Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20140521


Dossier : T-1235-14

Référence : 2015 CF 660

Ottawa (Ontario), le 21 mai 2015

En présence de monsieur le juge Martineau

ENTRE :

FRANK VAILLANCOURT

demandeur

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               Le demandeur conteste la légalité d’une décision datée du 17 avril 2014 par laquelle la Surintendante Michelle Young [officier désigné] confirme la décision du 12 juin 2013 de la Direction de la représentation des membres [DRM] de la Gendarmerie Royale du Canada [GRC] de refuser de représenter le demandeur dans sa contestation d’avis disciplinaires, en vertu de l’alinéa 3b) des Consignes de 1997 du commissaire (Représentation), DORS/97-399 [Consignes] (abrogées et remplacées depuis le 28 novembre 2014 par les Consignes du commissaire (Administration générale), DORS/2014-293). Cette demande de contrôle judiciaire a été entendue concurremment avec la demande similaire de contrôle judiciaire dans le dossier T‑2180-12, par laquelle le demandeur conteste une décision antérieure, en date du 2 novembre 2012, d’un autre officier désigné concernant sa représentation par la DRM : Vaillancourt c Canada (Procureur général), 2015 CF 659.

[2]               Le 2 novembre 2012, le surintendant Luc Delorme a rendu une décision par laquelle il ordonne à la DRM de représenter le demandeur dans sa contestation des avis disciplinaires. Quoi qu’il en soit, la procureure du demandeur dans la présente demande de contrôle judiciaire, Me Jasmine Patry, s’est adressée à la DRM pour s’enquérir de leur intention de continuer de représenter le demandeur. De fait, le 26 novembre 2012, le surintendant Art Pittman, Directeur des représentants des membres, a répondu à la lettre de Me Patry par télécopieur en indiquant qu’il n’était pas certain que la DRM pouvait aider le demandeur, mais lui confirmait, ce faisant, que la caporale Dominique Denis était assignée au dossier et qu’elle allait communiquer prochainement avec le demandeur pour déterminer si elle pouvait établir une relation de travail.

[3]               Le surintendant demandait dans sa lettre à Me Patry de leur fournir l’adresse courriel et le numéro de téléphone du demandeur, et lui fournissait également les coordonnées de la caporale Denis. Cette lettre est demeurée sans réponse. Le 14 décembre 2012, la caporale Denis a envoyé par télécopieur une lettre à Me Patry lui demandant de lui fournir l’adresse courriel et le numéro de téléphone du demandeur. Cette lettre est également demeurée sans réponse. Le 9 janvier 2013, la caporale Denis a envoyé une autre lettre à Me Patry lui demandant à nouveau de fournir les coordonnées du demandeur et également d’accuser réception des lettres du 26 novembre 2012, du 14 décembre 2012 et du 9 janvier 2013. Cette lettre est également demeurée sans réponse.

[4]               Le 11 avril 2013, le surintendant Pittman a envoyé par courrier postal une lettre au demandeur. Cette lettre indiquait que les trois lettres envoyées à Me Patry afin d’obtenir les coordonnées du demandeur était restées sans réponse et qu’aucune information n’avait été reçue ni de Me Patry, ni du demandeur. Le surintendant Pittman demandait au demandeur d’accuser réception de la lettre et de confirmer ses intentions le plus rapidement possible, au plus tard le 30 avril 2013.  Selon le récépissé de la poste, cette lettre a été reçue par le demandeur le 15 avril 2013.

[5]               Le 30 avril 2013, le demandeur a répondu par lettre au surintendant Pittman.  Dans cette lettre, le demandeur indique qu’il est clair que son employeur a ses coordonnées et il ne comprend pas pourquoi de telles demandes lui sont transmises. La lettre n’inclut ni le numéro de téléphone ni l’adresse électronique du demandeur. Le demandeur indique également être étonné du fait que le surintendant Pittman lui demande s’il veut être représenté par la DRM. Selon le demandeur, il aurait tenté de communiquer avec la caporale Denis à de nombreuses reprises au bureau et sur son cellulaire, et il aurait laissé plusieurs messages à son attention, incluant ses coordonnées, mais il n’aurait jamais reçu de retour d’appel.

[6]               Le 12 juin 2013, le surintendant Pittman a pris la décision de refuser d’autoriser la continuation de la représentation du demandeur et a envoyé un avis à cet effet au demandeur. Selon cet avis, les motifs de refus sont principalement le refus de collaborer du demandeur et le manque de confiance nécessaire à établir une relation client-avocat. Cet avis note que la DRM a tenté à de nombreuses reprises de communiquer avec le demandeur et avec Me Patry, incluant les lettres précédemment mentionnées ainsi que des messages téléphoniques laissés par la caporale Denis à Me Patry. De plus, le surintendant Pittman note qu’après vérification, aucun message ni appel téléphonique n’aurait été reçu du demandeur. Comme la caporale Denis ne lui avait jamais donné son numéro de cellulaire, le demandeur ne pouvait pas l’avoir contacté à ce numéro, contrairement à ses allégations dans la lettre du 30 avril 2013. Le surintendant Pittman note également que le demandeur n’a jamais fourni ni son numéro de téléphone ni son adresse courriel, malgré les nouvelles demandes. Le surintendant Pittman conclut que le refus est fondé sur l’alinéa 3b) des Consignes, qui prévoit que la représentation ne sera pas autorisée lorsqu’elle pourrait nuire à l’efficacité et à la bonne administration de la GRC.

[7]               Le demandeur a soumis la décision du 12 juin 2013 pour révision par un officier désigné. Le 17 avril 2014, l’officier désigné confirmait la décision du 12 juin 2013. Pour ce faire, l’officier désigné s’est uniquement fondé sur les événements qui sont survenus après la décision du surintendant Delorme du 2 novembre 2012. L’officier désigné a conclu qu’il était clair que la DRM avait déployé des efforts considérables pour entrer en communication avec le demandeur et Me Patry, et que ces derniers n’avaient fourni aucune raison valable de ne pas avoir fait suite à ces communications.  L’officier désigné a également noté que les relevés téléphoniques produits par le demandeur ne confirmaient pas sa prétention qu’il aurait laissé des messages vocaux à la DRM et que sa prétention selon laquelle il aurait tenté de communiquer avec la caporale Denis sur son cellulaire n’était pas supportée par la preuve. L’officier désigné indique également avoir peine à comprendre pourquoi le demandeur n’aurait pas fait de suivi par lettre ou par courriel si ses appels restaient sans réponse. Selon l’officier désigné, rien dans le dossier ne laisse croire que la DRM était véritablement en possession des coordonnées du demandeur. Conséquemment, l’officier désigné a noté que le temps et les efforts déployés par la DRM depuis novembre 2012 étaient suffisants pour conclure que sa représentation causerait des délais additionnels à d’autres membres de la GRC, ce qui nuirait à l’efficacité et à la bonne administration de la GRC. L’officier désigné a confirmé la décision de la DRM en vertu de l’alinéa 3b) des Consignes.

[8]               Tous les moyens qu’invoque aujourd’hui le demandeur ont trait au mérite de la décision de l’officier désigné. La norme de contrôle applicable en pareil cas est celle de la décision raisonnable : Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9 [Dunsmuir]; Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12; Vaillancourt c Canada (Procureur général), 2012 CF 70 aux paras 27-33. La présente demande de contrôle judiciaire doit échouer.

[9]               Dans son mémoire, le demandeur allègue que l’officier désigné a erré en prenant en considération uniquement les faits survenus après la décision du surintendant Delorme du 2 novembre 2012. Selon le défendeur, cet argument est surprenant puisque le demandeur faisait l’argument contraire devant l’officier désigné, à savoir que la décision de la DRM devait uniquement être basée sur des faits postérieurs à la décision du 2 novembre 2012. Lors de l’audience devant cette Cour, la procureure du demandeur s’est toutefois dite d’accord que l’officier désigné n’ait pas à considérer les événements antérieurs au 2 novembre 2012, et il n’est donc pas nécessaire aujourd’hui de se prononcer sur cet argument.

[10]           Le demandeur allègue également que l’officier désigné a erré dans son appréciation des éléments de preuve soumis par les parties en concluant que le demandeur n’avait aucunement agi dans un esprit de collaboration. De plus, le demandeur attaque la conclusion de l’officier désigné et allègue que ce n’est pas la représentation du demandeur qui risque de nuire à l’efficacité et à la bonne administration de la GRC, mais plutôt l’acharnement de la DRM à ne pas vouloir fournir une telle représentation. Selon le demandeur, il était impossible de rendre une décision refusant la représentation au demandeur sur la seule base des événements postérieurs au 2 novembre 2012. En effets, les relevés téléphoniques du demandeur démontrent qu’il a tenté de communiquer à de nombreuses reprises avec la caporale Denis et que celle-ci n’a jamais effectué de retour d’appel. De plus, la GRC est l’employeur du demandeur et possède déjà son numéro de téléphone et son adresse courriel, de sorte que la DRM aurait pu facilement obtenir ces renseignements. Également, la DRM savait très bien que la procureure du demandeur dans les dossiers de la Cour fédérale ne le représentait pas dans le cadre de ses avis disciplinaires, parce que sinon, le demandeur n’aurait pas eu besoin de la représentation de la DRM.

[11]           Selon le défendeur, le demandeur n’indique aucunement quels éléments de preuve l’officier désigné aurait mal appréciés ou omis de considérer, et n’a conséquemment pas démontré en quoi l’officier désigné aurait erré dans son appréciation de la preuve. Le défendeur allègue que la décision s’appuie sur la preuve, incluant toutes les lettres envoyées à la procureure du demandeur, et aussi bien les relevés téléphoniques du demandeur que la déclaration de la caporale Denis selon laquelle elle n’a jamais eu de message téléphonique du demandeur. D’ailleurs, l’officier désigné a noté la contradiction entre l’allégation du demandeur qu’il avait appelé plusieurs fois la caporale Denis sur son cellulaire, et l’affirmation de cette dernière qui indiquait ne jamais lui avoir donné son numéro de cellulaire et le fait que ce numéro de téléphone ne figurait pas sur les relevés téléphoniques, une contradiction qui met en jeu la crédibilité du demandeur.

[12]           Je souscris entièrement aux arguments de rejet qui sont formulés par le défendeur. Lorsque la Cour examine la légalité d’une décision sur la base de la norme de la décision raisonnable, son rôle n’est pas de faire sa propre évaluation de la preuve ou de substituer sa décision à celle du décideur. Au contraire, la Cour doit simplement déterminer si la décision et sa justification possèdent un caractère raisonnable qui tient « principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir, précité au para 47). Il est manifeste que l’officier désigné a considéré l’ensemble de la preuve, incluant celle soumise par le demandeur tels les relevés téléphoniques, mais également celle soumise par la DRM, incluant les lettres envoyées au demandeur ou à sa procureure, ainsi que la réponse de la caporale Denis aux allégations du demandeur expliquant qu’elle n’avait pas donné son numéro de cellulaire au demandeur et qu’elle n’avait eu aucun message téléphonique de sa part au bureau. À part des allégations générales, le demandeur n’a aucunement démontré comment l’officier désigné aurait erré dans son appréciation de la preuve. Considérant l’ensemble de la preuve disponible au dossier, la conclusion de l’officier désigné appartient aux issues possibles. La décision contestée m’apparaît donc raisonnable.

[13]           La demande de contrôle judiciaire sera rejetée. Vu le résultat, le défendeur aura droit aux dépens.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire du demandeur est rejetée avec dépens.

« Luc Martineau »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-1235-14

 

INTITULÉ :

FRANK VAILLANCOURT c LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 11 mai 2015

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE MARTINEAU

 

DATE DES MOTIFS :

LE 21 mai 2015

 

COMPARUTIONS :

Me Jasmine Patry

 

Pour le demandeur

 

Me Marie-Josée Bertrand

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Me Jasmine Patry

Avocate

Montréal (Québec)

 

Pour le demandeur

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

 

Pour le défendeur

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.