. Il a continué de verser au policier des montants mensuels jusqu’à ce qu’il arrive au Canada le 14 mai 2013.

[4]               Monsieur Shukurov a présenté une demande d’asile le 13 juin 2013. La SPR a rejeté sa demande d’asile le 21 novembre 2013. Monsieur Shukurov a ensuite interjeté appel de la décision devant la SAR. L’appel a été rejeté le 28 juillet 2014.

[5]               Le 11 août 2014, M. Shukurov a présenté une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire devant la Cour. L’autorisation a été accordée le 12 mars 2015.

III.             La décision de la SAR

[6]               Monsieur Shukurov a présenté des éléments de preuve supplémentaires en appui à son appel conformément au paragraphe 110(4) de la LIPR. La SAR s’est fondée sur le jugement Raza c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1385 [Raza], et a rejeté tous ces documents sauf un, en raison de ses réserves quant à leur provenance et leur authenticité. L’appel a donc été instruit au vu du dossier des procédures devant la SPR, des observations des parties, du témoignage de M. Shukurov et d’un document additionnel.

[7]               Monsieur Shukurov a soutenu devant la SAR que la décision de la SPR comportait trois lacunes : a) la conclusion de la SPR selon laquelle il n’y avait aucun lien entre le risque auquel s’exposait M. Shukurov et les motifs d’obtention du statut de réfugié énoncés dans la Convention; b) l’évaluation défavorable de la SPR quant à la crédibilité, fondée sur une absence d’éléments de preuve corroborants; et c) les inférences défavorables tirées par la SPR en raison d’incohérences observées dans le témoignage de vive voix de M. Shukurov et le rejet par la SPR des explications fournies par M. Shukurov à l’égard de ces incohérences.

[8]               La SAR s’est fondée sur le jugement Iyamuremye c Canada (Ministre de Citoyenneté et de l’Immigration), 2014 CF 494 [Iyamuremye], pour étayer sa conclusion selon laquelle la norme applicable aux appels concernant des questions mixtes de fait et de droit est celle de la décision raisonnable.

[9]               La SPR a conclu qu’il n’y avait pas de lien entre le risque auquel était exposé M. Shukurov et les critères permettant de reconnaître la qualité de réfugié, parce que les menaces du policier et l’extorsion pratiquée par ce dernier ne constituaient pas de la persécution au sens de la Convention. Lors de l’examen de cette conclusion, la SAR a souligné que M. Shukurov n’avait aucunement exprimé des opinions de quelque façon que ce soit au sujet de la corruption du policier qui seraient perçues comme des opinions politiques contre le gouvernement. De plus, la SPR a estimé non crédible la preuve que M. Shukurov avait présentée afin de démontrer qu’il était une « personne recherchée » en Ouzbékistan. La SPR a conclu que la décision de la SPR était raisonnable.

[10]           La SAR a ensuite examiné la conclusion défavorable de la SPR concernant la crédibilité de M. Shukurov. Elle a fait remarquer que la SPR avait cerné un certain nombre de questions concernant la provenance des documents présentés par M. Shukurov, notamment la façon dont il les avait reçus au Canada. La SAR a conclu qu’il était raisonnable pour la SPR d’insister pour qu’il présente une preuve corroborante et d’attribuer peu de valeur probante, voire aucune, aux documents quand cette preuve se faisait attendre. La SAR a admis que l’absence de documents corroborants ne constituerait pas à elle seule un motif de rejeter la crédibilité de M. Shukurov. Toutefois, vu les incohérences relevées dans le témoignage de vive voix de M. Shukurov, la SAR a conclu encore une fois que la conclusion de la SPR était raisonnable.

[11]           Enfin, la SAR a souligné que la SPR avait donné à M. Shukurov la possibilité de répondre aux réserves de la SPR. Celui‑ci n’a cependant pas été en mesure de se souvenir de faits clés parce qu’il les avait « oublié[s] ». La SAR a conclu qu’il était loisible à la SPR de conclure que le récit des événements donné par M. Shukurov n’était pas raisonnable et de s’attendre à recevoir des rapports médicaux si M. Shukurov souffrait de pertes de mémoire.

[12]           La SAR a confirmé la décision de la SPR selon laquelle M. Shukurov n’avait ni qualité de réfugié au sens de la Convention ni celle de personne à protéger suivant les articles 96 et 97 de la LIPR, et elle a rejeté l’appel.

IV.             Les questions en litige

[13]           La présente demande de contrôle judiciaire soulève les questions suivantes :

A.                La SAR a‑t‑elle appliqué la mauvaise norme de contrôle à la décision de la SPR?

B.                 La SAR a‑t‑elle appliqué le mauvais critère pour établir l’admissibilité d’éléments de preuve additionnels présentés en appel?

V.                Analyse

A.                La SAR a‑t‑elle appliqué la mauvaise norme de contrôle à la décision de la SPR?

[14]           La SAR est un tribunal d’appel relativement nouveau. Le droit n’est pas encore fixé en ce qui concerne la norme de contrôle que la Cour doit appliquer aux décisions où la SAR choisit quelle norme de contrôle elle applique. La Cour d’appel fédérale est actuellement saisie de l’appel du jugement Huruglica c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2014 CF 799 [Huruglica]. Jusqu’à ce que la question soit réglée par des cours supérieures, je souscris à « l’approche pragmatique » adoptée par le juge Martineau. Voici ce que le juge Martineau a fait remarquer au paragraphe 37 du jugement Djossou c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2014 CF 1080 [Djossou] :

[37]      [...] Pour l’heure, diverses approches semblent possibles, mais ce qui est clair cependant, c’est que l’option retenue par la SAR (approche calquée sur la révision judiciaire) n’est pas une issue acceptable en droit. Même en appliquant la norme moins exigeante de la raisonnabilité, j’arrive donc au même résultat final que mes collègues qui ont appliqué la norme plus sévère de la décision correcte. Il y a lieu d’intervenir en l’espèce. De cette façon, le choix de la norme de contrôle appropriée n’a pas un caractère déterminant dans ce dossier [...].

[15]           Dans bon nombre de jugements récents, j’ai examiné la jurisprudence de la Cour concernant les questions en litige soulevées dans la présente demande de contrôle judiciaire : Ngandu c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2015 CF 423 [Ngandu]; Pataraia c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2015 CF 465 [Pataraia]; Razak c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2015 CF 529. D’après l’analyse figurant dans ces jugements, j’estime que la SAR commet une erreur lorsqu’elle examine les conclusions de la SPR selon la norme de la décision raisonnable et qu’elle n’effectue pas sa propre appréciation de la preuve. Même s’il n’y a pas unanimité sur ce point (voir Spasoja c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2014 CF 913, au paragraphe 39), la plupart des juges de la Cour sont parvenus à une même conclusion (Iyamuremye, au paragraphe 41; Huruglica, aux paragraphes 47 et 54; Njeukam c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2014 CF 859, aux paragraphes 15 et 16; Akuffo c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2014 CF 1063, au paragraphe 45; Djossou, au paragraphe 53).

[16]           Certains juges de la Cour ont conclu que la SAR ne commet pas d’erreur susceptible de contrôle lorsqu’elle applique la norme de la décision raisonnable à des conclusions reposant purement sur la crédibilité (Njeukam; Akuffo; Allalou c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2014 CF 1084). Cependant, comme l’a expliqué le juge Noël dans le jugement Khachatourian c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2015 CF 182 [Khachatourian], au paragraphe 32, la Cour ne confirmera l’application de la norme de la décision raisonnable par la SAR aux conclusions de la SPR fondées sur la crédibilité que lorsque la SAR a manifestement fait sa propre évaluation de la preuve. C’est aussi l’essentiel du jugement prononcé par le juge Shore dans Youkap c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2015 CF 249, aux paragraphes 36 et 37, où celui‑ci souligne que, dans les affaires où il est question de conclusions purement fondées sur la crédibilité, la question ne vise pas à déterminer quelle norme a été appliquée, mais plutôt à « établir si la SAR a procédé à une appréciation indépendante de la preuve dans son ensemble ». J’estime, par conséquent, que l’obligation qu’a la SAR de procéder à une évaluation indépendante de la preuve s’applique aux questions de crédibilité; toutefois, dans les cas où aucune audience n’est tenue devant la SAR, il faudra peut‑être faire preuve de retenue à l’égard des conclusions de la SPR sur la crédibilité qui sont fondées sur le comportement d’un témoin devant le tribunal (Pataraia, au paragraphe 12).

[17]           En l’espèce, voici ce que la SAR a déclaré au sujet de la norme de contrôle applicable aux décisions de la SPR :

[...] Le conseil a soutenu dans ces observations que [traduction] « la SPR est tenue de (ré)examiner la preuve présentée à la SPR et de se faire sa propre opinion pour évaluer la décision ». Il semblerait que le conseil voulait dire que la SAR doit examiner l’ensemble de la preuve. Je suis d’accord si c’est ce que l’appelant a fait valoir.

Dans la présente affaire, les questions à trancher doivent être examinées selon la norme de la décision raisonnable. Selon Dunsmuir, le caractère raisonnable tient « à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel » ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

[18]           Cet énoncé est ambigu et semble incohérent en soi. Je ne suis pas convaincu que la SAR a bien compris son obligation d’effectuer une évaluation complète de la demande d’asile de M. Shukurov fondée sur les faits. La SAR a examiné la décision de la SPR à la lumière de la norme de la décision raisonnable énoncée dans l’arrêt Dunsmuir, et elle s’est prononcée sur la question de savoir si chacune des conclusions de la SPR appartenait aux issues possibles acceptables au regard des faits et du droit (Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9 [Dunsmuir], au paragraphe 47). La SAR s’est incorrectement fondée sur l’arrêt Dunsmuir et son application de la norme de la décision raisonnable est confirmée dans l’énoncé suivant figurant dans sa décision :

Le conseil a fait valoir que la jurisprudence exige que la SAR examine l’ensemble de la preuve à sa disposition. C’est ce que j’ai fait et je conclus que la conclusion et la décision de la SPR sont raisonnables et satisfont au critère énoncé ci‑dessus [Dunsmuir]. Compte tenu de ce qui précède, je conclus que la décision de la SPR est raisonnable.

[19]           Il est donc clair que la SAR n’a pas effectué une évaluation indépendante de la preuve, fondée sur les faits. La SAR est un tribunal d’appel et elle commet une erreur susceptible de contrôle lorsqu’elle adopte la norme de contrôle de la décision raisonnable dans le cadre de l’exercice de sa juridiction d’appel (Djossou, au paragraphe 7). Bien que la SAR puisse énoncer incorrectement la norme de contrôle applicable tout en effectuant une évaluation indépendante de la preuve, pour les motifs susmentionnés, je conclus que ce n’est pas ce qui s’est produit en l’espèce. La demande de contrôle judiciaire doit être accueillie.

B.                 La SAR a‑t‑elle appliqué le mauvais critère pour établir l’admissibilité d’éléments de preuve additionnels présentés en appel?

[20]           Les questions concernant l’admissibilité d’éléments de preuve additionnels présentés à la SAR sont assujetties à un contrôle selon la norme de la décision raisonnable (Singh c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2014 CF 1022, aux paragraphes 36 à 42 [Singh]; Khachatourian, au paragraphe 37).

[21]           Monsieur Shukurov conteste le fait que la SAR se soit fondée sur l’arrêt Raza de la Cour d’appel fédérale pour établir si des éléments de preuve additionnels devraient être autorisés en appel. L’arrêt Raza portait sur la question de l’admissibilité de nouveaux éléments de preuve dans le contexte d’un examen des risques avant renvoi (ERAR). La SAR a décrit l’arrêt Raza comme étant « l’arrêt‑clé sur les nouveaux éléments de preuve », mais elle n’a pas expliqué les raisons pour lesquelles les critères applicables à l’admissibilité de nouveaux éléments de preuve dans le contexte d’un ERAR devraient également s’appliquer à un appel interjeté devant la SAR.

[22]           Monsieur Shukurov souligne que dans les jugements Singh et Khachatourian, la Cour a conclu que les critères énoncés dans l’arrêt Raza ne devraient pas être appliqués automatiquement lorsqu’il s’agit de déterminer si des éléments de preuve additionnels peuvent être présentés à la SAR. Il affirme que, même si la SAR avait le droit d’appliquer les critères exposés dans l’arrêt Raza, l’application de ceux‑ci par la SAR était déraisonnable puisque son analyse du caractère substantiel et de la crédibilité de la preuve comportait des lacunes.

[23]            Le ministre souligne que le libellé des dispositions relatives aux nouveaux éléments de preuve dans le contexte d’un ERAR (alinéa 113a) de la LIPR) et dans le contexte de la SAR (paragraphe 110(4) de la LIPR) est très similaire, et qu’il était donc raisonnable que la SAR applique les critères exposés dans l’arrêt Raza pour établir si des éléments de preuve additionnels pouvaient être admis en preuve devant la SAR. Le ministre se fonde sur le jugement Denbel c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2015 CF 629, récemment prononcé par le juge Mosley.

[24]           En outre, la jurisprudence de la Cour sur cette question est divergente. Comme je l’ai affirmé dans le jugement Ngandu, la similarité des dispositions ne signifie pas nécessairement que les critères exposés dans l’arrêt Raza s’appliquent à l’admission d’un élément de preuve additionnel dans un appel devant la SAR. Un appel interjeté devant la SAR et un ERAR ont des objectifs distincts. La Cour d’appel l’a reconnu dans l’arrêt Raza :

[12] La demande d’ERAR présentée par un demandeur d’asile débouté ne constitue pas un appel ni un réexamen de la décision de la SPR de rejeter une demande d’asile. Néanmoins, une demande d’ERAR peut nécessiter l’examen de quelques‑uns ou de la totalité des mêmes points de fait ou de droit qu’une demande d’asile. Dans de tels cas, il y a un risque évident de multiplication inutile, voire abusive, des recours. La LIPR atténue ce risque en limitant les preuves qui peuvent être présentées à l’agent d’ERAR. Cette limite se trouve à l’alinéa 113a) de la LIPR [...]

[13] Selon son interprétation de l’alinéa 113a), cet alinéa repose sur l’idée que l’agent d’ERAR doit prendre acte de la décision de la SPR de rejeter la demande d’asile, à moins que des preuves nouvelles soient survenues depuis le rejet, qui auraient pu conduire la SPR à statuer autrement si elle en avait eu connaissance. [...]

[Non souligné dans l’original.]

[25]           Le rôle d’un agent chargé de l’ERAR est très différent de celui de la SAR. La juge Gagné a tenu les propos suivants dans le jugement Singh :

[50] L’agent d’ERAR n’est pas un tribunal administratif quasi judiciaire et il n’exerce pas non plus le rôle d’une juridiction d’appel à l’égard des décisions de la SPR. L’agent d’ERAR est un employé du ministre, dont les actions relèvent du pouvoir discrétionnaire de son employeur (dans la mesure où ce pouvoir est circonscrit par la Loi et le Règlement). L’agent d’ERAR doit faire preuve de retenue à l’égard d’une décision de la SPR, dans la mesure où les faits restent inchangés depuis le moment où elle l’a rendue. L’agent d’ERAR cherche plutôt précisément à savoir si de nouveaux éléments de preuve sont mis au jour depuis la décision défavorable de la SPR pour déterminer s’il y a un risque de persécution, un risque de torture, une menace pour la vie ou un risque de subir des peines ou traitements cruels et inusités. 

[Non souligné dans l’original.]

[26]           Il en va différemment de la SAR, qui est un organe d’appel quasi judiciaire que le législateur a conçu pour qu’il procède à un « appel fondé sur les faits » des décisions de la SPR. Un « appel fondé sur les faits » commande que les règles de preuve soient appliquées avec une certaine souplesse, particulièrement compte tenu des délais stricts auxquels doivent se conformer les demandeurs d’asile (Singh, aux paragraphes 53 à 56; Khachatourian, au paragraphe 37) La Cour d’appel fédérale est actuellement saisie de l’appel du jugement Singh. Je reconnais que l’application des critères exposés dans l’arrêt Raza demeure une question non réglée jusqu’à ce qu’une cour supérieure la tranche (voir Iyamuremye, au paragraphe 45; Denbel, aux paragraphes 40 à 44). Je crois toujours néanmoins que la SAR commet une erreur susceptible de contrôle en appliquant sans les modifier les critères exposés dans l’arrêt Raza pour établir l’admissibilité d’éléments de preuve additionnels présentés en appel (Singh; Katchatourian; Ngandu).

[27]           Je ne puis affirmer si l’application d’un critère plus souple à l’égard de l’admissibilité de la preuve aurait changé l’issue de l’appel. Il y a donc lieu d’accueillir également la demande de contrôle judiciaire pour ce motif.

VI.             Conclusion

[28]           La demande de contrôle judiciaire est accueillie, et l’affaire est renvoyée à un tribunal de la SAR différemment constitué pour qu’il rende une nouvelle décision.

[29]           Dans l’affaire Huruglica, la Cour d’appel fédérale doit se prononcer sur la norme de contrôle que notre Cour doit appliquer lorsqu’elle examine quelle norme de contrôle la SAR a arrêté, et dans l’affaire Singh, elle doit se prononcer sur l’application des critères exposés dans l’arrêt Raza afin d’établir l’admissibilité d’éléments de preuve additionnels en vertu du paragraphe 110(4) de la LIPR. Par conséquent, je suis d’accord avec les parties pour dire qu’il n’est ni nécessaire ni approprié en l’espèce de certifier une question à des fins d’appel.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est accueillie et l’affaire est renvoyée à un tribunal de la SAR différemment constitué afin qu’il rende une nouvelle décision. Aucune question n’est certifiée à des fins d’appel.

« Simon Fothergill »

Juge

Traduction certifiée conforme

Linda Brisebois, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :

IMM‑6058‑14

 

INTITULÉ :

SHAROF SHUKUROV c MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 10 juin 2015

 

JUGEMENT ET MOTIFs :

LE JUGE Fothergill

 

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

Le 6 août 2015

 

COMPARUTIONS :

Michael Crane

pour le demandeur

 

Prathima Prashad

pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Michael Crane

Avocat

Toronto

 

POUR LE DEMANDEUR

 

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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