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Date : 20150812


Dossier : T‑2115‑14

Référence : 2015 CF 965

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 12 août 2015

En présence de monsieur le juge Russell

ENTRE :

JEAN JAMES

demanderesse

Et

CANADA (PROCUREUR GÉNÉRAL)

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   INTRODUCTION

[1]               La Cour est saisie d’une demande présentée en vertu de l’article 18 de la Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, c F‑7 en vue de soumettre à un contrôle judiciaire la décision datée du 30 juillet 2014 [la décision] par laquelle une sous‑commissaire principale par intérim [la sous‑commissaire] du Service correctionnel du Canada [SCC] a refusé les griefs au troisième palier que la demanderesse avait déposés dans le cadre du processus d’examen des plaintes et des griefs des délinquants du SCC.

II.                LE CONTEXTE

[2]               La demanderesse, détenue à l’Établissement de la vallée du Fraser, a commencé à purger une peine d’emprisonnement à perpétuité pour meurtre au premier degré le 4 novembre 2011.

[3]               La demanderesse est mariée depuis plus de quarante ans. Son mari et elle ont un fils d’âge adulte.

[4]               La demanderesse a présenté une première demande en vue de participer au programme des Visites familiales privées [VFP] au début de 2012.

[5]               Le 4 avril 2013, un agent de libération conditionnelle a mené une évaluation communautaire et a conclu que le mari et le fils de la demanderesse étaient des candidats aptes à participer au programme des VFP.

[6]               Le 20 avril 2013, l’équipe de gestion de cas [EGC] saisie du dossier de la demanderesse a procédé à une évaluation en vue d’une décision [ED]. L’EGC a conclu que la demanderesse n’était pas une candidate apte à participer le programme des VFP en raison du risque de violence familiale [traduction« impossible à gérer » qu’elle présentait. L’ED énonce un certain nombre de facteurs qui ont contribué à cette conclusion (dossier certifié du tribunal [DCT], aux pages 57 et 58) :

[traduction] Mme JAMES n’a pas été évaluée en fonction de l’Échelle révisée d’information statistique sur la récidive – Révision 1 (ISR‑R1), car l’utilisation de cet outil en ce qui concerne les délinquantes n’a pas été validée. Les dossiers du CIPC ne font état d’aucun signalement confirmé de violence familiale ayant exigé une intervention policière. Cependant, selon une évaluation du risque de violence conjugale, faite le 9 février 2012, Mme JAMES est l’auteure présumée d’une agression conjugale. Les informations au dossier indiquent que Mme JAMES peut agir de façon explosive lorsqu’elle est en colère, et on l’aurait vue, prise d’un accès de rage, lancer des objets à son mari. Il y est aussi indiqué que le mari de Mme JAMES n’a pas rompu la relation conjugale parce qu’il avait peur d’elle; c’est‑à‑dire qu’il craignait de la quitter. Les infidélités soupçonnées de son mari auraient amené Mme JAMES à se renseigner sur les moyens de l’assassiner par empoisonnement. Elle se serait aussi renseignée sur l’obtention d’une arme à feu, pour le tuer. La violence familiale est l’un des facteurs retenus dans le plan correctionnel, mais il reste encore à Mme JAMES à répondre à ce besoin dans le cadre des programmes, un aspect qui préoccupe l’EGC dans le contexte de la présente ED.

Il convient toutefois de souligner que Mme JAMES et son mari nient tous deux que leur relation est marquée par la violence. Rien n’indique que pendant qu’elle était en établissement provincial ou fédéral Mme JAMES a été soupçonnée de s’être comportée envers des membres de sa famille de manière menaçante ou contrôlante lors d’appels téléphoniques ou de visites, ou que des preuves d’un tel comportement aient été recueillies. Il convient aussi de mentionner que Mme JAMES a vécu plus de seize ans avec son mari après l’infraction qui est à l’origine de sa peine et qu’elle n’a pas tué son mari (malgré les demandes de renseignements mentionnées ci‑dessus qu’elle aurait faites en vue de le tuer). Cela dit, Mme JAMES purge actuellement une peine d’emprisonnement à vie (25 ans) pour un crime manifestement lié à l’infidélité conjugale de son mari avec la victime. Mme JAMES semble avoir vécu avec de son mari au cours des seize années qui ont suivi la perpétration du crime à l’origine de la peine, croyant qu’on ne la tiendrait jamais responsable du meurtre de son amie. Mme JAMES avait donc tout lieu d’éviter d’attirer les soupçons qu’aurait sûrement eus la police si son mari était lui aussi décédé dans des conditions suspectes. Cela est évident, au vu du fait que, en 1992, Mme JAMES a été arrêtée (et plus tard libérée) après être devenue la principale suspecte dans le cadre du meurtre pour lequel elle a finalement été déclarée coupable en 2011.

Ce qui ne peut être nié pour les besoins de la présente évaluation de risque est que Mme JAMES a été reconnue coupable, hors de tout doute raisonnable, du meurtre au premier degré, prémédité, de son ancienne amie. Ce geste a été particulièrement cruel et odieux dans son exécution; par exemple, la victime a subi de très nombreuses blessures infligées à l’aide d’un instrument à lame acérée et a été quasi décapitée lors de l’agression fatale. Les lésions infligées à la victime excédaient nettement ce qui était nécessaire pour atteindre l’objectif visé, soit la mort de la victime. Mme JAMES a donc des antécédents confirmés de comportement violent et prémédité à l’endroit d’une personne. Par ailleurs, il est particulièrement préoccupant pour l’EGC que Mme JAMES n’ait pas encore entrepris le processus de traitement de ses facteurs criminogènes en suivant divers programmes; c’est‑à‑dire que, à l’heure actuelle, Mme JAMES est considérée comme une délinquante violente non traitée. Comme l’indique son plan correctionnel : « [T]ant que vous [Mme JAMES] ne serez pas en mesure d’assumer la responsabilité de l’infraction que vous avez commise et que vous ne suivrez pas de manière sérieuse votre plan correctionnel, le risque de violence que vous présentez demeurera élevé ».

[7]               Il est également mentionné dans l’ED que la demanderesse aurait passé un contrat pour que l’on agresse une ou plusieurs détenues de l’Établissement de la vallée du Fraser, et qu’on la soupçonne d’avoir altéré la nourriture de certaines détenues. L’ED mentionne également le risque que la demanderesse s’évade. Cette dernière a été l’objet d’une enquête pour s’être renseignée sur la manière d’obtenir un faux passeport, mais ce risque demeure faible.

[8]               La demanderesse nie le bien‑fondé de la totalité des soupçons et des allégations. Elle dit n’avoir jamais été violente envers son mari ou son fils. Elle croit que les allégations ont été faites par des membres de la famille qui souffrent de démence ou avec lesquels elle est brouillée.

[9]               Le 23 avril 2013, un Comité d’examen des visites a rejeté la demande de VFP de la demanderesse.

[10]           Au début de mai 2013, la demanderesse a présenté une réfutation au sujet de la décision du Comité d’examen des visites.

[11]           Le 10 juin 2013, la demanderesse a demandé que l’on retire de son dossier les allégations de violence conjugale. On l’a informée qu’elle avait présenté la demande sur le mauvais formulaire, et elle a contesté par grief cette réponse.

[12]           Le 24 juin 2013, le directeur de l’Établissement de la vallée du Fraser [le directeur] a rédigé une note de service confirmant la décision du Comité d’examen des visites de rejeter la demande de participation au programme des VFP de la demanderesse. Cette note de service faisait mention des allégations de violence conjugale et signalait que la demanderesse n’avait présenté aucune nouvelle information qui donnait à penser qu’elle ne représentait plus un risque de violence familiale.

[13]           Quelque temps avant juillet 2013, la demanderesse a présenté à son intervenante de première ligne une demande de retrait des allégations formulées dans l’ED selon lesquelles elle avait altéré la nourriture de certaines détenues et tenté de passer un contrat en vue de faire agresser une autre détenue, car il s’agissait de fausses allégations.

[14]           Le 12 juillet 2013, l’intervenante de première ligne responsable du dossier de la demanderesse a rédigé une note de service. Elle a rejeté sa demande parce que l’ED faisait mention de l’existence de soupçons ou d’allégations et du fait que la demanderesse avait nié leur bien‑fondé. L’intervenante de première ligne a refusé de modifier l’ED parce que les énoncés y figurant ne donnaient pas à penser qu’il s’agissait de faits avérés.

[15]           Le 31 juillet 2013, la demanderesse a déposé une plainte écrite en réponse à la note de service [la plainte no 11689]. Elle a demandé que le dossier soit rectifié afin que les renseignements la concernant soient exacts et à jour.

[16]           Le 2 septembre 2013, la demanderesse a été avisée du rejet de la plainte. Le directeur a cependant déclaré qu’on ajouterait une note de service à son dossier pour expliquer les résultats des enquêtes menées sur les allégations en vue de vérifier leur bien‑fondé.

[17]           Le 9 septembre 2013, la demanderesse a présenté un grief au premier palier [le grief au premier palier no 11689]. Elle s’est à nouveau plainte des allégations relatives à la nourriture qui aurait été altérée et au contrat d’agression. Elle a également soulevé la question de l’inclusion des allégations de violence familiale dans l’ED.

[18]           Le 12 septembre 2013, la demanderesse a déposé une plainte au sujet de la décision du Comité d’examen des visites de lui refuser l’accès au programme des VFP [la plainte no 12301]. Elle a réaffirmé sa position qu’il n’y avait jamais eu d’actes de violence familiale et que la décision reposait sur des renseignements inexacts. Elle s’est également fondée sur le fait qu’il n’y avait jamais eu de problèmes lors des nombreuses visites que son mari lui avait faites à l’Établissement de la vallée du Fraser. Elle a demandé que l’on réévalue son dossier en vue de sa participation au programme des VFP.

[19]           Le 22 septembre 2013, la demanderesse a présenté un grief au premier palier en vue de contester la décision du directeur de maintenir le refus de l’inscrire au programme des VFP [le grief au premier palier no 12459].

[20]           Le 27 septembre 2013, la demanderesse a présenté le grief no 12459 au deuxième palier [le grief au deuxième palier no 12459].

[21]           Le 3 octobre 2013, la demanderesse a reçu une réponse au grief au premier palier no 11689. Cette réponse indiquait que le grief de la demanderesse était rejeté parce qu’on avait suivi la politique appropriée pour refuser de retirer des renseignements de son dossier. Elle mentionnait aussi que la note de service de suivi avait déjà été ajoutée à son dossier en vue de clarifier les allégations.

[22]           Le 11 octobre 2013, la demanderesse a appris que la plainte no 12301 avait été rejetée.

[23]           Le 12 octobre 2013, la demanderesse a présenté le grief no 11689 au deuxième palier [le grief au deuxième palier no 11689].

[24]           Le 23 octobre 2013, la demanderesse a présenté la plainte no 12301 au premier palier [le grief au premier palier no 12301].

[25]           Le 1er novembre 2013, la demanderesse a reçu une réponse aux deux griefs au deuxième palier, les griefs nos 12459 et 11689. Le grief au deuxième palier no 11689 a été confirmé en partie. Le directeur a convenu de modifier l’ED afin d’y indiquer qu’il avait été demandé de rectifier en bonne et due forme les allégations.

[26]           Le 19 novembre 2013, la demanderesse a présenté le grief no 12459 au troisième palier [le grief au troisième palier no 12459]. Ce grief combinait des éléments de la plainte no 12301 et du grief au premier palier no 12301. La demanderesse a de nouveau fait valoir qu’on lui avait refusé à tort l’accès au programme des VFP, et que la politique appropriée n’avait pas été suivie. Elle a fait remarquer qu’elle n’avait jamais été violente envers son mari, qu’il n’y avait pas eu de problème de sécurité lors des nombreuses visites de ce dernier à l’Établissement de la vallée du Fraser, que son comportement dans l’Établissement de la vallée du Fraser avait été exemplaire, et que la décision était fondée sur des renseignements inexacts. Elle a également déclaré qu’elle avait demandé d’obtenir plus d’informations sur les programmes, mais qu’elle avait reçu [traduction« peu ou pas d’informations sur le contexte des programmes, leur portée ou le processus à suivre pour les personnes visées par une procédure d’appel ». La demanderesse a demandé qu’on réévalue son dossier et qu’on lui donne accès au programme des VFP.

[27]           Le 19 novembre 2013, la demanderesse a également présenté le grief no 12301 au deuxième palier [le grief au deuxième palier no 12301].

[28]           Le 21 novembre 2013, la demanderesse a appris que le grief au premier palier no 12301 avait été rejeté.

[29]           Le 26 novembre 2013, la demanderesse a présenté le grief no 12301 au troisième palier [le grief au troisième palier no 12301].

[30]           Le 6 décembre 2013, on a informé la demanderesse qu’elle pouvait s’attendre à recevoir une réponse au grief au troisième palier no 12301 à la fin du mois de mars 2014. Elle a finalement reçu deux autres lettres reportant l’échéance prévue parce que le grief au troisième palier no 12301 exigeait une enquête plus approfondie.

[31]           Le 26 février 2014, on a informé la demanderesse de s’attendre à recevoir une réponse au grief au troisième palier no 12459 au début du mois d’avril 2014. Elle a finalement reçu une lettre reportant l’échéance prévue parce que le grief au troisième palier no 12459 exigeait une enquête plus approfondie.

[32]           Le 1er août 2014, l’avocate de la demanderesse a demandé que l’on réponde immédiatement aux griefs au troisième palier nos 12301 et 12549 parce que les retards étaient préjudiciables à sa cliente. La demanderesse affirme que ces retards ont causé, à elle et à sa famille, du stress et de l’anxiété.

[33]           La demanderesse a reçu le 15 septembre 2014 des copies des réponses aux griefs au troisième palier nos 12301 et 12459.

III.             LA DÉCISION FAISANT L’OBJET DU PRÉSENT CONTRÔLE

[34]           Le 30 juillet 2014, la sous‑commissaire a rejeté les griefs de la demanderesse. Elle a répondu simultanément aux griefs au troisième palier nos 12301 et 12459 parce qu’ils contenaient des questions qui se recoupaient, conformément à la section 24 de la Directive du commissaire 081 [DC 081]. Il semble que le grief au deuxième palier no 11689 a lui aussi été examiné parce que l’on a considéré qu’il portait sur une question connexe.

[35]           Dans les griefs au troisième palier nos 12459 et 12301, la demanderesse s’était plainte que sa demande de VFP avait été rejetée à tort parce que la politique en vigueur n’avait pas été suivie. Elle disait qu’il n’y avait aucun problème de sécurité et qu’il n’y avait donc pas lieu de croire qu’il surviendrait des problèmes de cette nature lors d’une VFP. Dans son grief au troisième palier no 12301, elle s’était également plainte de n’avoir jamais reçu de copies de son plan correctionnel et du rapport sur son profil criminel. Elle ajoutait ne pas se souvenir d’avoir rencontré son intervenante de première ligne pour établir l’évaluation du profil criminel. Elle se plaignait également de ne pas avoir reçu de renseignements sur les programmes à suivre.

[36]           La sous‑commissaire a tout d’abord traité du motif pour lequel la demande d’inscription au programme des VFP avait été rejetée. Elle a convenu qu’il n’y avait aucun problème de sécurité et qu’il n’y avait pas lieu de croire qu’il surviendrait un tel problème lors d’une VFP. Elle a également pris acte du fait qu’il avait été conclu dans le cadre de l’enquête communautaire que le mari de la demanderesse et son fils étaient tous deux des sources de soutien positives et qu’on les considérait comme de bons candidats pour le programme des VFP.

[37]           La sous‑commissaire a également passé en revue l’ED. Elle a déclaré que cette évaluation visait à déterminer l’admissibilité de la demanderesse aux VFP, conformément aux critères d’admissibilité énoncés à l’alinéa 8a) de la Directive du commissaire 710‑8 [DC 710‑8]. Elle a relevé que l’ED indiquait que la demanderesse purge une peine d’emprisonnement à perpétuité pour un meurtre particulièrement brutal, que la demanderesse et son mari nient tous deux que leur relation était marquée par des actes de violence, et qu’il n’existe aucun soupçon ou aucune preuve de comportement violent lors des visites du mari de la demanderesse en établissement et de ses appels téléphoniques réguliers. Elle a fait remarquer que, malgré ces facteurs positifs, il ressortait de l’évaluation initiale de la demanderesse qu’il y avait un besoin élevé d’amélioration dans le domaine des relations matrimoniales et familiales. Son évaluation du risque de violence familiale indiquait également qu’on la soupçonnait d’être l’auteure d’une agression conjugale. Il arrive qu’elle agisse de façon explosive lorsqu’elle est en colère et on l’aurait vue, prise d’un accès de rage, lancer des objets à son mari.

[38]           Le plan correctionnel de la demanderesse indique aussi que celle‑ci est tenue de participer au Programme correctionnel pour délinquantes – d’intensité modérée et élevée – afin de régler ses facteurs de risque. Elle est tenue de suivre avec succès les programmes recommandés afin de régler ses antécédents de relations violentes avant de participer à des VFP avec son mari. Toutefois, elle n’a accepté de suivre aucun programme. Elle est donc considérée comme une délinquante violente non traitée. D’après le plan correctionnel, elle représentera un risque élevé de violence tant qu’elle n’aura pas assumé la responsabilité de l’infraction qu’elle a commise et suivi de manière sérieuse son plan correctionnel.

[39]           La sous‑commissaire a également relevé la mention dans l’ED du risque que la demanderesse s’évade. Celle‑ci a été l’objet d’une enquête pour s’être informée sur la manière d’obtenir un faux passeport. Vu la durée de sa peine, le risque qu’elle s’évade si l’occasion se présente suscite des préoccupations.

[40]           En fin de compte, l’EGC saisie du dossier de la demanderesse a conclu que le risque de violence familiale que celle‑ci présentait était impossible à gérer lors d’une VFP. Elle n’a à ce jour participé à aucun programme correctionnel. La sous‑commissaire a reconnu que la demanderesse nie tout antécédent de violence familiale, mais elle a toutefois indiqué que l’article 3.1 de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, LC 1992, c 20 [LSCMLC], prescrit que « [l]a protection de la société est le critère prépondérant ». Le SCC est donc tenu de prendre en compte la totalité des renseignements qui figurent dans le dossier de la demanderesse. La sous‑commissaire a invité cette dernière à présenter un formulaire de rectification de dossier si elle croit que ce dernier contient des erreurs.

[41]           La sous‑commissaire a conclu qu’on a refusé à juste titre à la demanderesse de participer au programme des VFP parce que, du fait de son refus de suivre un programme, elle est une délinquante violente non traitée. Cette partie‑là du grief a été rejetée.

[42]           La sous‑commissaire a également examiné les griefs de la demanderesse concernant les renseignements et les documents qu’elle n’aurait jamais reçus. Cependant, la demanderesse ne conteste pas ces décisions dans le cadre du contrôle judiciaire, et il ne sera donc pas question en l’espèce de ces aspects de la décision.

IV.             LES QUESTIONS EN LITIGE

[43]           La demanderesse soulève les questions suivantes :

1.      La sous‑commissaire a‑t‑elle commis une erreur de droit en retardant de façon injustifiée sa décision sur le grief au troisième palier de la demanderesse, sans explication adéquate?

2.      La sous‑commissaire a‑t‑elle rendu une décision déraisonnable en ne donnant pas à la demanderesse l’autorisation de participer au programme des VFP?

3.      La sous‑commissaire a‑t‑elle commis une erreur en ne procédant pas à un examen de novo indépendant du grief de la demanderesse?

V.                LA NORME DE CONTRÔLE APPLICABLE

[44]           Dans l’arrêt Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9 [Dunsmuir], la Cour suprême du Canada a déclaré qu’il n’est pas toujours nécessaire de se livrer à l’analyse relative à la norme de contrôle. Ainsi, lorsque la norme de contrôle applicable à la question particulière dont le tribunal est saisi a été établie de manière satisfaisante par la jurisprudence, il est loisible au tribunal chargé du contrôle de l’adopter. Ce n’est que lorsque cette démarche se révèle infructueuse ou que la jurisprudence semble devenue incompatible avec l’évolution récente du droit en matière de contrôle judiciaire que le tribunal procédera à l’examen des quatre facteurs de l’analyse relative à la norme de contrôle : Agraira c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2013 CSC 36 au paragraphe 48.

[45]           La demanderesse affirme que la première question met en cause des manquements à l’équité procédurale, et qu’elle est donc susceptible de contrôle selon la norme de la décision correcte : Dunsmuir, précité, aux paragraphes 55 et 79; Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12 au paragraphe 43 [Khosa]; Hall c Canada (Procureur général), 2013 CF 933 au paragraphe 24 [Hall]. La deuxième question a trait au bien‑fondé de la décision et est susceptible de contrôle selon la norme de la décision raisonnable : Dunsmuir, précité, aux paragraphes 51 à 53; Hall, précitée, aux paragraphes 21 et 22. La troisième question concernant l’erreur que la sous‑commissaire a commise en ce qui concerne l’évaluation indépendante de novo du grief est susceptible de contrôle selon la norme de la décision raisonnable : Alberta (Information and Privacy Commissioner) c Alberta Teachers’ Association, 2011 CSC 61 au paragraphe 30; Hall, précitée, aux paragraphes 21 et 22. Le défendeur souscrit aux observations de la demanderesse quant à la norme de contrôle qui s’applique aux trois questions.

[46]           La Cour est du même avis. La première question soulève une question d’équité procédurale et sera contrôlée selon la norme de la décision correcte : Établissement de Mission c Khela, 2014 CSC 24 au paragraphe 79; Exeter c Canada (Procureur général), 2014 CAF 251 au paragraphe 31. Les deuxième et troisième questions soulèvent des questions mixtes de fait et de droit et sont susceptibles de contrôle selon la norme de la décision raisonnable : Dunsmuir, précité, au paragraphe 53; Johnson c Canada (Procureur général), 2008 CF 1357 aux paragraphes 35 à 39, inf. en partie pour d’autres motifs par 2011 CAF 76.

[47]           Lors du contrôle d’une décision selon la norme de la décision raisonnable, l’analyse s’attache « à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » : voir l’arrêt Dunsmuir, précité, au paragraphe 47; Khosa, précité, au paragraphe 59. Autrement dit, la Cour ne doit intervenir que si la décision est déraisonnable en ce sens qu’elle n’appartient pas « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ».

VI.             LES DISPOSITIONS LÉGISLATIVES ET RÉGLEMENTAIRES APPLICABLES

[48]           Les dispositions suivantes de la LSCMLC s’appliquent en l’espèce :

But du système correctionnel

Purpose of correctional system

3. Le système correctionnel vise à contribuer au maintien d’une société juste, vivant en paix et en sécurité, d’une part, en assurant l’exécution des peines par des mesures de garde et de surveillance sécuritaires et humaines, et d’autre part, en aidant au moyen de programmes appropriés dans les pénitenciers ou dans la collectivité, à la réadaptation des délinquants et à leur réinsertion sociale à titre de citoyens respectueux des lois.

3. The purpose of the federal correctional system is to contribute to the maintenance of a just, peaceful and safe society by

[...]

[...]

(b) assisting the rehabilitation of offenders and their reintegration into the community as law‑abiding citizens through the provision of programs in penitentiaries and in the community.

Critère prépondérant

Paramount consideration

3.1 La protection de la société est le critère prépondérant appliqué par le Service dans le cadre du processus correctionnel.

3.1 The protection of society is the paramount consideration for the Service in the corrections process.

Principes de fonctionnement

Principles that guide Service

4. Le Service est guidé, dans l’exécution du mandat visé à l’article 3, par les principes suivants :

4. The principles that guide the Service in achieving the purpose referred to in section 3 are as follows :

[...]

[...]

d) le délinquant continue à jouir des droits reconnus à tout citoyen, sauf de ceux dont la suppression ou la restriction légitime est une conséquence nécessaire de la peine qui lui est infligée;

(d) offenders retain the rights of all members of society except those that are, as a consequence of the sentence, lawfully and necessarily removed or restricted;

[...]

[...]

Exactitude des renseignements

Accuracy, etc., of information

24. (1) Le Service est tenu de veiller, dans la mesure du possible, à ce que les renseignements qu’il utilise concernant les délinquants soient à jour, exacts et complets.

24. (1) The Service shall take all reasonable steps to ensure that any information about an offender that it uses is as accurate, up to date and complete as possible.

Correction des renseignements

Correction of information

(2) Le délinquant qui croit que les renseignements auxquels il a eu accès en vertu du paragraphe 23(2) sont erronés ou incomplets peut demander que le Service en effectue la correction; lorsque la demande est refusée, le Service doit faire mention des corrections qui ont été demandées, mais non effectuées.

2) Where an offender who has been given access to information by the Service pursuant to subsection 23(2) believes that there is an error or omission therein,

(a) the offender may request the Service to correct that information; and

(b) where the request is refused, the Service shall attach to the information a notation indicating that the offender has requested a correction and setting out the correction requested.

[...]

Rapports avec l’extérieur

[...]

Contacts and visits

71. (1) Dans les limites raisonnables fixées par règlement pour assurer la sécurité de quiconque ou du pénitencier, le Service reconnaît à chaque détenu le droit, afin de favoriser ses rapports avec la collectivité, d’entretenir, dans la mesure du possible, des relations, notamment par des visites ou de la correspondance, avec sa famille, ses amis ou d’autres personnes de l’extérieur du pénitencier.

71. (1) In order to promote relationships between inmates and the community, an inmate is entitled to have reasonable contact, including visits and correspondence, with family, friends and other persons from outside the penitentiary, subject to such reasonable limits as are prescribed for protecting the security of the penitentiary or the safety of persons.

[...]

[...]

Procédure de règlement

Grievance procedure

90. Est établie, conformément aux règlements d’application de l’alinéa 96u), une procédure de règlement juste et expéditif des griefs des délinquants sur des questions relevant du commissaire.

90. There shall be a procedure for fairly and expeditiously resolving offenders’ grievances on matters within the jurisdiction of the Commissioner, and the procedure shall operate in accordance with the regulations made under paragraph 96(u).

[49]           Les dispositions suivantes du Règlement sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, DORS/92‑620 [le Règlement], s’appliquent en l’espèce :

80. (1) Lorsque le délinquant est insatisfait de la décision rendue au sujet de son grief par le directeur du pénitencier ou par le directeur de district des libérations conditionnelles, il peut en appeler au commissaire.

80. (1) If an offender is not satisfied with a decision of the institutional head or director of the parole district respecting their grievance, they may appeal the decision to the Commissioner.

(3) Le commissaire transmet au délinquant copie de sa décision motivée aussitôt que possible après que le délinquant a interjeté appel.

(3) The Commissioner shall give the offender a copy of his or her decision, including the reasons for the decision, as soon as feasible after the offender submits an appeal.

[...]

[...]

91. (1) Sous réserve de l’article 93, le directeur du pénitencier ou l’agent désigné par lui peut autoriser l’interdiction ou la suspension d’une visite au détenu lorsqu’il a des motifs raisonnables de croire :

91. (1) Subject to section 93, the institutional head or a staff member designated by the institutional head may authorize the refusal or suspension of a visit to an inmate where the institutional head or staff member believes on reasonable grounds

a) d’une part, que le détenu ou le visiteur risque, au cours de la visite :

(a) that, during the course of the visit, the inmate or visitor would

(i) soit de compromettre la sécurité du pénitencier ou de quiconque,

(i) jeopardize the security of the penitentiary or the safety of any person, or

(ii) soit de préparer ou de commettre un acte criminel;

(ii) plan or commit a criminal offence; and

b) d’autre part, que l’imposition de restrictions à la visite ne permettrait pas d’enrayer le risque.

(b) that restrictions on the manner in which the visit takes place would not be adequate to control the risk.

(2) Lorsque l’interdiction ou la suspension a été autorisée en vertu du paragraphe (1) :

(2) Where a refusal or suspension is authorized under subsection (1),

a) elle reste en vigueur tant que subsiste le risque visé à ce paragraphe;

(a) the refusal or suspension may continue for as long as the risk referred to in that subsection continues; and

b) le directeur du pénitencier ou l’agent doit informer promptement le détenu et le visiteur des motifs de cette mesure et leur fournir la possibilité de présenter leurs observations à ce sujet.

(b) the institutional head or staff member shall promptly inform the inmate and the visitor of the reasons for the refusal or suspension and shall give the inmate and the visitor an opportunity to make representations with respect thereto.

VII.          LES ARGUMENTS INVOQUÉS

A.                La demanderesse

1)                  Les retards

[50]           La demanderesse soutient que les retards injustifiés dans la rédaction et la communication de la décision n’étaient ni équitables ni efficaces, et qu’il en a résulté un manquement aux règles de justice naturelle ainsi qu’une violation de son droit à l’équité procédurale : Cardinal c Directeur de l’Établissement Kent, [1985] 2 RCS 643 à la page 653. Ces retards ont également porté atteinte à son droit à la sécurité de la personne, et ne sont pas conformes aux principes de justice fondamentale, ce qui est contraire à l’article 7 de la Charte canadienne des droits et liberté, partie II de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R.‑U.), 1982 c 11 [la Charte].

[51]           La LSCMLC et le Règlement exigent que les griefs soient réglés de manière expéditive et que les décisions soient rendues aussitôt que possible : LSCMLC, article 90; Règlement, article 80. De plus, la DC 081 précise que les décisions doivent être rendues dans un délai de quatre‑vingts jours ouvrables, à défaut de quoi le délinquant est informé du motif du retard ainsi que de la date à laquelle la décision sera rendue.

[52]           Le grief de la demanderesse a duré trois fois plus longtemps. Elle a reçu la décision environ neuf mois après avoir déposé les griefs et un an après avoir déposé son grief au premier palier. Elle se plaint du fait que les consultations menées au sujet de son dossier semblent consister simplement en des échanges de courriels. Elle ajoute que chaque lettre l’avisant de s’attendre à un retard précisait qu’il fallait du temps pour procéder à une analyse exhaustive, mais qu’une telle analyse n’a jamais eu lieu. Elle se plaint aussi qu’il y a eu des périodes de deux mois et demi et de trois mois pendant lesquelles rien ne semble avoir été fait dans son dossier.

[53]           La teneur de l’obligation d’équité varie en fonction des cinq facteurs énoncés dans l’arrêt Baker c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 RCS 817; voir également l’arrêt Congrégation des témoins de Jéhovah de St‑Jérôme‑Lafontaine c Lafontaine (Village), 2004 CSC 48 au paragraphe 5. La demanderesse affirme que sa participation au programme des VFP est, pour elle, de la plus haute importance. Elle est une personne âgée, qui vit dans une relation conjugale stable et de longue durée. La décision touche au cœur même de sa dignité personnelle et de la sécurité de sa personne. Sa famille s’attendait légitimement à ce qu’une décision soit rendue dans les délais prévus par le SCC. Les retards, dit‑elle, ont causé, à elle et à sa famille, une grave détresse psychologique et de l’anxiété, et ce, d’une manière qui a porté atteinte au droit à la sécurité de la personne que lui confère la Charte : article 7 de la Charte; Boeyen c Canada (Procureur général), 2013 CF 1175 aux paragraphes 140 à 148.

2)                  La décision déraisonnable

[54]           La demanderesse est d’avis que la décision n’appartient pas aux issues possibles et ne peut se justifier au vu des faits et du droit.

[55]           Le pouvoir discrétionnaire de rendre une décision sur les VFP est énoncé dans la DC 710‑8 ainsi que dans l’Instruction permanente 700‑12. Ces deux documents prévoient que les détenus sont admissibles au programme des VFP, sauf s’ils :

  1. présentent un risque de violence familiale;
  2. bénéficient de permissions de sortir sans escorte pour des raisons familiales;
  3. sont incarcérés dans une unité spéciale de détention;
  4. sont en attente d’un transfèrement recommandé ou approuvé dans une unité spéciale de détention;
  5. sont en isolement disciplinaire au moment de la visite familiale prévue.

[56]           La demanderesse dit qu’elle ne tombe sous le coup d’aucune de ces exceptions. La décision se fonde sur d’autres facteurs, et est donc déraisonnable.

[57]           Premièrement, la demanderesse affirme que la preuve étaye sa prétention selon laquelle elle n’a jamais été impliquée dans des actes de violence familiale ou conjugale. Rien n’indique que pendant qu’elle était en établissement on l’ait soupçonnée d’avoir adopté un comportement violent lors des visites de son mari ou de ses conversations téléphoniques avec lui, ou que des preuves d’un tel comportement aient été recueillies. Jamais elle n’a été accusée ou reconnue coupable d’une infraction mettant en cause un acte de violence familiale ou conjugale. Aucune preuve n’étaye l’allégation selon laquelle on l’a vue lancer des objets à son mari. Il n’est pas dit clairement à quel moment l’incident aurait eu lieu, ou si quelqu’un s’est renseigné pour déterminer les détails ou l’exactitude de cette information. Le mari de la demanderesse et son fils ont également nié être victimes de violence familiale.

[58]           Deuxièmement, la demanderesse affirme que le SCC n’a pas pris toutes les mesures raisonnables pour s’assurer que les renseignements figurant dans son dossier sont à jour, exacts et complets : LSCMLC, article 24. Dans sa décision, la sous‑commissaire aurait dû évaluer à partir des faits établis si la demanderesse présente actuellement un risque de violence conjugale. Elle aurait dû effectuer un examen de novo afin de déterminer s’il était raisonnable de se fonder sur les allégations formulées dans l’ED, étant donné que la demanderesse les conteste. La décision est censée évaluer le risque familial qu’elle présente actuellement; or, aucun problème récent n’a été mis en preuve. La décision se fonde sur un simple soupçon de violence antérieure. Elle admet que le meurtre dont elle a été reconnue coupable était violent, mais, dit‑elle, cela s’est passé il y a près de vingt‑cinq ans, et aucune autre allégation de violence n’a été prouvée. De plus, aucun des documents ou aucune des allégations ne laisse entendre que la demanderesse présente un risque pour son fils, et pourtant la demande de VFP avec son fils a elle aussi été rejetée.

[59]           Troisièmement, la décision fait mention du risque que la demanderesse s’évade, mais la DC 710‑8 ne prévoit pas qu’un risque de cette nature justifie de refuser une demande de VFP. Quoi qu’il en soit, la conclusion est déraisonnable et ne repose sur aucun des renseignements mis à la disposition de la sous‑commissaire. Il ressort clairement de l’ED que le risque d’évasion n’est pas considéré comme sérieux.

[60]           Quatrièmement, la décision renvoie la demanderesse au processus de rectification du dossier pour répondre à ses préoccupations relatives aux allégations de violence conjugale; or, si la sous‑commissaire avait examiné comme il se doit l’ensemble du dossier, elle aurait constaté que la demanderesse a déjà fait des démarches pour qu’on procède à une telle rectification.

[61]           Cinquièmement, la demanderesse fait valoir qu’il est déraisonnable de l’empêcher de participer aux VFP parce qu’elle n’a pas suivi de programmes relatifs à la violence familiale. Cette mesure est déraisonnable parce qu’il n’existe aucune preuve qu’elle a déjà commis des actes de violence familiale. Elle s’appuie sur la décision que la Cour a rendue dans l’affaire Edwards c Canada (Procureur général), 2003 CF 1441 [Edwards], dans laquelle il a été conclu qu’il était déraisonnable de refuser à un détenu l’accès à des VFP avant qu’il ait subi une évaluation en matière de délinquance sexuelle, alors qu’il n’avait jamais été reconnu coupable d’une infraction de nature sexuelle.

3)                  L’audience de novo

[62]           La demanderesse soutient que la sous‑commissaire a commis une erreur du fait qu’elle n’a pas entendu de novo sur sa plainte visant à ce qu’il lui soit permis de participer au programme des VFP. La Cour a par le passé établi que, à chacun des paliers de la procédure de règlement des griefs, il y a lieu de tenir une audience de novo dans le cadre de laquelle le plaignant a droit à ce que son grief fasse l’objet d’un nouvel examen et de présenter de nouveaux éléments de preuve : Hall, précitée, au paragraphe 35; Riley c Canada (Procureur général), 2011 CF 1226 au paragraphe 21 [Riley]; Tyrrell c Canada (Procureur général), 2008 CF 42 aux paragraphes 37 et 38 [Tyrrell]. La sous‑commissaire a commis une erreur en n’examinant que la décision du directeur et la réponse à la réfutation de la demanderesse : Hall, précitée. Elle n’a pas pris en considération les observations de la demanderesse au sujet de l’absence de renseignements convaincants sur des antécédents quelconques de violence familiale. Si la sous‑commissaire avait bel et bien examiné les éléments de preuve à la lumière des observations de la demanderesse, elle aurait été obligée de constater qu’il n’y avait aucune preuve tangible concernant la question de la violence familiale. La sous‑commissaire a aussi omis d’examiner si la demanderesse risque de commettre un acte de violence familiale, compte tenu de son comportement exemplaire lors des visites familiales antérieures.

[63]           La demanderesse demande que la Cour annule la décision de la sous‑commissaire, et déclare que la procédure de règlement des griefs, en l’espèce, n’a pas été équitable ou efficace en raison des retards injustifiés, et que les retards ont porté atteinte aux droits que lui confère l’article 7 de la Charte, et qu’elle prononce une ordonnance de mandamus enjoignant au SCC de donner à la demanderesse accès au programme des VFP.

B.                 Le défendeur

1)                  L’équité procédurale

[64]           Le défendeur soutient que le retard à régler le grief au dernier palier ne constitue pas un manquement à l’équité procédurale. L’obligation envers la demanderesse se situe à l’extrémité inférieure de l’échelle variable : Sweet c Canada (Procureur général), 2005 CAF 51 aux paragraphes 34 et 37; Yu c Canada (Procureur général), 2009 CF 1201 au paragraphe 27. Une décision administrative est en cause, et l’effet de cette dernière sur la demanderesse est modéré, car celle‑ci peut présenter une nouvelle demande de VFP.

[65]           La demanderesse se plaint des périodes de temps pendant lesquelles rien n’a été fait dans son dossier, mais il ressort du dossier de la Cour que pendant ce temps l’analyste a examiné la demande, analysé la documentation sous‑jacente et étudié les questions en vue de déterminer quels autres renseignements il lui fallait pour répondre aux griefs. La réponse donnée aux griefs a ensuite été examinée par le gestionnaire et le directeur de l’analyste, après quoi elle a été transmise à la sous‑commissaire pour décision finale.

[66]           La DC 081 prévoit un délai de soixante jours pour répondre à un grief prioritaire. Cependant, si plus de temps est nécessaire pour répondre adéquatement à un grief, le plaignant peut être informé du retard et des raisons le justifiant. Conformément à la DC 081, la demanderesse a été informée de chacun des retards ainsi que des raisons les justifiant. Ils n’ont pas rendu le processus inéquitable : Ouellette c Canada (Procureur général), 2012 CF 801 au paragraphe 28; Wilson c Canada (Procureur général), 2012 CF 57 aux paragraphes 17 et 18; Gallant c Canada (Procureur général), 2011 CF 537 aux paragraphes 19 à 22. La demanderesse a été systématiquement informée du fait qu’un délai supplémentaire était nécessaire pour rendre une décision, ainsi que des raisons le justifiant. On a étudié en détail ses observations et on y a répondu dans le cadre du processus de règlement des griefs.

2)                  L’audience de novo

[67]           Le défendeur convient qu’il est nécessaire d’effectuer un examen de novo à chaque étape du processus de règlement des griefs; cependant, il n’y a pas toujours lieu de soumettre à un tel examen la décision du directeur du pénitencier. L’article 91 du Règlement prévoit que le directeur du pénitencier, ou son délégué, est responsable des décisions relatives aux visites; voir également la DC 710‑8, article 20. La sous‑commissaire ne peut procéder à un examen de novo de la demande de VFP de la demanderesse, car cela usurperait le pouvoir que la loi confère au directeur du pénitencier. Il était donc raisonnable que la sous‑commissaire fasse preuve de retenue à l’égard du Comité d’examen et de la décision du directeur de rejeter la demande de VFP de la demanderesse et qu’elle se concentre sur le fait de savoir si la décision était conforme à la loi et aux politiques applicables : Spidel c Canada (Procureur général), 2012 CF 54 au paragraphe 30.

[68]           Le défendeur explique pourquoi, selon lui, la jurisprudence qu’invoque la demanderesse ne s’applique pas en l’espèce. Dans la décision Hall, la loi applicable n’accordait pas exclusivement au directeur du pénitencier le pouvoir de prendre des décisions en matière de transfèrement. Ce pouvoir était accordé au SCC en général. De ce fait, dans l’affaire Hall, le commissaire était habilité par la loi à rendre une décision sur la demande de transfèrement sur la base d’un nouvel examen. Dans le même ordre d’idées, les décisions rendues dans les affaires Tyrrell et Riley appuient simplement la thèse voulant que le processus de griefs exige que, une fois un palier franchi, chaque décideur ultérieur examine de nouveau chacun des griefs. Le décideur doit analyser de manière indépendante la totalité des renseignements qui lui sont présentés, y compris tout nouvel élément de preuve : Tyrrell, précitée, aux paragraphes 37 et 38; Riley, précitée, au paragraphe 21. Il ne suffit pas qu’un décideur souscrive simplement à la décision prise au palier inférieur.

[69]           La sous‑commissaire n’a pas simplement examiné les décisions des décideurs des paliers inférieurs. Elle a fait une analyse indépendante en se fondant sur un examen exhaustif des renseignements dont elle disposait. Il est clair qu’elle a accordé davantage de poids à l’ED, à la nécessité que la demanderesse suive des programmes, et à celle que le SCC considère la protection de la société comme le critère prépondérant. Il est manifeste qu’elle a procédé à une nouvelle évaluation de la procédure de grief antérieure, mais qu’elle a refusé à juste titre de substituer sa propre décision à celle des personnes qui sont habilitées par la loi à se prononcer.

3)                  Le caractère raisonnable de la décision

[70]           Le défendeur soutient que la décision est raisonnable. La sous‑commissaire a correctement appliqué les critères pertinents aux faits de l’espèce. Les agents correctionnels sont tenus de rendre des décisions qui cadrent avec le principe prépondérant de la protection de la société. La DC 710‑8 prévoit que le risque de violence familiale est une raison pour refuser une demande de VFP.

[71]           La sous‑commissaire a procédé à un examen adéquat de l’ensemble des éléments de preuve et des observations qui lui ont été présentés. Il était raisonnable qu’elle signale que le SCC se doit de prendre en compte la totalité des renseignements figurant dans le dossier, dont ceux qui se rapportent à de présumés actes de violence conjugale ou familiale, le plan correctionnel, ainsi que les programmes suivis jusque‑là. Il ressort du dossier qu’au dernier palier un analyste a examiné les renseignements relatifs à la présumée implication de la demanderesse dans une agression conjugale et il a confirmé que la source des renseignements était des rapports de police et les déclarations d’autres personnes consignés dans son dossier. L’argument qu’invoque la demanderesse revient essentiellement à dire qu’il aurait fallu que la sous‑commissaire accorde plus d’importance aux déclarations de sa famille et à l’historique des visites; or, celle‑ci était en droit de passer en revue la totalité des éléments de preuve. Le fait pour la demanderesse de juger inapproprié le poids accordé aux éléments de preuve ne rend pas la décision de la sous‑commissaire déraisonnable. Au stade du contrôle judiciaire, la Cour ne peut pas soupeser de nouveau les preuves : Khosa, précité, aux paragraphes 25, 59 à 63 et 67.

[72]           Le défendeur fait également une distinction avec la décision Edwards, précitée. Non seulement M. Edwards n’avait‑il jamais été reconnu coupable d’une infraction sexuelle, mais on n’avait pas non plus évalué s’il présentait un risque de violence sexuelle. Par contraste, les facteurs de risque liés à l’infraction que la demanderesse a commise sont liés au domaine des relations matrimoniales et familiales. Son plan correctionnel indique précisément que la violence familiale est un domaine de besoins élevés, qui nécessite sa participation aux programmes de base. Il était raisonnable que la sous‑commissaire souligne qu’il fallait que la demanderesse suive, avant de prendre part à une VFP, des programmes en vue d’éviter qu’elle soit impliquée dans des actes de violence familiale : Russell c Canada (Procureur général), 2007 CF 1162 au paragraphe 21. La demanderesse affirme qu’elle souhaite mener à terme la procédure d’appel avant de suivre des programmes, mais sa demande d’autorisation d’interjeter appel auprès de la Cour suprême du Canada a été refusée en mai 2013 : R c James, 2013 BCCA 11, autorisation d’interjeter appel devant de la CSC rejetée, 35252 (16 mai 2013).

[73]           De plus, il n’y a aucun fondement à la plainte de la demanderesse selon laquelle la sous‑commissaire a conclu qu’elle présentait un risque d’évasion. Cette dernière a simplement passé en revue la totalité des renseignements dont elle disposait et a fait mention du risque d’évasion consigné dans l’ED comme étant un sujet de préoccupation soulevé par un agent de renseignements de sécurité. Quoi qu’il en soit, il ne s’agit pas d’un point qui a joué un rôle déterminant ou important pour trancher le grief de la demanderesse.

4)                  Les réparations

[74]           Le défendeur soutient que si la Cour fait droit à la demande de contrôle judiciaire de la demanderesse, la réparation appropriée consiste à renvoyer l’affaire en vue d’un nouvel examen.

[75]           Aucune preuve ne permettrait à la Cour de rendre un jugement déclaratoire au sujet des droits que la Charte confère à la demanderesse. Celle‑ci a confondu la question des retards et la question préliminaire qui consiste à savoir si l’article 7 de la Charte s’applique. La Cour n’a en main qu’une déclaration, faite dans l’affidavit de la demanderesse, que celle‑ci a été victime de stress, mais elle ne dispose d’aucune preuve psychologique ou médicale lui permettant de trancher la question de l’article 7 de la Charte : Blencoe c Colombie‑Britannique (Human Rights Commission), 2000 CSC 44 aux paragraphes 46 à 48 et 57 [Blencoe]; Tyrrell, précitée, aux paragraphes 23 et 24.

[76]           La demanderesse n’a pas établi que les conditions nécessaires pour rendre une ordonnance de mandamus existent. Il faut qu’il y ait, manifestement, envers la demanderesse, une obligation légale d’agir à caractère public : Apotex Inc. c Canada (Procureur général) (1993), [1994] 1 CF 742 (CA); Kelly c Service correctionnel du Canada (région du Pacifique) (1992), 56 FTR 166. La décision qui est en litige en l’espèce relève du pouvoir discrétionnaire du directeur; une ordonnance de mandamus ne peut commander un résultat particulier.

VIII.       L’ANALYSE

A.                Introduction

[77]           Quelle que soit la manière dont elle est exprimée, une question fondamentale se situe au cœur même de la présente demande. À la suite de son incarcération, la demanderesse a été évaluée comme il est habituel de le faire et, dans son plan correctionnel, on lui a dit qu’elle avait un « besoin élevé d’amélioration » dans trois (3) domaines : les attitudes, la vie personnelle et affective, ainsi que les relations matrimoniales et familiales. Des programmes précis ont été recommandés afin qu’elle puisse régler ses problèmes et travailler à sa réinsertion sociale. La demanderesse a refusé de suivre ces programmes, et ce refus allait forcément créer un problème quand elle demanderait des VFP.

[78]           Tous ceux qui sont intervenus dans la présente affaire semblent reconnaître que les VFP sont de la plus haute importance en ce qui a trait à la réinsertion sociale de la demanderesse. Cependant, cette réinsertion ne peut commencer que si la demanderesse reconnaît ses problèmes et suit les programmes recommandés dans son plan correctionnel (dossier de la demanderesse, à la page 205).

B.                 Les visites familiales privées

[79]           La décision indique ceci (à la page 3) :

[traduction] Selon votre plan correctionnel, daté du 9 février 2012, vous devez, pour répondre aux besoins liés à vos facteurs dynamiques, participer au Programme correctionnel pour délinquantes (PCD) – Intensité modérée, lequel est axé sur tous les aspects de la vie d’une femme. Après avoir suivi le PCD – Intensité modérée, vous devez suivre le PCD – Intensité élevée afin de répondre davantage aux besoins liés à vos facteurs de risque. Comme il a été mentionné dans l’Évaluation en vue d’une décision (ED), il faudrait que vous suiviez avec succès les programmes recommandés de façon à composer avec vos antécédents de relations violentes avant de pouvoir participer à des VFP avec un conjoint; cependant, vous avez refusé de participer à l’un ou l’autre des programmes recommandés et, de ce fait, vous êtes considérée comme une délinquante violente non traitée. Selon votre plan correctionnel, tant que vous ne serez pas en mesure d’assumer la responsabilité de l’infraction que vous avez commise et que vous ne suivrez pas de manière sérieuse votre plan correctionnel, le risque de violence que vous présentez demeurera élevé.

[Non souligné dans l’original.]

[80]           On avait donc indiqué de manière on ne peut plus claire à la demanderesse la manière la plus rapide d’avoir accès aux VFP. Mais elle refuse de s’y conformer. Elle a plutôt déposé un grief à l’encontre de la décision de refuser de lui accorder ses VFP, et elle se présente maintenant devant la Cour afin que celle‑ci contrôle la décision de la sous‑commissaire. On ne peut guère douter de ce qui est au cœur de la décision vu le refus de la demanderesse de prendre part aux programmes recommandés (DCT, à la page 6) :

[traduction]

Après examen des renseignements qui précèdent, il a été conclu que votre demande de participation au programme des VFP a été rejetée avec raison parce que vous avez refusé de prendre part à des programmes correctionnels et, de ce fait, on vous considère comme une délinquante violente non traitée. La décision a donc été rendue conformément à l’article 3.1 de la LSCMLC [voir ci‑dessus] et à l’alinéa 8a) de la DC 710‑8 [voir ci‑dessus].

Compte tenu des renseignements qui précèdent, cette partie de votre grief est rejetée.

[Non souligné dans l’original.]

[81]           Le message ne saurait être plus clair. La demanderesse est tenue de coopérer en suivant les programmes recommandés afin de pouvoir avoir droit aux VFP que tous les intervenants jugent nécessaires à sa réinsertion sociale.

[82]           Au lieu de coopérer, la demanderesse a décidé de contester les refus et de se présenter devant la Cour en vue de faire contrôler le processus suivi et la décision de la sous‑commissaire. Elle soutient que la décision est déraisonnable, qu’on l’a privée de son droit à l’équité procédurale parce que le processus a duré trop longtemps, qu’on a porté atteinte aux droits que lui confère l’article 7 de la Charte, et que la sous‑commissaire n’a pas procédé à l’examen de novo que la loi exige dans les circonstances.

C.                 Le caractère raisonnable de la décision

[83]           Selon la demanderesse, la décision est déraisonnable pour plusieurs raisons :

a)                  des éléments de preuve prépondérants étayent la thèse selon laquelle la demanderesse n’a jamais été impliquée dans des actes de violence conjugale ou familiale. En conséquence, le fait de ne pas avoir suivi les programmes recommandés ne devait avoir aucun poids dans la décision finale;

b)                  la sous‑commissaire était tenue d’évaluer le « risque actuel » de violence familiale et, en l’espèce, il n’existe aucune preuve de préoccupations actuelles, juste un simple soupçon d’actes de violence antérieurs que les parties censément impliquées ont niés sans équivoque (c.‑à‑d., le mari et le fils de la demanderesse);

c)                  la demanderesse est âgée de soixante‑quinze ans et a été reconnue coupable du meurtre violent d’une personne ne faisant pas partie de sa famille. L’infraction a été commise en 1992, à une époque où la demanderesse n’avait que cinquante‑trois ans;

d)                 dans les documents, rien ne dénote que la demanderesse présente un risque pour son fils, et pourtant il lui est interdit d’avoir des VFP avec lui;

e)                  la décision fait mention du risque d’évasion comme motif pour rejeter la demande de participation de la demanderesse au programme des VFP, alors qu’il est impossible que cette dernière présente un tel risque;

f)                   la situation de la demanderesse est semblable à celle dont il est question dans la décision Edwards, précitée, où M. Edwards s’était vu privé de VFP parce qu’il avait refusé de subir une évaluation en matière de délinquance sexuelle, une mesure que la Cour avait jugé déraisonnable parce que M. Edwards n’avait jamais été reconnu coupable d’une infraction de nature sexuelle.

[84]           Il n’est nul besoin de s’attarder à certains de ces motifs. La sous‑commissaire a mentionné le risque d’évasion dans le cadre de l’examen du dossier antérieur, mais ce motif n’a pas servi à rejeter les demandes de VFP de la demanderesse. Comme l’indique clairement la décision, cette demande a été refusée parce que la demanderesse elle‑même refuse de suivre les programmes recommandés et qu’elle continue donc d’être considérée comme une délinquante violente non traitée.

[85]           La situation de la demanderesse n’est pas semblable à celle dont il est question dans l’affaire Edwards, précitée. La demanderesse n’a pas été reconnue coupable d’une infraction violente à l’encontre d’un membre de sa famille, mais elle a été reconnue coupable du meurtre d’une ancienne amie, commis d’une manière horriblement violente, et il y a des raisons de croire qu’il y a un lien entre la victime et le mari de la demanderesse. Cette dernière a montré qu’elle est capable d’accès de colère qui peuvent se manifester sous la forme d’une violence extrême à l’endroit d’un autre être humain. Son mari et son fils sont d’autres êtres humains.

[86]           Les autres questions soulevées sont toutes liées à ce que la demanderesse appelle la « prépondérance de la preuve ». Cela signifie que ce qui est en cause est le poids accordé aux preuves; or, il n’appartient pas à la Cour de réévaluer des éléments de preuve : voir l’arrêt Khosa, précité, au paragraphe 59. La Cour ne peut intervenir que si le décideur a ignoré des éléments de preuve importants ou pris en compte des éléments qui sont inexacts ou dénués d’importance.

[87]           En l’espèce, la demanderesse fait valoir qu’il n’existe tout simplement aucune preuve de violence familiale sur laquelle l’on pourrait s’appuyer pour la priver d’une décision favorable en matière de VFP, surtout en ce qui concerne son fils. Elle fait également remarquer que tant son mari que son fils ont eux‑mêmes témoigné à propos de l’absence de cette forme de violence.

[88]           Il ressort clairement de la décision de la sous‑commissaire que c’est la situation actuelle de la demanderesse – une délinquante violente non traitée – qui est examinée, et que c’est la question de la violence à l’endroit de membres de la famille qui est en cause. Il n’est possible d’évaluer le risque actuel qu’en examinant les preuves d’actes de violence antérieurs, de pair avec la situation actuelle de la demanderesse – une femme incarcérée, âgée de soixante‑quinze ans – et son refus de suivre son plan correctionnel. La sous‑commissaire fait également remarquer que la demanderesse n’a présenté aucune information donnant à penser que le risque avait changé quand l’affaire a été soumise au directeur.

[89]           À la lecture de la décision, il ressort clairement que la sous‑commissaire avait à l’esprit toutes ces questions et qu’elle les a prises en compte. Elle a relevé que le mari et le fils sont considérés comme des [traduction] « sources de soutien positives » et comme de bons candidats pour participer au programme des VFP. Le problème, indique‑t‑elle, est le risque de violence familiale (DC 710‑8, section 8). Elle a examiné les antécédents de violence de la demanderesse et fait remarquer que l’infraction à l’origine de la peine infligée [traduction« a été de nature particulièrement brutale ». Elle reconnaît que la demanderesse et son mari nient tous deux que leur relation a été marquée par des actes de violence et que [traduction« [r]ien n’indique que pendant que vous étiez en établissement provincial ou fédéral vous avez été soupçonnée de vous être comportée envers des membres de votre famille de manière menaçante ou contrôlante lors d’appels téléphoniques ou de visites, ou que des preuves d’un tel comportement aient été recueillies ». En revanche, comme il est indiqué dans l’ED, lors de son évaluation initiale on a déterminé qu’elle avait [traduction« un besoin élevé d’amélioration dans le domaine des relations matrimoniales et familiales » et que, d’après l’Évaluation du risque de violence familiale qui a eu lieu le 9 février 2012, elle était « l’auteure présumée d’une agression conjugale », et relevé que l’ED indique ce qui suit : « [V]ous pouviez exploser de colère et on vous a censément vue, dans un accès de rage, lancer des objets à votre mari ». La sous‑commissaire souligne également de qui suit : [traduction« Selon votre plan correctionnel, tant que vous ne serez pas en mesure d’assumer la responsabilité de votre infraction et que vous ne suivrez pas de manière sérieuse votre plan correctionnel, le risque de violence que vous présentez demeurera élevé ».

[90]           On a donc jugé que la demanderesse est une personne ayant des accès de colère (ce qu’elle n’a pas contesté devant moi), qui est capable de se comporter avec une violence extrême, et qui a refusé d’assumer la responsabilité de l’infraction à l’origine de la peine qui lui a été infligée et de suivre de manière sérieuse son plan correctionnel. Les soupçons de violence familiale antérieure, que nient la demanderesse, son mari, et son fils, ne sont pas dénués d’un certain fondement, qui revêt la forme de rapports de police et de déclarations d’autres personnes qui ont été consignés dans le dossier. La demanderesse peut bien tout nier, mais les soupçons demeurent, et la sous‑commissaire a été obligée d’en tenir compte.

[91]           Devant moi, la demanderesse fait essentiellement valoir que la sous‑commissaire aurait dû accorder plus de poids au fait qu’elle‑même, son mari et son fils nient l’existence d’actes de violence familiale qu’aux autres facteurs en jeu. Je ne vois pas comment la sous‑commissaire aurait pu le faire, compte tenu du refus de la demanderesse de suivre d’une manière sérieuse son plan correctionnel et des éléments de preuve figurant dans le dossier. La demanderesse n’est pas d’accord avec le résultat du processus d’évaluation, mais il est évident que la décision elle‑même est intelligible, transparente et justifiable, et qu’elle appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit. Voir l’arrêt Dunsmuir, précité, au paragraphe 47.

D.                Les retards – l’équité procédurale

[92]           La demanderesse soutient que la décision, même si elle était raisonnable, était inéquitable sur le plan procédural et a porté atteinte aux droits que lui confère l’article 7 de la Charte en raison du temps qu’il a fallu pour la rédiger. Ce retard, affirme‑t‑elle, lui a causé un stress psychologique, mais je ne dispose d’aucun élément de preuve indiquant ce que cela veut dire ou de quelle façon ce stress a été causé.

[93]           Dans l’arrêt Blencoe, précité, la Cour suprême du Canada a fait des commentaires qui sont pertinents dans le cas présent :

[47]      L’article 7 de la Charte prévoit ceci : « [c]hacun a droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne; il ne peut être porté atteinte à ce droit qu’en conformité avec les principes de justice fondamentale. » Ainsi, avant même que l’on puisse se demander si les droits garantis à l’intimé par l’art. 7 ont fait l’objet d’une atteinte non conforme aux principes de justice fondamentale, il faut d’abord prouver que le droit visé par l’allégation de l’intimé relève de l’art. 7. Dans l’arrêt R. c. Beare, [1988] 2 R.C.S. 387, à la p. 401, le juge La Forest a énoncé ainsi ces deux étapes de l’analyse fondée sur l’art. 7 :

Pour que l’article puisse entrer en jeu, il faut constater d’abord qu’il a été porté atteinte au droit « à la vie, à la liberté et à la sécurité [d’une] personne » et, en second lieu, que cette atteinte est contraire aux principes de justice fondamentale.

Par conséquent, si le droit de l’intimé à la vie, à la liberté ou à la sécurité de sa personne n’est pas en cause, l’analyse fondée sur l’art. 7 prend fin. C’est à la première étape de cette analyse que les arguments de l’intimé relatifs à l’art. 7 me posent le plus de difficultés.

[94]           Au vu des faits de l’espèce, je ne dispose de rien de plus que ce que la demanderesse a affirmé : [traduction] « [L]e rejet de ma demande de VFP m’a causé un stress, une anxiété et une tristesse extrêmes. Ce fait a eu d’énormes répercussions sur les relations que j’entretiens avec mon mari et mon fils. » Il ne s’agit pas là d’une preuve qui se rapporte aux « retards » dont elle se plaint. Il s’agit d’effets qu’a eus le « rejet » de sa demande. Pour ce qui est des retards eux‑mêmes, elle dit dans son affidavit que la [traduction] « période de temps extrêmement longue qui s’est écoulée avant de recevoir une réponse aux griefs au troisième palier nos 12301 et 124459 a suscité chez moi un sentiment d’anxiété et d’inquiétude, ainsi qu’un sentiment d’incertitude sur ce que je devais faire ensuite » (au paragraphe 69). Cela n’est pas suffisant pour que je conclue que l’article 7 de la Charte s’applique dans la présente affaire, selon le critère de l’arrêt Blencoe, précité.

[95]           Je ne pense pas non plus que les retards subis ont été inéquitables sur le plan procédural, au sens où on l’entend habituellement. La demanderesse a eu tout le loisir de faire valoir son point de vue, et tout ce qu’elle dit est qu’il aurait fallu que la décision soit rendue plus rapidement. Elle a été avisée des retards, d’une manière conforme à la directive applicable, mais elle dit que les avis n’en donnaient pas les raisons ni ne justifiaient les périodes au cours desquelles le dossier a été inactif. J’ai passé en revue les étapes du processus, dans le contexte de ce qu’il fallait faire dans le dossier de la demanderesse ainsi que dans les autres dossiers dans lesquels l’analyste travaillait à l’époque, et je ne peux pas dire qu’en l’espèce les délais étaient déraisonnables. Je comprends parfaitement le besoin qu’a la demanderesse d’avoir des VFP avec son mari et son fils; à l’âge de soixante‑quinze ans, de toute évidence, elle souhaite vivement que cela ait lieu dans un proche avenir, et elle manifeste de l’impatience devant la lenteur du processus de griefs. Toutefois, il faut se rappeler que les intervenants s’occupent de nombreux dossiers mis à part celui de la demanderesse, et que cette dernière contribue elle‑même à son stress en refusant de participer d’une manière sérieuse au processus de réinsertion sociale, ce qui prolonge donc inévitablement le temps qu’il lui faudra pour se voir accorder des VFP avec son mari et son fils.

E.                 L’audience de novo

[96]           Enfin, la demanderesse affirme que même si la décision est équitable sur le plan procédural et raisonnable, une erreur susceptible de contrôle a été commise parce que la sous‑commissaire n’a pas effectué l’examen de novo requis à chaque étape du processus de griefs. La décision, dit‑elle, témoigne du fait que la sous‑commissaire n’a pas procédé à une analyse indépendante, et qu’elle a simplement repris ce que d’autres ont dit et ensuite ajouté une conclusion.

[97]           La demanderesse invoque la décision Hall, précitée, et ses doléances sont les suivantes (mémoire des faits et du droit de la demanderesse, aux paragraphes 131 à 138) :

[traduction
131.     La demanderesse soutient respectueusement que la SCPI [la sous‑commissaire principale par intérim] n’a pas tenu d’audience de novo dans la présente affaire et que la décision est donc déraisonnable.

132.     Il semble, d’après la décision, que la SCPI a passé en revue un certain nombre de documents au cours de son évaluation, dont les décisions du directeur en première instance et en réponse à la réfutation écrite de la demanderesse. Ces documents sont tous résumés dans la décision.

133.     Il est clair toutefois que la SCPI n’a pas tenu compte des observations de la demanderesse à propos de l’absence de renseignements convaincants sur les antécédents de violence familiale. Il est allégué que si la SCPI avait examiné le dossier et soupesé réellement les éléments de preuve à la lumière de l’allégation de la demanderesse selon laquelle il n’y avait jamais eu d’actes de violence familiale, elle aurait été obligée de constater qu’il n’y avait aucune preuve tangible concernant cette question.

134.     De plus, la demanderesse soutient que la SCPI ne s’est pas souciée de la question de savoir si la demanderesse risquait actuellement de commettre des actes de violence familiale compte tenu des antécédents récents et corroborés concernant ses interactions exemplaires avec son mari et son fils, depuis son incarcération.

135.     La demanderesse soutient que la SCPI a commis une erreur en se posant la mauvaise question lors de l’examen du grief au dernier palier. Elle soutient qu’au lieu d’évaluer personnellement et de novo sa demande, la SCPI s’est simplement demandé si le directeur avait rejeté la demande à juste titre.

136.     Le dernier paragraphe de la décision est reproduit ci‑dessous par souci de commodité :

Après examen des renseignements qui précèdent, il a été conclu que votre demande de participation au programme des VFP a été rejetée avec raison parce que vous avez refusé de prendre part à des programmes correctionnels et, de ce fait, on vous considère comme une délinquante violente non traitée. La décision a donc été rendue conformément à l’article 3.1 de la LSCMLC [voir ci‑dessus] et à l’alinéa 8a) de la DC 710‑8 [voir ci‑dessus].

137.     La demanderesse soutient que les motifs très superficiels, combinés à ce dernier paragraphe, indiquent clairement que la SCPI ne faisait que revoir la décision du directeur afin de déterminer si elle était défendable.

138.     Il est respectueusement soumis que la SCPI s’est posé la mauvaise question dans la présente affaire. Sa tâche consistait à évaluer personnellement la demande de participation au programme des VFP de la demanderesse. Au lieu de cela, la SCPI a conclu que la décision du directeur avait été prise « conformément » aux dispositions législatives et aux politiques applicables.

[98]           Certaines de ces affirmations ont trait au poids que la sous‑commissaire aurait dû accorder au fait qu’il n’existait pas de preuves relatives à la violence familiale et au risque actuel. Ce sont là des questions dont j’ai traité lorsque j’ai examiné le caractère raisonnable de la décision. À mon avis, la question qui se pose en l’espèce est celle de savoir s’il était nécessaire, dans le contexte, d’effectuer une évaluation de novo et, dans l’affirmative, celles de savoir si la sous‑commissaire s’est posé la mauvaise question et si [traduction« [a]u lieu d’évaluer personnellement et de novo sa demande, la [sous‑commissaire] s’est simplement demandée si le directeur avait rejeté la demande à juste titre ».

[99]           Tout d’abord, je ne suis pas convaincu qu’au vu de ces faits la distinction que la demanderesse cherche à établir est viable. Il est vrai que la sous‑commissaire dit que la décision défavorable du directeur était appropriée et a été [traduction« prise conformément à l’article 3.1 de la LSCMLC [...] et à l’alinéa 8a) de la DC 710‑8 [...] ». Toutefois, lorsqu’on lit ce passage dans le contexte de la décision tout entière, il ne signifie rien de plus que ceci : après avoir examiné et évalué l’ensemble du dossier antérieur, la sous‑commissaire arrive aux mêmes conclusions que le directeur.

[100]       Comme il ressort clairement des arguments de la demanderesse qui ont été reproduits ci‑dessus, elle estime qu’en l’espèce il ne peut y avoir eu d’examen de novo indépendant parce que la sous‑commissaire a refusé d’admettre que les arguments et les éléments de preuve de la demanderesse, selon lesquels il n’y avait aucune information convaincante à propos d’antécédents de violence familiale, constituaient une raison déterminante d’accorder des VFP.

[101]       Comme je l’ai déjà fait remarquer, abstraction faite des soupçons d’actes de violence familiale antérieurs ainsi que les rapports de police et les déclarations sur lesquels ils sont fondés, la demanderesse s’est vu refuser les VFP parce qu’elle est une personne colérique qui a commis dans le passé des actes de violence excessifs dont elle refuse d’assumer la responsabilité et qu’elle a refusé de travailler de manière sérieuse à sa réinsertion sociale. Aux yeux de la demanderesse, cela revêt peu d’importance en ce qui concerne le contexte familial. Mais, dans l’esprit des professionnels qui l’ont évaluée, il s’agit là d’un fait pertinent et troublant. Et ce sont eux les professionnels qualifiés, et non la demanderesse ou la Cour.

[102]       Il était loisible à la demanderesse de produire tout élément de preuve qu’elle souhaitait que la sous‑commissaire examine, mais, en définitive, elle s’appuie essentiellement sur l’argument que les accès de colère et la violence excessive à l’égard de personnes qui n’étaient pas membres de sa famille de même que le refus de travailler à sa réinsertion sociale sont des facteurs dénués de pertinence lorsqu’il est question de violence familiale. Les professionnels ont pensé le contraire, et ce sont eux qui sont qualifiés pour prendre des décisions à cet égard.

[103]       Par conséquent, je suis d’avis que ce motif ne tient pas. La sous‑commissaire doit s’en tenir à l’examen du dossier existant et de tout nouvel élément de preuve présenté par la demanderesse. Il n’y a pas de rapport direct entre la sous‑commissaire et la demanderesse, de sorte qu’elle doit se fier aux conseils et aux conclusions des professionnels qui se sont occupés de la demanderesse. La sous‑commissaire a procédé à un examen exhaustif de l’ensemble du dossier et elle a tiré une conclusion raisonnable. Elle a ensuite affirmé que le directeur avait raison, la demande de la demanderesse de participer au programme des VFP ayant à juste titre été rejetée étant donné que son examen de l’ensemble du dossier l’a amenée, de manière raisonnable, à tirer les mêmes conclusions que le directeur.

[104]       Comme il ressort des arguments de la demanderesse, celle‑ci est d’avis qu’il n’y a pas eu d’examen indépendant dans le cas présent parce que la sous‑commissaire n’a pas souscrit à sa thèse selon laquelle l’absence de preuves directes d’actes de violence familiale aurait dû être un facteur déterminant. À mon avis, il s’agit là d’un argument fallacieux.

F.                  Les dépens

[105]       Bien qu’elle ait sollicité les dépens dans ses observations écrites – en demandant une [traduction« ordonnance prévoyant le remboursement de la totalité des dépens et des frais juridiques engagés dans le cadre de la poursuite des droits que lui confère la loi » – la demanderesse est revenue sur sa position à l’audience tenue devant moi et a demandé que chacune des parties supporte les dépens qui lui étaient propres. Le défendeur continue de demander les dépens.

[106]       La demanderesse veut avoir accès aux VFP. Les personnes responsables de son bien‑être pendant son incarcération ont clairement indiqué qu’elle a besoin de VFP pour réussir sa réinsertion sociale. Ces personnes ont aussi indiqué clairement à la demanderesse que son accès aux VFP est tributaire de sa volonté de donner suite à son plan correctionnel et de sa participation aux programmes recommandés. Plutôt que de suivre ce conseil, la demanderesse s’est adressée à la Cour pour tenter de contourner les recommandations des professionnels qui s’occupent d’elle pendant son incarcération ainsi que de sa réinsertion sociale. La demanderesse préférerait utiliser le système juridique pour éviter de participer aux programmes dont, disent les professionnels, elle a besoin. Ce faisant, elle remet à plus tard l’accès à ces programmes et aux VFP dont elle a manifestement besoin. Elle n’agit pas dans son propre intérêt, et la Cour ne devrait pas l’encourager dans cette voie en acceptant de ne pas adjuger les dépens de la manière habituelle.


JUGEMENT

LA COUR ORDONNE :

1.      La présente demande de contrôle judiciaire est rejetée, avec dépens en faveur du défendeur.

« James Russell »

Juge

Traduction certifiée conforme

Chantal DesRochers, LL.B., D.E.S.S. en trad.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


 

Dossier :

T‑2115‑14

 

INTITULÉ :

JEAN JAMES c CANADA (PROCUREUR GÉNÉRAL)

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Vancouver (Colombie‑Britannique)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 15 juillet 2015

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE RUSSELL

 

DATE DES MOTIFS :

LE 12 août 2015

 

COMPARUTIONS :

Ondine Snowdon

 

pour la demanderesse

 

Charmaine de los Reyes

 

pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Grace Snowdon & Terepocki LLP

Avocats

Abbottsford (Colombie‑Britannique)

 

POUR LA demanderesse

 

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

Vancouver (Colombie‑Britannique)

 

POUR LE défendeur

 

 

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