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Date : 20150730


Dossier : T-1569-14

Référence : 2015 CF 937

Ottawa (Ontario), le 30 juillet 2015

En présence de monsieur le juge Gascon

ENTRE :

MAY HAMOD

demandeur

et

MINISTÈRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   Aperçu

[1]               En juillet 2012, la demanderesse madame May Hamod, une citoyenne canadienne d’origine syrienne, rentre au Canada d’un voyage en Syrie. À l’agent des douanes de la ligne d’inspection primaire, elle déclare importer des marchandises d’une valeur de 300 $, dont une cartouche de cigarettes et une bouteille d’alcool. Elle est référée à la ligne d’inspection secondaire. Elle y informe l’agent en place qu’elle rapporte aussi certaines marchandises de Syrie, incluant des bijoux dont elle dit ignorer la valeur. Les bijoux sont alors saisis par les autorités douanières, vu que madame Hamod ne les a pas déclarés conformément à la loi. Un rapport d’expert établira plus tard leur valeur marchande à plus de 40 000 $.

[2]               Madame Hamod conteste la saisie des bijoux et tente d’en obtenir l’annulation dans le cadre de procédures auprès de l’Agence des services frontaliers du Canada [ASFC]. Par l’entremise de son représentant, elle multiplie les démarches et représentations auprès de l’arbitre de l’ASFC chargé de son dossier, et soumet différents documents en vue de prouver que les bijoux lui appartenaient avant juillet 2012. Les autorités douanières concluent néanmoins que madame Hamod a enfreint les lois applicables puisqu’elle ne réussit pas à démontrer que les bijoux ont été acquis au Canada ou qu’ils ont été légalement importés.

[3]               Dans une décision rendue le 5 juin 2014, le Ministre de la sécurité publique et de la protection civile suit les recommandations de l’arbitre de l’ASFC, et confirme qu’il y a eu infraction à la Loi sur les douanes, LRC (1985), ch 1 (2e suppl) [la Loi] et au Règlement sur la déclaration des marchandises importées, DORS/86-873 [le Règlement] pour plusieurs des bijoux que madame Hamod avait sur elle en revenant de Syrie en juillet 2012 et qu’elle a omis de déclarer. Le ministre demande à madame Hamod le paiement d’un montant de 4 562,58 $ à titre de confiscation pour obtenir la restitution des bijoux saisis.

[4]               Le 11 juillet 2014, madame Hamod dépose la présente demande de contrôle judiciaire à l’encontre de cette décision du ministre imposant le paiement de 4 562,58 $ pour faire lever la saisie. Elle demande à la Cour de considérer les bijoux saisis comme étant usagés, de recalculer leur valeur en conséquence, et de modifier le montant demandé par le ministre à titre de confiscation. Le ministre rétorque que sa décision fait partie des issues raisonnables en l’espèce et que la Cour ne devrait pas intervenir.

[5]               La demande de madame Hamod soulève une seule question en litige : la décision du ministre d’exiger la somme de 4 562,58 $ à titre de confiscation était-elle déraisonnable? Pour les motifs qui suivent, le recours de madame Hamod doit échouer car la Cour conclut que la décision des autorités douanières en ce qui a trait au montant de la confiscation est raisonnable.

II.                Contexte

A.                Le rapport de l’ASFC

[6]               Le 20 août 2012, suite à la saisie des bijoux de madame Hamod effectuée lors de son arrivée au Canada le 9 juillet, l’arbitre de l’ASFC assigné au cas de madame Hamod lui explique les motifs de la saisie: il n’était pas clair si madame Hamod importait les bijoux pour la première fois au Canada et elle ne les avait pas déclarés conformément à la Loi.

[7]               À compter de septembre 2012, le représentant de madame Hamod entretient plusieurs échanges avec l’arbitre de l’ASFC en vue d’obtenir l’annulation de la saisie. Dans ses représentations auprès de l’arbitre, le représentant envoie notamment des copies de factures et des photographies de madame Hamod portant les bijoux. L’arbitre rappelle régulièrement au représentant de madame Hamod que le fardeau de la preuve repose sur elle, et qu’elle doit démontrer que les bijoux ont été acquis au Canada ou légalement importés au pays. En novembre 2012, l’arbitre achemine notamment au représentant de madame Hamod le rapport final d’un gemmologiste indépendant qui avait été retenu par l’ASFC pour procéder à l’évaluation des bijoux saisis. Ce rapport contient une analyse détaillée, bijou par bijou, de l’état (neuf ou usagé) des bijoux saisis et une estimation de leur valeur monétaire. Le rapport conclut que les bijoux ont une valeur marchande totale d’environ 43 000 $, dont 34 500 $ pour les bijoux considérés par le gemmologiste comme étant dans un état neuf.

[8]               Dans une lettre du 19 novembre 2012, l’arbitre informe le représentant de madame Hamod, suite à sa demande, qu’il peut soumettre un deuxième rapport d’expertise et d’évaluation des bijoux s’il est en désaccord avec l’évaluation du gemmologiste. Sur une période de plus de 18 mois, jusqu’en mai 2014, plusieurs échanges de correspondance se poursuivent alors entre l’arbitre de l’ASFC et le représentant de madame Hamod, au cours desquels l’arbitre rappelle fréquemment la possibilité pour madame Hamod de faire les représentations qu’elle souhaite et de déposer un rapport d’expertise.

[9]               Une évaluation des bijoux par un expert mandaté par madame Hamod doit avoir lieu en janvier 2013, mais l’expert ne peut pas avoir accès aux bijoux car ceux-ci demeurent alors sous la garde d’une enquêtrice de l’ASFC pour les infractions criminelles, qui est en train de traiter les accusations d’importation illégale de marchandises portées contre madame Hamod. En septembre 2013, madame Hamod plaide d’ailleurs coupable à trois chefs d’accusation relatifs à l’importation des bijoux saisis.

[10]           En novembre 2013, l’arbitre contacte le nouveau représentant qui agit désormais pour madame Hamod, afin de l’informer à son tour qu’il peut soumettre des représentations écrites, ce qu’il fait en janvier 2014. Le 5 mars 2014, l’arbitre rappelle aussi au nouveau représentant qu’il peut déposer un deuxième rapport d’expertise et d’évaluation des bijoux et elle lui explique la procédure d’évaluation des marchandises utilisée par l’ASFC. Aucune expertise n’est finalement soumise par madame Hamod.

[11]           Le 14 mai 2014, l’arbitre dépose son rapport final. Le rapport reprend en détail la chronologie des échanges entre l’arbitre et les représentants de madame Hamod. L’arbitre y réfère aux nombreuses invitations faites à madame Hamod de soumettre ses représentations, et mentionne les reçus et photos envoyés par madame Hamod. L’arbitre indique que les reçus, en langue arabe, ont été traduits et vérifiés, mais qu’elle ne peut les accepter parce qu’ils sont faits au nom d’une personne autre que madame Hamod, et qu’elle ne peut donc les rattacher aux bijoux saisis. Aux termes de son analyse, l’arbitre accepte les représentations faites par madame Hamod sur les bijoux classés comme « usagés » par le gemmologiste et retire donc ceux-ci de la liste des marchandises saisies. Toutefois, l’arbitre refuse les représentations sur les autres bijoux considérés comme neufs et maintient la saisie à leur égard.

[12]           Sur la foi du rapport du gemmologiste et de son estimation de la valeur des bijoux, l’arbitre établit à environ 15 200 $ la valeur en douane des bijoux considérés comme étant dans un état neuf, conformément aux ajustements et déductions normalement effectués dans de tels cas, et fixe à 4 562,58 $, soit 30% de la valeur en douane, le montant exigé de madame Hamod pour reprendre ces bijoux et obtenir la mainlevée de la saisie.

B.                 La décision du ministre

[13]           Dans sa décision du 5 juin 2014, le ministre entérine les conclusions du rapport de l’arbitre. Il confirme qu’il n’y a pas eu d’infraction à la Loi et au Règlement à l’égard des bijoux décrits comme usagés. Toutefois, en ce qui a trait aux autres bijoux décrits comme « neufs », suite au défaut de madame Hamod de déclarer ces bijoux à son entrée au Canada en juillet 2012, le ministre confirme qu’en vertu de l’article 131 de la Loi, il y a eu commission d’une infraction.

[14]           Le ministre précise aussi qu’en vertu de l’article 133 de la Loi, ces bijoux ne seront restitués à madame Hamod que sur réception d’un montant de 4 562,58 $ retenu à titre de confiscation. En appui à sa décision, le ministre indique que madame Hamod était responsable de déclarer toutes les marchandises acquises lors d’un voyage à l’extérieur du Canada et qu’elle avait le fardeau de présenter une preuve de l’importation légitime ou de l’origine canadienne des bijoux, ce qu’elle ne l’a pas fait pour les bijoux considérés comme neufs. Cependant, les représentations et preuves documentaires soumises ont été acceptées pour les articles usagés. Le ministre mentionne notamment que madame Hamod avait précisé, au moment de son entrée au Canada en juillet 2012, que « plusieurs bijoux étaient neufs et importés pour la première fois au Canada ».

[15]           Dans sa décision, le ministre réfère aux nombreux échanges de correspondances avec madame Hamod au cours du processus d’appel devant l’ASFC, et la proposition de faire une seconde évaluation des bijoux à laquelle madame Hamod n’a pas donné suite. Le ministre explique aussi à madame Hamod les possibilités pour interjeter appel de la décision rendue en vertu de l’article 131 et de celle rendue en vertu de l’article 133, et de la procédure propre à chacune d’elles.

C.                Les dispositions de la Loi

[16]           Les dispositions pertinentes de la Loi se retrouvent aux articles 131, 133 et 135. L’article 131 porte sur le motif d’infraction à la Loi et au Règlement établi par le ministre et qui permet de justifier une saisie de marchandises importées. Dans le cas présent, il concerne donc l’infraction d’importation illégale de bijoux par madame Hamod. L’article 131 contient une clause privative à son troisième paragraphe et prévoit qu’un contrevenant ne peut interjeter appel de cette décision rendue sur le constat d’infraction (soit l’importation illégale de bijoux en l’espèce) que par voie d’action devant la Cour, conformément à l’article 135 de la Loi.

[17]           L’article 133 prescrit pour sa part que, si le ministre a conclu à une infraction à la Loi, il peut infliger différentes mesures de réparations telles que la restitution des marchandises sur réception d’un montant déterminé. Cette décision en vertu de l’article 133 est tributaire du constat d’infraction à la Loi, mais ne concerne que la sanction imposée suite à l’infraction. Dans le cas présent, cette sanction a pris la forme du montant de confiscation exigé de madame Hamod pour obtenir le retour des bijoux saisis. La personne sanctionnée peut contester une décision rendue en vertu de l’article 133 par voie de demande de contrôle judiciaire, conformément à l’article 18.1(1) de la Loi sur les Cours fédérales.

[18]           Comme l’ont fait valoir les procureurs du ministre, le ministre a donc rendu plus d’une décision le 5 juin 2014: il en a émis une première en vertu de l’article 131 portant sur l’infraction d’importation illégale des bijoux commise par madame Hamod, et une seconde en vertu de l’article 133 portant sur le montant de la confiscation qu’elle doit payer pour obtenir la mainlevée de la saisie. La jurisprudence a établi clairement que ces deux décisions sont distinctes et doivent être contestées séparément (Pounall c Canada (Agence des services frontaliers), 2013 CF 1260 au para 15; Conseil des Mohawks d’Akwesasne c Canada (Ministre de la sécurité publique et de la protection civile), 2012 CF 1442 au para 21; Akinwande c Canada (Ministre de la sécurité publique et de la protection civile), 2012 CF 963 aux paras 10-11; Nguyen c Canada (Ministre de la sécurité publique et de la protection civile), 2009 CF 724 aux paras 19-22 [Nguyen]; Sellathurai c Canada (Ministre de la sécurité publique et de la protection civile), 2008 CAF 255).

[19]           En effet, l’article 131 de la Loi permet au ministre de décider s’il y a eu infraction aux dispositions traitant de l’importation de marchandises (Nguyen aux paras 19-20). Or, la Loi prévoit que les décisions rendues en vertu de l’article 131 « ne sont susceptibles d’appel que selon les modalités prévues au paragraphe 135(1) de la Loi, lequel prévoit que la décision prise par le ministre en vertu de l’article 131 de la Loi ne peut faire l’objet d’un appel que par voie d’action » (Nguyen au para 19). Comme l’ont d’ailleurs admis ses procureurs lors de l’audience, madame Hamod ne peut donc pas contester la décision du ministre sur l’importation illégale des bijoux dans le cadre d’une demande de contrôle judiciaire.

[20]           À l’inverse, la décision du ministre prise en vertu de l’article 133, à savoir la détermination du montant de confiscation, peut quant à elle être contestée par voie de demande de contrôle judiciaire (Nguyen au para 20). Il s’agit là de la seule décision qui puisse faire l’objet du présent recours et sur laquelle la Cour doit se prononcer.

D.                La norme de contrôle

[21]           La norme de contrôle d’une décision rendue aux termes de l’article 133 de la Loi est celle de la décision raisonnable puisqu’il s’agit d’une décision discrétionnaire du ministre (United Parcel Service Canada Ltd c Canada (Ministre de la sécurité publique et de la protection civile), 2011 CF 204 aux paras 40 et 43; Shin c Canada (Ministre de la sécurité publique et de la protection civile), 2012 CF 1106 aux paras 46-48; Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9 au para 47 [Dunsmuir]; Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre-Neuve et Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62 au para 16 [Newfoundland Nurses]; Alberta (Information and Privacy Commissioner) c Alberta Teachers’ Association, 2011 CSC 61au para 53 [Alberta Teachers]; Kanthasamy c Canada (Ministre de la citoyenneté et de l’immigration), 2014 CAF 113 au para 99).

[22]           Ce caractère raisonnable tient à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Dunsmuir au para 47). Dans ce contexte, la Cour doit faire preuve de retenue envers la décision du ministre et ne peut lui substituer ses propres motifs. Elle peut toutefois, au besoin, examiner le dossier pour mesurer et apprécier le caractère raisonnable de la décision (Newfoundland Nurses au para 15).

III.             La décision du ministre d’exiger de madame Hamod la somme de 4 562,58 $ à titre de confiscation était-elle déraisonnable?

[23]           La seule question que doit trancher la Cour est de savoir si la décision du ministre d’imposer la somme de 4 562,58 $ comme confiscation pour les bijoux illégalement importés par madame Hamod est raisonnable.

[24]           À l’appui de ses prétentions à l’effet que cette décision était déraisonnable, madame Hamod soumet qu’elle passait des séjours prolongés en Syrie et apportait avec elle tout ce dont elle avait besoin, incluant des bijoux. Les marchandises qu’elle transférait d’un pays à l’autre étaient seulement pour usage personnel, et elle affirme que tous les bijoux saisis lui appartenaient depuis longtemps. Elle a envoyé aux autorités douanières les documents et photos qui lui étaient disponibles, mais les autres preuves qui auraient pu exister en Syrie ne l’étaient plus en raison du contexte de guerre civile qui sévissait dans le pays. Elle précise que, lors de son dernier voyage en Syrie avant son retour au Canada en juillet 2012, elle et sa famille avaient dû rapidement rassembler leurs effets personnels en raison de l’imminence de la guerre civile, ce qui explique pourquoi elle ne connaissait pas la valeur de tous les bijoux alors en sa possession.

[25]           Madame Hamod affirme également que les bijoux déterminés comme étant neufs par le gemmologiste et le ministre ne l’étaient pas, et que ses photos le démontraient. Elle ajoute n’avoir jamais affirmé à l’agent des douanes que ses bijoux étaient neufs, et que le ministre a erré en fondant sa décision et le montant de la confiscation sur cette déclaration inexacte. Enfin, madame Hamod plaide ne pas avoir soumis de deuxième évaluation d’expert puisque l’arbitre l’avait avisée que celle-ci ne serait alors sous aucune obligation d’accepter cette seconde évaluation.

[26]           La Cour ne partage pas l’opinion de madame Hamod et ne peut souscrire à ses arguments.

[27]           Tout au long du processus d’arbitrage mené par l’ASFC, des explications complètes ont été données à madame Hamod et à ses représentants, et elle a eu plusieurs occasions de soumettre toutes les représentations et questions qu’elle souhaitait formuler. Puisqu’elle ne connaissait pas la valeur des bijoux, un expert en gemmologie les a analysés et les a évalués. L’expert a conclu, après avoir eu accès aux bijoux eux-mêmes, que plusieurs d’entre eux étaient dans un état neuf. Madame Hamod a soumis des photos pour démontrer que les bijoux étaient usagés. L’arbitre les a considérées, mais la Cour constate que les photos n’étaient généralement pas datées, n’étaient souvent pas très claires et qu’il était difficile de déterminer avec certitude de quels bijoux il s’agissait. La Cour est d’avis qu’il était donc raisonnable pour l’arbitre de ne pas les retenir comme preuve adéquate et concluante sur la date de possession des bijoux par madame Hamod ou sur la qualité de leur état. Madame Hamod a aussi envoyé des reçus, que l’ASFC a revus et considérés, mais n’a pas pu accepter parce qu’ils ne pouvaient être rattachés à madame Hamod et n’étaient pas libellés à son nom.

[28]           Au final, tous les documents soumis par madame Hamod ont été analysés. L’arbitre a avisé madame Hamod à plusieurs reprises qu’elle pouvait demander à un expert en gemmologie de son choix d’évaluer les bijoux pour produire un deuxième rapport. Elle ne l’a jamais fait. Le gemmologiste retenu comme expert indépendant par l’ASFC a établi la valeur marchande des bijoux saisis, à partir de laquelle la valeur en douane a été calculée et les autorités douanières ont fixé le montant de la confiscation. Madame Hamod et ses procureurs avancent avoir été dissuadés de soumettre une autre expertise par l’affirmation de l’arbitre à l’effet que ce second rapport pourrait ne pas être retenu. Cette explication donnée pour expliquer le défaut de fournir une deuxième expertise ne convainc pas du tout la Cour, d’autant plus que madame Hamod et son premier représentant avaient entrepris les démarches pour déposer une telle expertise même après avoir reçu l’information de l’arbitre qu’ils prétendent avoir été dissuasive. Madame Hamod a finalement choisi de ne jamais déposer un second rapport d’expertise et de ne pas se prévaloir de l’opportunité maintes fois offerte de ce faire.

[29]           Dans les circonstances, après avoir examiné et analysé le rapport du gemmologiste et les documents déposés par les parties, la Cour ne peut pas qualifier de déraisonnable la décision du ministre basée sur le seul rapport d’expertise au dossier. Rien dans le dossier ne permet de réfuter l’évaluation obtenue du gemmologiste et qui sous-tend le montant de confiscation demandé par le ministre (Thomas c. Canada (Ministre de la sécurité publique et de la protection civile), 2011 CF 734 aux paras 26-28). Il n’appartient pas à cette Cour de revoir les conclusions tirées de la preuve par le ministre et de substituer son opinion sur les faits à celle du décideur, comme le lui demande madame Hamod en prétendant que les bijoux saisis devraient être considérés comme usagés. Surtout dans un contexte où aucune preuve ou rapport d’expert ne vient étayer la position de madame Hamod (Canada (Ministre du développement des ressources humaines) c Rafuse, 2002 CAF 31 aux paras 13-14).

[30]           La Cour comprend qu’il pouvait être difficile pour madame Hamod de présenter des reçus ou des preuves sur l’importation ou la possession des bijoux. Mais la question que devaient décider les autorités douanières, une fois établie l’importation illégale des bijoux et le défaut de les déclarer, portait sur la valeur de ceux-ci et le montant de confiscation qui en résulte. Puisque madame Hamod n’en connaissait pas la valeur à son arrivée au Canada en juillet 2012, les bijoux saisis ont été évalués par un expert en gemmologie qui a identifié les bijoux considérés comme étant dans un état neuf et ceux décrits comme étant dans un état usagé. Madame Hamod n’a pas soumis de deuxième rapport d’expert même si elle a été invitée à le faire à plusieurs reprises au cours du processus. Si elle avait produit un rapport d’expert, il aurait été considéré par l’arbitre qui aurait décidé de l’importance à lui accorder. En l’absence d’un tel rapport, et sans autre preuve satisfaisante au dossier, la Cour n’a d’autre choix que de considérer raisonnable l’estimation déposée par le ministre.

[31]           Tous les documents soumis par Madame Hamod étaient au dossier de l’arbitre et du ministre. Pour les bijoux décrits comme neufs, les autorités douanières ont accordé plus d’importance au rapport d’expert qu’aux photos et documents de madame Hamod. Le simple désaccord de madame Hamod au sujet du caractère probant ou non probant des éléments de preuve au dossier du ministre, et du poids qui leur a été donné, ne suffit pas à rendre la décision déraisonnable et à autoriser la Cour à intervenir.

[32]           La Cour note et reconnaît que, dans sa décision, le ministre a fait erreur en affirmant que madame Hamod avait dit à l’agent des douanes que « plusieurs bijoux étaient neufs ». Rien dans la preuve au dossier ne permet en effet d’appuyer cette affirmation apparaissant dans la décision du ministre. Cependant, la Cour ne peut pas conclure que cette référence inexacte aux propos de madame Hamod est en soi suffisante pour rendre déraisonnable la décision du ministre sur le montant de la confiscation. Il faut lire la décision dans son ensemble; or, la Cour est satisfaite que la détermination faite le ministre sur le montant de la confiscation ne tire pas sa source de cette affirmation erronément prêtée à madame Hamod. La décision repose plutôt sur la totalité de la preuve reçue par l’arbitre et notamment le rapport de l’expert en gemmologie, qui a pu directement examiner les bijoux, a alors estimé que plusieurs d’entre eux étaient dans un état neuf, et a procédé à l’évaluation monétaire qui s’en est suivie.

[33]           La terminologie employée par le ministre dans sa décision aurait sans doute pu être plus précise et parler de bijoux considérés comme étant dans un état neuf, comme le faisait le gemmologiste dans son rapport, plutôt que de s’en tenir à l’expression plus directe de bijoux ou articles « neufs ». Cela aurait évité la confusion qui semble avoir été créée à cet égard pour madame Hamod. Cependant, la norme que la Cour doit appliquer n’est pas la perfection de la décision, mais bien son caractère raisonnable (Newfoundland Nurses aux paras 15-16; Pathmanathan v Canada (Minister of Citizenship and Immigration), 2013 FC 353 aux paras 27-28). Dans les circonstances, la Cour conclut que la décision du ministre n’est pas illogique ou irrationnelle et se situe bien à l’intérieur des solutions rationnelles acceptables en regard des faits et du droit.

[34]           Par ailleurs, la Cour partage aussi l’avis des procureurs du ministre sur l’interprétation de l’article 113 de la Loi. Cet article prévoit une période de prescription de six ans pour toute saisie faite en vertu de la Loi. Une lecture de la disposition démontre que ce délai de six ans court à partir de la date de la commission d’une infraction et non de la date d’acquisition de la marchandise. La saisie des bijoux de madame Hamod en juillet 2012 n’était donc pas prescrite aux termes de l’article 113.

[35]           Madame Hamod et ses procureurs plaident enfin, notamment dans leurs représentations lors de l’audience devant la Cour, que la décision du ministre n’était pas motivée de façon suffisante. La Cour n’est pas d’accord.

[36]           L’arrêt Newfoundland Nurses a établi que l'insuffisance des motifs ne permet pas à elle seule de casser une décision. De plus, la Cour peut se référer au dossier et à la preuve si la décision en contrôle judiciaire comporte certaines lacunes ou omissions. En effet, les motifs doivent être examinés en corrélation avec le résultat et ils doivent permettre de savoir si ce dernier fait partie des issues possibles. La Cour peut examiner le dossier pour apprécier le caractère raisonnable du résultat : « [i]l se peut que les motifs ne fassent pas référence à tous les arguments, dispositions législatives, précédents ou autres détails que le juge siégeant en révision aurait voulu y lire, mais cela ne met pas en doute leur validité ni celle du résultat au terme de l'analyse du caractère raisonnable de la décision. Le décideur n'est pas tenu de tirer une conclusion explicite sur chaque élément constitutif du raisonnement, si subordonné soit-il, qui a mené à sa conclusion finale [...] » (Newfoundland Nurses au para 16).

[37]           Les motifs d’une décision sont suffisants quand ils permettent à la Cour de comprendre pourquoi la décision a été rendue et d'établir si elle s'inscrit parmi les issues acceptables. « Lorsque la décision pourrait avoir une assise raisonnable, la cour de justice doit y déférer. » (Alberta Teachers au para 53).

[38]           Dans le cas présent, il est vrai que la décision du ministre est relativement succincte. Cependant, les motifs doivent être lus avec le rapport de l’arbitre qui revoit en détail la preuve devant les autorités douanières et notamment le rapport du gemmologiste. Puisque la décision était courte et adoptait la recommandation du rapport de l’arbitre, ce rapport et le dossier qui le sous-tend font aussi partie des motifs (Newfoundland Nurses au para 15). Or, tel qu’exposé plus haut, les motifs et le dossier de l’ASFC permettent à la Cour de bien comprendre comment et pourquoi le ministre en est raisonnablement arrivé au montant de confiscation de 4 562,58 $. Il n’y a rien qui indique que les autorités douanières aient omis, à quelque étape du processus, d’examiner des observations ou arguments de madame Hamod.

[39]           Même si la décision ne fait pas référence à tous les arguments ou détails de la preuve, cela ne met pas en doute sa validité ou son caractère raisonnable (Newfoundland Nurses, au para 16). La Cour conclut donc que la décision est adéquatement motivée, fait référence aux articles de la Loi et aux représentations de madame Hamod, et constitue une décision suffisante et raisonnable qui fait partie des solutions possibles dans les circonstances.

IV.             Conclusion

[40]           Pour les motifs cités ci-dessus, la demande de contrôle judiciaire de madame Hamod est rejetée car le montant de la confiscation établi par le ministre fait partie des issues possibles que pouvait déterminer le ministre à la lumière de la preuve devant lui. Il n’y a pas de motifs aux termes desquels la Cour serait justifiée d’intervenir dans cette décision.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande de révision judiciaire est rejetée, avec dépens.

« Denis Gascon »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-1569-14

INTITULÉ :

MAY HAMOD c MINISTÈRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (Québec)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 8 juin 2015

jugement et motifs :

LE JUGE GASCON

DATE DES MOTIFS :

LE 30 juillet 2015

COMPARUTIONS :

Me Marco Zuliani

Pour le demandeur

Me Maguy Hachem

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Marco Zuliani Avocats

Avocat(e)s

Montréal (Québec)

Pour le demandeur

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

Pour le défendeur

 

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