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Date : 20150818


Dossier : T-1339-13

Référence : 2015 CF 981

[TRADUCTION FRANÇAISE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 18 août 2015

En présence de madame la juge Strickland

ENTRE :

NUNATUKAVUT COMMUNITY COUNCIL INC. ET TODD RUSSELL, EN LEUR PROPRE NOM ET EN CELUI DES MEMBRES DU NUNATUKAVUT COMMUNITY
COUNCIL INC.

demandeurs

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA ET NALCOR ENERGY

défendeurs

JUGEMENT ET MOTIFS

Le contexte. 3

Le cadre de consultation. 6

La phase 1 –       La participation et consultation initiales sur le projet d’Entente relative à la CEC, la nomination des membres de la CEC et les Lignes directrices sur l’EIE.. 7

La phase 2 – Le processus de la CEC menant aux audiences. 11

La phase 3 – Les audiences et la préparation du rapport de la CEC.. 13

La phase 4 – La consultation sur le rapport de la CEC.. 16

La phase 5 – La délivrance des permis réglementaires. 19

Les questions en litige. 31

La question no 1 : Quelle est la norme de contrôle applicable?. 31

La position du NCC.. 31

La position du Canada. 32

La position de Nalcor 33

L’analyse. 34

La question no 2 : Quelle est la teneur de l’obligation de consultation et d’accommodement?. 43

La position du NCC.. 43

La position du Canada. 44

La position de Nalcor 45

L’analyse. 47

a)        L’UNDRIP. 47

b)        La teneur de l’obligation de consultation. 49

La question no 3 : Le Canada s’est-il acquitté de son obligation de consultation et d’accommodement?  59

La position du NCC.. 59

La position du Canada. 61

La position de Nalcor 64

L’analyse. 65

a)        L’aide financière – Les connaissances traditionnelles autochtones et l’utilisation des terres et des ressources. 70

b)        L’aide financière – Phase 5. 81

c)        L’aide financière – La phase 5, l’expectative légitime. 93

d)        L’aide financière – La phase 5, l’examen du PCPHP et du PSEE.. 95

e)        Le manque de consultations véritables et la mauvaise foi 103

La question no 4 : La décision de délivrer l’autorisation est-elle raisonnable?. 110

La position du NCC.. 110

La position du Canada. 112

La position de Nalcor 113

L’analyse. 114

a)        Les recommandations 6.7 et 4.5. 114

b)        Le défrichement des réservoirs – la recommandation 4.5. 129

c)        L’efficacité du PCPHP. 135

d)        Questions diverses. 144

(i)        La mise en eau. 144

(ii)       Le traitement des Innus. 145

La conclusion. 145

[1]               La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire déposée en vertu des articles 18 et 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, LRC, 1985, c F‑7, et par laquelle les demandeurs contestent la décision du ministre (le ministre) du ministère des Pêches et des Océans (le MPO) de délivrer à Nalcor Energy (Nalcor) l’autorisation no 13‑01‑005 (l’autorisation). L’autorisation a été délivrée le 9 juillet 2013 et, aux termes des alinéas 32(2)c) et 35(2)b) de la Loi sur les pêches, LRC 1985, c F‑14 (la Loi sur les pêches), elle permet de perturber le poisson et son habitat par suite de la construction de la centrale hydroélectrique de Muskrat Falls proposée par Nalcor dans la partie inférieure du fleuve Churchill, dans le cadre du Projet de centrales hydroélectriques dans la partie inférieure du fleuve Churchill, au Labrador.

[2]               Les demandeurs prétendent qu’ils n’ont pas été convenablement consultés ou que l’on n’a pas tenu suffisamment compte de leurs besoins, que le ministre a manqué à son obligation d’équité procédurale et que sa décision de délivrer l’autorisation était erronée ou déraisonnable et constituait une utilisation irrégulière ou un abus de son pouvoir discrétionnaire.

Le contexte

[3]               Le NunatuKavut Community Council Inc. (le NCC) se décrit comme l’organisation autonome qui représente les intérêts des descendants des Inuits (parfois appelés les Inuits-Métis) du centre et du sud du Labrador. Le NCC a été constitué en 2010 et, pendant toute la période en cause, M. Todd Russell (M. Russell) en a été le président. Dans la présente décision, les demandeurs sont appelés, collectivement, le NCC.

[4]               En 1991, l’organisme qui a précédé le NCC, la Labrador Metis Association (plus tard appelée la Nation des Métis du Labrador), a déposé auprès du gouvernement du Canada (le Canada) un document de revendication territoriale. Elle a déposé un travail de recherche additionnel en 1996 et l’a fait de nouveau en 2010, sous la forme d’un document intitulé Unveiling NunatuKavut, Describing the Lands and People of South/Central Labrador, document in Pursuit of Reclaiming a Homeland, NunatuKavut, 2010 (le rapport Unveiling NunatuKavut). Bien que le NCC ait soumis une revendication territoriale visant la région qui, selon lui, chevauche la zone du Projet, ni le Canada ni le gouvernement de la province de Terre‑Neuve‑et‑Labrador (la Province) n’ont actuellement accepté de la négocier.

[5]               Nalcor a été constituée en société sous le régime de l’Energy Corporation Act, SNL 2007, c E‑11.01, en remplacement de Newfoundland and Labrador Hydro, et elle a été créée pour établir et mettre en œuvre des activités relatives aux ressources énergétiques de la Province, qui est son unique actionnaire.

[6]               Nalcor a proposé de créer deux centrales hydroélectriques dans la partie inférieure du fleuve Churchill, dans le centre du Labrador, qui offrirait une capacité combinée de 3 047 mégawatts (MW). Le Projet se composerait de barrages situés à Muskrat Falls (824 MW) et à l’île Gull (2 250 MW), et il comprendrait des réservoirs, des lignes de transmission, des routes d’accès, des ponts temporaires, des camps de construction, des bancs d’emprunt, des carrières, des installations de dérivation ainsi que des aires d’immersion, comme il a été décrit dans le Rapport de la Commission d’examen conjoint – Projet de centrale hydroélectrique dans la partie inférieure du fleuve Churchill, daté d’août 2011 (le rapport de la CEC).

[7]               Compte tenu de la nature de la revendication du NCC, il est nécessaire d’exposer de manière assez détaillée le contexte factuel dans lequel s’inscrit la présente affaire.

[8]               Le 30 novembre 2006, Nalcor a fait enregistrer le Projet auprès du ministère de l’Environnement et de la Conservation de Terre-Neuve-et-Labrador (le MEC TNL) et l’Agence canadienne d’évaluation environnementale (l’Agence) en vue d’entreprendre les processus provinciaux et fédéraux d’évaluation environnementale que prévoient la Newfoundland and Labrador Environmental Protection Act, SNL 2002, c E‑14.2 (la NLEPA) et la Loi canadienne sur l'évaluation environnementale, LC 1992, c 37 (LCEE).

[9]               En janvier 2007, le MEC TNL a informé Nalcor que, conformément à la NLEPA, il était nécessaire de réaliser pour le Projet une étude d’impact environnemental (EIE). En février 2007, le ministre a avisé le ministre de l’Environnement que le MPO avait conclu qu’il était nécessaire d’effectuer une évaluation environnementale (EE), car, pour pouvoir donner suite au Projet, il allait falloir obtenir l’approbation de Transports Canada (TC), conformément au paragraphe 5(1) de la Loi sur la protection des eaux navigables, LRC 1985, c N‑22 (la LPEN) parce qu’il comportait la construction d’un barrage, ainsi qu’une autorisation du MPO, conformément au paragraphe 35(2) de la Loi sur les pêches, parce qu’il entraînerait vraisemblablement la détérioration, la destruction ou la perturbation de l’habitat du poisson, déclenchant ainsi l’application de l’alinéa 5(1)d) de la LCEE. La ministre a demandé que le Projet soit renvoyé à une commission d’examen, conformément à l’article 25 de la LCEE.

[10]           TC et le MPO se sont tous deux qualifiés d’« autorité responsable » (AR), un terme défini dans la LCEE, c’est-à-dire une autorité fédérale tenue de veiller à ce qu’il soit procédé à l’évaluation environnementale d’un projet (paragraphe 2(1) et article 11 de la LCEE).

Le cadre de consultation

[11]           Dans ses observations écrites, le Canada divise le processus de consultation en cinq étapes, qui s’inspirent du Cadre de consultation auprès des Autochtones – Projet de centrale de production d’énergie hydroélectrique dans le cours inférieur du fleuve Churchill, daté du 13 août 2010 (le Cadre de consultation).

[12]           Le Cadre de consultation comporte de plus amples détails sur la façon dont le gouvernement fédéral allait se fier, dans la mesure du possible, au processus de la Commission d’examen conjoint (la CEC ou la Commission) pour l’aider à s’acquitter de son obligation légale de consulter les groupes autochtones au sujet du Projet proposé. Le processus de la CEC a été considéré comme le principal mécanisme qui permettrait aux groupes autochtones de se renseigner sur le Projet et de faire part de leurs opinions, notamment au sujet de leurs connaissances traditionnelles, des effets environnementaux du Projet, des effets sur l’utilisation qu’ils font des terres, de la nature et de la portée de leurs droits issus de traités revendiqués ou établis, des répercussions que le Projet aurait sur eux, de même que des mesures d’atténuation appropriées. Le processus indiquait qu’il incombait à l’Agence de coordonner la consultation fédérale des Autochtones au cours de l’EE. Cela étant, l’Agence veillerait à ce que les activités décrites dans le Cadre de consultation soient menées à bien et que les groupes autochtones soient bien informés de la situation. Le processus de consultation a été réparti en cinq phases, lesquelles sont adoptées ci-après par souci de commodité :

         Phase 1 – Participation et consultation initiales sur le projet d’Entente relative à la Commission d’examen conjoint (l’Entente relative à la CEC), la nomination des membres de la CEC et les Lignes directrices sur l’EIE

         Phase 2 – Processus de la CEC menant aux audiences

         Phase 3 – Audiences et préparation du rapport de la CEC

         Phase 4 – Consultation sur le rapport de la CEC

         Phase 5 – Délivrance des permis réglementaires

La phase 1 –   La participation et consultation initiales sur le projet d’Entente relative à la CEC, la nomination des membres de la CEC et les Lignes directrices sur l’EIE

[13]           Le 19 octobre 2006, des représentants du MPO ont rencontré des représentants du NCC ainsi que d’autres groupes autochtones à Goose Bay en vue de discuter du rôle du MPO à l’égard de l’EE du Projet et déterminer leurs positions et leurs perspectives initiales. Le NCC, notamment, a déclaré qu’il attendait avec intérêt une consultation officielle et il a fait état de sa revendication territoriale. Le 8 août 2007, le MPO et TC ont écrit au NCC pour indiquer que le Projet nécessiterait la tenue d’une EE conformément à la LCEE et que ces deux ministères prendraient les dispositions voulues pour consulter les groupes autochtones sur les répercussions que pourrait avoir sur eux l’octroi d’autorisations et d’approbations permettant la détérioration, la destruction ou la perturbation de l’habitat du poisson.

[14]           En octobre 2007, l’Agence et le MEC TNL ont publié conjointement une ébauche de Lignes directrices sur l’étude d’impact environnemental (les Lignes directrices sur l’EIE) qu’ils ont transmise pour commentaires aux groupes autochtones, dont le NCC. L’ébauche de Lignes directrices sur l’EIE a été mise à la disposition du public pour examen le 19 décembre 2007. Plus de cinquante parties intéressées ont répondu, dont le NCC, qui a fait part de ses commentaires le 27 février 2008.

[15]           Dans son document intitulé Comments on the Lower Churchill EIS Guidelines [Commentaires concernant les Lignes directrices sur l’EIE – Partie inférieure du fleuve Churchill], le NCC a traité de diverses questions, dont la préparation du réservoir (enlèvement des souches d’arbre en vue de réduire l’accumulation de méthylmercure), les effets cumulatifs, les effets en aval sur l’ensemble de l’environnement en aval, le choix du moment et le caractère suffisant des programmes de compensation de la perte de l’habitat du poisson, ainsi que les titres ou les droits ancestraux. Il a traité également de la collecte et du financement de ces informations, du processus de consultation ou d’accommodement, de l’utilisation des connaissances traditionnelles autochtones (aussi appelées « savoir traditionnel autochtone ») ainsi que d’un accord environnemental exhaustif. Le NCC a fait état du peu de temps et des fonds restreints dont il avait disposé pour préparer ses commentaires.

[16]           Le Canada et la Province ont publié la version définitive des Lignes directrices sur l’EIE en juillet 2008. L’objet de ces dernières a été décrit comme un processus permettant de déterminer les interactions potentielles du Projet avec l’environnement, de prévoir les effets environnementaux, de relever les mesures d’atténuation et d’évaluer l’importance des répercussions environnementales résiduelles. Le document indiquait également que s’il était donné suite au Projet, le processus d’EE servirait de fondement à l’établissement des exigences en matière de surveillance et de production de rapports en vue de vérifier la conformité aux conditions d’approbation ainsi que l’exactitude et l’efficacité des prévisions et des mesures d’atténuation (Lignes directrices sur l’EIE, section 2.1).

[17]           De plus, la participation des Autochtones et du public, le savoir traditionnel autochtone et les connaissances locales, le principe de précaution (Lignes directrices sur l’EIE, sections 2.2, 2.3 et 2.5) ainsi que d’autres questions ont été relevés comme des principes de base d’une EE. Pour ce qui était de la consultation des groupes autochtones, les Lignes directrices sur l’EIE indiquaient :

4.8       Consultation des groupes autochtones et des collectivités

L’EIE doit montrer que le promoteur comprend les intérêts, les valeurs, les préoccupations, les activités contemporaines et historiques, le savoir traditionnel autochtone et les questions importantes pour les groupes autochtones, et indiquer comment ces facteurs seront pris en compte dans la planification et l’exécution du projet. Les groupes autochtones et les collectivités à prendre en compte incluent, à Terre-Neuve-et-Labrador, la nation Innu, la nation des Métis du Labrador et le gouvernement Nunatsiavut et, au Québec, les communautés Innu de Uashat Mak Mani-Utenam, Ekuanitshit, Nutaskuan, Unamen Shipu, Pakua Shipi et Matimekush-Lake John.

[18]           Le 7 mai 2008, la Province, avec l’accord de l’Agence, a fourni au NCC l’ébauche d’Entente relative à la CEC et le mandat connexe avant de rendre ces deux documents disponibles au public pour commentaires. Le NCC a été invité à faire part de ses commentaires et on lui a indiqué que ces derniers feraient l’objet d’un examen complet et équitable et qu’une réponse écrite serait transmise avant la signature de l’Entente relative à la CEC et du mandat. Le NCC pouvait aussi demander la tenue d’une réunion pour tenter de régler tout problème connexe. Le NCC n’a pas fait de commentaires sur l’ébauche d’Entente relative à la CEC et sur le mandat.

[19]           L’Entente relative à la CEC et le mandat ont été parachevés et publiés en janvier 2009. L’Entente relative à la CEC a plus tard été modifiée en vue de prolonger la période de consultation des groupes autochtones et de fournir la traduction en langues autochtones de certains documents de la CEC.

[20]           L’Entente relative à la CEC et le mandat exigeaient que la Commission exécute l’EE d’une manière conforme aux exigences de la LCEE et de la NLEPA. Toutes les audiences de la CEC devaient être publiques et prévoir la participation des groupes autochtones, du public, des gouvernements, de Nalcor et d’autres parties concernées. Après l’exécution de l’EE, la CEC devait rédiger un rapport qui traiterait des facteurs à prendre en considération en vertu de l’article 16 de la LCEE et de l’article 675 de la NLEPA, qui établirait ses justifications, ses conclusions et ses recommandations concernant l’EE du Projet, y compris toutes les mesures d’atténuation et tous les programmes de suivi, et qui comprendrait un résumé des questions soulevées par les groupes autochtones, le public, les gouvernements et les autres parties concernées (Entente relative à la CEC, sections 4.2, 4.3 et 6.3).

[21]           Le mandat traitait expressément des droits des Autochtones :

Considérations relatives aux droits des Autochtones

La Commission pourra recevoir de la part des Autochtones, des groupes ou des gouvernements autochtones des renseignements liés aux droits ancestraux et aux titres autochtones, revendiqués ou établis, dans le secteur visé par le Projet ainsi que des renseignements sur la manière dont ces droits ancestraux et titres autochtones revendiqués ou établis pourraient être touchés par les effets environnementaux possibles du Projet.

La Commission doit inclure dans son rapport :

1.      les renseignements fournis par les Autochtones ou les groupes autochtones en rapport avec les usages ancestraux et le caractère fondé des revendications en rapport avec les effets environnementaux que pourrait avoir le Projet sur des droits ancestraux et des titres revendiqués ou reconnus;

2.      toute préoccupation soulevée par les Autochtones, les groupes ou les gouvernements autochtones ayant un lien avec les répercussions possibles sur les droits ancestraux et les titres autochtones revendiqués ou établis.

Le mandat de la Commission ne lui permet pas de se prononcer sur ou d’interpréter les éléments suivants :

•        la validité ou le caractère fondé de n’importe quelle revendication des droits ancestraux et des titres autochtones ou des droits conférés par traité présentée par des groupes autochtones individuels;

•        la portée ou la nature du devoir de l’État de consulter les Autochtones, les groupes ou les gouvernements autochtones;

•        la mesure dans laquelle le Canada ou Terre‑Neuve‑et‑Labrador ont rempli leurs devoirs respectifs de consulter et d’accommoder par rapport aux droits reconnus et affirmés par l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982;

•        la portée, la nature ou la signification de l’Accord sur les revendications territoriales des Inuit du Labrador.

La phase 2 – Le processus de la CEC menant aux audiences

[22]           Le 17 février 2009, Nalcor a transmis son EIE à la CEC. L’EIE s’étendait sur plus de 10 000 pages, et s’appuyait sur plus d’une soixantaine d’études sur les composantes. Le 9 mars 2009, la CEC a lancé un processus de consultation publique sur l’EIE, d’une durée de 75 jours.

[23]           En avril 2009, la Direction des sciences du MPO a examiné les sections de l’EIE et des études sur les composantes qui se rapportaient au milieu aquatique dans le but de fournir des conseils sur la fiabilité scientifique de l’EIE, y compris une opinion sur l’exactitude des prévisions de Nalcor quant aux effets environnementaux. Le NCC a été invité à participer à cet examen, mené au moyen d’un processus consultatif régional, mais il n’y a pas pris part. En juin 2009, le rapport du Secrétariat canadien de consultation scientifique (intitulé Évaluation scientifique de l’étude d’impact environnemental du projet de centrale de production hydroélectrique dans la partie inférieure du fleuve Churchill afin de relever les lacunes concernant la protection du poisson et de son habitat) a relevé plusieurs lacunes dans l’EIE, dont les suivantes : l’exclusion de l’environnement récepteur situé en aval de Muskrat Falls, y compris le lac Melville, de la zone d’étude, un manque de détails dans les programmes de surveillance, et la nécessité de faire des efforts supplémentaires pour documenter les connaissances locales concernant l’habitat du poisson, particulièrement dans le secteur situé en aval de Muskrat Falls.

[24]           La CEC a invité le public, les groupes autochtones et les gouvernements à étudier l’EIE reçue de Nalcor et à faire des commentaires sur le caractère approprié des renseignements supplémentaires, par rapport aux Lignes directrices sur l’EIE, ainsi que sur le fondement technique des renseignements présentés. S’inspirant des commentaires reçus ainsi que de ses propres questions, entre le 1er mai 2009 et le 7 janvier2011 la CEC a transmis à Nalcor cent soixante-six demandes d’information (DI) sur l’EIE. Ces demandes ont obligé Nalcor à fournir des renseignements ou des analyses supplémentaires sur les questions soulevées. En réponse, elle a produit environ 5 000 pages de documents additionnels sous forme de réponses aux demandes d’information (RDI).

[25]           Le 14 janvier 2011, la CEC a annoncé qu’elle avait en main suffisamment d’informations pour procéder à des audiences publiques.

La phase 3 – Les audiences et la préparation du rapport de la CEC

[26]           Les audiences ont débuté le 3 mars 2011. Entre cette date et le 15 avril 2011, la CEC a tenu trente jours d’audiences dans neuf endroits situés à Terre-Neuve-et-Labrador et au Québec. Le MPO a pris part aux diverses séances de ces audiences.

[27]           Le 4 mars 2011, le NCC a informé la CEC qu’il allait présenter une demande d’injonction pour faire obstacle à la tenue des audiences publiques, disant croire qu’il y avait des questions restées sans réponse qu’il fallait régler avant que les audiences puissent se poursuivre.

[28]           Par une lettre datée du 10 mars 2011, la CEC s’est dite déçue que le NCC n’allait pas prendre part aux audiences, mais elle a déclaré que si une injonction n’était pas accordée il y aurait du temps et une possibilité, dans la partie restante des audiences, pour entendre ce que le NCC avait à dire au sujet de sa revendication à des droits et des titres ancestraux et de l’effet que le Projet pourrait avoir sur eux. Cs renseignements pourraient compléter ceux que le NCC avait déjà fournis, y compris le rapport Unveiling NunatuKavut.

[29]           La demande d’injonction a été déposée devant la Cour suprême de Terre‑Neuve‑et‑Labrador. En traitant des prétentions du NCC selon lesquelles [traduction« malgré les fréquents contacts qu’il a eus avec les deux paliers de gouvernement, avec Nalcor, avec l’Agence et avec la CEC, jamais n’a-t-il été sérieusement consulté ou n’a-t-on pris en compte ses besoins au sujet du Projet de la partie inférieure du fleuve Churchill », la Cour a déclaré qu’elle n’admettait pas [traduction« que Nunatukavut n’avait pas été consulté de manière appropriée » (NunatuKavut Community Council Inc. c Newfoundland and Labrador Hydro-Electric Corporation (Nalcor Energy), 2011 NLTD(G) 44, aux paragraphes 21 et 41 [NCC I]). La Cour a conclu par ailleurs que la poursuite des audiences ne causerait pas au NCC un préjudice irréparable et que ce dernier s’exposait à un préjudice s’il ne participait pas aux phases restantes du processus d’EE (NCC I, aux paragraphes 50, 52 et 53). La demande d’injonction a été rejetée le 24 mars 2011.

[30]           En octobre 2012, le NCC a tenu une manifestation qui a bloqué l’accès à un chantier préliminaire du Projet. Le NCC affirmait que Nalcor et la Province ne s’étaient pas acquittées de leurs obligations de le consulter à propos du Projet. Une demande d’injonction provisoire déposée par Nalcor a été accueillie, suivie en novembre 2012 d’une injonction permanente (Nalcor Energy c Nuntukavut Community Council Inc., 2012 NLTD(G) 175). Cependant, cette dernière a par la suite été annulée en appel (NunatuKavut Community Council Inc. c Nalcor Energy, 2014 NLCA 46).

[31]           Le 5 avril 2011, le NCC a fait un exposé devant la CEC. Celui-ci a porté sur les consultations avec Nalcor, sur un manque d’aide financière pour réunir et présenter les connaissances traditionnelles autochtones, sur les lacunes en matière de données concernant l’utilisation des terres ainsi que sur les problèmes que posait la DI no CEC‑151 (Aboriginal Consultation and Traditional Land and Resource Use, sur les préoccupations que suscitait l’état des travaux de Nalcor sur les effets en aval, sur les effets cumulatifs ainsi que sur la contamination par le méthylmercure. Deux présentations PowerPoint ont été faites, dont une faisant référence au rapport Unveiling NunatuKavut. Le 13 avril 2011, le NCC a présenté un document intitulé A brief paper to the Joint Review Panel on the Lower Churchill Hydroelectric Generation Project, qui traitait également de ses préoccupations.

[32]           Le rapport de la CEC a été publié le 25 août 2011. Il s’agit d’un document exhaustif, d’une longueur de 392 pages (annexes comprises), qui décrit le processus ayant mené à sa publication et qui présente, pour chaque document qui y est analysé, les opinions de Nalcor, les opinions des participants, de même que les conclusions et les recommandations de la CEC sur le sujet en question. La CEC a formulé en tout 83 recommandations, advenant que le Projet soit approuvé. Pour ce qui est de la présente affaire, il convient de signaler plus particulièrement le chapitre 6, intitulé « Environnement aquatique », dans lequel la CEC a relevé les principaux problèmes qui sont ressortis du processus d’examen, dont : les effets de la préparation des réservoirs, le devenir du méthylmercure dans les réservoirs, les effets en aval de Muskrat Falls ainsi que la probabilité que des effets du Projet, dont la bioaccumulation du mercure, se fassent ressentir à Goose Bay ou au lac Melville, de même que les mesures de surveillance et de suivi.

[33]           Dans les derniers commentaires formulés au chapitre 17, et comme on peut le constater dans le résumé, la CEC a déclaré qu’elle avait conclu que le Projet aurait vraisemblablement des effets négatifs importants sur l’habitat du poisson et son assemblage dans les réservoirs, sur les habitats terrestres, riverains et humides, sur la harde de caribous des monts Red Wine, sur la pêche et la chasse au phoque dans le lac Melville, sur la nécessité de diffuser des avis concernant la consommation, ainsi que sur la culture et sur le patrimoine. Elle a aussi relevé une série d’avantages potentiels, dont des avantages économiques, sociaux et culturels pour les générations à venir, et elle a fait état des renseignements additionnels qu’il était absolument nécessaire d’obtenir avant que le Projet puisse aller de l’avant, et ce, dans les secteurs suivants : le rendement financier à long terme, les solutions de rechange sur le plan énergétique en vue de répondre aux besoins de l’île, ainsi que l’atténuation des incertitudes entourant les effets en aval. La CEC a fait remarquer qu’elle n’avait pas pris de décision définitive au sujet de la poursuite, ou non, du Projet, mais que les décideurs gouvernementaux allaient devoir soupeser la totalité des effets, des risques et des incertitudes pour décider si le Projet était justifié dans les circonstances et devrait être mené à bien, compte tenu des effets environnementaux négatifs importants qu’elle avait relevés.

La phase 4 – La consultation sur le rapport de la CEC

[34]           La phase 4 avait trait aux consultations relatives au rapport de la CEC.

[35]           Le 16 septembre 2011, des représentants de l’Agence ont rencontré des représentants du NCC pour parler du rapport de la CEC et de la consultation des Autochtones. Le 9 novembre 2011, le NCC a fait part de ses commentaires sur le rapport de la CEC. Il a indiqué, notamment, que la CEC avait fait preuve de discrimination envers les collectivités qu’il représentait et, par ailleurs, qu’elle n’avait pas exercé son mandat, car elle avait omis d’insister pour que Nalcor ou le ou les gouvernements en cause octroient une aide financière afin que l’on puisse mener des études en vue d’obtenir de lui des renseignements appropriés et que l’on effectue des travaux appropriés au sujet du savoir traditionnel autochtone. De plus, il était nécessaire de procéder à de plus amples consultations en vue d’examiner la question des travaux relatifs aux terres et aux ressources situées dans l’empreinte du Projet, Nalcor n’avait pas fait preuve de franchise à l’égard du NCC pendant tout le processus, et la CEC n’avait pas traité des effets cumulatifs du Projet.

[36]           Le 24 janvier 2012, l’Agence a publié un rapport interne intitulé Lower Churchill Hydro Electric Generation Project : Report on Aboriginal Consultation Associated with the Environmental Assessment (le Rapport sur la consultation des Autochtones), qui dit décrire de quelle façon le gouvernement fédéral a consulté les groupes autochtones dans le contexte de l’EE et, en particulier, de quelle façon il s’était fondé sur le processus de la CEC, dans la mesure du possible, pour aider à s’acquitter de son obligation légale de consultation. Le rapport dit décrire aussi les positions des groupes autochtones quant à la façon dont les effets environnementaux négatifs éventuels du projet proposé peuvent se répercuter sur leurs droits ancestraux ou issus de traités revendiqués ou établis, et ce, à partir d’exposés faits par les groupes autochtones à la CEC ainsi que de commentaires que les groupes ont faits directement à des représentants de ministères fédéraux.

[37]           Par un décret daté du 12 mars 2012, le gouverneur en conseil, à la suite de la recommandation du ministre, aux termes de l’alinéa 37(1.1)a) de la LCEE, a approuvé la réponse du Canada au rapport de la CEC.

[38]           Le document intitulé Réponse du gouvernement du Canada au rapport de la Commission d’examen conjoint pour le projet de centrale hydroélectrique de Nalcor dans la partie inférieure du fleuve Churchill à Terre-Neuve-et-Labrador (la réponse du Canada) décrit le Projet, les approbations réglementaires et la participation du gouvernement fédéral, le processus d’EE, le rapport de la CEC ainsi que les conclusions du Canada. Ce document indique que le MPO et TC, de même que les AR aux termes de la LCEE, ainsi que d’autres parties concernées, telles que Ressources naturelles Canada (RNC), ont examiné le rapport de la CEC, un rapport indépendant ultérieur produit à la demande de Nalcor, une analyse économique du Projet effectuée par le Canada, ainsi que les remarques formulées par les groupes autochtones et d’autres intervenants pendant et après le processus de la CEC.

[39]           Le Canada a indiqué que, pour examiner s’il était possible que les effets environnementaux négatifs importants du Projet soient justifiés dans les circonstances, il avait tenu compte des effets négatifs éventuels du Projet et des engagements que le gouvernement fédéral avait pris à l’égard des recommandations formulées dans le rapport de la CEC, ainsi que des engagements pris par Nalcor dans son EIE et lors des audiences publiques de la Commission. Le Canada exigerait certaines mesures d’atténuation, la surveillance des répercussions environnementales et la gestion adaptative dont Nalcor devait faire preuve, de même que des études additionnelles sur les effets en aval. Cela serait fait par l’inclusion d’exigences dans les autorisations et les approbations fédérales. Le Canada a indiqué que, en s’assurant que l’on tenait ces engagements, on minimiserait les effets négatifs du Projet et on réduirait les risques associés à l’incertitude entourant la réussite des mesures d’atténuation.

[40]           En outre, les avantages sociaux, économiques et environnementaux éventuels pour la Province, les collectivités et les groupes autochtones, de même que les avantages débordant le cadre de la Province qui étaient associés au Projet ont également été pris en compte, tout comme une analyse économique du Projet effectuée par le Canada.

[41]           Le Canada a déterminé que les avantages importants qui étaient prévus aux niveaux énergétique, économique, socioéconomique et environnemental surpassaient les « effets environnementaux négatifs importants » du Projet qui avaient été relevés dans le rapport de la CEC :

Le gouvernement du Canada en vient à la conclusion que les effets environnementaux négatifs importants du projet de centrale hydroélectrique dans le bas Churchill sont justifiés par les avantages du projet de centrale hydroélectrique dans le bas Churchill.

(Réponse du Canada, page 7)

[42]           Le 16 mars 2012, conformément à l’accord donné par le gouverneur en conseil à la réponse du Canada, TC et le MPO ont rendu leur décision sur la voie à suivre en application des paragraphes 37(1) et 37(1.1) de la LCEE (la décision sur la voie à suivre). Cette dernière indiquait qu’il était nécessaire d’établir pour le Projet un programme de suivi permettant de vérifier l’exactitude de l’EE ou de déterminer l’efficacité des mesures d’atténuation prises, et que la durée estimative du programme de suivi était du 1er octobre 2012 au 1er octobre 2037.

La phase 5 – La délivrance des permis réglementaires

[43]           La phase 5 du processus de consultation a porté sur la délivrance des permis réglementaires menant à la délivrance de l’autorisation.

[44]           Par une lettre datée du 23 avril 2012, l’Agence a avisé le NCC que le processus de consultation entrait dans la phase 5, soit la délivrance des permis réglementaires, comme il était indiqué dans le Cadre de consultation. Elle transférait donc au MPO la responsabilité de la direction et de la coordination des consultations pour le gouvernement fédéral. Le MPO a envoyé une lettre semblable le 9 juillet 2012.

[45]           À peu près au même moment, le NCC, Grand Riverkeeper, Labrador Inc. et le Sierra Club du Canada ont sollicité le contrôle judiciaire du rapport de la CEC et de la réponse du Canada, ainsi que pour « interdire aux divers défendeurs représentant le gouvernement fédéral de délivrer des permis et des autorisations ou d’accorder de l’aide financière en rapport avec le Projet et d’annuler la réponse que le gouverneur en conseil a donnée au Rapport » (Grand Riverkeeper, Labrador Inc. c Canada (Procureur général), 2012 CF 1520, au paragraphe 1 [Grand Riverkeeper]). Le juge Near (qui, à cette époque, siégeait à la Cour fédérale) a conclu que la réponse du Canada n’avait pas été soumise régulièrement à la Cour, car elle avait été publiée après le dépôt de l’avis de demande. Dans ce contexte, le contrôle judiciaire a été limité au rapport de la CEC (Grand Riverkeeper, au paragraphe 17). En définitive, le juge Near a rejeté la demande de contrôle judiciaire le 20 décembre 2012, concluant que la CEC avait examiné de manière raisonnable la nécessité du Projet et ses solutions de rechange (Grand Riverkeeper, au paragraphe 54), qu’elle avait recommandé d’une manière raisonnable que la Province et une commission d’étude indépendante complètent les renseignements recueillis (Grand Riverkeeper, aux paragraphes 59 et 62), et qu’elle s’était penchée sur des questions concernant les effets cumulatifs du Projet (Grand Riverkeeper, aux paragraphes 59 et 64).

[46]           Par une lettre datée du 4 mai 2012, le NCC a indiqué au ministre qu’en raison du contrôle judiciaire en cours, toute participation de sa part à la phase 5 se déroulerait sous toute réserve. De plus, on ne lui avait pas fourni assez de renseignements sur les permis réglementaires qui seraient accordés et, de ce fait, il lui était impossible de savoir lequel de ses droits et titres ancestraux serait touché par le processus de délivrance de permis. Le NCC a déclaré aussi qu’il y avait un certain nombre de préoccupations en suspens qui n’avaient pas été réglées lors du processus d’EE et qu’on ne lui avait pas fourni de renseignements sur le processus que le MPO entendait suivre pour s’acquitter de son obligation constitutionnelle de consultation. Il a décrit ce que comportait, selon lui, cette obligation, qui incluait l’octroi d’une aide financière en vue de pouvoir participer au processus de consultation, pour mener des recherches sur les effets du Projet sur le plan culturel et environnemental ainsi que pour obtenir les conseils scientifiques, techniques et, au besoin, juridiques qui étaient nécessaires.

[47]           Le 9 mai 2012, à la requête du NCC, ses représentants ont rencontré des représentants du MPO en vue de discuter des permis réglementaires.

[48]           Le 12 mai 2012, le NCC a écrit au MPO pour décrire la réunion du 9 mai 2012. Il a déclaré que le MPO avait fait savoir que les permis seraient délivrés par la voie d’autorisations en vertu des articles 32 et 35 de la Loi sur les pêches, qu’une lettre d’avis avait été envoyée sur une partie du Projet et que le MPO ne pouvait pas l’aider financièrement pour les consultations liées à la phase 5. Il a déclaré qu’on l’avait informé plus tôt qu’un cadre de consultation était en voie d’établissement, qu’il n’avait pas les ressources voulues pour examiner les permis délivrés ou y répondre et que le MPO avait indiqué qu’il ne pouvait pas en fournir, qu’il voulait être consulté de manière véritable sur les mesures d’atténuation, de dédommagement et d’accommodement, que le processus de délivrance de permis avait débuté sans consultations, qu’il fallait fournir au NCC une copie de la lettre d’avis, qu’il fallait annuler, et que l’on devrait tenir en suspens toutes les autres autorisations jusqu’à la tenue d’un processus de consultation approprié. Il a officiellement demandé une copie de la lettre d’avis le 28 mai 2012.

[49]           Le 1er juin 2012, le MPO a fourni une copie de deux lettres d’avis transmises à Nalcor au sujet du passage à gué des cours d’eau et il a expliqué qu’il ne s’agissait pas de permis réglementaires. De plus, avant de délivrer une autorisation sous le régime de la Loi sur les pêches, le MPO consulterait les groupes autochtones, y compris le NCC, et un protocole de consultation des Autochtones, qui régirait ce processus, était en voie d’élaboration et serait transmis au NCC pour commentaires.

[50]           Par une lettre datée du 4 juin 2012, le NCC a déclaré que l’EE n’avait pris en compte les connaissances traditionnelles autochtones et que ses membres pouvaient détenir au sujet du site des connaissances très précises qui permettraient de prendre de meilleures décisions sur les ponceaux et les passages à gué dont il était question dans les lettres d’avis. De plus, le NCC avait demandé des ressources afin de pouvoir présenter ces connaissances, mais Nalcor les avait refusées.

[51]           Le MPO a répondu le 14 juin 2012, notant qu’une lettre d’avis n’était pas un instrument réglementaire, encourageant le NCC à faire part des renseignements qu’il pouvait détenir sur les passages à gué qu’il pouvait y avoir dans la zone en question et indiquant qu’il consulterait officiellement le NCC, ainsi que d’autres groupes autochtones, à propos des autorisations délivrées en vertu de la Loi sur les pêches pour le Projet.

[52]           Le 9 juillet 2012, le MPO a écrit au NCC pour dire que, conformément au Cadre de consultation, le gouvernement fédéral entrait dans la phase de délivrance de permis réglementaires (phase 5) et souhaitait poursuivre les consultations concernant les décisions, les approbations ou les mesures réglementaires précises qui étaient susceptibles d’avoir des effets négatifs sur les droits ou les titres ancestraux qu’il revendiquait. Le MPO a fait savoir que le gouvernement fédéral prévoyait délivrer trois types d’approbations : les autorisations du MPO visées par les paragraphes 35(2) et 32(2) de la Loi sur les pêches, ainsi que l’approbation de TC visée à l’article 5 de la LPEN. Le MPO a proposé de tenir des consultations lors de l’étape de la délivrance des permis réglementaires, conformément à un document joint à sa lettre, un projet intitulé Protocol for Regulatory Phase Aboriginal Consultation Lower Churchill Generation Project (le Protocole régissant la phase réglementaire) et il a demandé que l’on fournisse des commentaires sur ce processus dans les quatorze jours suivants.

[53]           Le NCC a répondu par courrier électronique le 8 août 2012. Il a demandé que l’on mette en place un protocole pour faire part des connaissances traditionnelles autochtones du NCC, que l’on mette davantage l’accent sur ces connaissances et que l’on définisse de manière claire l’empreinte du Projet. Par une lettre datée du 21 février 2013, le MPO a déclaré que les commentaires qui n’étaient pas directement liés à l’ébauche de protocole seraient traités dans le cadre d’une lettre de suivi et que les commentaires relatifs au protocole avaient été pris en compte de manière complète et équitable et se retrouvaient dans la version définitive du protocole, laquelle était annexée à cette réponse.

[54]           La version définitive du Protocole régissant la phase réglementaire indiquait qu’à l’étape 1, après réception du Plan compensatoire pour la perte de l’habitat du poisson (PCPHP) ou du Programme de surveillance des effets environnementaux (PSEE), deux conditions liées à l’autorisation délivrée en vertu de la Loi sur les pêches, une version condensée d’un rapport de compensation pour la perte de l’habitat du poisson ou d’un rapport sur le Programme de surveillance des effets environnementaux, assortie d’un lien menant au plan et au programme complets, serait fournie au NCC. Ce dernier aurait alors un délai de 45 jours pour examiner le tout et faire part de ses commentaires.

[55]           À l’étape 2, dans les dix jours suivant la réception de la demande, le NCC pouvait demander la tenue d’une réunion avec l’AR, dans le délai susmentionné de 45 jours, en vue de discuter de la demande ou du document. Si elle ne recevait aucun commentaire, l’AR informerait ensuite le NCC que le délai de 45 jours était expiré et que l’approbation ou l’autorisation serait examinée et, le cas échéant, accordée. Si elle recevait des commentaires, l’AR les examinerait de manière complète et équitable et transmettrait une réponse écrite. À l’étape 4, l’AR incorporerait les changements appropriés et, à l’étape 5, dans les cinq jours suivant leur délivrance à Nalcor, des copies de l’autorisation donnée en vertu de la Loi sur les pêches et de l’approbation donnée en vertu de la LPEN seraient fournies au NCC.

[56]           Nalcor a fourni le PCPHP au NCC le 21 décembre 2012 et elle a invité ce dernier à une séance d’information publique où l’on donnerait des renseignements techniques sur le PCPHP et le PSEE, à Goose Bay le 16 janvier 2013. Des représentants du NCC ont pris part à cette séance. La lettre offrait également de rencontrer des représentants du NCC en vue de les renseigner sur le PCPHP et le PSEE. Le NCC n’a pas répondu à cette offre de Nalcor.

[57]           Une note de service du directeur général régional du MPO, datée du 5 février 2013, a traité de l’état des consultations des Autochtones concernant la phase 5. Cette note de service indiquait, notamment, que d’après les commentaires reçus sur le projet de protocole certains groupes autochtones avaient encore, à l’égard de l’EE, des préoccupations qui, selon eux, n’avaient pas été réglées. La majorité de ces préoccupations avaient trait aux effets sur les droits et les titres ancestraux, au caribou, aux effets cumulatifs et au manque d’études sur l’utilisation des terres et des ressources. Des lettres destinées aux groupes et permettant de [traduction] « boucler la boucle » étaient en voie de rédaction, et elles traitaient des questions en suspens avant que l’on mette la dernière main au Protocole régissant la phase réglementaire.

[58]           Une note de service datée du 21 février 2013 et adressée au sous-ministre du MPO a résumé une fois de plus l’état des consultations des Autochtones concernant la phase 5. Elle indiquait que le MPO aurait terminé les consultations avant la mi-mai et qu’il devrait être en mesure de délivrer une autorisation en vertu de la Loi sur les pêches avant le mois de juin 2013.

[59]           Le 28 février 2013, le MPO a indiqué dans une lettre adressée au NCC qu’il s’apprêtait à délivrer une autorisation en vertu de la Loi sur les pêches; il transmettait les ébauches du PCPHP et du PSEE, qu’il avait reçues de Nalcor, et il demandait qu’on lui fasse part de commentaires sur ces deux plans dans les 45 jours suivants, conformément au Protocole régissant la phase réglementaire. La lettre disait aussi que, dans les dix jours suivant la réception des plans, le NCC pouvait demander la tenue d’une réunion avec le MPO en vue de discuter des documents. Le MPO a déclaré qu’il prendrait en compte les commentaires de manière complète et équitable et qu’il y répondrait par écrit. Une lettre de rappel a été envoyée au NCC le 5 avril 2013.

[60]           Le NCC a répondu le 15 avril 2013. Dans sa lettre, il n’a pas fait de commentaires sur le PCPHP ou le PSEE. Il a déclaré qu’il y avait eu un manque d’engagement procédural avec le NCC dans le cadre de la préparation des plans, que le Protocole régissant la phase réglementaire était inacceptable, qu’il demandait la tenue d’une réunion avec la personne qui s’occupait le plus directement de conseiller le ministre, ou le délégué de ce dernier, au sujet de l’autorisation en vue de discuter du non-respect de Nalcor ainsi que du caractère insuffisant des mesures de consultation et d’accommodation prises jusque-là, que le délai de 45 jours pour examiner le Protocole régissant la phase réglementaire était inacceptable, que les préoccupations du NCC à propos de la mise en eau des réservoirs n’étaient toujours pas réglées, qu’aucune ressource n’avait été fournie pour les consultations et les mesures d’accommodement relatives à la phase 5, qu’il n’y avait pas eu de consultations directes avec le NCC au sujet des autorisations proposées, et qu’une prorogation de délai de 60 jours était exigée. À cette lettre était joint un tableau énumérant les recommandations 6.6, 6.7, 6.9, 7.1, 7.2, 7.3, 8.4 et 9.3 de la CEC, les réponses des gouvernements ainsi que les mesures prises par Nalcor et l’organisme de réglementation que le NCC considérait comme lacunaires.

[61]           Le 31 mai 2013, le MPO a répondu à la lettre du 15 avril 2013 du NCC, et il a traité de douze questions, dont le fait que Nalcor avait informé le MPO que le NCC avait eu l’occasion de la rencontrer pour discuter du PCPHP, mais que cette réunion n’avait pas eu lieu. Le MPO a déclaré que cela répondait à l’engagement du Canada à cet égard. Quant aux lettres d’avis, comme on avait déterminé que les activités proposées n’auraient pas d’effets négatifs et n’exigeaient pas la délivrance d’une autorisation en vertu de la Loi sur les pêches, le MPO n’était pas obligé de consulter le NCC. Pour ce qui était de la recommandation 6.7, la réponse du Canada indiquait que Nalcor serait tenue de recueillir des données de base supplémentaires sur l’accumulation de méthylmercure dans les poissons et leur habitat en aval des chutes Muskrat, avant la mise en eau des réservoirs. Le PSEE prévoyait que l’on examinerait les renseignements détaillés que Nalcor recueillerait. Le parachèvement et la mise en œuvre du PSEE, en tant que condition de l’autorisation, répondraient aux engagements du Canada à cet égard. Quant à la recommandation 6.9, le MPO a fait référence à la réponse du Canada qui souscrivait à l’intention de la recommandation et il a déclaré que Nalcor avait tenu des séances d’information publiques à Goose Bay le 16 janvier 2013 et avait informé le MPO que le NCC avait eu une occasion de rencontrer Nalcor en vue de discuter du PCPHP et du PSEE, mais que cette réunion n’avait pas eu lieu. Le Canada s’était donc acquitté de ses engagements à cet égard.

[62]           Par un courriel daté du 31 mai 2013, le MPO a transmis à Nalcor une ébauche de l’autorisation et a fait savoir qu’il avait terminé ses consultations avec les Autochtones au sujet des conditions de l’autorisation, et plus précisément du PCPHP et du PSEE, et qu’il allait envoyer une lettre exposant les éclaircissements et les changements mineurs qu’il était nécessaire d’apporter avant que les plans soient approuvés. Le 7 juin 2013, le MPO a envoyé à Nalcor un courriel l’informant qu’il allait être nécessaire d’apporter quelques ajouts aux plans, en particulier au PSEE, à la suite des consultations du MPO.

[63]           Le 17 juin 2013, les services d’infrastructure et d’environnement d’AMEC (AMEC), à titre de consultants auprès de Nalcor, ont fourni au MPO un PSEE révisé. Le courriel accompagnant ce document indiquait que les sections de méthodologie des études de base de 2011 et de 2012 avaient été incorporées, le cas échéant, dans le document relatif au SEE. Des études d’échantillons avaient aussi été ajoutées, notamment au sujet du mercure. Un addenda sur les lieux d’échantillonnage dans le lac Melville avait également été ajouté.

[64]           Après de plus amples discussions, AMEC a révisé le PSEE et l’a représenté au MPO le 21 juin 2013. Le MPO y a répondu le 25 juin et a déclaré que les détails qui avaient été ajoutés clarifiaient dans une large mesure des aspects précis du PSEE et permettaient de régler les préoccupations soulevées lors des consultations. Deux autres éclaircissements ont été demandés, de même que quelques révisions.

[65]           Nalcor a présenté sa version révisée et définitive du PSEE et du PCPHP le 26 juin 2013 et le MPO l’a informée le lendemain qu’il considérait ces deux documents comme acceptables et qu’ils seraient annexés à titre de conditions à la délivrance de l’autorisation.

[66]           Le 28 juin 2013, le MPO a répondu aux observations du NCC du 9 novembre 2011 ainsi qu’au courriel daté du 8 août 2012, en traitant point par point des préoccupations qui y étaient soulevées. Il s’agissait, notamment, de la préoccupation du NCC selon laquelle il fallait mettre davantage l’accent sur les connaissances traditionnelles autochtones et sur le fait qu’il fallait mettre en place un protocole pour les partager. En réponse, le MPO a fait remarquer que le Protocole régissant la phase réglementaire avait été mis au point en collaboration avec les groupes autochtones et qu’il avait donné la possibilité de tenir des réunions dans le cadre desquelles les groupes autochtones pouvaient partager les connaissances traditionnelles autochtones afin qu’elles soient prises en considération lors de la délivrance de permis ou d’approbations. Le MPO avait offert au NCC de tenir de telles réunions le 28 février 2013, en prévision des autorisations préparées pour Muskrat Falls. De plus, avant de présenter un PCPHP et un PSEE, Nalcor pouvait offrir de rencontrer les groupes autochtones et, à cette occasion, il était possible de partager de telles connaissances afin qu’elles soient incorporées dans les plans.

[67]           Quant à la préoccupation selon laquelle une définition claire du Projet et de la zone de l’empreinte n’avait pas été fournie, le MPO a déclaré que cela avait été fait au cours de l’EE. Quant à la préoccupation du NCC selon laquelle les gouvernements fédéral et provincial étaient tenus de communiquer séparément avec le NCC avant le processus de la CEC, ce qui n’avait pas été fait, pas plus qu’il n’y avait eu des mesures de consultation ou d’accommodement appropriées au sujet des intérêts du NCC, le MPO a déclaré que la CEC avait offert diverses occasions de participer lors du processus de la CEC. Les audiences publiques permettaient à des individus et à des groupes autochtones d’être entendus et permettaient également à la CEC de recueillir de tels renseignements. De plus, le MPO et TC avaient consulté le NCC conformément au Protocole régissant la phase réglementaire et ils allaient continuer de le faire, ce qui donnerait au NCC la possibilité de faire part de ses commentaires et de discuter avec ces ministères des conditions connexes.

[68]           Le 9 juillet 2013, l’autorisation du Projet a été délivrée à Nalcor en vertu des alinéas 32(2)c) et 35(2)b) de la Loi sur les pêches, en vue de la détérioration, de la destruction ou de la perturbation de l’habitat du poisson, ainsi que de la mort de poissons. L’autorisation a été communiquée au NCC à la même date. C’est cette autorisation que le NCC souhaite voir soumise à un contrôle judiciaire.

[69]           L’autorisation, d’une longueur de dix pages, énumère six conditions d’autorisation détaillées. Celles-ci comprennent la condition 1.1, qui indique que si, de l’avis du MPO, les effets autorisés sur le poisson et son habitat sont supérieurs à ceux qui ont été évalués antérieurement, le MPO peut dans ce cas suspendre les ouvrages, entreprises, activités ou opérations associés au projet proposé en vue d’éviter de causer des effets négatifs au poisson et à son habitat ou de les atténuer. Le MPO peut également ordonner à Nalcor d’exécuter les modifications, les ouvrages ou les activités qui sont nécessaires pour éviter ou atténuer davantage de tels effets négatifs. Si le MPO est d’avis qu’il peut survenir des effets supérieurs à ceux que les parties ont envisagés, il peut dans ce cas modifier ou annuler l’autorisation.

[70]           Nalcor est également tenue d’exécuter le Projet d’une manière conforme à l’EIE, au Plan de protection environnemental applicable à l’ensemble du Projet ainsi qu’au PCPHP (1.4), ainsi que de mettre en œuvre les techniques d’atténuation exposées dans ces plans (2.1). L’autorisation exige aussi que Nalcor surveille les mesures d’atténuation qui sont prises (3.0) et elle énumère les conditions concernant la compensation des effets autorisés sur le poisson et son habitat (4) ainsi que la surveillance et la déclaration des mesures de compensation de l’habitat. La condition 6 oblige Nalcor à entreprendre un programme de SEE, ainsi qu’il indiqué dans le PSEE, en vue de surveiller et de vérifier les effets prévus du Projet sous l’angle du poisson et de son habitat, ce qui inclut les effets en aval du Projet, la bioaccumulation de méthylmercure dans le poisson, ainsi que l’entraînement du poisson à l’installation située à Muskrat Falls, conformément aux conditions 6.1 à 6.5. Cela inclut la surveillance annuelle de la bioaccumulation de méthylmercure de façon à pouvoir déterminer les niveaux présents dans les espèces de poisson résidentes, y compris les phoques, tant à l’intérieur du réservoir qu’en aval, conformément au calendrier de surveillance établi, et ce, de façon à enregistrer et à déclarer les niveaux de pointe et les diminutions ultérieures des niveaux de fond (6.3).

Les questions en litige

[71]           À mon avis, les questions en litige peuvent être formulées comme suit :

1.      Quelle est la norme de contrôle applicable?

2.      Quelle est la teneur de l’obligation de consultation et d’accommodement?

3.      Le Canada s’est-il acquitté de son obligation de consultation et d’accommodement?

4.      La décision de délivrer l’autorisation est-elle raisonnable?

La question no 1 : Quelle est la norme de contrôle applicable?

La position du NCC

[72]           Pour ce qui est des mesures de consultation et d’accommodement, le NCC soutient que la norme de la décision correcte et celle de la raisonnabilité s’appliquent toutes deux. Le NCC invoque la décision Première Nation des Ahousaht c Canada (Pêches et Océans), 2012 CAF 212, aux paragraphes 33 et 34, où il est fait référence à l’arrêt Nation haïda c Colombie-Britannique (Ministre des Forêts), 2004 CSC 73, aux paragraphes 61 et 62 [Nation haïda], à l’appui de la thèse selon laquelle la détermination de l’existence et de l’étendue de l’obligation de consultation ou d’accommodement est une question de droit et est susceptible de contrôle selon la norme de la décision correcte. Une fois que la Couronne a déterminé d’une manière satisfaisante l’étendue de cette obligation, sa décision ne peut être infirmée que si le processus de consultation et d’accommodement qui s’ensuit est déraisonnable.

[73]           Pour ce qui est des motifs de contrôle concernant l’abus du pouvoir discrétionnaire du ministre, le NCC soutient que la norme applicable est la raisonnabilité (Baker c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 RCS 817, au paragraphe 62 [Baker]).

La position du Canada

[74]           Le Canada convient avec les demandeurs que la norme de contrôle qui s’applique à la teneur de l’obligation de consultation est la décision correcte (Conseil des Innus de Ekuanitshit c Canada (Procureur général), 2013 CF 418, au paragraphe 97 [Ekuanitshit CF]; Beckman c Première Nation de Little Salmon/Carmacks, 2010 CSC 53, au paragraphe 48 [Little Salmon]). La question de savoir si le Canada, par ses efforts, a satisfait à son obligation de consultation est susceptible de contrôle selon la norme de la raisonnabilité (Ekuanitshit CF, au paragraphe 97; Première Nation de Katlodeeche c Canada (Procureur général), 2013 CF 458, aux paragraphes 126 et 127 [Katlodeeche]; Cold Lake First Nations c Alberta (Tourism, Parks and Recreation), 2013 ABCA 443, aux paragraphes 37 et 38 [Cold Lake]).

[75]           Quant à la décision du ministre de délivrer l’autorisation, le Canada soutient qu’il appartient à la Cour de déterminer si cette autorisation repose sur un fondement raisonnable, et non si les mesures qu’elle prévoit seront efficaces. La norme de contrôle qui s’applique à cette question est donc la raisonnabilité (Ekuanitshit CF, au paragraphe 94; Grand Riverkeeper, aux paragraphes 27 à 39).

La position de Nalcor

[76]           Nalcor est d’avis que les questions relatives à l’étendue de l’obligation ne sont susceptibles de contrôle selon la norme de la décision correcte que s’il s’agit de pures questions de droit. Lorsque l’étendue de l’obligation dépend de conclusions de fait relevant de l’expertise d’un décideur, c’est la norme de la raisonnabilité qui s’applique (Nation haïda, au paragraphe 61). La Couronne a le pouvoir discrétionnaire d’établir la structure du processus de consultation applicable, et la question de savoir si l’on a exercé ce dernier d’une manière convenable comporte des conclusions mixtes de fait et de droit. Ces conclusions commandent la déférence et sont contrôlées selon la norme de la raisonnabilité (Cold Lake, au paragraphe 39; Première Nation Tlingit de Taku River c Colombie-Britannique (Directeur d’évaluation de projet), 2004 CSC 74, au paragraphe 40 [Taku River]; Première Nation de Ka’a’Gee Tu c Canada (Procureur général), 2007 CF 763, aux paragraphes 91 et 92 [Ka’a’Gee Tu no 1]). De plus, la norme de contrôle qui s’applique au caractère suffisant des mesures d’accommodement est elle aussi la raisonnabilité (Nation haïda, aux paragraphes 47 à 50, 62 et 63; Première Nation crie Mikisew c Canada (Ministre du Patrimoine canadien), 2005 CSC 69, au paragraphe 66 [Mikisew crie]; Native Council of Nova Scotia c Canada (Procureur général), 2007 CF 45, au paragraphe 60, conf. par 2008 CAF 113).

[77]           Pour ce qui est de la décision du ministre de délivrer l’autorisation, Nalcor soutient que les questions qui mettent en cause la destruction de l’habitat du poisson et les mesures d’atténuation connexes relèvent de l’expertise du MPO et que les décisions discrétionnaires prises en vertu de l’article 35 doivent être contrôlées selon la norme de la raisonnabilité. Cela concorde avec le principe général selon lequel les pouvoirs décisionnels discrétionnaires que la Loi sur les pêches confère au ministre sont susceptibles de contrôle selon cette norme (Prairie Acid Rain Coalition c Canada (Pêches et Océans), 2006 CAF 31, au paragraphe 11; Malcolm c Canada (Pêches et Océans), 2013 CF 363, au paragraphe 57 [Malcolm]).

[78]           À l’appui de cet argument, Nalcor soutient que le NCC conteste la raisonnabilité de la décision en mettant en doute la qualité des éléments de preuve sur lesquels le ministre s’est fondé et que, de ce fait, aucune question de droit ne se pose et la décision commande la déférence. Sans cela, la Cour usurperait le rôle du ministre et deviendrait une « académie des sciences ». Dans le même ordre d’idées, il n’y a lieu de modifier une décision de nature qualitative que si elle a été rendue de mauvaise foi ou si elle repose sur des facteurs non pertinents (Vancouver Island Peace Society c Canada (1re inst.), [1992] 3 CF 42, aux paragraphes 7 et 12; Alberta Wilderness Assn c Express Pipelines Ltd, 137 DLR (4th) 177, au paragraphe 10; Alberta Wilderness Assn c Cardinal River Coals Ltd, [1999] 3 CF 425, aux paragraphes 24 à 26).

L’analyse

[79]           Il n’est pas nécessaire de procéder systématiquement à une analyse de la norme de contrôle applicable. En fait, si la norme qui s’applique à une question particulière dont la cour de révision est saisie est bien établie dans la jurisprudence, la cour peut l’adopter (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190 [Dunsmuir], au paragraphe 57; Kisana c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2009 CAF 189, au paragraphe 18; Conseil des Innus d’Ekuanitshit c Canada (Procureur général), 2014 CAF 189, au paragraphe 38 [Ekuanitshit CAF]).

[80]           Dans l’arrêt Nation haïda, la Cour suprême du Canada a traité de la norme de contrôle qui s’applique à l’obligation de consultation : 

[61]      Quant aux questions de droit, le décideur doit, en règle générale, rendre une décision correcte : voir, par exemple, Paul c. Colombie‑Britannique (Forest Appeals Commission), [2003] 2 R.C.S. 585. Par contre, en ce qui a trait aux questions de fait et aux questions mixtes de fait et de droit, l’organisme de révision peut devoir faire preuve de déférence à l’égard du décideur. L’existence et l’étendue de l’obligation de consulter ou d’accommoder sont des questions de droit en ce sens qu’elles définissent une obligation légale. Cependant, la réponse à ces questions repose habituellement sur l’appréciation des faits. Il se peut donc qu’il convienne de faire preuve de déférence à l’égard des conclusions de fait du premier décideur. La question de savoir s’il y a lieu de faire montre de déférence et, si oui, le degré de déférence requis dépendent de la nature de la question dont était saisi le tribunal administratif et de la mesure dans laquelle les faits relevaient de son expertise : Barreau du Nouveau-Brunswick c. Ryan, [2003] 1 R.C.S. 247; Paul, précité. En l’absence d’erreur sur des questions de droit, il est possible que le tribunal administratif soit mieux placé que le tribunal de révision pour étudier la question, auquel cas une certaine déférence peut s’imposer. Dans ce cas, la norme de contrôle applicable est vraisemblablement la norme de la décision raisonnable. Dans la mesure où la question est une question de droit pur et peut être isolée des questions de fait, la norme applicable est celle de la décision correcte. Toutefois, lorsque les deux types de questions sont inextricablement liées entre elles, la norme de contrôle applicable est vraisemblablement celle de la décision raisonnable : Canada (Directeur des enquêtes et recherches) c. Southam Inc., [1997] 1 R.C.S. 748.

[62]      Le processus lui‑même devrait vraisemblablement être examiné selon la norme de la décision raisonnable. La perfection n’est pas requise; il s’agit de se demander si, « considéré dans son ensemble, le régime de réglementation [ou la mesure gouvernementale] respecte le droit ancestral collectif en question » : Gladstone, précité, par. 170. Ce qui est requis, ce n’est pas une mesure parfaite, mais une mesure raisonnable. Comme il est précisé dans Nikal, précité, par. 110, « [l]e concept du caractère raisonnable doit [...] entrer en jeu pour ce qui [...] concern[e] l’information et la consultation. [...] Dans la mesure où tous les efforts raisonnables ont été déployés pour informer et consulter, on a alors satisfait à l’obligation de justifier. » Le gouvernement doit déployer des efforts raisonnables pour informer et consulter. Cela suffit pour satisfaire à l’obligation.

[63]      Si le gouvernement n’a pas bien saisi l’importance de la revendication ou la gravité de l’atteinte, il s’agit d’une question de droit qui devra vraisemblablement être jugée selon la norme de la décision correcte. Si le gouvernement a raison sur ces points et agit conformément à la norme applicable, la décision ne sera annulée que si le processus qu’il a suivi était déraisonnable. Comme il a été expliqué précédemment, l’élément central n’est pas le résultat, mais le processus de consultation et d’accommodement.

[81]           Jusqu’à ce que la Cour suprême rende ultérieurement l’arrêt Little Salmon, on considérait toujours que l’extrait de l’arrêt Nation haïda qui précède signifiait qu’il fallait contrôler la portée ou l’étendue de l’obligation de consultation (sa teneur) en fonction de la norme de la décision correcte; par contre, le caractère approprié du processus de consultation requiert une analyse du contexte factuel et doit être contrôlé selon la norme de la raisonnabilité (Katlodeeche, aux paragraphes 126 et 127; Ka’a’Gee Tu no 1, aux paragraphes 92 et 93; Première Nation Ka’A’Gee Tu c Canada (Procureur général), 2012 CF 297, au paragraphe 89 [Ka’a’Gee Tu no 2]).

[82]           Dans l’arrêt Little Salmon, la Cour suprême a traité de la norme de contrôle applicable dans un seul paragraphe :

[48]      Dans l’exercice des pouvoirs discrétionnaires que lui confèrent la Loi sur les terres et la Loi du Yukon sur les terres territoriales, le directeur devait respecter les limites légales et constitutionnelles. En ce qui a trait à la détermination de ces limites, on n’a pas à faire preuve de déférence à l’endroit du directeur. La norme de contrôle à cet égard, y compris à l’égard du caractère adéquat de la consultation, est celle de la décision correcte. Un décideur qui rend une décision fondée sur une consultation inadéquate commet une erreur de droit. Dans les limites établies par le droit et la Constitution, toutefois, la décision du directeur doit être examinée selon la norme de la raisonnabilité : Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190, et Canada (Citoyenneté et Immigration) cKhosa, 2009 CSC 12, [2009] 1 R.C.S. 339. En d’autres mots, s’il y a eu consultation adéquate, la décision du directeur d’approuver la concession de terres à M. Paulsen se situait‑elle, compte tenu de toutes les considérations pertinentes, dans la gamme des résultats raisonnables?

[Non souligné dans l’original.]

[83]           En analysant la teneur de l’obligation de consultation, la Cour suprême a déclaré, en partie :

[72]      Le pourvoi incident de la première nation porte sur le caractère adéquat de la consultation. Ce qui s’est passé (ou ne s’est pas passé) entre les parties doit être évalué à la lumière du rôle et de la fonction de la consultation au regard des faits de l’espèce, et de la question de savoir si cet objectif a été rempli au regard des faits.

[84]           À l’audition de la présente affaire, j’ai demandé aux parties de traiter de la norme de contrôle qui s’applique au caractère suffisant du processus en tenant compte de l’arrêt Little Salmon et de la conclusion que la Cour d’appel fédérale a tirée dans l’arrêt Ekuanitshit CAF, décrite ci‑après. Le NCC a soutenu que cette question semble poser des difficultés aux tribunaux. Le gros de la jurisprudence envisage la norme de la raisonnabilité, mais, dans l’arrêt Ekuanitshit CAF, la Cour d’appel fédérale a semblé souscrire à la norme de la décision correcte. Le Canada a fait valoir que les motifs de la Cour d’appel fédérale, même s’ils paraissent déroutants, doivent être interprétés dans leur contexte. De plus, l’arrêt Little Salmon n’a pas changé le critère énoncé dans l’arrêt Nation haïda. Selon ce dernier, lorsque ce sont des questions constitutionnelles ou juridiques qui sont en litige, c’est la norme de la décision correcte qui s’applique. Cependant, dans les limites de la loi, le caractère suffisant des consultations est susceptible de contrôle selon la norme de la raisonnabilité. Cette règle n’a pas changé (Cold Lake, au paragraphe 39). Et, sous l’angle des principes, étant donné que la décision du ministre est de nature discrétionnaire, il faut que la norme applicable soit la raisonnabilité. Nalcor a fait valoir que la décision du ministre est de nature discrétionnaire et que, de ce fait, la norme est la raisonnabilité (Malcolm, au paragraphe 35).

[85]           À mon avis, même si on a laissé entendre que les paragraphes tirés de l’arrêt Little Salmon ont pour effet de changer la norme de contrôle qui s’applique au caractère suffisant du processus de consultation, c’est-à-dire qu’elle passe de la raisonnabilité à la décision correcte, pour les motifs que j’ai exposés en détail dans la décision Gouvernement du Nunatsiavut c Procureur général du Canada (MPO), 2015 CF 492, aux paragraphes 105 à 120 [Nunatsiavut], je ne suis pas de cet avis.

[86]           Dans cette affaire, j’ai fait remarquer que dans la décision Ekuanitshit CF, au paragraphe 126, et en ce qui concerne le projet dont il est question en l’espèce, la Cour a déjà traité d’une contestation de la légalité du décret du 12 mars 2012 approuvant la réponse du Canada au rapport de la CEC ainsi que la décision sur la voie à suivre connexe, datée du 15 mars 2012. En traitant de la question de savoir si l’on avait pris des mesures de consultation et d’accommodement appropriées à l’endroit des Innus d’Ekuanitshit, le juge Scott, se fondant sur l’arrêt Nation haïda, a conclu que, dans la jurisprudence, on s’entend en général pour dire qu’une question portant sur l’existence et la teneur de l’obligation de consultation est une question de droit qui commande la norme de la décision correcte. Une décision portant sur la question de savoir si la Couronne, par ses efforts, a satisfait à son obligation de consultation dans une situation particulière consiste à évaluer les faits de l’affaire par rapport à la teneur de l’obligation, ce qui est une question mixte de fait et de droit qu’il y a lieu de contrôler selon la norme de la raisonnabilité (Ka’a’Gee Tu no 1, au paragraphe 91). Dans l’arrêt Ekuanitshit CAF, la Cour d’appel fédérale n’a pas dit qu’il était erroné d’appliquer la norme de la raisonnabilité.

[87]           De plus, dans l’arrêt White River First Nation c Yukon (Minister of Energy, Mines and Resources), 2013 YKSC 66 [White River], la Cour suprême du Yukon a fait référence aux paragraphes 61 à 63 de l’arrêt Nation haïda, ainsi qu’au paragraphe 48 de l’arrêt Little Salmon, et a conclu :

[traduction
[92]      La norme de contrôle peut être celle de la décision correcte si la question en litige se rapporte aux obligations légales et constitutionnelles du directeur, c’est‑à‑dire si elle porte sur l’existence et l’étendue de l’obligation de consulter et d’accommoder. En revanche, c’est la norme de la décision raisonnable qui s’applique au processus de consultation parce que celui‑ci dépend des efforts raisonnables déployés par le gouvernement pour informer et consulter.

[88]           Et, dans l’arrêt Cold Lake, autorisation d’interjeter appel devant la Cour suprême du Canada refusée, 35733 (15 mai 2014), la Cour d’appel de l’Alberta a examiné les dispositions susmentionnées de l’arrêt Little Salmon, mais a conclu que la norme de contrôle qui s’appliquait à la question du caractère suffisant du processus de consultation était la raisonnabilité (aux paragraphes 36 à 40). La Cour d’appel de la Colombie-Britannique est arrivée à une conclusion semblable dans l’affaire West Moberly First Nations c British Columbia (Minister of Energy, Mines and Petroleum Resources), 2011 CACB 247 [West Moberly], autorisation d’interjeter appel devant la Cour suprême du Canada refusée, 34403 (23 février 2012), même si les trois jugements distincts sont arrivés à cette conclusion de manières différentes (aux paragraphes 141, 174 et 196 à 198) (voir aussi Dene Tha First Nation c British Columbia (Minister of Energy and Mines), 2013 CSCB 977, aux paragraphes 104 à 108, et Adam c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2014 CF 1185, aux paragraphes 65, 66 et 87 [Adam]).

[89]           Il ressort clairement de la jurisprudence susmentionnée que l’existence et l’étendue de l’obligation de consultation ou d’accommodement doivent être évaluées selon la norme de la décision correcte. Cependant, même dans un tel cas, où l’étendue de l’obligation dépend d’une évaluation des faits, il est possible qu’il faille faire preuve de déférence et la norme de contrôle est vraisemblablement la raisonnabilité (Nation haïda, au paragraphe 61).

[90]           Quant au caractère suffisant du processus, en me fondant sur les arrêts Nation haïda, Ekuanitshit CAF, White River et Cold Lake, je ne suis pas convaincue que l’arrêt Little Salmon visait à changer, dans tous les cas, la norme de contrôle applicable à la question de savoir si la Couronne a pris des mesures de consultation et d’accommodement appropriées pour celle de la décision correcte.

[91]           Pour déterminer l’étendue de l’obligation de consultation, la Couronne est tenue de relever les limites juridiques et constitutionnelles pertinentes, comme les droits issus de traités, les droits législatifs, les droits reconnus par la common law et les règles de droit administratif et constitutionnel qui s’appliquent précisément à l’affaire. C’est-à-dire qu’elle doit déterminer correctement les paramètres juridiques de la teneur de l’obligation de consultation afin de pouvoir indiquer de manière appropriée ce qui constituera des consultations appropriées. Procéder sans l’avoir fait serait une erreur de droit. Cependant, si ces paramètres sont correctement déterminés, le caractère suffisant du processus de consultation ultérieur demeurerait alors une question de raisonnabilité. Ce point de vue peut être considéré comme compatible avec les deux arrêts Nation haïda et Little Salmon.

[92]           Quand la norme de contrôle est la décision correcte, comme c’est le cas pour l’étendue de l’obligation, il n’y a pas lieu de faire preuve de déférence envers la Couronne (Dunsmuir, au paragraphe 34; Little Salmon, au paragraphe 48).

[93]           Quand la norme de contrôle est la raisonnabilité, comme c’est le cas pour le caractère suffisant des mesures de consultation et d’accommodement, le contrôle qu’effectue la Cour a trait à la justification de la décision, ainsi qu’à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel. Il a trait aussi au fait de savoir si la décision appartient aux issues possibles acceptables qui peuvent se justifier au regard des faits et du droit (Dunsmuir, aux paragraphes 47 et 48; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, au paragraphe 59). Ainsi que l’a déclaré le juge de Montigny dans la décision Ka’a’Gee Tu no 2, lorsque l’on évalue la conduite de représentants de la Couronne, ce n’est pas la perfection que l’on exige. Si des efforts raisonnables ont été faits en matière de consultation et d’accommodement et que le résultat appartient aux issues possibles acceptables qui se justifient au regard des faits et du droit, il n’y aura pas de raison d’intervenir. De plus, il faudrait mettre l’accent non pas sur l’issue, mais plutôt sur le processus de consultation et d’accommodement (Ka’a’Gee Tu no 2, aux paragraphes 90 à 92; Nation haïda, au paragraphe 42).

[94]           Quant à la décision du ministre de délivrer l’autorisation, dans l’arrêt Ekuanitshit CAF la Cour d’appel fédérale a conclu que bien qu’il faille veiller à ce que l’exercice du pouvoir délégué par le législateur demeure dans les limites établies par le régime législatif, « une cour de révision doit faire preuve de déférence quand elle contrôle l’exercice d’un pouvoir délégué par la Loi au gouverneur en conseil ou à un ministre » (Ekuanitshit CAF, aux paragraphes 41 et 44) (voir aussi Malcolm, aux paragraphes 30 à 34; Agraira c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2013 CSC 36, au paragraphe 50 [Agraira]; Canada (Citoyenneté et Immigration) c Kandola, 2014 CAF 85, aux paragraphes 40 à 42 [Kandola]). Dans l’arrêt Ekuanitshit CAF, le contrôle fondé sur la raisonnabilité avait trait à une contestation de la légalité du décret approuvant la réponse du Canada et la décision sur la voie à suivre connexe, pris en vertu des paragraphes 37(1.1) et 37(1) de la LCEE, respectivement, mais je ne vois pas pourquoi il faudrait qu’une norme différente s’applique à la décision de délivrer l’autorisation en vertu de l’alinéa 35(2)b) de la Loi sur les pêches. De plus, il est présumé que les décisions des ministres et de leurs délégués doivent être contrôlées avec déférence (Agraira, au paragraphe 50; Kandola, au paragraphe 42). Et la norme de la raisonnabilité a été appliquée antérieurement aux décisions du ministre des Pêches (Malcolm c Canada (Pêches et Océans), 2014 CAF 130, au paragraphe 30). C’est donc dire, à mon avis, que la décision de délivrer l’autorisation est une affaire qu’il y a lieu de contrôler selon la norme de la raisonnabilité.

La question no 2 : Quelle est la teneur de l’obligation de consultation et d’accommodement?

La position du NCC

[95]           Dans ses observations écrites, le NCC a fait référence à l’arrêt Nation haïda, disant que la Cour suprême du Canada a conclu que l’obligation de consultation dépend d’une évaluation préliminaire de la solidité de la preuve étayant l’existence du droit ou du titre revendiqué, ainsi que de la gravité des effets préjudiciables potentiels sur ce droit ou ce titre (au paragraphe 39). Le NCC n’a pas émis d’opinion quant à l’endroit où se situait la teneur de l’obligation de consultation en l’espèce, entre les deux extrémités du continuum. Cependant, lorsqu’ils ont comparu devant moi, les avocats du NCC ont indiqué qu’à leur avis la présente affaire se situait entre le milieu et l’extrémité supérieure du continuum.

[96]           Le NCC a également fait valoir qu’il fallait interpréter l’obligation de consultation et d’accommodement du ministre à la lumière de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peoples autochtones, Rés 61/295, Doc. off., 61e session, suppl. no 49, vol. III, doc. NU A/61/49 (2007) (UNDRIP), que le Canada a adoptée le 12 novembre 2010. Les valeurs qu’expriment les lois internationales en matière de droits de la personne peuvent aider à éclairer l’approche contextuelle à suivre à l’égard de l’interprétation législative et du contrôle judiciaire (Baker, au paragraphe 70) et, bien qu’elles n’aient pas force obligatoire, ces lois éclairent l’interprétation des lois internes, conformément à la présomption de conformité (R c Hape, 2007 CSC 26, aux paragraphes 53 à 55). La Cour suprême s’est fondée sur l’UNDRIP pour interpréter des droits ancestraux (Mitchell c Ministre du Revenu national, 2001 CSC 33, aux paragraphes 80 à 83 [Mitchell]) et, depuis que cet instrument a été adopté, la Cour reconnaît qu’il s’applique à l’interprétation des lois internes en matière de droits de la personne ainsi qu’à l’interprétation des manuels administratifs axés sur les peuples autochtones (Canada (Commission des droits de la personne) c Canada (Procureur général), 2012 CF 445, aux paragraphes 350 à 354; conf. par 2013 CAF 75; Simon c Canada (Procureur général), 2013 CF 1117, au paragraphe 121 [Simon]).

La position du Canada

[97]           Le Canada fait référence à l’analyse relative au continuum dont il est question dans l’arrêt Nation haïda et qui, soutient-il, dépend en partie de la solidité de la revendication potentielle ainsi que de la gravité de l’effet négatif potentiel de l’activité proposée sur le droit ancestral revendiqué. Dans la présente affaire, la revendication du NCC se situe à l’extrémité inférieure du continuum des consultations, car sa revendication concernant la zone du Projet n’est pas solide et la CEC a conclu que l’effet sur le NCC était négatif, mais non important. La seule obligation qu’avait donc la Couronne était d’aviser les intéressés, de leur communiquer des renseignements et de discuter avec eux des questions soulevées par suite de l’avis (Nation haïda, au paragraphe 43).

[98]           Subsidiairement, si la Cour venait à conclure que la revendication du NCC était plus convaincante, mais qu’elle souscrivait à la conclusion de la CEC quant aux effets, ce serait dans ce cas une norme de consultation, se situant au milieu du continuum, qui conviendrait. Cela obligerait à donner avis de la question à trancher, à donner une occasion de discuter avec les décideurs des effets négatifs potentiels de la décision et de la manière de les atténuer, et à exiger que le décideur prenne en compte les préoccupations exprimées au moment de rendre la décision (Katlodeeche, au paragraphe 95; Première Nation des Dénés Yellowknives c Canada, 2013 CF 1118, au paragraphe 59; Cold Lake, au paragraphe 33). Quoi qu’il en soit, le NCC a été consulté d’une manière qui dépassait de loin les exigences en matière de consultation de niveau inférieur ou intermédiaire.

[99]           Quant à l’UNDRIP, le Canada soutient que cette déclaration a été adoptée par une résolution de l’Assemblée générale de l’Organisation des Nations Unies n’ayant pas force obligatoire et qu’elle n’a aucun effet juridique au Canada; elle n’a pas préséance sur l’actuel cadre juridique constitutionnel et interne du Canada ou ne le change pas, et les questions de savoir si une prétendue obligation de consultation s’applique ne doivent être tranchées qu’au regard du critère que la Cour suprême du Canada a énoncé dans l’arrêt Rio Tinto Alcan Inc. c Conseil tribal Carrier Sekani, 2010 CSC 43, au paragraphe 31 [Rio Tinto] (voir aussi la décision Première Nation des Hupacasath c Canada (Affaires étrangères), 2013 CF 900, au paragraphe 51 [Hupacasath]). L’UNDRIP n’aide donc pas le NCC à définir l’obligation de consultation.

La position de Nalcor

[100]       Nalcor soutient que trois facteurs déclenchent l’obligation de consultation et d’accommodement de la Couronne : (i) l’existence d’une revendication autochtone ou d’un droit ancestral potentiel, (ii) la connaissance qu’a la Couronne de la revendication ou du droit, et (iii) la mesure proposée par la Couronne qui est susceptible de porter atteinte à la revendication ou au droit (Nation haïda, au paragraphe 35; Taku River, au paragraphe 25; Rio Tinto, au paragraphe 31). Il est possible de s’acquitter de l’obligation de consultation au moyen d’un processus d’examen réglementaire ou législatif convenablement exécuté, et le défaut d’un groupe autochtone de prendre part à un tel processus ne justifie pas une prétention de consultation inadéquate (Taku River, au paragraphe 40; Ka’a’Gee Tu no 2, aux paragraphes 91 et 121; Nation Ojibway de Brokenhead c Canada (Procureur général), 2009 CF 484, au paragraphe 42). Le groupe autochtone envers lequel existe l’obligation a le devoir réciproque de collaborer aux efforts que fait la Couronne (Mikisew crie, au paragraphe 65; Halfway River First Nation c British Columbia (Ministry of Forests), 1999 CACB 470, au paragraphe 161 [Halfway River First Nation]; Nalcor Energy c NunatuKavut Community Council Inc., 2012 NLTD 175, au paragraphe 97), de faire connaître ses préoccupations, de répondre aux efforts faits pour régler ces dernières et de tenter d’arriver à une solution mutuellement satisfaisante (Cheslatta Carrier Nation c British Columbia (Environmental Assessment Act, Project Assessment Director), 53 BCLR (3d) 1 (CS) aux paragraphes 71 et 73; Upper Nicola Indian Band c British Columbia (Environment), 2011 CSCB 388, au paragraphe 128). De plus, l’obligation de consultation n’implique pas une obligation de parvenir à une entente et elle n’est pas tributaire d’un résultat (Nation haïda, au paragraphe 42; Ekuanitshit CF, au paragraphe 126). Nalcor ne conteste pas que l’obligation de consultation existe en l’espèce, mais elle soutient qu’elle a été remplie.

[101]       L’autorisation n’est pas une approbation du Projet, ce que Nalcor a déjà obtenu. Elle établit plutôt des conditions qui traitent du préjudice susceptible d’être causé au poisson et à son habitat. Le processus de consultation doit être axé sur les conditions de l’autorisation, et non sur des questions de nature plus générale qui sont liées au Projet ou à des approbations antérieures.

[102]       Nalcor soutient que l’UNDRIP n’a pas été ratifiée par le Parlement et ne crée pas de droits substantiels. La question de savoir si l’on s’est acquitté d’une obligation de consultation ne peut être tranchée que par l’application du critère énoncé dans les arrêts Nation haïda et Rio Tinto. La Cour a rejeté l’application de l’UNDRIP dans le contexte de l’obligation de consultation (Hupacasath, au paragraphe 51), et même si l’UNDRIP peut éclairer l’approche contextuelle qui s’applique en matière d’interprétation législative, il n’y a en l’espèce aucune question d’interprétation législative.

L’analyse

a)                  L’UNDRIP

[103]       Je souscris à la prémisse générale du NCC selon laquelle il est possible d’utiliser l’UNDRIP pour éclairer l’interprétation d’une loi interne. Comme l’a déclaré la juge L’Heureux‑Dubé dans l’arrêt Baker, les valeurs exprimées dans des instruments internationaux, même s’ils n’ont pas force de loi, peuvent servir à éclairer l’approche contextuelle suivie à l’égard de l’interprétation des lois et du contrôle judiciaire (aux paragraphes 70 et 71). Dans la décision Simon, le juge Scott, alors juge à la Cour fédérale, a conclu de la même façon que même si la Cour favorisera les interprétations du droit qui intègrent les valeurs exprimées dans l’UNDRIP, cet instrument ne crée pas de droits substantiels. Lorsqu’on interprète le droit canadien, il existe une présomption réfutable selon laquelle la législation canadienne est adoptée d’une manière conforme aux obligations internationales du Canada. C’est donc dire que quand il est possible d’attribuer plus d’un sens à une disposition d’une loi interne, c’est l’interprétation qui est conforme aux ententes internationales signées par le Canada qu’il y a lieu de privilégier.

[104]       Cela dit, dans la décision Hupacasath, le juge en chef Crampton, de la Cour, a déclaré que la question de savoir si la prétendue obligation de consultation existe doit être déterminée uniquement par application du critère énoncé dans les arrêts Nation haïda et Rio Tinto. Cela veut dire, selon moi, que l’on ne peut pas se servir de l’UNDRIP pour écarter la jurisprudence ou les lois canadiennes en matière d’obligation de consultation, ce qui inclurait à la fois la question de savoir si cette obligation existe et la teneur de cette dernière.

[105]       Le NCC se reporte à l’arrêt Mitchell, mais cela est peu pertinent. Dans cet arrêt, le juge Binnie, dans des motifs concordants, a fait référence, au paragraphe 81, à l’article 35 d’une ébauche de l’UNDRIP en vue d’illustrer les difficultés que les peuples autochtones rencontraient sur le plan de la liberté de mouvement à l’échelon transfrontalier, mais l’UNDRIP n’a pas été un élément important de l’analyse interprétative dans cette affaire.

[106]       De façon plus importante, en l’espèce, le NCC ne fait pas état d’un problème d’interprétation législative. Il soutient plutôt que l’UNDRIP s’applique non seulement à l’interprétation des lois, mais aussi à celle des obligations constitutionnelles qu’a le Canada envers les peuples autochtones. Aucune source n’est invoquée à l’appui de cette thèse. Le NCC n’offre pas non plus d’analyse ou d’application de sa position dans le contexte de ses observations. À mon avis, dans ces circonstances, le NCC n’a pas établi que l’UNDRIP s’applique aux questions qui me sont soumises ou, même si c’était le cas, de quelle façon cette déclaration s’applique et quel est son effet sur l’obligation de consultation en l’espèce.

b)                  La teneur de l’obligation de consultation

[107]       Dans la présente affaire, la question de savoir si la Couronne avait une obligation de consulter le NCC au sujet du Projet ne suscite aucun différend, et le Canada et Nalcor le reconnaissent.

[108]       L’arrêt faisant autorité pour ce qui est de la portée de l’obligation de consultation demeure Nation haïda. Dans ce dernier, la Cour suprême du Canada a conclu que la teneur de l’obligation de consultation et d’accommodement varie selon les circonstances. De façon générale, l’étendue de l’obligation dépend de l’évaluation préliminaire de la solidité de la preuve étayant l’existence du droit ou du titre revendiqué et de la gravité des effets préjudiciables potentiels sur ce droit ou ce titre (Nation haïda, au paragraphe 39). À toutes les étapes, les deux parties sont tenues de faire montre de bonne foi. La Couronne doit avoir l’intention de tenir réellement compte des préoccupations des Autochtones au fur et à mesure qu’elles sont exprimées dans le cadre d’un véritable processus de consultation; cependant, il n’y a pas d’obligation de parvenir à une entente. De plus :

[43]      [...] la notion de continuum peut se révéler utile, non pas pour créer des compartiments juridiques étanches, mais plutôt pour préciser ce que le principe de l’honneur de la Couronne est susceptible d’exiger dans des circonstances particulières. À une extrémité du continuum se trouvent les cas où la revendication de titre est peu solide, le droit ancestral limité ou le risque d’atteinte faible. Dans ces cas, les seules obligations qui pourraient incomber à la Couronne seraient d’aviser les intéressés, de leur communiquer des renseignements et de discuter avec eux des questions soulevées par suite de l’avis. La [traduction] « “consultation”, dans son sens le moins technique, s’entend de l’action de se parler dans le but de se comprendre les uns les autres » : T. Isaac et A. Knox, « The Crown’s Duty to Consult Aboriginal People » (2003), 41 Alta. L. Rev. 49, p. 61.

[44]      À l’autre extrémité du continuum on trouve les cas où la revendication repose sur une preuve à première vue solide, où le droit et l’atteinte potentielle sont d’une haute importance pour les Autochtones et où le risque de préjudice non indemnisable est élevé.  Dans de tels cas, il peut s’avérer nécessaire de tenir une consultation approfondie en vue de trouver une solution provisoire acceptable.  Quoique les exigences précises puissent varier selon les circonstances, la consultation requise  à cette étape pourrait comporter la possibilité de présenter des observations, la participation officielle à la prise de décisions et la présentation de motifs montrant que les préoccupations des Autochtones ont été prises en compte et précisant quelle a été l’incidence de ces préoccupations sur la décision.  Cette liste n’est pas exhaustive et ne doit pas nécessairement être suivie dans chaque cas.  Dans les affaires complexes ou difficiles, le gouvernement peut décider de recourir à un mécanisme de règlement des différends comme la médiation ou un régime administratif mettant en scène des décideurs impartiaux

[45]      Entre les deux extrémités du continuum décrit précédemment, on rencontrera d’autres situations. Il faut procéder au cas par cas. Il faut également faire preuve de souplesse, car le degré de consultation nécessaire peut varier à mesure que se déroule le processus et que de nouveaux renseignements sont mis au jour. La question décisive dans toutes les situations consiste à déterminer ce qui est nécessaire pour préserver l’honneur de la Couronne et pour concilier les intérêts de la Couronne et ceux des Autochtones. Tant que la question n’est pas réglée, le principe de l’honneur de la Couronne commande que celle-ci mette en balance les intérêts de la société et ceux des peuples autochtones lorsqu’elle prend des décisions susceptibles d’entraîner des répercussions sur les revendications autochtones. Elle peut être appelée à prendre des décisions en cas de désaccord quant au caractère suffisant des mesures qu’elle adopte en réponse aux préoccupations exprimées par les Autochtones. Une attitude de pondération et de compromis s’impose alors.

[46]      À la suite de consultations véritables, la Couronne pourrait être amenée à modifier la mesure envisagée en fonction des renseignements obtenus lors des consultations [...].

[47]      S’il ressort des consultations que des modifications à la politique de la Couronne s’imposent, il faut alors passer à l’étape de l’accommodement. Des consultations menées de bonne foi peuvent donc faire naître l’obligation d’accommoder. Lorsque la revendication repose sur une preuve à première vue solide et que la décision que le gouvernement entend prendre risque de porter atteinte de manière appréciable aux droits visés par la revendication, l’obligation d’accommodement pourrait exiger l’adoption de mesures pour éviter un préjudice irréparable ou pour réduire au minimum les conséquences de l’atteinte jusqu’au règlement définitif de la revendication sous‑jacente. L’accommodement est le fruit des consultations, comme la Cour l’a reconnu dans R. c. Marshall, [1999] 3 R.C.S. 533, par. 22 : « ... il est préférable de réaliser la prise en compte du droit issu du traité par des consultations et par la négociation ».

[48]      Ce processus ne donne pas aux groupes autochtones un droit de veto sur les mesures susceptibles d’être prises à l’égard des terres en cause en attendant que la revendication soit établie de façon définitive. Le « consentement » dont il est question dans Delgamuukw n’est nécessaire que lorsque les droits invoqués ont été établis, et même là pas dans tous les cas. Ce qu’il faut au contraire, c’est plutôt un processus de mise en balance des intérêts, de concessions mutuelles.

[49]      Cette conclusion découle du sens des termes « accommoder » et « accommodement », définis respectivement ainsi : « Accommoder qqc. à. L’adapter à, la mettre en correspondance avec quelque chose... » et « Action, résultat de l’action d’accommoder (ou de s’accommoder); moyen employé en vue de cette action. [...] Action de (se) mettre ou fait d’être en accord avec quelqu’un; règlement à l’amiable, transaction » (Trésor de la langue française, t. 1, 1971, p. 391 et 388). L’accommodement susceptible de résulter de consultations menées avant l’établissement du bien-fondé de la revendication correspond exactement à cela : la recherche d’un compromis dans le but d’harmoniser des intérêts opposés et de continuer dans la voie de la réconciliation. L’engagement à suivre le processus n’emporte pas l’obligation de se mettre d’accord, mais exige de chaque partie qu’elle s’efforce de bonne foi à comprendre les préoccupations de l’autre et à y répondre.

(Voir également l’arrêt Taku River, au paragraphe 29).

[109]       C’est donc dire que, en l’espèce, la première étape consiste à examiner la solidité de la revendication du NCC.

[110]       D’après l’affidavit de Todd Russell déposé sous serment le 6 décembre 2013 à l’appui de la demande de contrôle judiciaire du NCC (l’affidavit de Russell), en 1991 le NCC a soumis au  Canada un document portant sur une revendication territoriale globale. Des renseignements de recherche additionnels ont été déposés en 1996 et, en 2010, d’autres recherches poussées sur ses revendications ont été présentées sous la forme du rapport Unveiling NunatuKavut. De plus, dans l’arrêt The Labrador Metis Nation c Her Majesty in Right of Newfoundland and Labrador, (2006) 258 Nfld & PEIR 257; conf. par 272 Nfld & PEIR 178, autorisation d’interjeter appel devant la Cour suprême du Canada refusée, 32468 (29 mai 2008) [Labrador Metis Nation], la Cour d’appel de Terre-Neuve-et-Labrador a conclu que NunatuKavut avait une revendication de droits crédible dans le secteur de la route translabradorienne et que le gouvernement de Terre‑Neuve-et-Labrador avait une obligation de consulter NunatuKavut au sujet de la construction de cette route.

[111]       Dans l’arrêt Labrador Metis Nation, la Cour d’appel de Terre-Neuve-et-Labrador a écrit :

[traduction
[51]      Une « évaluation préliminaire, fondée sur la preuve » de la solidité de la revendication des demandeurs, comme il en a été question dans Nation haïda, aux paragraphes 37 et 39, étaye l’opinion selon laquelle, en l’espèce, la revendication est plus que « douteuse », « marginale » ou « ténue », ce qui ne requiert pas plus qu’une simple obligation d’information. Les intimés ont établi l’existence d’un lien prima facie avec la culture des Inuits avant l’arrivée des Européens ainsi que d’un lien constant avec le mode de vie inuit traditionnel. Ils ont présenté suffisamment de preuves pour établir que tout droit ancestral confirmé englobera des activités de chasse et de pêche de subsistance.

[52]      L’étendue des consultations que les intimés ont demandées est exposée dans une lettre datée du 26 octobre 2004 au ministre de l’Environnement et de la Conservation :

Nous demandons maintenant que votre cabinet nous fasse parvenir toutes les demandes de franchissement d’eau et autres exigences applicables en matière de permis visées par le mandat que la loi vous confère au cours de la phase de construction de la route translabradorienne – phase III. Nous demandons également un temps suffisant pour pouvoir examiner et commenter les diverses demandes de permis.

À ce niveau relativement inférieur, une obligation de consultation serait déclenchée par une revendication d’une solidité à première vue inférieure à celle des intimés. Il serait utile de donner plus d’indications aux parties quant à la portée d’obligations de consultation futures, mais il est impossible de le faire sans connaître les preuves qui pourront être présentées plus tard à propos de la solidité de la revendication des intimés et des types d’effets préjudiciables qu’auront les activités futures de la Couronne sur la revendication autochtone potentielle. Il est possible d’atténuer les conséquences insatisfaisantes que les parties subiraient par suite de l’incapacité de la Cour de fournir de plus amples indications en mettant en œuvre un processus qui assurerait un dialogue constant et raisonnable.

[112]       La Cour a conclu que la revendication était au moins suffisamment solide pour déclencher une obligation de consultation au faible niveau demandé.

[113]       Il est également question de l’état de la revendication du NCC dans le dossier relatif à la présente espèce. Le Rapport sur la consultation des Autochtones, que l’Agence a écrit, traite de l’état de la revendication du NCC :

La Nation des Métis du Labrador a présenté une revendication globale au gouvernement du Canada en 1991-1992. En 1998, le ministère de la Justice a conclu que la Nation des Métis du Labrador ne satisfaisait pas aux critères juridiques qui confèrent des droits ancestraux à titre de registraire inuit. Les preuves n’avaient pas permis de déterminer que le demandeur était bel et bien un peuple ancestral inuit dont les droits seraient protégés aux termes du paragraphe 35(1) de la Loi constitutionnelle de 1982. Le Ministère avait déclaré qu’il s’agissait en fait d’un organisme politique qui représentait des particuliers de diverses descendances autochtones plutôt que des collectivités de Premières nations distinctes.

Les NunatuKavut ont opposé que la décision du ministère de la Justice n’était pas impartiale. En 2002, le demandeur a présenté de nouvelles preuves au gouvernement du Canada. À la suite de l’examen de ces dernières, le ministère de la Justice a réitéré son avis comme quoi le demandeur n'était pas en mesure de prouver l'existence continue de droits ancestraux dans le sud et le centre du Labrador.

Exceptionnellement, en novembre 2003, le gouvernement du Canada s’est engagé à faire appel aux services d’un mandataire, dont la tâche serait de mener un examen juridique de la revendication telle que présentée par le demandeur et examinée par le gouvernement du Canada. Cet examen indépendant ne serait réalisé que si le gouvernement du Canada rejetait de nouveau la revendication en fonction des nouvelles preuves que le demandeur prévoyait soumettre. De plus, cet examen indépendant aurait pour objet les mêmes preuves que celles étudiées par le ministère de la Justice et serait non contraignant envers le gouvernement du Canada. Dans l’intervalle, le ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien a écrit au demandeur, en date du 16 mars 2004, pour lui exposer les raisons détaillées du refus de la demande. À l’heure actuelle, la Direction de l'évaluation et de la recherche historique examine la revendication en fonction de la politique sur les revendications globales, et elle a avisé NunatuKavut que sa demande serait évaluée en temps opportun.

[114]       La situation est donc la suivante : la revendication du NCC, même si elle a été rejetée au départ, est toujours en voie de réévaluation. Le NCC n’a pas présenté d’observations de fond à l’appui de la solidité de sa revendication dans le contexte d’une analyse relative au continuum des obligations. Et même si le rapport Unveiling NunatuKavut se trouve dans le dossier, il n’a pas été demandé à la Cour de l’évaluer de façon à déterminer la solidité de la revendication du NCC, pas plus que la Cour n’est en mesure de le faire. Le mieux que la Cour puisse faire dans ces circonstances, selon moi, est de faire sienne la conclusion que la Cour d’appel de Terre‑Neuve-et-Labrador a tirée, à savoir que la revendication est au moins suffisamment solide pour déclencher une obligation de consultation au niveau inférieur du continuum.

[115]       Quant à la gravité des effets préjudiciables potentiels du Projet, le NCC affirme que ce dernier se répercutera sur ses droits et ses titres ancestraux, sur ses droits issus de traités et sur d’autres intérêts sur les terres et les eaux. Ses membres se soucient d’un certain nombre d’effets potentiels sur ces droits, dont les suivants : les effets préjudiciables sur la faune et la végétation aquatiques et terrestres, la contamination par le méthylmercure, les effets en aval, l’inondation de terres et d’eaux traditionnelles, les franchissements d’eau qui peuvent perturber le poisson et la vie aquatique, les routes d’accès, l’utilisation possible d’herbicides et de défoliants, de même que les effets environnementaux cumulatifs. Le NCC soutient que ces préoccupations sont exacerbées par certains des problèmes qu’il a relevés au sujet de l’autorisation.

[116]       Toutes ces préoccupations concernent l’utilisation des terres et des ressources, un sujet dont la CEC a traité. Dans son rapport, la CEC a analysé l’utilisation contemporaine des terres et des ressources autochtones par des groupes autochtones particuliers, dont le NCC. Dans son résumé, elle indique (à la page ix) :

La commission a été appelée à examiner spécifiquement les effets du projet sur l’utilisation actuelle des terres et des ressources par les Autochtones à des fins traditionnelles. L’information obtenue par Nalcor, les mémoires présentés par les groupes autochtones et les témoignages durant les audiences publiques suggèrent que l’utilisation actuelle de la zone du projet (que la commission a défini comme étant au cours des 20 dernières années) à des fins traditionnelles est généralement intermittente et sporadique, comparativement à d’autres endroits qui ne seraient pas perturbés par le projet.

Certains Autochtones ont suggéré que la fréquence et l’étendue de l’utilisation des terres et des ressources à des fins traditionnelles ont quelque peu diminué récemment en raison des changements sociaux et économiques. Néanmoins, la commission a reconnu l’importance pour tous les Autochtones de pratiquer des activités traditionnelles à l’intérieur de la totalité de leur territoire ancestral. Elle a également reconnu que pour un grand nombre de groupes, tout effet que le projet pourrait avoir sur leurs activités traditionnelles viendrait s’ajouter aux effets causés par le développement précédent à Churchill Falls.

[...]

Inuits-Métis

Le Conseil communautaire de NunatuKavut a indiqué qu’en raison de sa demande d’injonction et du manque de temps et de fonds pour présenter un mémoire détaillé à l’audience, il ne pouvait fournir que des renseignements limités sur l’utilisation actuelle par les Inuits-Métis des terres et des ressources à des fins traditionnelles. La plupart des renseignements à ce sujet ont été fournis par des Inuits-Métis à titre particulier, plutôt que par l’organisation, et il n’était pas toujours possible de confirmer l’affiliation de ces personnes.

La commission a conclu, selon l’information recueillie dans le cadre du processus d’évaluation environnementale qu’il existait des incertitudes concernant l’étendue et l’emplacement des ressources et du territoire utilisés par les Inuits-Métis dans la zone du projet. La commission reconnait que des informations supplémentaires pourraient être obtenues au cours des consultations publiques tenues par le gouvernement. Dans la mesure où il existe une utilisation actuelle du territoire dans la zone du projet, la commission a conclu que les effets du projet sur les activités d’utilisation des ressources et du territoire par les Inuits-Métis à des fins traditionnelles, une fois que les mesures d’atténuation proposées par Nalcor et celles recommandées par la commission auront été mises en œuvre, seraient négatifs, mais ne seraient pas importants.

La commission a également constaté que de nombreux sites fréquentés par les Inuits-Métis pour leurs activités d’utilisation des terres et des ressources à des fins traditionnelles sont situés à l’extérieur de la zone du projet et demeureraient intactes et accessibles. Les mesures envisagées pour atténuer les effets du projet sur les activités de piégeage et pour compenser les pertes de revenus, de biens et d’équipement des trappeurs causées par le projet pourraient être également très importantes pour les Inuits‑Métis

[...]

[Non souligné dans l’original.]

[117]       La CEC a jugé que l’importante conclusion qu’elle a tirée au chapitre 8, relativement à l’effet du Projet sur la pêche et la chasse au phoque, à Goose Bay et au lac Melville, s’appliquerait aux activités de récolte traditionnelles des Inuits du Labrador, lesquelles comprennent la récolte d’aliments prélevés dans la nature dans cette zone, s’il était nécessaire de diffuser des avis de consommation liés au Projet. La CEC n’a pas tiré de conclusion semblable au sujet des Inuits-Métis ou de n’importe quel autre groupe autochtone.

[118]       Comme la CEC a conclu que les effets du Projet sur le NCC seraient négatifs, mais non importants, je serais portée à situer également la gravité du préjudice susceptible d’être causé au NCC à l’extrémité inférieure du continuum. Je reconnais toutefois que la CEC a indiqué aussi qu’elle avait reçu peu de renseignements du NCC et d’autres groupes autochtones sur l’utilisation contemporaine des terres et des ressources à des fins traditionnelles dans la zone visée par le Projet.

[119]       Compte tenu de cela, ainsi que de l’état actuellement non réglé de la revendication territoriale du NCC, pour examiner à la fois la solidité de la revendication du NCC et la gravité des effets potentiellement négatifs sur le droit ou le titre revendiqué, je situerais l’obligation de consultation entre le point inférieur et le point médian du continuum.

[120]       S’agissant de ce qui est exigé à ce niveau, dans l’arrêt Nation haïda la Cour suprême du Canada a indiqué qu’il est nécessaire de procéder au cas par cas, qu’il faut également faire preuve de souplesse et que la question décisive dans toutes les situations consiste à déterminer ce qui est nécessaire pour préserver l’honneur de la Couronne et concilier les intérêts de la Couronne et ceux des Autochtones (Nation haïda, au paragraphe 45). L’étendue de l’obligation de consultation qui est due au niveau intermédiaire consiste à faire plus qu’aviser les intéressés, leur communiquer des renseignements et discuter avec eux des questions soulevées par suite de l’avis (Nation haïda, au paragraphe 43) et, a-t-il été conclu, cette étendue comporte ce qui suit :

         un avis suffisant de la question à trancher, la possibilité de discuter des répercussions éventuelles de la décision et de la façon d’atténuer ces répercussions, et que l’on tienne compte des préoccupations exprimées avant de prendre la décision (Katlodeeche, au paragraphe 145);

         que la Couronne s’informe de l’effet du Projet sur les droits du groupe autochtone, qu’elle communique ses conclusions et qu’elle s’engage directement et de bonne foi à entendre les préoccupations et à tenter de minimiser les effets préjudiciables, ainsi qu’à les atténuer (Cold Lake, aux paragraphes 32 et 33);

         donner un avis, divulguer des renseignements et répondre aux préoccupations exprimées; rencontrer les intéressés, entendre leurs préoccupations et en discuter avec eux; examiner sérieusement ces préoccupations et faire part aux intéressés de la ligne de conduite à prendre et des raisons motivant la décision qui est prise (Première Nation de Long Plain, 2012 CF 1474, au paragraphe 74);

         une consultation menée de bonne foi, avec l’esprit ouvert et l’intention de tenir véritablement compte des préoccupations de la partie consultée à mesure qu’elle les exprime (Nation haïda, aux paragraphes 10 et 42).

[121]       Je signale que le NCC, quand il a comparu devant moi, a affirmé que le processus de consultation du Canada était vicié, car il n’y avait aucune preuve que ce dernier avait effectué une analyse relative au continuum des obligations. À mon avis, cet argument ne peut pas être retenu. Dans le cas présent, le Canada a mis en œuvre un cadre de consultation en cinq phases, et la question qui est en litige dans le présent contrôle judiciaire consiste à savoir s’il y a eu des consultations suffisantes au cours de la phase 5 de ce processus de consultation. Dans de telles circonstances, le Canada n’était pas tenu d’entreprendre une analyse explicite du continuum des obligations, une analyse qu’adoptent habituellement les tribunaux, à la phase 5 ou autrement.

La question no 3 : Le Canada s’est-il acquitté de son obligation de consultation et d’accommodement?

La position du NCC

[122]       Le NCC soutient qu’il n’a pas été consulté de manière véritable lors de la phase 5, car le ministre n’a pas réglé des questions en suspens que la CEC avait évoquées, dont un certain nombre d’incertitudes entourant l’étendue de l’utilisation contemporaine des terres par les membres du NCC, de même que leur emplacement. En raison de cela et, en l’absence d’une aide financière pour la phase 5, les parties n’ont pu évaluer que de manière restreinte l’effet du Projet sur les droits et les titres ancestraux du NCC.

[123]       De plus, à cause d’un manque de fonds ou d’autres ressources à la phase 5 du processus de consultation, il a été impossible pour le NCC d’examiner, de comprendre et de commenter d’une manière appropriée le PCPHP et le PSEE, deux instruments hautement techniques, qui constituaient un élément crucial de l’autorisation. Il n’y a donc pas eu de consultation véritable à ce stade (Platinex Inc. c Kitchenuhmaykoosib Inninuwag First Nation, 2007 CanLii 20790 [Platinex]).

[124]       Le fait de refuser entièrement d’accorder une aide financière à la phase 5 était aussi un geste qui n’était pas raisonnable ou de bonne foi, et le NCC s’attendait de manière légitime à ce qu’on lui fournisse de telles ressources.

[125]       Le NCC soutient également que le manque de fonds l’a empêché de présenter les connaissances traditionnelles autochtones nécessaires. Il soutient qu’en dépit de l’exigence énoncée à la section 2.3 des Lignes directrices sur l’EIE, à savoir que les connaissances traditionnelles autochtones et les connaissances locales de l’environnement existant devaient faire partie intégrante de l’EIE, dans la mesure où Nalcor en disposait, il n’y a eu aucun engagement ou effort de la part de Nalcor pour recueillir ces connaissances auprès du NCC. Il ressort de la preuve que Nalcor a financé un certain nombre de consultations à l’échelon communautaire, mais que les communications ont été rompues à propos du financement d’une étude sur les connaissances traditionnelles et que l’écart n’a jamais été comblé. Le ministre a également omis de prendre en compte les connaissances traditionnelles autochtones du NCC et n’est donc pas parvenu à le consulter de manière véritable et à prendre à son égard des mesures d’accommodement.

[126]       Le NCC soutient que la CEC a relevé des incertitudes au sujet de l’étendue de l’utilisation faite actuellement par le NCC des terres et des ressources, ainsi que des emplacements connexes, et qu’il aurait été nécessaire de prévoir un temps et des ressources supplémentaires pour que le NCC puisse étudier cet aspect plus en détail. De plus, il était possible que d’autres renseignements soient communiqués lors des consultations gouvernementales. Cependant, ce temps et ces ressources supplémentaires n’ont pas été fournis à la phase 5 de manière à combler cette lacune en matière de renseignements ou de données. Ce manque de renseignements a restreint la capacité de toutes les parties d’évaluer et de déterminer l’effet du Projet sur les droits et les titres ancestraux du NCC.

[127]       Le NCC soutient par ailleurs que le Protocole régissant la phase réglementaire lui a été imposé, à mi-chemin au cours du processus de consultation. De plus, le temps qu’il a fallu pour répondre à ses commentaires sur le projet de protocole, ainsi qu’à la réponse du NCC au rapport de la CEC, c’est-à-dire, à une date immédiatement antérieure à la délivrance de l’autorisation, dénote également un manque de consultations véritables et une absence de bonne foi (Mikisew crie, aux paragraphes 53 et 54), comme l’illustre la réponse elle-même, qui ne traitait pas des préoccupations soulevées lors du processus de consultation, de même que l’approche suivie par le MPO (« boucler la boucle ») vis-à-vis des consultations.

La position du Canada

[128]       Le Canada est d’avis que le processus de consultation a nettement dépassé les exigences d’une consultation de faible niveau ou de niveau intermédiaire. La majorité des consultations ont eu lieu dans le cadre de l’EE, et le Canada est en droit de se fonder sur elles pour s’acquitter de son obligation de consultation (Taku River, aux paragraphes 2, 40 et 41; Ekuanitshit CAF, au paragraphe 113). Il ressort du rapport de la CEC que les préoccupations du NCC ont été entendues et examinées et, dans Grand Riverkeeper, la Cour fédérale a conclu que, dans ce processus, le NCC avait été traité équitablement.

[129]       L’historique des consultations montre que le processus qui a mené à la délivrance de l’autorisation était exhaustif et équitable. Le NCC a été consulté sur tous les projets de protocole et ces derniers, une fois parachevés, ont été suivis. Le NCC n’a soulevé aucune objection importante au sujet des protocoles quand on lui a demandé de faire des commentaires, mais, dans certains cas, il les a critiqués ultérieurement. Le fait que le NCC a restreint son engagement à des fins stratégiques n’invalide pas le processus ou ne le rend pas inéquitable.

[130]       Quant au caractère opportun de la lettre du 28 juin 2013 par laquelle le MPO a répondu à celle du NCC datée du 9 novembre 2011, le Canada fait remarquer que sa réponse du 28 juin 2013 n’était rien de plus qu’une lettre parmi de nombreuses communications qui ont eu lieu au cours du processus de consultation lié à la phase 5. Le 31 mai 2013, le MPO a fourni une réponse détaillée aux préoccupations que le NCC avait soulevées le 15 avril 2013, et des représentants du MPO ont également rencontré des représentants du NCC au cours de la phase 5 et ont sollicité leurs commentaires sur le PSEE et le PCPHP. La lettre du NCC datée du 9 novembre 2011 était principalement axée sur les éléments du rapport de la CEC qui, selon lui, étaient erronés, ainsi que sur les activités de la Province et de Nalcor, mais il y est fait peu référence au Canada. De plus, entre le 9 novembre 2011 et le 28 juin 2013, la Cour fédérale, dans la décision Grand Riverkeeper, a rejeté la position du NCC au sujet du rapport de la CEC.

[131]       Le Canada soutient qu’il n’est pas obligatoire que la Couronne accorde une aide financière en vue de faciliter les consultations. S’il est nécessaire d’accorder des fonds pour que les consultations soient véritables, il n’existe aucun droit à un niveau de financement particulier. Le caractère approprié du financement dépend du degré de consultation requis ainsi que des circonstances de l’espèce (Adams Lake Indian Band c British Columbia (Ministry of Forests, Lands and Natural Resource Operations), 2013 CSCB 877, aux paragraphes 85 et 87 [Adams Lake]).

[132]       Dans le cas présent, le Canada a accordé au NCC une somme de 154 000 $ expressément pour les consultations relatives au Projet, de même qu’une somme de 1,8 million de dollars pour ses revendications territoriales, et Nalcor a versé une somme de 248 000 $ pour mener des recherches sur l’utilisation des terres. Cela était plus que suffisant pour que le NCC puisse participer de manière véritable au processus, et ce dernier avait été avisé en octobre 2006 et, une fois de plus, en mai 2012 que le MPO ne fournirait pas de fonds à la phase 5. Des fonds n’ont pas été expressément désignés pour cette phase, mais le NCC n’a pas présenté une proposition de financement à ce stade, il n’a pas dit quelles ressources auraient été suffisantes et il n’a attribué aucun de ses propres fonds à cette fin; il a toutefois financé deux demandes visant à contester le processus de consultation, lesquelles ont été rejetées.

[133]       De plus, il n’était pas essentiel d’accorder des fonds supplémentaires pour que le NCC puisse faire part de ses connaissances traditionnelles au Canada, étant donné que ces connaissances traditionnelles sur l’utilisation des terres dans la zone visée par le Projet relèvent uniquement des connaissances collectives du NCC (Adams Lake, au paragraphe 85). Le NCC savait que la CEC allait avoir besoin de connaissances traditionnelles et de renseignements sur l’utilisation des terres et il lui incombait de combler les lacunes perçues à cet égard (Grand Riverkeeper, aux paragraphes 69 et 70). Le NCC a décidé de boycotter une bonne partie du processus de la CEC, même s’il s’agissait là du principal moyen de présenter ces renseignements. Le NCC cherche maintenant à éviter les conséquences de sa décision stratégique de ne pas participer pleinement au processus et tente de contester la validité de l’autorisation pour le même motif.

[134]       Quoi qu’il en soit, des membres particuliers du NCC ont bel et bien pris part au processus et le NCC a présenté une série d’exposés vers la fin des audiences de la CEC, après que l’injonction qu’il souhaitait obtenir a été refusée. Le NCC s’est donc vu offrir des occasions véritables de présenter à ce stade ses connaissances traditionnelles.

[135]       Le Canada soutient que le NCC n’est pas parvenu à montrer qu’un manque de fonds l’a empêché de participer aux consultations relatives à la phase 5 ou qu’il avait besoin de fonds supplémentaires pour être consulté de manière véritable.

La position de Nalcor

[136]       Nalcor soutient que la portée et le processus qui sont exposés à la phase 5, le Protocole régissant la phase réglementaire, et que le MPO a suivis, étaient raisonnables compte tenu des circonstances antérieures. Le NCC s’est vu fournir des renseignements détaillés sur l’autorisation, lesquels complétaient les renseignements exhaustifs déjà transmis sur les effets environnementaux du Projet. Il lui a été possible de contribuer au processus de consultation et à l’autorisation, et cela inclut le PCPHP et le PSEE. Le NCC a participé au processus de consultation, en faisant part de son propre point de vue sur le processus et l’autorisation elle‑même. Le MPO a pris en considération ces observations, qu’il a résumées dans la lettre datée du 31 mai 2013 qu’il a envoyée au NCC.

[137]       Quant à la question de l’aide financière, Nalcor soutient que le NCC a reçu en tout une somme d’au moins 438 200 $, expressément destinée à lui permettre de présenter son point de vue sur le Projet. De plus, une quantité considérable de renseignements a été présentée, notamment au cours du processus d’EE, y compris le rapport Unveiling NunatuKavut, qui décrit la totalité des données et des recherches concernant les revendications territoriales du NCC, et pour lesquelles le NCC a reçu du gouvernement fédéral une somme de 2 millions de dollars.

[138]       Il était raisonnable que le ministre se fonde sur les nombreux renseignements autochtones et techniques qui sont ressortis de l’EE et qu’il refuse d’accorder des fonds supplémentaires, d’autant plus que le NCC n’avait pas indiqué la quantité de fonds dont il avait besoin ou à quelle fin (Ktunaxa Nation c British Columbia (Forests, Lands and Natural Resource Operations), 2014 CSCB 568, aux paragraphes 205 et 232 [Ktunaxa]; Adams Lake, aux paragraphes 85 à 88; Ekuanitshit CF, au paragraphe 129). De plus, le NCC et ses membres connaissent les renseignements en question, et ceux-ci ne sont pas des plus techniques ou complexes, pas plus qu’il n’existe une preuve quelconque qu’il est nécessaire de réaliser d’autres études techniques.

L’analyse

[139]       Il convient tout d’abord de signaler que, dans la présente demande de contrôle judiciaire, le NCC conteste la décision du ministre de délivrer l’autorisation. Il n’est donc pas loisible au NCC d’attaquer indirectement, au moyen de la présente demande, la validité de la réponse du Canada ou de la décision sur la voie à suivre. Cependant, comme je l’ai conclu dans la décision Nunatsiavut, le processus de consultation en cinq phases qui sous-tend le rapport de la CEC, ainsi que toutes les décisions que le Canada a prises par la suite, était un processus en constante évolution.

[140]       Les phases du processus de consultation, ainsi que les consultations menées dans le cadre de chacune, sont liées. Les consultations antérieures servent donc, jusqu’à un certain point, à éclairer les mesures de consultation et d’accommodement prises dans la phase 5. On ne peut pas considérer que le processus de consultation est terminé avant la fin de la phase 5. C’est donc dire que la totalité des consultations entre le Canada et le NCC, dans chacune des phases de l’EE, doivent être prises en compte si l’on veut comprendre et évaluer l’étendue des mesures de consultation et d’accommodement qui s’appliquent à l’autorisation. Dans la mesure où le NCC met en doute la teneur ou le caractère suffisant des consultations relatives à la délivrance de l’autorisation, il lui est loisible d’examiner les consultations antérieures à cette fin, mais pas pour tenter de contester la validité de ces décisions antérieures.

[141]       À cet égard, dans l’affaire Ekuanitshit CF, la Cour fédérale a été confrontée à un argument du Canada selon lequel les Innus d’Ekuanitshit avaient déposé la demande de contrôle judiciaire par laquelle ils contestaient le décret approuvant la réponse du Canada et la décision sur la voie à suivre avant la fin de la période de consultation. La demande de contrôle judiciaire avait été déposée à la conclusion de la phase 4; à l’époque où la demande était entendue, le processus se situait à la phase 5 (au paragraphe 13) du Cadre de consultation. La Cour a conclu qu’il était prématuré à cette étape du processus de consultation et d’accommodement du gouvernement fédéral de déposer la demande de contrôle judiciaire :

[112]    La Cour conclut qu’il est prématuré à ce stade-ci d’assujettir à une révision judiciaire le processus de consultation et d’accommodement du gouvernement fédéral, dont l’un des objectifs est de « [protéger] les intérêts autochtones jusqu’au règlement des revendications » (arrêt Nation haïda, précité, au para 38). Cela exige que l’on prenne des mesures de consultation et d’accommodement envers les groupes autochtones avant de porter irrévocablement préjudice aux droits qu’ils revendiquent. Il est vrai que les travaux préparatoires au Projet ont commencé, mais les mesures qui mettent véritablement en péril les droits et les intérêts du demandeur sont celles qui exigent que TC et le MPO délivrent des permis. Il est prématuré d’évaluer le processus de consultation du gouvernement fédéral avant que ces décisions soient prises. Indépendamment de cette conclusion, la Cour considère qu’il lui faut néanmoins examiner et évaluer le caractère adéquat des consultations qui se sont déroulées jusqu’au dépôt de la présente demande de révision judiciaire.

[142]       La Cour a ensuite évalué le caractère adéquat des consultations jusqu’au moment du dépôt de la demande et elle a conclu que la Couronne s’était acquittée d’une manière satisfaisante de son obligation de consultation (Ekuanitshit CF, au paragraphe 137).

[143]       En appel de cette décision, la Cour d’appel fédérale, dans l’arrêt Ekuanitshit CAF, a souscrit à cette approche :

[108]    Avec respect, il m’est difficile de conclure que le juge a erré en concluant que l’appelant a été adéquatement consulté avant la prise du décret par le gouvernement. La phase V du cadre de consultation confirme que le processus de consultation entre la Couronne et les autochtones se poursuit jusqu’à la délivrance des permis par Transports Canada et Pêches et Océans. Ces permis autoriseront Nalcor à poser certains gestes dont la construction des barrages qui pourraient avoir des conséquences sur les eaux navigables aux termes de la Loi sur la protection des eaux navigables ou l’habitat du poisson aux termes de la Loi sur les pêches. Mais nous n’en sommes pas là. Comme l’ont confirmé et admis les représentants du Procureur général du Canada, la consultation du gouvernement fédéral n’est pas complétée et elle se poursuivra jusqu’à la dernière étape, soit la délivrance des permis.

[144]       La Cour d’appel fédérale a également indiqué que la Couronne devait continuer à s’acquitter honorablement de son obligation de consultation jusqu’au terme du processus (Ekuanitshit CAF, au paragraphe 110).

[145]       En outre, dans l’affaire NCC I, le NCC sollicitait une injonction interlocutoire visant à suspendre les audiences de la CEC jusqu’à ce que la Cour ait réglé sa revendication. En février 2011, le NCC avait intenté une poursuite contre Nalcor, le gouvernement fédéral et le gouvernement provincial, l’Agence et les cinq membres du conseil de la CEC. Il souhaitait obtenir, notamment, une déclaration portant que les défendeurs avaient manqué à leur obligation de le consulter, ainsi que des directives sur la manière de tenir les consultations. Le juge Handrigan, de la Cour suprême de Terre-Neuve, a rejeté la prétention du NCC selon laquelle il subirait un préjudice irréparable si l’on n’interrompait pas les audiences publiques, car il n’était pas d’accord pour dire que, à ce stade, le processus de consultation et d’accommodement avait été lacunaire, et il a fait remarquer qu’il y avait encore, après les audiences, deux phases au cours desquelles le NCC pourrait continuer de participer aux travaux avant que le processus prenne fin (NCC I, aux paragraphes 50 à 53).

[146]       Dans l’affaire Grand Riverkeeper, le NCC et les autres demandeurs ont contesté la légalité du rapport de la CEC. Les questions en litige consistaient à savoir si la CEC s’était acquittée de son mandat pour ce qui était de la nécessité du Projet et des solutions de rechange à ce dernier. Le NCC soutenait par ailleurs que la CEC avait manqué aux principes d’équité procédurale ou avait porté atteinte à son droit de se faire entendre.

[147]       Le juge Near, qui siégeait à l’époque à la Cour fédérale, a rejeté la demande. Pour ce qui était de l’argument du NCC selon lequel la CEC avait l’obligation de le consulter sur toutes les questions et de le forcer à présenter des preuves sur les questions en litige, le juge Near a conclu que le mandat de la CEC l’obligeait à inviter des groupes autochtones ou des membres de ces derniers à fournir des renseignements. De plus :

[69]      En outre, la commission s’est acquittée de son mandat en invitant à diverses reprises NunatuKavut à lui soumettre ses observations écrites et en acceptant celles-ci. Qui plus est, la commission a entendu les interventions de représentants de ce groupe lors des audiences générales qu’elle a tenues à Happy Valley-Goose Bay et à St. John’s. D’ailleurs, ce groupe a reçu plus de 130 000 $ par l’intermédiaire du Fonds d’aide financière aux participants pour participer au processus d’ÉE. Le choix de NunatuKavut de ne pas participer à certaines audiences en raison de sa requête en injonction, indépendamment de la valeur de ses intentions, ne saurait imposer à la commission l’obligation de contraindre NunatuKavut à produire des éléments de preuve.

[148]       Le juge Near a conclu qu’il n’y avait pas eu d’atteinte au droit de NunatuKavut d’être entendu ni à aucun autre principe d’équité procédurale, relativement à la participation du groupe au processus d’EE.

[149]       Je signale également que le gouvernement nunatsiavut a contesté un permis de modification d’un plan d’eau délivré le 10 juillet 2013 par la Province à l’égard du Projet, au motif que la Province avait manqué à son obligation de consulter le demandeur et de prendre à son égard des mesures d’accommodement. La Cour suprême de Terre-Neuve-et-Labrador, dans la décision Nunatsiavut c Newfoundland and Labrador (Department of Environment and Conservation), 2015 NLTD(G) 1, a jugé que les conclusions de l’EE constituaient un fondement éclairé pour la prise ultérieure de décisions réglementaires, à mesure que l’on demanderait des permis. De plus, la CEC et la Province avaient examiné en détail les mesures d’opposition au permis et à la construction du barrage qui étaient liées à des problèmes de contamination par le mercure, sans toutefois que ce soit à la satisfaction du demandeur, avant que la Province prenne son décret dégageant officiellement le Projet de l’EE le 15 mars 2012. Le juge Orsborn a exprimé l’avis que c’était la décision de prendre le décret qu’il aurait fallu contester, plutôt qu’une décision réglementaire ultérieure portant sur les détails de la construction du projet. Il a déclaré : [traduction« [...] dans les circonstances de l’espèce, il serait inéquitable de faire droit à des questions qui se rapportent directement à la réponse donnée à la Commission d’examen conjoint et au décret de 2012 en vue d’étayer une contestation qui concerne la délivrance ultérieure et distincte d’un permis réglementaire » (au paragraphe 114). Pour cette raison, il n’a exprimé aucune opinion quant à la question de savoir si la réponse de la Province au rapport de la CEC ou le décret lui-même souffraient d’un vice juridique quelconque sur le plan de la consultation, de l’accommodement ou de la raisonnabilité.

[150]       Compte tenu de ce qui précède, je suis d’avis que la totalité des consultations qui ont eu lieu entre le MPO, Nalcor et le NCC, depuis le début du processus, et y compris les phases 1 à 4, doivent aussi être prises en considération lorsqu’on examine le caractère adéquat des mesures de consultation et d’accommodement entourant la décision, prise dans le cadre de la phase 5, de délivrer l’autorisation, et cela inclut tout sujet de préoccupation découlant d’un présumé manque de fonds et de ressources (voir Adam, au paragraphe 77; Ktunaxa, aux paragraphes 203 à 206).

a)                  L’aide financière – Les connaissances traditionnelles autochtones et l’utilisation des terres et des ressources

[151]       Aux termes de la section 8.1 de l’Entente relative à la CEC, l’Agence administrera un programme d’aide financière aux participants pour favoriser la participation des groupes autochtones et du public à l’EE du Projet. Selon le paragraphe 58(1.1) de la LCEE, le ministre devrait créer un programme d’aide financière pour faciliter la participation du public aux examens menés par une commission.

[152]       Selon les documents de l’Agence qui figurent dans le dossier de la présente affaire, le Programme d’aide financière aux participants (PAFP) a été conçu pour favoriser la participation du public au processus d’évaluation et d’examen des projets assujettis à une EE fédérale aux termes du paragraphe 58(1.1) de la LCEE. Un comité d’examen de l’aide financière (CEAF), indépendant de la CEC, a été formé pour étudier les demandes d’aide financière et accorder aux demandeurs une somme pouvant atteindre 50 000 $ au cours des consultations relatives à la phase 1. Cinq demandes admissibles ont été reçues, dont celle du NCC. Un montant total de 119 500 $ a été demandé pour pouvoir prendre part à l’examen de l’ébauche des Lignes directrices sur l’EIE et formuler des commentaires connexes, ainsi que pour favoriser la participation du public à l’EIE. Le NCC a demandé 50 000 $ et, le 23 août 2007, il s’est vu accorder la somme de 13 000 $ sur les 50 000 $ disponibles. En rapport avec l’octroi de cette somme, le NCC a présenté une ébauche de budget visant à obtenir un montant total de 420 911,50 $ pour supporter les dépenses relatives à la CEC, aux Lignes directrices sur l’EIE, à l’examen de l’EIE, aux audiences de la CEC ainsi qu’aux réponses des gouvernements. Cette somme engloberait, en fait, les phases 1 à 4.

[153]       Le 9 mars 2009, le CEAF a étudié les trois demandes soumises au PAFP (Enveloppe de financement destinée aux Autochtones), pour un montant total de 1 183 393 $. Le CEAF a recommandé d’accorder un montant total de 664 439 $ aux trois demandeurs afin de les aider à participer aux audiences de la CEC, ce qui incluait l’examen de l’EIE, ainsi qu’à entreprendre des activités de consultation connexes. Le 7 juillet 2008, le NCC s’est vu accorder la somme de 120 000 $ sur le montant disponible de 664 439 $. L’entente de contribution connexe, conclue entre l’Agence et le NCC, exigeait que ce dernier prenne part à l’évaluation menée par la CEC d’une manière conforme au plan de travail approuvé, et qu’il veille à ce que les renseignements recueillis soient présentés à la CEC. Le plan de travail approuvé était joint en tant qu’annexe B et il indiquait, en partie, que le NCC entreprendrait avec le gouvernement fédéral des activités de consultation liées à l’EE, qu’il tiendrait [traduction« des réunions en vue de recueillir et de diffuser des renseignements relatifs au projet et de recueillir des connaissances traditionnelles locales », qu’il organiserait des ateliers afin de veiller à ce que l’on comprenne le processus, les éléments scientifiques et les questions techniques qu’impliquait le Projet, qu’il se préparerait pour les réunions de consultation associées à l’EE et y participerait, qu’il se préparerait pour les audiences publiques et y participerait, et qu’il rédigerait son mémoire destiné à la CEC.

[154]       Le 19 mai 2011, l’Agence a avisé le NCC que l’aide financière relative à la phase 4 était accordée dans le cadre du PAFP (Enveloppe de financement destinée aux Autochtones). Une somme totale de 120 000 $ était disponible et elle avait pour but de financer les groupes autochtones qui avaient pris part à l’examen de la CEC et qui souhaitaient maintenant entreprendre avec le Canada des activités de consultation concernant le rapport de la CEC. Les fonds pouvaient servir à aider des groupes autochtones à étudier le rapport, à tenir des réunions communautaires en vue d’examiner le rapport et à supporter les dépenses liées aux rencontres avec des représentants de la Couronne. Dans sa demande, le NCC a décrit les activités proposées pour lesquelles il sollicitait une aide financière, lesquelles comprenaient la tenue de réunions en vue de recueillir des connaissances traditionnelles. Il demandait une aide financière de 149 740,81 $. Le 12 août 2011, la somme de 21 000 $ lui a été accordée, sur les 120 000 $ disponibles, pour les activités admissibles déclarées. Il s’agissait de consultations sur le rapport de la CEC et ses recommandations, ainsi que des mesures prises pour établir si l’on avait traité des effets potentiels du Projet sur des droits ancestraux ou issus de traités potentiels ou établis ainsi que la tenue de consultations sur la manière et la mesure dans laquelle les mesures d’atténuation recommandées pourraient servir à répondre à ces préoccupations et s’il subsistait des questions en suspens.

[155]       L’affidavit de Stephen Chapman, directeur associé, Opérations régionales auprès de l’Agence (l’affidavit de Chapman), qui a été déposé à l’appui de la position du Canada dans le cadre de la présente demande, indique que, d’après des documents émanant d’Affaires indiennes et du Nord Canada (AINC), le NCC avait également reçu des fonds en dehors du cadre du processus d’EE en vue de mener des consultations sur ses revendications territoriales globales. Est joint en tant que pièce 16 à l’affidavit de Chapman un document décrit comme une feuille de calcul d’AINC selon laquelle, après soustraction de montants constituant une aide financière de base, une aide financière de 478 589 $ pour 2006-2007, de 301 173 $ pour 2007-2008, de 506 127 $ pour 2008-2009 et de 581 665 $ pour 2009-2010 a été versée.

[156]       Le document auquel il est fait référence s’intitule [traduction] « Rapport sur les affectations budgétaires par année » et les inscriptions mentionnées se rapportent à POWLEY ou [traduction] « POWLEY – Droits ancestraux des Métis ». Aucune explication de ce terme n’est donnée dans l’affidavit de Chapman ou dans le document lui-même. Les avocats de Nalcor ont renvoyé la Cour à la page 41 du rapport Unveiling NunatuKavut, où il est question de travaux de recherche liés à la présentation au gouvernement fédéral de revendications territoriales globales, ainsi que de quatre années de travaux financés par le gouvernement fédéral à partir de deux programmes différents, et qui contient, en bas de page, la mention suivante : [traduction« Financement de Powley (Bureau de l’interlocuteur) et conclusions relatives aux revendications globales (AINC) ». À mon avis, cela ajoute peu d’éclaircissements à l’affaire. Cependant, dans l’affaire NCC I, le juge Handrigan a traité plus tôt de cette question et a indiqué ce qui suit, au paragraphe 41 :

[traduction] [...] Je ne suis pas sûr de la quantité de fonds que l’on a réellement alloué soit à Nunatukavut soit à la Nation innue pour le processus relatif à l’EE de la partie inférieure du Churchill, mais je sais que Nunatukavut a reçu plus de 2 000 000 $ pour des travaux de recherche et la rédaction d’Unveiling NunatuKavut, le document relatif à sa revendication territoriale, qu’il a effectivement présenté à la CEC [...].

[157]       L’affidavit de M. Gilbert Bennett, vice-président du Projet chez Nalcor (l’affidavit de Bennett), qui a été déposé à l’appui de la position de Nalcor dans le cadre de la demande, indique que Nalcor et le NCC ont conclu deux ententes de consultation communautaire (ECC) grâce auxquelles le NCC a obtenu une somme additionnelle de 248 000 $. Ces deux ententes avaient notamment pour but de permettre au NCC de recueillir des renseignements sur l’utilisation contemporaine, par ses membres, des terres et des ressources entourant le Projet et le projet de lignes de transmission du Labrador (affidavit de Bennett, au paragraphe 39).

[158]       Les ECC figurent à la pièce K de l’affidavit de Bennett. La première est datée du 11 décembre 2009. Selon son préambule, les Lignes directrices sur l’EIE qui s’appliquent au Projet exigent que Nalcor consulte des groupes autochtones, dont le NCC, en vue de leur faire connaître le projet et ses effets environnementaux éventuels, de relever les problèmes ou les préoccupations connexes et de déterminer quelles mesures Nalcor propose de prendre pour les régler.

[159]       De plus, Nalcor souhaitait fournir des renseignements à la fois sur le Projet et sur le projet de lignes de transmission, et consulter le NCC au sujet des effets de chaque projet en vue de répondre aux exigences des Lignes directrices sur l’EIE et d’obtenir des renseignements sur les effets environnementaux éventuels de chaque projet sur les intérêts et les droits du NCC et de ses membres et collectivités. Le processus de consultation communautaire qui y était décrit comprend : la détermination de ce que le NCC pense des projets et de la manière dont chacun d’entre eux pourrait les toucher, lui ainsi que ses membres et ses collectivités, la communication des conclusions du processus de consultation communautaire au NCC et à Nalcor, de même que la détermination des [traduction« connaissances traditionnelles et de l’utilisation actuelle des ressources » (section 1.1). Il était convenu que si l’ECC demeurait en vigueur pendant sa durée complète (jusqu’au 31 mars 2010, avec une option de prolongation de douze mois), le fait que Nalcor en respecte les dispositions satisferait entièrement aux exigences des Lignes directrices sur l’EIE et acquitterait les obligations de Nalcor au sujet des consultations avec le NCC à cet égard (section .8). Le montant total de l’aide financière prévue pour la période du 11 décembre 2009 au 31 mars 2010 était de 103 800 $.

[160]       La seconde ECC est datée du 19 janvier 2011. Elle fait référence, dans son préambule, à l’ECC qui a expiré le 31 mars 2010 et signale que le NCC a demandé que les parties poursuivent le processus de consultation, en mettant l’accent sur le projet de lignes de transmission, et qu’elles recueillent des renseignements sur l’utilisation contemporaine des terres et des ressources au sein de la zone décrite sur la carte jointe en tant qu’annexe I (la zone visée par l’étude) ainsi que sur les connaissances écologiques traditionnelles pertinentes que détiennent les membres du NCC. L’aide financière, d’un montant maximal total pour les dépenses admissibles, était de 108 400 $. Il a été convenu aussi que le rapport à produire contiendrait suffisamment de renseignements sur les connaissances traditionnelles du NunatuKavut, sur l’utilisation des terres et des ressources ainsi que sur la détermination des sujets de préoccupation du NunatuKavut pour permettre à Nalcor de s’en servir comme source d’information dans le cadre du processus d’EE.

[161]       L’annexe A – Portée des travaux indique :

[traduction
1. Objectif

Les renseignements sur les problèmes et les préoccupations de NunatuKavut concernant les activités de récolte et d’utilisation des terres dans la zone visée par le Projet de centrale de production d’énergie hydroélectrique dans le cours inférieur du fleuve Churchill (le « Projet de centrale ») ont été fournis par NunatuKavut dans le cadre de l’Entente de consultation communautaire qui a expiré le 31 mars 2010. NunatuKavut a également fourni à Nalcor ses documents supplémentaires sur les revendications territoriales (« Unveiling NunatuKavut »). Ces renseignements, de pair avec d’autres renseignements accessibles au public, ont été présentés dans le Rapport d’évaluation sur les consultations (Renseignements supplémentaires concernant la DI CEC.151), que Nalcor a transmis à la Commission d’examen conjoint le 27 septembre 2010.

Nalcor se propose maintenant de conclure la phase II de l’Entente de consultation communautaire conclue avec NunatuKavut en vue de compléter les renseignements existants et disponibles sur les connaissances écologiques traditionnelles de NunatuKavut, sur l’utilisation contemporaine des terres et des ressources dans la zone visée par l’étude (illustrée sur la carte ci-jointe, en tant qu’annexe « A ») et sur les sujets de préoccupation concernant le Projet de ligne de transport d’énergie entre le Labrador et l’île de Terre-Neuve » (le « Projet de ligne de transport d’énergie »). L’Entente proposée prévoira l’octroi de fonds pour les activités suivantes, à réaliser pendant une période de quatre mois, s’étendant du 15 décembre 2010 au 15 avril 2011 :

•     un processus de consultation communautaire;

•     la collecte des connaissances écologiques traditionnelles pertinentes;

•     un examen des activités de récolte et d’utilisation des terres de NunatuKavut dans la zone visée par l’étude.

[162]       L’ECC a pour but d’inclure la collecte de renseignements sur les activités de récolte, leur intensité, leur caractère saisonnier et leur emplacement, ainsi que sur les espèces et les sites qui revêtent une importance socioculturelle pour le NunatuKavut dans la zone visée par l’étude, de compléter les renseignements que détient Nalcor sur l’utilisation actuelle des ressources et des terres du NunatuKavut, ainsi que de recueillir des renseignements sur les connaissances écologiques traditionnelles du NunatuKavut. La collecte de données sur l’utilisation des terres et des ressources est décrite et cette activité comporte l’embauche de chercheurs et la tenue d’entretiens avec des membres clés du NunatuKavut qui détiennent des connaissances contemporaines sur l’utilisation des terres et des ressources dans la zone visée par l’étude. Les résultats des activités de collecte et d’analyse de données sur l’utilisation des terres et des ressources sont censés figurer dans le rapport final.

[163]       Le rapport de la CEC traite également de l’aide financière destinée aux participants et que le NCC a reçue :

1.4.2 Programme d’aide financière aux participants

En vertu du paragraphe 58(1.1) de la Loi canadienne sur l’évaluation environnementale, un programme d’aide aux participants a été mis sur pied pour aider le public et les groupes autochtones à participer à l’évaluation environnementale du projet. Le Programme d’aide financière aux participants consistait en deux enveloppes de financement : l’enveloppe de financement régulière et l’enveloppe de financement autochtone. Le financement a été offert pour aider les participants à examiner la version préliminaire des Lignes directrices sur l’EIE et l’EIE, et à assister à l’audience publique.

L’Agence canadienne d'évaluation environnementale a constitué des comités d’examen de l’aide financière aux participants, indépendants de la commission, dont le rôle consistait à examiner les demandes de financement et à recommander les affectations de fonds. Au total, l’Agence canadienne d'évaluation environnementale a affecté du financement aux demandeurs suivants :

•     Conseil des Innus d’Unamen Shipu et Conseil des Innus de Pakua Shipu : 106 875 $;

•     Corporation Nishipiminan (Conseils des Innus d’Ekuanitshit) : 55 850,25 $;

•     Fiducie Takuaikan (Première Nation de Nutashkuan) : 46 000 $;

•     Grand Riverkeeper Labrador Inc. : 77 600 $;

•     Nation Innue : 533 968 $;

•     Nation des Métis du Labrador (maintenant le NunatuKavut Community Council) : 133 000 $;

•     Nation Naskapi de Kawawachikamach : 9 165 $;

•     Natural History Society of Newfoundland and Labrador : 16 400 $;

•     Gouvernement Nunatsiavut : 23 471 $;

•     Sierra Club du Canada – région de l’Atlantique : 50 000 $;

•     Women in Resource Development : 5 000 $.

L’Agence canadienne d'évaluation environnementale offrira des fonds additionnels à même l’enveloppe du financement pour les Autochtones pour que des groupes autochtones participent à des activités de consultation relatives au rapport de la commission.

[164]       Compte tenu de ce qui précède, il est évident que le NCC a bel et bien reçu une aide financière qui était, en partie du moins, destinée à l’aider à recueillir des connaissances traditionnelles autochtones ainsi qu’à évaluer l’utilisation contemporaine des terres et des ressources. Le NCC affirme que cette aide était insuffisante à cette fin et qu’il n’y a donc pas eu de consultations véritables. Cependant, l’aide financière qu’il a reçue de Nalcor et de l’Agence s’ajoutait en fait à son ébauche de budget dans lequel il demandait un montant total de 420 911,50 $ pour pouvoir supporter les dépenses liées à la CEC, aux Lignes directrices sur l’EIE, à l’examen de l’EIE, aux audiences de la CEC ainsi qu’aux réponses aux gouvernements. De plus, il a reçu des fonds pour produire le document Unveiling NunatuKavut, qui décrivait sa revendication territoriale. Un objectif déclaré de ce document était de faire office de traité fondamental à présenter au gouvernement fédéral dans un effort pour illustrer les droits et les titres que détiennent actuellement les habitants de descendance inuite du Centre-Sud du Labrador. Ce document oriente aussi le lecteur vers le travail de Maura Hanrahan, intitulé « Salmon at the Centre », qui traite des connaissances autochtones, y compris les connaissances locales sur les animaux, les végétaux et le paysage, détenues par des experts et des aînés inuits.

[165]       Le NCC fait référence à la décision Platinex pour ce qui est du rôle de l’aide financière. Il s’agissait d’une requête faisant suite à une décision prescrivant aux parties de poursuivre le processus de consultation et de négociation dans l’espoir de mettre en œuvre un protocole de consultation et d’autres mesures connexes. La Cour s’était réservé le droit de rendre d’autres ordonnances à cet égard si les parties ne parvenaient pas à s’entendre. Pour ce qui était de l’aide financière, l’entente de consultation comportait en annexe un tableau de dépenses admissibles. L’Ontario avait offert de financer les frais raisonnables de la Première Nation pour les consultations relatives à la phase 1 et avait fixé comme objectif la somme de 150 000 $; le montant et d’autres questions seraient visés par une entente de contribution. Cette offre a été rejetée par la Première Nation comme étant insuffisante : elle demandait 600 000 $ immédiatement ainsi qu’une garantie que la totalité de ses frais de consultation et de litige seraient supportés, et elle a soutenu que le déséquilibre entre les situations financières des parties rendait le processus de consultation inéquitable. La Cour a déclaré que la question d’une aide financière appropriée était essentielle à un processus de consultation équitable et équilibré si l’on voulait que les règles du jeu soient équitables, mais qu’elle n’avait pas en main assez d’informations pour décider de manière éclairée quel serait le niveau financement disponible (Platinex, aux paragraphes 23 à 27).

[166]       En l’espèce, le NCC n’a fourni aucune preuve sur le niveau de financement, en sus des fonds qu’il avait reçus, qui aurait été suffisant pour recueillir des connaissances traditionnelles autochtones et évaluer son utilisation contemporaine des terres et des ressources. Je signale que le CEAF a recommandé que l’on affecte les montants d’aide financière qu’il considérait comme raisonnable à la lumière des informations fournies dans les demandes d’aide financière, des réponses de suivi ainsi que des fonds reçus d’autres sources par les demandeurs. De plus, le niveau d’aide financière que l’Agence a accordé au NCC ne semble pas décalé par rapport à l’aide financière accordée à d’autres groupes autochtones, comme l’indique la liste susmentionnée, tirée du rapport de la CEC.

[167]       En fin de compte, la Cour n’est tout simplement pas en mesure d’évaluer le caractère adéquat de l’aide financière et, en l’absence de preuves contraires, il lui faut présumer que non seulement l’Agence était habilitée à octroyer une aide financière, mais aussi qu’elle a exercé de manière appropriée son pouvoir discrétionnaire de déterminer les niveaux d’aide financière appropriés dans les circonstances.

b)                  L’aide financière – Phase 5

[168]       Le NCC soutient également que le fait d’avoir refusé entièrement d’accorder une aide financière pour la phase 5 a empêché de tenir des consultations équitables et véritables parce que le ministre a omis de traiter des incertitudes entourant l’étendue et l’emplacement de l’utilisation contemporaine des terres et des ressources par le NCC et que, sans une aide financière additionnelle à la phase 5, on n’a pas traité d’une manière appropriée de l’effet du projet sur ses droits et ses titres ancestraux.

[169]       À mon avis, à cet égard, il faut se souvenir que la phase 5 n’était pas la seule occasion que l’on offrait au NCC de présenter des observations sur les connaissances traditionnelles autochtones et l’utilisation contemporaine des terres et des ressources. Lors du processus de consultation, le NCC a reçu une aide financière non seulement pour recueillir des connaissances traditionnelles autochtones et traiter de l’utilisation des terres et des ressources, mais aussi pour participer au processus de la CEC. Il a effectivement participé au processus, comme il a été décrit dans le rapport de la CEC. Par exemple, lors de l’examen du caractère suffisant de l’EIE, la CEC a envoyé 166 DI en tout. Un tableau de concordance établi par la CEC indique que 56 DI ont été générées par la CEC, en tenant compte des observations faites par le NCC sur, notamment, les connaissances traditionnelles autochtones. La CEC a également invité à faire des commentaires sur les réponses de Nalcor. À cet égard, le 19 juin 2009, le NCC a produit sa « Response to Lower Churchill Hydroelectric Generation Project Environmental Impact Statement » [Réponse à l’Étude d’impact environnemental du Projet de centrale de production d’énergie hydroélectrique dans le cours inférieur du fleuve Churchill]. Le 18 décembre 2009, le NCC a produit une autre réponse sous le même titre, s’opposant au niveau ou au manque de consultations de Nalcor à l’égard de l’EIE.

[170]       La CEC a demandé des renseignements additionnels sur la consultation des Autochtones et l’utilisation des terres et des ressources traditionnelles au moyen de la DI CEC.151. Nalcor a transmis sa réponse à cette DI en mai 2010. Dans cette dernière, elle a déclaré que des efforts de consultation avec le NCC à propos du projet étaient en cours depuis avril 2007, et elle a inclus un compte rendu des consultations. Nalcor a présenté en septembre 2010 une réponse supplémentaire, qui comprenait son Rapport d’évaluation sur la consultation des Autochtones. Ce document décrivait les efforts de consultation qui avaient été faits ainsi que les données additionnelles qui avaient été recueillies au sujet du NCC, ainsi que d’autres groupes autochtones, y compris les activités historiques et contemporaines, dont la pêche, la chasse, le piégeage et la récolte de végétaux et de mammifères marins. Le rapport comprenait également un tableau énumérant les sujets qui préoccupaient le NCC ainsi que les mesures et les réponses proposées et complètes. Le NCC a présenté un mémoire en réponse.

[171]       Les audiences de la CEC ont commencé le 3 mars 2011. Le 4 mars 2011, le NCC a avisé la CEC qu’il n’y participerait pas et qu’il avait déposé une demande d’injonction en vue de faire interrompre les audiences. La CEC a répondu avec regret et a déclaré que, comme elle l’avait dit dans le passé, elle considérait les audiences publiques comme une occasion permettant aux groupes autochtones de lui fournir des renseignements utiles sur les droits et les titres ancestraux revendiqués ou établis ainsi que sur les répercussions que le Projet pouvait avoir sur eux, et que ces renseignements pouvaient alors être inclus dans le rapport de la CEC.

[172]       Le 24 mars 2011, le juge Handrigan, de la Cour suprême de Terre-Neuve-et-Labrador, a rejeté la demande d’injonction présentée dans NCC I. Il a procédé à un examen détaillé des communications et des consultations menées jusque-là ainsi que du rôle de la CEC :

[traduction
[49]      Cependant, les critiques de Nunatukavut au sujet de la CEC laissent planer des doutes sur la Commission, et cela est inéquitable. En fait, cette dernière a insisté de manière assez vigoureuse, sinon agressive, pour que Nalcor s’acquitte de manière sérieuse de son obligation de consultation et d’accommodement à l’égard de Nunatukavut et des autres groupes autochtones. Je signale, par exemple, les quatre séries de demandes d’information détaillées qu’elle a transmises à Nalcor entre le 1er mai 2009 et le 2 novembre 2010, dont une traitait expressément des consultations de Nalcor avec les groupes autochtones. Je signale également ici la lettre que la CEC a envoyée le 5 février 2010 à Nalcor pour lui donner instruction de lui faire part tous les mois de mises à jour sur ses activités de consultation avec les groupes autochtones ainsi que la décision de la CEC, prise en janvier 2010, à savoir que les renseignements qu’elle avait reçus de Nalcor à ce moment-là n’étaient pas suffisants pour entreprendre des audiences publiques.

[50]      La CEC a défendu avec vigueur la prise de mesures de consultation et d’accommodement à l’égard des Autochtones pendant tout le processus d’EE. Et, dans la mesure où son mandat le lui permettait, elle a demandé et reçu des renseignements sur les effets négatifs que le Projet pouvait avoir sur les droits ou les titres ancestraux revendiqués ou établis, y compris ceux de Nunatukavut. Ce dernier n’a pas subi – et ne subira pas – de préjudice, irréparable ou non, par suite des mesures de la Commission. Il s’expose toutefois à un risque de préjudice, qui ne sera vraisemblablement pas irréparable cependant, s’il refuse l’invitation en cours de la CEC de prendre part à des audiences publiques et de participer par ailleurs aux phases restantes du processus d’EE.

[173]       Après le rejet de la demande d’injonction, le NCC a tout de même participé aux travaux et fait des observations de vive voix à la CEC, accompagnées de la présentation de divers documents. La première présentation portait sur les lacunes perçues en matière de données, la nécessité de procéder à un examen de la documentation, les documents d’archives et le temps et les ressources nécessaires pour ce faire. La seconde recommandait que les connaissances traditionnelles autochtones soient incorporées à l’EIE, qu’il y ait davantage de consultations véritables et que l’on règle les problèmes environnementaux en suspens.

[174]       La CEC a pris acte de l’importance de son rapport dans le contexte du processus de consultation globale du Canada :

En août 2010, l’Agence canadienne d'évaluation environnementale a publié le Cadre fédéral de consultation des Autochtones sur le projet hydroélectrique du bas Churchill (le cadre) pour clarifier la mesure dans laquelle le gouvernement fédéral aurait recours au processus d’examen de la commission pour s’acquitter de son obligation de consulter les autochtones, prévue par la loi. Le cadre clarifiait le rôle de l’Agence canadienne d'évaluation environnementale et des ministères fédéraux dans les activités de consultation qui se déroulent pendant le processus d’examen de la commission, ainsi que dans les activités de consultation qui ne s’inscrivent pas dans le processus de la commission.

Le cadre soulignait l’importance du processus d’examen de la commission dans le cadre global des activités de consultation du gouvernement fédéral, ainsi que l’importance de la participation des autochtones à ce processus. Le cadre indiquait également que le rapport et les dossiers de la commission, établis au moyen de l’examen de la commission, seraient les principales sources d’information à l’appui de l’évaluation du gouvernement fédéral des effets potentiels du projet sur les droits ancestraux et issus de traités des Autochtones, établis et éventuels.

[Non souligné dans l’original.]

[175]       Le rapport de la CEC, au chapitre 8, qui porte sur l’utilisation des terres et des ressources, traite des effets du projet sur les activités de récolte (chasse, piégeage, pêche et cueillette de baies), les cabanes, les déplacements en hiver, la navigation et d’autres activités fondées sur l’exploitation des ressources (exploitation minière, agriculture et écotourisme) qui s’appliquent aux utilisateurs des terres et des ressources, tant autochtones que non autochtones. Elle a fait remarquer que le territoire touché est utilisé à des fins diverses, mais qu’il ne s’agit pas d’un secteur de prédilection pour l’utilisation des terres et des ressources. Elle a conclu que le projet aurait un effet négatif, mais non important sur la pêche dans le bras principal du fleuve Churchill parce que, à l’heure actuelle, il ne s’agit pas d’une destination de pêche importante.

[176]       Cependant, s’il se révélait nécessaire d’établir de nouveaux avis sur la consommation à Goose Bay et au lac Melville, le projet aurait un effet négatif important sur la pêche et la chasse au phoque dans ce secteur, parce que de nombreux Autochtones et non-Autochtones dépendent des poissons et des phoques qui y sont pris. Il n’était pas certain que des avis sur la consommation soient nécessaires au-delà de l’embouchure du fleuve Churchill, et la CEC a fait référence à sa recommandation 6.7 sur l’évaluation des effets en aval à cet égard. Le Projet n’aurait donc pas d’effet négatif important sur l’utilisation des terres et des ressources, à l’exception des effets éventuels sur la pêche et la chasse au phoque dans la région du lac Melville que la CEC avait relevés.

[177]       Au chapitre 9, qui porte sur l’utilisation contemporaine des terres et des ressources par les Autochtones à des fins traditionnelles, la CEC a exposé les points de vue de Nalcor et des participants, y compris le fait que le NCC ne souscrirait pas à la conclusion de Nalcor selon laquelle ses membres n’exercent actuellement pas d’activités liées à l’utilisation des terres et des ressources présentes dans le secteur visé par le Projet, et son observation selon laquelle cette conclusion reposait sur des renseignements lacunaires. En particulier, le NCC a indiqué qu’il n’était pas d’accord avec l’utilisation que Nalcor faisait des renseignements contenus dans le rapport Unveiling NunatuKavut, car ils concernaient principalement une zone restreinte.

[178]       La CEC a fait remarquer que, pour arriver à ses conclusions sur l’utilisation que faisaient les Autochtones des terres et des ressources à des fins traditionnelles, elle avait considéré que certains facteurs étaient particulièrement pertinents. Au nombre de ces derniers figuraient des renseignements liés aux expériences sur les terres fournis à la Commission par certains Autochtones et qui donnaient à penser qu’il y avait eu au cours des dernières années un déclin des pratiques traditionnelles mettant en cause l’utilisation des terres et des ressources; que l’intensité des activités traditionnelles pratiquées dans la secteur visé par le Projet variait entre les divers groupes autochtones, mais que ce secteur ne semblait pas être un endroit de prédilection pour les activités liées à l’utilisation des terres et des ressources, car elles étaient surtout intermittentes et sporadiques comparativement à d’autres secteurs situés en dehors de la zone d’étude; et que l’absence d’ententes de consultation négociées avec certains groupes autochtones signifiait que la CEC avait reçu des renseignements restreints et imprécis sur l’utilisation contemporaine, par les Autochtones, des terres et des ressources situées à l’intérieur de la zone visée par le Projet.

[179]       La CEC a ensuite énuméré ses conclusions et ses recommandations concernant chacun des groupes autochtones. Voici ce qu’elle a écrit au sujet du NCC :

Inuits-Métis

La commission reconnaît que pendant le processus d’examen, elle n’a reçu que des informations limitées concernant les activités d’utilisation des terres et des ressources par les Inuit-Métis à des fins traditionnelles dans la zone du projet. Bien que certains efforts aient été réalisés au départ lorsque le Conseil communautaire de NunatuKavut et Nalcor se sont entendus sur la première phase d’un accord de consultation pour faciliter la collecte d’information, la participation tardive des leaders de NunatuKavut aux audiences publiques, vu l’application de leur injonction interlocutoire, a limité leur contribution au processus d’étude. La commission reconnaît également qu’un manque de ressources a empêché le Conseil communautaire de NunatuKavut de présenter des informations substantielles après le commencement de sa participation aux audiences publiques. Pendant les audiences publiques, la plus grande partie des informations ont été reçues de participants inuit-métis davantage que de l’organisation. La commission note que l’affiliation des participants n’a pas toujours pu être confirmée.

La commission a noté que la principale activité d’utilisation des terres et des ressources pratiquée par les membres de NunatuKavut, qui persiste depuis deux siècles, est le piégeage. Les mesures envisagées pour atténuer les effets du projet sur le piégeage et compenser la perte de revenu, de propriété ou d’équipement de piégeage attribuée au projet (recommandation 8.1) pourraient être particulièrement pertinentes pour les trappeurs inuit-métis. La commission a également constaté que de nombreux sites fréquentés par les Inuits-Métis pour leurs activités d'utilisation des terres et des ressources sont situés à l'extérieur de la zone du projet et demeureraient intacts et accessibles.

D’après l’information sur l’utilisation actuelle des terres et des ressources définie lors du processus d’évaluation environnementale, il existe des incertitudes quant à l’étendue et à l’emplacement des activités actuelles d’utilisation des terres et des ressources par les Inuit-Métis dans la zone du projet. La commission reconnaît que des informations supplémentaires pourraient être obtenues au cours des consultations du gouvernement. Dans la mesure où il existe une utilisation actuelle du territoire dans la zone du projet, la commission a conclu que les effets du projet sur les activités d'utilisation des ressources et du territoire par les Inuits-Métis, une fois que les mesures d'atténuation proposées par Nalcor et celles qui sont recommandées par la commission auront été mises en œuvre, seraient négatifs, mais ne seraient pas importants.

[Non souligné dans l’original.]

[180]       Fait important, la CEC a jugé que la conclusion importante qu’elle tirait au chapitre 8, relativement à l’effet du projet sur la pêche et la chasse au phoque à Goose Bay et au lac Melville, s’appliquerait aux activités de récolte traditionnelles des Inuits du Labrador, y compris la consommation de nourriture récoltée dans ce territoire s’il se révélait nécessaire de diffuser des avis sur la consommation qui étaient liés au Projet. La CEC n’a pas tiré de conclusion semblable au sujet des Inuits-Métis ou de tout autre groupe autochtone.

[181]       Il convient également de signaler que, dans ses conclusions concernant les groupes autochtones du Québec, la CEC a reconnu, comme elle l’a fait pour les Inuits-Métis, qu’elle n’avait reçu que des renseignements restreints lors du processus d’examen des activités contemporaines liées à l’utilisation des terres et des ressources à des fins traditionnelles dans le secteur visé par le Projet. Dans ce cas, cela était imputable au fait que Nalcor et les groupes autochtones avaient été incapables de conclure des ententes de consultation, à l’exception du Conseil des Innus de Pakua Shipu. De plus, des contraintes de temps, lors de la période des audiences, n’avaient pas permis à la Commission de se rendre dans chaque collectivité au Québec.

[182]       Cependant, à l’instar de la manière dont elle a traité le NCC, la CEC a conclu que même s’il y avait des incertitudes quant à l’étendue et aux emplacements des ressources et des terres utilisées par les groupes autochtones du Québec dans la zone visée par le Projet, et que l’on obtiendrait des renseignements additionnels lors des consultations gouvernementales, dans la mesure où il y avait des utilisations contemporaines dans cette zone, l’effet du Projet sur les utilisations que faisaient les Autochtones du Québec des terres et des ressources serait négatif, mais non important. En d’autres termes, le NCC n’était pas le seul groupe visé dans les conclusions de la CEC selon lesquelles les renseignements disponibles sur les activités contemporaines liées à l’utilisation des terres à des fins traditionnelles dans la zone visée par le Projet étaient restreints. Néanmoins, et tout en reconnaissant que d’autres renseignements pourraient être fournis lors de consultations tenues après la publication de son rapport, elle a conclu que l’effet du Projet sur l’utilisation des terres et des ressources serait négatif, mais non important.

[183]       Au chapitre 10, qui porte sur les droits et les titres ancestraux des Autochtones, la CEC a fait remarquer que, conformément à son mandat, elle avait invité des Autochtones ou des groupes autochtones à présenter des renseignements liés à la nature et à l’étendue des droits ou des titres ancestraux revendiqués ou établis dans la zone visée par le Projet, ainsi que des renseignements portant sur les effets négatifs ou les transgressions qui pourraient découler du Projet à l’égard des droits ou des titres ancestraux revendiqués ou établis. La CEC a reçu des renseignements sur les droits et les titres ancestraux au cours de divers témoignages faits pendant les audiences publiques, ainsi que sous la forme de mémoires. Un résumé de ces renseignements a été fourni. De plus, l’annexe 7 contient une liste de documents reçus de chaque groupe autochtone, assortis de renseignements portant sur ces droits et ces titres ancestraux respectifs. Conformément à son mandat, la CEC n’a tiré aucune conclusion à propos de ces renseignements ou n’a formulé aucune recommandation à leur égard. Cependant, il est important de mentionner que tout en reconnaissant que d’autres renseignements pourraient être fournis, la CEC a été en mesure de déterminer que l’effet sur l’utilisation que le NCC faisait des terres et des ressources serait négatif, mais non important.

[184]       Il ressort clairement de ce qui précède que le processus de la CEC était le principal mécanisme par lequel les groupes autochtones pouvaient faire état de leurs préoccupations au sujet des effets négatifs potentiels du Projet sur leurs droits ou leurs titres ancestraux. Le NCC était au courant de ce fait. Il a reçu une aide financière pour traiter de ces questions dans le cadre du processus de la CEC. Il a peut-être été insatisfait du niveau d’aide financière accordé, mais il m’est impossible de conclure que cela a empêché le NCC de participer de manière véritable au processus de la CEC. Et, dans la mesure où il a décidé de ne pas le faire, mais de présenter plutôt sa demande d’injonction, il était au courant du risque qu’il prenait en ne tirant pas pleinement avantage de ce processus; cependant, en fin de compte, il a tout de même présenté des observations restreintes.

[185]       Certes, la CEC a reconnu qu’il y avait des incertitudes entourant l’étendue et les emplacements des terres utilisées dans la zone visée par le Projet. Cependant, le NCC avait également reçu une aide financière au cours de la phase 4, qui portait sur les consultations concernant le rapport de la CEC. Dans sa demande d’aide financière concernant la phase 4, le NCC a décrit les activités proposées pour lesquelles il sollicitait une aide financière, lesquelles comprenaient la tenue de réunions en vue de recueillir des connaissances traditionnelles. L’aide financière reçue, soit la somme de 21 000 $, a servi à tenir des consultations sur le rapport de la CEC et ses recommandations – qui prenaient acte des incertitudes entourant l’utilisation des terres, ainsi qu’à déterminer si les effets potentiels du Projet sur les droits autochtones et issus de traités avaient été examinés, tout comme les mesures d’atténuation recommandées ainsi que les questions qui demeuraient encore en suspens. Conscient des conclusions de la CEC à propos de l’utilisation contemporaine des terres et des ressources, le NCC était en mesure de traiter en profondeur des présumées lacunes en matière de connaissances à la phase 4 en fournissant des renseignements additionnels, mais il a décidé de ne pas le faire.

[186]       Les commentaires du NCC sur le rapport de la CEC ont été exposés dans son mémoire du 9 novembre 2011. Il a allégué que :

        le processus de la CEC avait été affaibli par le fait que le Canada et la Province n’avaient pas dialogué séparément avec le NCC avant le processus de la CEC;

        les droits autochtones et issus de traités n’avaient pas été examinés adéquatement, et l’obligation de consultation et d’accommodement n’avait pas été satisfaite;

        la province et Nalcor étaient indifférenciables et la Province avait fait preuve de partialité et était résolue à faire obstacle aux consultations;

        la CEC avait fait preuve de discrimination à l’égard du NCC et avait accordé un traitement préférentiel aux autres groupes autochtones;

        la CEC avait reconnu que le NCC avait besoin de plus de temps et de ressources financières additionnelles pour étudier plus en détail l’utilisation contemporaine des terres et des ressources, mais elle avait omis de formuler une recommandation à cet égard. De plus, les ressources qui auraient permis de mener des études appropriées n’étaient toujours pas disponibles;

        la CEC avait examiné sous un angle eurocentrique ce qui constituait l’utilisation traditionnelle des terres, ce qui était préjudiciable et une erreur de droit;

        la CEC n’avait pas exercé son mandat, car elle avait omis d’insister pour que l’on accorde au NCC une aide financière et que l’on mène des travaux appropriés sur les connaissances traditionnelles autochtones;

        pour ce qui était des mesures d’accommodement, la CEC aurait dû exiger que les licences et les permis délivrés à Nalcor soient subordonnés à des consultations adéquates, à des mesures d’accommodement financières, ainsi qu’à des ententes sur les arrangements et les répercussions et à un partage des redevances;

        la CEC avait renoncé à la compétence et à la responsabilité qu’elle avait d’examiner des solutions de rechange au Projet et d’évaluer les effets cumulatifs;

        Nalcor n’avait pas joué franc-jeu et s’était abstenue de faire part à la CEC de renseignements qui étaient contraires à ses intérêts, et avait faussement présenté des renseignements qu’elle avait reçus du NCC ou de ses membres :

Le NCC avait respecté ses attentes contractuelles en fournissant des renseignements à Nalcor et, ensuite, quand Nalcor n’avait pas présenté ces renseignements de manière équitable et complète, il avait manqué de ressources pour soumettre de nouveau les renseignements directement à la CEC. De ce fait, les données qui avaient été soumises à la CEC au sujet des collectivités du NCC étaient sérieusement viciées.

        De plus, Nalcor n’avait engagé aucun dialogue avec le NCC, à quelque niveau que ce soit, au cours de l’évaluation.

[187]       Un grand nombre de ces sujets de préoccupation avaient déjà été réglés par le juge Handrigan dans sa décision rejetant la demande d’injonction du NCC, et le juge Near, dans la décision Grand Riverkeeper, en a traité ultérieurement. Mais ce qui est important pour les besoins du présent contrôle judiciaire est l’absence d’une réponse exhaustive au prétendu manque de renseignements sur les connaissances traditionnelles autochtones et l’utilisation contemporaine des terres et des ressources, alors qu’une aide financière avait été accordée pour la phase 4 et qu’elle aurait pu être axée sur cette question. L’aide financière ne se situait peut-être pas au niveau que le NCC aurait pu souhaiter, mais, vu l’importance qu’il accorde à cette question, elle aurait permis de formuler au moins une forme quelconque de réponse exhaustive de façon à fonder ses préoccupations sur des faits. Et si le NCC était d’avis que les données qu’il avait recueillies grâce à l’aide financière reçue de Nalcor avaient été présentées de manière inexacte par cette dernière à la CEC, il aurait pu présenter les renseignements lors de la phase 4 et expliquer le fondement de ses préoccupations. Comme ces recherches avaient déjà été financées, il n’y aurait pas eu de restriction de coûts, sinon peu, à cet égard.

[188]       En résumé, le NCC n’a pas fait état des fonds supplémentaires dont il aurait eu besoin à la phase 5 pour traiter des connaissances traditionnelles autochtones et de l’utilisation contemporaine des terres et des ressources. Cependant, il avait reçu une aide financière qui avait été utilisée à cette fin – ou qui aurait pu l’être – lors des phases 1 à 4. De plus, le processus de la CEC était le principal mécanisme par lequel le Canada devait consulter les groupes autochtones, et il incombait donc au NCC d’utiliser entièrement ce processus. Si, à la phase 4, il était toujours insatisfait du manque de renseignements sur les connaissances traditionnelles autochtones et l’utilisation contemporaine des terres et des ressources, il aurait pu, à ce stade, s’efforcer de traiter plus en détail, sur le plan factuel, de ses préoccupations; plus précisément, pour régler, du moins à un niveau préliminaire, l’incertitude que la CEC avait relevée. Cependant, aucun argument de fond n’a été invoqué à cet égard. Le NCC n’explique pas non plus en quoi les prétendues lacunes dans ces connaissances et ces informations ont eu une incidence sur les consultations de la phase 5, qui portaient, en particulier, sur le PCPHP et le PSEE. Pour toutes ces raisons, il est impossible de conclure que le NCC a établi qu’un manque de fonds à la phase 5 l’a empêché de présenter des renseignements nécessaires sur les connaissances traditionnelles autochtones et l’utilisation contemporaine des terres et des ressources, et que ce fait s’est soldé par un manque de consultations véritables au cours de cette phase.

c)                  L’aide financière – La phase 5, l’expectative légitime

[189]       Pour ce qui est de la règle de l’expectative légitime, l’argument qu’invoque le NCC sur ce point ne peut pas, selon moi, être retenu. La Cour suprême a énoncé le critère applicable dans l’arrêt S.C.F.P. c Ontario (Ministre du Travail), 2003 CSC 29, au paragraphe 131 :

La règle de l’expectative légitime est « le prolongement des règles de justice naturelle et de l’équité procédurale » : Renvoi relatif au Régime d’assistance publique du Canada (C.‑B.), [1991] 2 R.C.S. 525, p. 557. Elle s’attache à la conduite d’un ministre ou d’une autre autorité publique dans l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire — y compris les pratiques établies, la conduite ou les affirmations qui peuvent être qualifiées de claires, nettes et explicites — qui a fait naître chez les plaignants (en l’espèce, les syndicats) l’expectative raisonnable qu’ils conserveront un avantage ou qu’ils seront consultés avant que soit rendue une décision contraire. Pour être « légitime », une telle expectative ne doit pas être incompatible avec une obligation imposée par la loi. Voir : Assoc. des résidents du Vieux St‑Boniface Inc. c. Winnipeg (Ville), [1990] 3 R.C.S. 1170; Baker, précité; Mont‑Sinaï, précité, par. 29; Brown et Evans, op. cit., par. 7 :2431. Lorsque les conditions d’application de la règle sont remplies, la cour peut accorder une réparation procédurale convenable pour répondre à l’expectative « légitime ».

[190]       Comme il a été indiqué dans l’arrêt Agraira, au paragraphe 94, si un organisme public a fait des déclarations au sujet des procédures qu’il suivrait pour rendre une décision en particulier, ou s’il a constamment suivi dans le passé, en prenant des décisions du même genre, certaines pratiques procédurales, la portée de l’obligation d’équité procédurale envers la personne touchée sera plus étendue qu’elle ne l’aurait été autrement.

[191]       Dans ses observations écrites, le NCC indique que son expectative légitime au sujet de l’aide financière, et d’autres questions, repose en grande partie sur le processus de la CEC. Cependant, il ne relève rien dans ce processus que l’on puisse qualifier de clair, de non ambigu et d’absolu et qui a amené le NCC à s’attendre de manière raisonnable à ce qu’on lui accorde une aide financière dans le cadre de la phase 5. De plus, le NCC dit simplement qu’étant donné qu’il a reçu une aide financière pour les phases 1 à 4, l’expectative qu’il avait à l’égard de la phase 5 est légitime. À mon avis, cela ne satisfait pas au critère de l’attente légitime. Comme le processus d’EE prenait fin à la phase 4, il n’est guère surprenant que la CEC ou le PAFP n’aient pas traité de l’aide financière relative à la phase 5, la phase de délivrance des permis réglementaires.

[192]       De plus, le rapport d’examen du Programme d’aide financière aux participants qui concerne la phase 2 du processus d’EE ne fait aucunement mention d’une aide financière additionnelle ou future à accorder, et le rapport de financement concernant la phase 4 est quasi identique. Le NCC n’a pas non plus fourni une preuve quelconque qu’un processus d’aide financière semblable avait été envisagé pour la phase 5.

[193]       En bref, le dossier ne contient aucune preuve que le ministre a indiqué de façon claire, non ambiguë et catégorique, d’aucune manière en fait, qu’une aide financière serait accordée pour la phase 5. Le NCC n’a pas fourni non plus une preuve que l’octroi d’une aide financière pour la phase 5 est une pratique qui aurait donné lieu à une telle expectative. L’argument du NCC au sujet de l’expectative légitime ne peut donc pas être retenu.

d)                 L’aide financière – La phase 5, l’examen du PCPHP et du PSEE

[194]       Le NCC soutient également que l’absence d’une aide financière pour la phase 5 l’a empêché d’examiner et de commenter comme il faut ce qu’il décrit comme deux instruments hautement techniques : le PCPHP et le PSEE. À cause de cela, il n’a pas pu participer de manière véritable à cette étape des consultations. Comme il a été mentionné plus tôt, le NCC n’a jamais indiqué de quel niveau d’aide financière il aurait eu besoin à cet égard.

[195]       Le PCPHP a pour objet de décrire le plan adopté par Nalcor pour compenser la perte et la détérioration de l’habitat du poisson que causerait le Projet au moyen d’une série de créations et d’améliorations physiques de l’habitat qui seront ajoutées à l’utilisation prévue des réservoirs par les poissons résidents, de pair avec un programme de surveillance adaptative détaillé, destiné à mesurer la fonction et l’efficacité ainsi qu’à prescrire toute mesure d’atténuation requise.

[196]       Il convient également de signaler que les racines du PCPHP existaient avant la phase 5. Dans son affidavit, M. Chapman indique que Nalcor a reconnu qu’un PCPHP serait nécessaire pour obtenir l’autorisation du Projet et que sa mise au point a commencé en 2006. La première étape a été l’établissement, par AMEC, dont Nalcor a retenu les services, d’un cadre de compensation de l’habitat du poisson à présenter au MPO. Ce cadre a également été présenté à la CEC au moyen d’une réponse à la DI no JRP.107. En mai 2010, la Stratégie de compensation de l’habitat du poisson a été terminée. Celle-ci a été transmise à la CEC par Nalcor, dans le cadre de la DI no JRP.153. La présentation de Nalcor sur sa Stratégie de compensation de l’habitat du poisson indique qu’elle prévoit des exigences en matière d’habitat pour les espèces de poisson présentes et montre de quelle façon ces exigences seront remplies grâce à des mesures de création et d’amélioration de l’habitat, l’intention étant de soutenir, dans la mesure du possible, l’utilisation existante et naturelle de l’habitat du poisson. Les valeurs attribuées au poisson et à son habitat par le public, les groupes autochtones et d’autres intéressés ont été relevées dans le cadre de sa mise au point et ces aspects continueraient d’être intégrés dans les travaux futurs concernant le PCPHP.

[197]       En avril 2009, Nalcor a tenu des ateliers sur la compensation de l’habitat du poisson. Un représentant du NCC a assisté à chacun des deux ateliers qui ont eu lieu à Happy Valley – Goose Bay le 7 avril 2009. La pièce KKK jointe à l’affidavit de Chapman contient des notes prises lors de ces ateliers, dont l’objectif déclaré était d’obtenir des informations de la part de personnes qui utilisaient et connaissaient les ressources du fleuve ou qui avaient une bonne connaissance des mesures de compensation de l’habitat du poisson. Une présentation PowerPoint a fait un survol du processus, des renseignements existants ainsi que de l’approche suivie par la stratégie et elle a soulevé des sujets de discussion, tels que l’importance d’espèces privilégiées, l’accès des pêcheurs à la ligne, les passages privilégiés ou les améliorations en aval, etc.

[198]       D’autres ateliers ont eu lieu à St. John’s (Terre-Neuve-et-Labrador) le 12 mars 2010 ainsi qu’à Happy Valley – Goose Bay le 23 mars 2010. Nalcor a établi un sommaire de questions, de commentaires et de préoccupations découlant de ces ateliers, à partir du procès-verbal de ces rencontres. Le NCC ne semble pas y avoir assisté, contrairement à divers autres intervenants, comme Grand Riverkeeper, la Nation innue et d’autres.

[199]       Le 21 décembre 2012, Nalcor a écrit au NCC pour dire qu’elle avait l’intention de consulter les intervenants au sujet de l’ébauche du PCPHP et du PSEE. Dans cette lettre elle offrait de rencontrer des représentants du NCC pour les renseigner sur le PCPHP. Elle invitait également le NCC à assister à une séance d’information publique à Happy Valley – Goose Bay le 16 janvier 2013, séance à l’occasion de laquelle on discuterait du plan. Nalcor a joint à la lettre une copie du PCPHP afin que le NCC l’examine. La lettre indiquait que le PCPHP était une importante stratégie d’atténuation des effets du Projet et que Nalcor était heureuse de pouvoir en discuter avec le NCC. Elle indiquait par ailleurs que si le NCC avait des questions à poser ou avait besoin de plus amples renseignements, il pouvait entrer en contact avec Nalcor pour discuter plus en détail de l’affaire. Selon l’affidavit de Bennett, le NCC n’a pas répondu à cette invitation.

[200]       Le 16 janvier 2013, Nalcor a tenu une séance d’information publique visant à présenter l’ébauche de PCPHP et de PSEE. Des représentants du NCC y ont assisté et le compte rendu sommaire de cette séance indique que l’ébauche de PCPHP a été mise en ligne dans le site Web de Nalcor à ce moment-là.

[201]       Quant au PSEE, l’affidavit de Bennett indique que les services d’AMEC ont été retenus pour établir le plan qui est axé sur les prévisions faites dans l’EE et qui est conçu pour vérifier les prévisions relatives aux effets environnementaux et déterminer l’efficacité des mesures d’atténuation.

[202]       Pour ce qui est des consultations du MPO dans le cadre de la phase 5, comme il a été indiqué plus tôt dans le contexte factuel, le 9 mai 2012, à la demande du NCC, des représentants de ce dernier ont rencontré des représentants du MPO pour discuter des permis réglementaires. À cette occasion, un certain nombre de questions ont été évoquées, dont celle que le NCC n’avait pas de ressources pour pouvoir examiner la question de la délivrance de permis ou y répondre, et le MPO a fait savoir qu’il ne pouvait pas en fournir.

[203]       Par une lettre datée du 1er juin 2012, le MPO a indiqué qu’avant la délivrance de l’autorisation, il consulterait les groupes autochtones, dont le NCC, et qu’un protocole de consultation des Autochtones qui régirait ce processus était en voie d’établissement et serait soumis au NCC pour commentaires.

[204]       Le 9 juillet 2012, le MPO a écrit au NCC pour dire que, conformément au Cadre de consultation, le Projet entrait maintenant dans la phase de délivrance de permis réglementaire et il a proposé de tenir les consultations relatives à la phase 5 d’une manière conforme à l’ébauche de Protocole régissant la phase réglementaire qui était jointe à sa lettre. Le MPO a demandé au NCC de faire part de ses commentaires sur le processus dans les quatorze jours suivants.

[205]       Le NCC n’a pas répondu, mais, plus de trente jours plus tard, son courriel de réponse, daté du 8 août 2012, ne traitait pas en détail du projet de Protocole régissant la phase réglementaire. Il a plutôt fait les commentaires suivants, et a indiqué qu’il s’agissait là de la totalité de ses commentaires à ce moment-là :

[traduction

– Nous aimerions qu’un protocole soit établi pour pouvoir partager/examiner les connaissances traditionnelles autochtones du NCC;

– Nous aimerions que l’on mette davantage l’accent sur les connaissances traditionnelles autochtones;

– De même qu’une définition claire du Projet dans le secteur qui constitue son empreinte.

[206]       Le 21 décembre 2012, Nalcor a fourni au NCC l’ébauche de PCPHP. Tant cette ébauche que celle du PSEE ont été communiquées par le MPO au NCC le 28 février 2013, et le MPO a également déclaré que des études techniques et biologiques détaillées associées aux plans [traduction« sont présentées dans le Plan compensatoire pour la perte de l’habitat du poisson et le Plan de surveillance des effets environnementaux, qu’il est possible de consulter dans le site Web de Nalcor à l’adresse : http ://nalcorenergy.com/news-and-publications.asp. » Conformément au Protocole régissant la phase réglementaire, le MPO a demandé qu’on lui fasse part de commentaires dans les 45 jours suivants, et il a signalé que le NCC pouvait demander la tenue d’une réunion dans les dix jours suivants, s’il le fallait, pour discuter des plans avec le MPO. Ce dernier a également mentionné qu’il répondrait par écrit à ces commentaires.

[207]       Le NCC a répondu le 15 avril 2013, mais sans fournir de commentaires sur le PCPHP ou le PSEE. Il a indiqué, notamment, qu’il n’acceptait pas le Protocole régissant la phase réglementaire, que le délai d’examen de 45 jours était déraisonnable, qu’il y avait eu un manque d’engagement procédural avec le NCC lors de la préparation des plans, qu’aucune ressource n’avait été fournie pour la phase 5 et qu’il n’y avait eu aucune consultation directe avec le NCC au sujet des autorisations de projet proposées.

[208]       La lettre indiquait aussi qu’aucun des organismes ou aucune des entreprises ayant une obligation de consultation directe ou déléguée au sujet de l’autorisation du Projet n’avait rencontré directement le NCC pour discuter de ses préoccupations. Le NCC a demandé que l’on tienne une réunion pour discuter de ses préoccupations à l’égard du non-respect du promoteur et de l’insuffisance des mesures de consultation et d’accommodement. Il a joint un tableau énumérant certaines des recommandations de la CEC, ainsi que les lacunes qu’elles comportaient, selon le NCC.

[209]       Il ne fait aucun doute que le PCPHP est un document technique. La question qui se pose est la suivante : le manque d’aide financière pour la phase 5 a-t-il empêché d’effectuer de véritables consultations? Il aurait certes été préférable d’accorder à ce stade une aide financière supplémentaire, mais je ne suis pas convaincue que sans cette dernière il ne pouvait pas y avoir de consultation véritable. Le NCC était au courant qu’aucune aide financière ne serait accordée pour la phase 5. Il a eu des occasions de rencontrer Nalcor en vue de discuter du PCPHP et du PSEE. Même si le NCC ne considérait peut-être pas que Nalcor, à titre de promoteur du Projet, était une source indépendante d’informations, il aurait pu au moins lui demander d’expliquer les effets techniques du PCPHP afin de vérifier si ce dernier examinait et atténuait convenablement les intérêts du NCC, en particulier, soit n’importe quel effet négatif sur son utilisation contemporaine des terres et des ressources.

[210]       Dans le même ordre d’idées, même si le MPO n’était pas en mesure d’octroyer une aide financière pour la phase 5, il a mis en application et suivi le Protocole régissant la phase réglementaire et a offert au NCC la possibilité de formuler des commentaires sur ce processus. Cela comprenait la possibilité que le NCC demande la tenue d’une réunion dans les dix jours suivant la réception des ébauches des plans. Le NCC n’a pas fait cette demande, mais il a tout de même, par la suite, contesté le processus du protocole et demandé la tenue d’une réunion. Le MPO n’avait aucun intérêt personnel dans les plans et était en mesure de fournir au NCC une expertise technique pour les interpréter. Grâce à de tels renseignements, le NCC aurait pu déterminer si le PCPHP était insuffisant ou non pour atténuer tout effet négatif du projet sur ses intérêts à l’égard des ressources halieutiques touchées. Il convient également de signaler que l’affidavit de Ray finn, directeur régional de la Gestion des écosystèmes, région de Terre‑Neuve‑et-Labrador, MPO, signé le 5 février 2014 à l’appui de la position du MPO dans le cadre de la présente demande, indique qu’on l’a informé qu’à la réunion du 9 mai 2012, que le NCC avait demandée pour discuter de la délivrance de permis réglementaires, on avait dit au NCC que, même si le MPO ne pouvait pas octroyer une aide financière pour la phase 5, les deux parties pouvaient se rencontrer, au besoin, en vue de discuter des documents.

[211]       L’affidavit de Todd indique que le NCC ne possède pas l’expertise ou les ressources techniques voulues pour interpréter les plans. Cependant, comme le font remarquer le Canada et Nalcor, le NCC a pu trouver des ressources pour déposer une demande d’injonction et, plus tard, une demande de contrôle judiciaire concernant la décision de la CEC, de même que son application actuelle. À mon avis, il n’aurait donc pas été déraisonnable de sa part d’avoir retenu les services d’un consultant, en cas de besoin, pour fournir des conseils techniques et, du moins à un niveau préliminaire, déterminer si le PCPHP et le PSEE atténuaient suffisamment n’importe quel effet négatif, ou s’ils étaient lacunaires, dans le contexte de l’utilisation des terres et des ressources dont le NCC faisait état.

[212]       Comme il est indiqué dans l’arrêt Halfway River First Nation :

[traduction
[161]    [...] Les peuples autochtones assument réciproquement l'obligation d'exprimer leurs intérêts et leurs préoccupations après avoir eu la possibilité d'examiner l'information fournie par la Couronne et de participer de bonne foi à la consultation de toutes les façons possibles. Ils ne peuvent faire obstacle au processus consultatif en refusant de rencontrer leurs interlocuteurs, en refusant de participer ou en imposant des conditions déraisonnables [...] : voir Ryan c Fort St. James Forest District (District Manager) (25 janvier 1994), Doc. Smithers 7855, 7856 (C.S.C.B.); décision conf. par (1994), 40 B.C.A.C. 91 (C.A.C.B.).

[213]       En ne faisant pas au moins quelques efforts pour évaluer le PCPHP et le PSEE, soit au moyen des réunions offertes avec Nalcor ou le MPO, soit en utilisant ses propres ressources pour avoir recours à l’assistance d’un consultant en vue d’obtenir des conseils préliminaires, le NCC n’a prouvé d’aucune manière qu’il y avait eu omission de consulter adéquatement et que cela avait eu un effet négatif sur ses droits et ses titres.

[214]       Pour ces raisons, je ne suis pas convaincue qu’un manque d’aide financière à la phase 5 a empêché de tenir des consultations véritables.

e)                  Le manque de consultations véritables et la mauvaise foi

[215]       Le NCC soutient également qu’il y a eu une absence de bonne foi et de consultations véritables à la phase 5, comme l’illustre une note de service interne du MPO et la réponse retardée du MPO aux commentaires du NCC sur le rapport de la CEC et le Protocole régissant la phase réglementaire.

[216]       La note de service susmentionnée est datée du 5 février 2013. Elle a été rédigée pour le directeur général régional, Région de T.-N.L. du MPO, elle porte sur l’état des consultations menées avec les Autochtones pour la phase 5, et elle a été mise à jour le 21 février 2013. La version mise à jour de la note de service indique que les commentaires reçus en réponse au projet de Protocole régissant la phase réglementaire indiquaient [traduction] « comme il fallait s’y attendre » que certains groupes autochtones avaient encore des doutes au sujet de l’EE qui, selon eux, n’avaient pas été examinés et que des lettres visant à [traduction] « boucler la boucle » étaient destinées à y répondre :

[traduction] Des lettres visant à « boucler la boucle » seront envoyées avant de transmettre la version finale du protocole de consultation concernant la phase réglementaire. Le MPO s’attend à envoyer les lettres et le protocole aux groupes autochtones avant la fin de février 2013 et il commencera les consultations aussitôt après.

[217]       Lors de l’audience tenue devant moi, le NCC a fait savoir qu’il n’affirmait plus que ces notes de service étaient un signe de mauvaise foi. Elles dénotaient par contre un manque de consultation véritable.

[218]       Lorsqu’on la considère dans le contexte du document tout entier, cette mention ne constitue pas, selon moi, un signe de mauvaise foi ou une excuse pour avoir répondu de manière superficielle aux préoccupations des Autochtones. La phrase est plutôt employée dans le contexte de la préparation de communications ultérieures avec les groupes autochtones, dans le but de répondre à leurs préoccupations non encore réglées.

[219]       Un aspect plus troublant est le temps qu’a mis le Canada pour répondre au NCC. Ce dernier a reçu le 28 juin 2013 la réponse du Canada à ses commentaires du 9 novembre 2011 sur le rapport de la CEC et à ses commentaires du 8 août 2012 sur l’ébauche de Protocole régissant la phase réglementaire. Le NCC soutient que cette réponse semble être la lettre visant à [traduction] « boucler la boucle », et cette dernière leur est parvenue un an et demi après qu’il eut fait part de ses commentaires sur le rapport de la CEC, plus d’un an après qu’il eut fait part de ses commentaires sur l’ébauche de Protocole régissant la phase réglementaire et quelques jours seulement avant la délivrance de l’autorisation. Le NCC soutient que le fait d’attendre jusqu’au dernier moment, soit quelques jours avant de délivrer l’autorisation, pour envoyer une lettre qui répond à des préoccupations soulevées dans le cadre du processus de consultation, mais qui ne les règle pas, ne constitue pas une consultation véritable et de bonne foi.

[220]       Cependant, selon moi, on ne peut pas considérer isolément la lettre du Canada datée du 28 juin 2013. Comme il a été mentionné plus tôt, les commentaires que le NCC a faits sur le rapport de la CEC étaient d’une large portée. Il alléguait que la CEC faisait preuve de discrimination à son endroit, qu’elle ne respectait pas son mandat, qu’elle n’avait pas pris en considération des solutions de rechange au Projet, qu’il y avait un manque de franchise de la part de Nalcor, etc. La lettre faisait peu de commentaires sur des questions précises évoquées et sur des recommandations formulées par la CEC. Il est certain que le Canada n’y a pas répondu rapidement, car les commentaires ont été faits au cours de la phase 4 et ce n’est pas avant la phase 5 qu’on a fourni une réponse, mais, si on examine le contexte tout entier, je ne suis pas persuadée que le retard était assimilable à un manque de bonne foi ou de consultations véritables.

[221]       Quant au courriel daté du 9 août 2012 que le NCC a envoyé en réponse à l’ébauche de Protocole régissant la phase réglementaire, comme il a été mentionné plus tôt, il ne comportait pas de commentaires de fond sur le protocole proposé. De plus, par une lettre datée du 21 février 2013, le Canada a indiqué que les commentaires ne se rapportant pas directement au protocole seraient examinés dans une lettre de suivi qui serait envoyée peu de temps après et que les commentaires sur le protocole avaient été examinés d’une manière complète et équitable et se reflétaient dans la version définitive du protocole, qui accompagnait la lettre en question.

[222]       À cet égard, dans sa lettre datée du 28 juin 2013, le MPO a traité expressément de l’opinion du NCC selon laquelle une définition claire du Projet et de son empreinte n’avait pas été fournie, disant que les deux avaient été définies lors de l’EE. Quant à la préoccupation du NCC selon laquelle il fallait mettre davantage l’accent sur les connaissances traditionnelles autochtones et mettre en place un protocole en vue de partager ou d’examiner les connaissances traditionnelles autochtones du NCC, le MPO a répondu comme suit :

[traduction] Le MPO et d’autres instances fédérales ont établi, en collaboration avec des groupes autochtones, un protocole de consultation des groupes autochtones lors de la phase réglementaire du projet. Ce protocole permet de tenir des réunions au cours desquelles les groupes autochtones peuvent faire part de leurs connaissances traditionnelles autochtones aux autorités réglementaires afin qu’elles les examinent et les prennent en considération dans le cadre de la délivrance de permis ou d’approbations. Le MPO a offert au NCC de tenir de telles réunions le 28 février 2013, au sujet des autorisations établies pour le site de Muskrat Falls, et il offrira de la même façon de tenir des réunions pour toute autre autorisation future concernant le Projet.

Avant la présentation d’un plan compensatoire pour la perte de l’habitat du poisson, ainsi qu’un plan de surveillance des effets environnementaux, au MPO, Nalcor Energy (Nalcor), à titre de promoteur, peut elle aussi offrir de rencontrer des groupes autochtones. À cette occasion, ces groupes peuvent échanger des connaissances traditionnelles avec Nalcor afin qu’on puisse les intégrer dans les plans avant qu’ils soient présentés.

[223]       Compte tenu du temps qu’il a fallu avant de recevoir cette lettre et de la proximité de cette dernière par rapport à la date de délivrance de l’autorisation, soit le 9 juillet 2013, l’argument du NCC selon lequel il ne s’agissait pas là d’une consultation véritable n’est pas sans fondement. Cependant, si l’on examine cette lettre avec d’autres documents que le Canada et le NCC se sont échangés, de même que les possibilités que ce dernier a eues, lors de la phase 5, de faire part de ses connaissances traditionnelles autochtones, je ne puis conclure qu’il s’agit là d’un manquement à l’obligation de consultation ou d’un manque de consultation véritable.

[224]       Par exemple, le 15 avril 2013, le NCC a envoyé au MPO une lettre faisant état de ses préoccupations à l’égard, notamment, du protocole relatif à la phase 5, de son manque de ressources à affecter aux consultations lors de cette phase ainsi qu’au besoin de disposer de plus de temps pour effectuer un examen.

[225]       Le MPO a répondu à cette lettre peu après, le 31 mai 2013. Il a signalé qu’il avait examiné de manière complète et équitable les commentaires fournis sur l’ébauche du Protocole régissant la phase réglementaire, y compris ceux du NCC; que, par la lettre du 28 février 2013 du Canada, le NCC s’était vu offrir une possibilité de demander la tenue d’une réunion avec le MPO en vue de discuter du PCPHP et du PSEE avant de faire des commentaires, mais que cette demande n’avait pas été faite, ainsi que son opinion selon laquelle Nalcor avait donné au NCC une occasion de la rencontrer pour discuter du PCPHP, mais que cette réunion n’avait pas eu lieu, et que les obligations du Canada étaient donc satisfaites à cet égard. La lettre répondait également à l’opinion du NCC selon laquelle on n’avait pas traité des recommandations 6.7 et 6.9 de la CEC.

[226]       Et, ainsi qu’il a été décrit plus tôt, le 16 janvier 2013, Nalcor a tenu une séance d’information publique à Happy Valley – Goose Bay en vue de présenter ses ébauches de PCPHP et de PSEE et d’obtenir les commentaires des intervenants intéressés. Une lettre a été envoyée au préalable pour informer le NCC de la tenue de cette séance et pour offrir de le rencontrer. Mais le NCC n’y a pas donné suite.

[227]       Et, le 28 février 2013, le MPO a envoyé au NCC une lettre lui demandant de faire part de ses commentaires sur le PCPHP et le PSEE de Nalcor. Conformément au Protocole régissant la phase réglementaire, il a avisé le NCC qu’il pouvait demander de le rencontrer en vue de discuter des documents dans les dix premiers jours suivant la réception de ces deux plans et que cette réunion devait avoir lieu à l’intérieur de la période d’examen de 45 jours. Le NCC n’a demandé la tenue d’une telle réunion qu’après l’expiration de ce délai et, à ce moment-là, par sa lettre du 15 avril 2013, il a également contesté le processus de consultation exposé dans le Protocole régissant la phase réglementaire.

[228]       Certes, le Canada aurait pu agir avec plus de célérité pour régler certaines des préoccupations du NCC, mais, compte tenu de ce qui précède, je ne suis pas convaincue que le retard de la réponse est le signe d’une mauvaise foi ou que le Canada n’a pas consulté de manière appropriée ou véritable le NCC au cours de la phase 5. Le processus de consultation doit être raisonnable, mais il n’a pas à être parfait (Ekuanitshit CF, au paragraphe 131).

[229]       À mon avis, le Protocole régissant la phase réglementaire indiquait clairement de quelle façon devait se dérouler le processus de consultation relatif à la phase 5. Le MPO a fourni au NCC une ébauche du protocole proposé afin qu’il le commente. Le NCC y a répondu, mais ses commentaires ne portaient pas sur le processus proposé. Le MPO a procédé d’une manière conforme à la version finale du Protocole régissant la phase réglementaire, qui avait été révisé en réponse à d’autres commentaires sur l’ébauche. Et, comme il a été mentionné plus tôt, le MPO a traité de trois questions que le NCC avait soulevées, mais pas d’une manière qui l’a satisfait.

[230]       Le NCC soutient également que le fait que le Canada lui a imposé le Protocole régissant la phase réglementaire, sans y intégrer sa rétroaction, témoigne du manque de bonne foi et de consultation véritable, et qu’il a reçu la version définitive du protocole au milieu du processus, après que Nalcor eut terminé une bonne part de son travail concernant le PCPHP et le PSEE.

[231]       À mon avis, cet argument est sans fondement. Comme il a été mentionné plus tôt, le Canada a fourni l’ébauche de Protocole régissant la phase réglementaire au NCC pour commentaires le 9 juillet 2012 et il lui a demandé de faire part de ses commentaires dans les quatorze jours suivants. Le 8 août 2012, le NCC a transmis sa réponse, mais sans faire de commentaires de fond sur le protocole. Le Canada a produit la version définitive du Protocole régissant la phase réglementaire le 21 février 2013. Il a ensuite procédé d’une manière conforme au processus décrit dans ce Protocole. Il est vrai que le NCC, par sa lettre du 15 avril 2013, après avoir reçu l’ébauche de PCPHP et de PSEE pour examen, a soutenu qu’il considérait que le Protocole était inacceptable à ses yeux. Cependant, cela n’étaye pas l’opinion selon laquelle le Protocole lui a été imposé de force. De plus, il ressort clairement du dossier que ces plans nécessitaient des travaux de base considérables et que leur élaboration avait débuté nettement avant le début de la phase 5, dont l’objet était d’examiner et de commenter les ébauches établies. Le fait que des travaux relatifs à ces plans aient été faits avant que l’on fournisse les ébauches au NCC, conformément au Protocole régissant la phase réglementaire, ne dénote donc pas une absence de bonne foi ou un manquement du Canada à l’égard de son obligation de consultation.

[232]       À mon avis, si on le considère dans son contexte, le processus de consultation de la phase 5 était approprié, sinon parfait, et le Canada s’est acquitté de son obligation de consultation.

La question no 4 : La décision de délivrer l’autorisation est-elle raisonnable?

La position du NCC

[233]       Le NCC soutient que le Canada s’est fondé dans une large mesure sur le processus de la CEC pour s’acquitter de ses obligations en matière de consultation. Les recommandations de la CEC étaient l’un des principaux moyens d’atténuer les effets du Projet et il s’agissait donc d’une mesure d’accommodement importante. Dans ce contexte, le fait de ne pas suivre les recommandations de la CEC est un manquement à l’obligation d’accommodement.

[234]       En particulier, Nalcor n’était pas tenue de suivre la recommandation 6.7 et de procéder à un examen exhaustif des effets en aval avant la mise en eau, assorti d’un examen mené par un expert indépendant, ainsi qu’à un atelier de discussion auquel participeraient les groupes autochtones. En conséquence, les effets en aval du Projet n’ont jamais été convenablement étudiés, et il subsiste un risque important de graves effets en aval, dont une contamination par le méthylmercure du poisson, des phoques des oiseaux et des humains.

[235]       Le Canada a souscrit à l’intention de la recommandation 6.7, mais les mesures requises d’échantillonnage et de surveillance de base, qui visent à relever les problèmes ultérieurement, à mesure qu’ils surviendront, ne reviennent pas au même que de procéder à un examen exhaustif avant la mise en eau, qui vise à relever les problèmes avant qu’ils ne surviennent. Le NCC soutient que, de ce fait, les mesures d’échantillonnage et de surveillance de base répondent à la recommandation 6.9, l’élaboration d’un programme de surveillance aquatique, mais non à la recommandation 6.7.

[236]       À cela s’ajoute le fait que la CEC a recommandé le défrichement complet du réservoir, mais Nalcor n’a été tenue que d’effectuer un défrichement partiel. Cela se soldera forcément par des taux supérieurs de contamination par le méthylmercure, une situation dont le ministre n’a pas pris conscience.

[237]       Le NCC soutient que le ministre n’était pas lié par les recommandations de la CEC, mais que, vu l’importance que le Canada a accordée au processus de la CEC pour s’acquitter de son obligation de consultation, il ne faudrait pas les prendre à la légère. Ici, le ministre s’écarte des recommandations sans reconnaître explicitement qu’il le fait, sans expliquer pourquoi et en procédant d’une manière qui crée un risque plus élevé de contamination par le méthylmercure. La décision de délivrer l’autorisation est, de ce fait, déraisonnable.

[238]       Le NCC soutient également que, en ce qui concerne le PCPHP, le ministre a fait abstraction des éléments scientifiques dont il disposait, y compris les informations de scientifiques du MPO, au sujet du manque d’efficacité des programmes de compensation de la perte de l’habitat du poisson du MPO pour ce qui est de ne causer « aucune perte nette » en matière d’habitat du poisson, comme l’a reconnu la CEC. Étant donné que le MPO n’a fourni aucun renseignement sur les mesures prises pour améliorer l’efficacité du programme, il a adopté en fait, en connaissance de cause, une mesure d’atténuation inefficace. De ce fait, la décision de délivrer l’autorisation n’était pas raisonnable.

La position du Canada

[239]       Le Canada est d’avis que l’allégation principale du NCC est que l’autorisation est déraisonnable, car les mesures de surveillance et d’atténuation qu’elle exigeait ont peu de chances d’être efficaces. Il soutient qu’il s’agit là d’une attaque inadmissible contre les éléments scientifiques qui sous-tendent l’autorisation et que cette mesure est contraire au principe voulant que l’on doit éviter de transformer la Cour en une « académie des sciences ». Le rôle de cette dernière est de déterminer si l’autorisation repose sur un fondement raisonnable, et non si ses mesures seront efficaces (Ekuanitshit CF, au paragraphe 94). La norme de contrôle applicable est la raisonnabilité, et l’efficacité des plans commande un degré de déférence considérable (Grand Riverkeeper, aux paragraphes 27 à 39). Le Canada affirme également que l’argument qu’invoque le NCC est une attaque indirecte inacceptable contre le décret.

[240]       De plus, toutes les recommandations de la CEC dont le NCC a fait état ont été appliquées, hormis les recommandations 4.5 et 6.7, qui ne l’ont pas été exactement comme la CEC l’avait spécifié. Quoi qu’il en soit, les conditions relatives aux mesures de base en matière d’échantillonnage, de surveillance et de compensation de l’habitat qui sont rattachées à l’autorisation sont raisonnables.

La position de Nalcor

[241]       Nalcor a effectué son analyse à cet égard en considérant si la décision du ministre de délivrer l’autorisation constituait un abus de son pouvoir discrétionnaire. Elle soutient que lorsque la loi ne dit rien sur les facteurs qu’un décideur administratif doit prendre en compte, comme c’est le cas en l’espèce, ce décideur a le pouvoir discrétionnaire de déterminer les facteurs appropriés (Guy Régimbald, Canadian Administrative Law, 1re éd. (Markham : LexisNexis Canada, 2008, à la page 190); Electric Power & Telephone Act (PEI), Re (1994), 109 DLR (4th) 300, au paragraphe 15).

[242]       Nalcor soutient que les AR et le gouverneur en conseil étaient tenus d’examiner le rapport de la CEC et d’exécuter les fonctions que leur confèrent les articles 37 et 37.1. La réponse du Canada a accepté les recommandations, les a acceptées avec modifications ou les a rejetées. Cela a été entériné par le gouverneur en conseil, qui a prescrit quelles étaient les recommandations et les mesures d’atténuation requises. Le NCC n’a pas cherché à soumettre la réponse du Canada à un contrôle judiciaire. Pour exercer son pouvoir discrétionnaire, le ministre est guidé par la Loi sur les pêches, la réponse du Canada et la LCEE. Cela veut dire qu’il était tenu de suivre les directives contenues dans le rapport de la CEC. En cas de conflit, ce sont le décret et la LCEE qui ont préséance.

[243]       Le ministre n’était pas tenu de mettre en œuvre la recommandation 4.5. Les facteurs à prendre en considération relevaient de son pouvoir discrétionnaire et il a exclu de façon raisonnable le défrichement des réservoirs en tant qu’exigence. La décision de défricher entièrement le réservoir de Muskrat Falls excède également les pouvoirs du ministre, car elle empiéterait sur la compétence qu’exerce la Province sur les forêts. De plus, Nalcor a étudié la question du défrichement du réservoir et elle procédera à un « défrichement partiel ». De l’avis de Nalcor, un défrichement complet et un défrichement partiel ne représentent qu’une différence négligeable sur le plan des taux de méthylmercure prévus. Elle a aussi pris en compte d’autres facteurs, tels que la sécurité, la logistique, l’habitat du poisson, les émissions de gaz à effet de serre et les aspects économiques.

[244]       Quant à la recommandation 6.7, les exigences précisées dans la réponse du Canada ont été intégrées dans le PCPHP et le PSEE et, par voie de conséquence, dans l’autorisation. De plus, aucune preuve n’étaye l’argument du NCC selon lequel le ministre adopte un programme de compensation de la perte de l’habitat du poisson qui, il le sait, ne sera pas efficace. La réponse du Canada à la recommandation 6.6 obligeait Nalcor à établir et à mettre en œuvre un plan de compensation qui inclura une stratégie pluriannuelle de surveillance de l’habitat, assortie de seuils liés à des mesures ultérieures et, le cas échéant, des processus de production de rapports ainsi que des mesures de gestion adaptative. Nalcor affirme qu’elle doit rajuster le PCPHP, s’il le faut, pour en garantir l’efficacité.

L’analyse

a)                  Les recommandations 6.7 et 4.5

[245]       Le NCC affirme qu’à cause du refus de mettre en œuvre la recommandation 6.7, les effets en aval du Projet n’ont pas été étudiés comme il faut. Cela crée un risque pour ce qui est de la contamination par le méthylmercure en aval. Le PSEE et le PCPHP, en tant que conditions rattachées à l’autorisation, ne comblent pas cette lacune et, de ce fait, les préoccupations du NCC n’ont pas été prises en compte. À cela s’ajoute le fait de ne pas mettre en œuvre les travaux de défrichement complet, comme l’exige la recommandation 6.5. Dans la décision Nunatsiavut, j’ai décrit en détail la recommandation 6.7, principalement dans le contexte de la bioaccumulation de méthylmercure. La position du NCC donne lieu à une analyse semblable.

[246]       Le chapitre 6 du rapport de la CEC, qui porte sur l’environnement aquatique, traite d’un certain nombre de problèmes, dont la présence de méthylmercure dans les réservoirs et en aval. Pour ce qui est du devenir du mercure dans les réservoirs, la CEC présente les points de vue de Nalcor et des participants. Nalcor a décrit de quelle façon la formation de réservoirs mène à la libération de méthylmercure dans l’environnement aquatique. Plus précisément, lorsque les sols présents dans les zones des réservoirs sont inondés, la décomposition des bactéries présentes dans la végétation entraîne une méthylation, c’est-à-dire un processus chimique qui transforme le mercure inorganique présent dans le sol en méthylmercure, une forme plus toxique. Le méthylmercure pénètre ensuite dans l’écosystème aquatique et s’accumule chez les animaux aquatiques, principalement quand ils se nourrissent d’organismes dont la teneur en mercure est élevée. La concentration de méthylmercure augmente à mesure que l’on monte dans la chaîne alimentaire (c’est ce que l’on appelle la bioaccumulation), et entraîne des concentrations plus élevées chez les poissons prédateurs, chez des animaux comme les loutres ou les phoques qui mangent les poissons, et potentiellement chez les humains. Habituellement, comme l’ont montré d’autres réservoirs situés dans des régions boréales, les taux de mercure chez les poissons atteignent un sommet en cinq à seize ans après l’inondation, puis diminuent graduellement vers les niveaux de référence, en trente ans ou plus. La modélisation de Nalcor a prédit que les concentrations de mercure atteindraient un sommet dans les cinq années suivant l’inondation, et diminueraient graduellement vers les niveaux de référence dans un délai de trente-cinq ans.

[247]       La CEC fait remarquer que les mesures d’atténuation et de surveillance proposées par Nalcor au sujet du méthylmercure comprenaient une surveillance annuelle des concentrations de mercure chez les poissons pendant les dix premières années suivant l’inondation, de façon à pouvoir vérifier les prévisions. La fréquence des mesures de surveillance serait ensuite rajustée en fonction des résultats obtenus.

[248]       Quant aux participants, la CEC a fait remarquer qu’EC et RNC ont tous deux conclu que Nalcor avait modélisé correctement les hausses du taux de mercure dans le cours inférieur du fleuve Churchill. Le MPO a également indiqué que les prévisions de Nalcor sur les taux de mercure cadraient avec l’état actuel des connaissances, mais qu’il remettait en question l’exactitude de ses prévisions sur l’ampleur et la durée de la présence de méthylmercure dans la partie inférieure du fleuve Churchill. Le MPO a donc recommandé que Nalcor conçoive un programme exhaustif destiné à surveiller les changements spatiaux et temporels dans la concentration de mercure dans le poisson des réservoirs et en aval, y compris à Goose Bay, après la création du réservoir. La fréquence et le moment de l’échantillonnage devraient permettre d’effectuer une évaluation pertinente de l’ampleur de ces changements et du moment où ils surviennent, et appuyer la prise de décisions sur les risques pour la santé humaine et la mise en œuvre de mesures de gestion des pêches connexes. De plus, d’autres données de référence devraient être recueillies sur les taux de mercure présents chez les poissons estuariens en aval de Muskrat Falls et à Goose Bay avant l’inondation.

[249]       La recommandation 6.7 traitait des effets en aval, y compris la dynamique des débits, la qualité de l’eau, la productivité et le mercure. La CEC a présenté une fois de plus la position de Nalcor, ainsi que celle des participants.

[250]       Nalcor a prévu que les taux de mercure augmenteraient, après la mise en eau, dans l’eau et le plancton en aval de l’embouchure du fleuve et dans les passages de Goose Bay. Les taux de méthylmercure augmenteraient dans le poisson en aval de Goose Bay, y compris celle-ci, mais ils seraient toutefois inférieurs à ceux observés dans les poissons des réservoirs, à l’exception des poissons piscivores qui se nourrissent sous le canal de fuite de Muskrat Falls. Le mercure ne serait pas détectable au-delà de Goose Bay, parce que ses concentrations dans l’eau seraient graduellement diminuées, les sédiments se déposeraient et le zooplancton mourrait à l’interface avec l’eau salée ou avant. Les effets de taux élevés de mercure associés aux piscivores se nourrissant de poisson entraîné seraient uniquement constatés assez près du canal de fuite, en aval de Muskrat Falls. Quoi qu’il en soit, Nalcor a prévu que le taux de méthylmercure chez les poissons n’atteindrait jamais un niveau susceptible d’avoir des effets sur la santé des poissons ou leur comportement, dans l’ensemble de la population. Les sommets des taux de méthylmercure devraient retomber au niveau de référence dans un délai de moins de trente-cinq ans.

[251]       Nalcor a déclaré qu’il n’était pas nécessaire de procéder à une évaluation prolongée des effets cumulatifs des taux de mercure associés au projet hydroélectrique de Churchill Falls. Elle a pris acte de certaines incertitudes associées à son modèle et à l’état des connaissances sur la bioaccumulation et le devenir du mercure dans l’écosystème qui limitaient sa capacité de formuler des prévisions exactes sur des hausses potentielles du méthylmercure au lac Melville. Cependant, elle a indiqué que son modèle de méthylmercure dans le milieu en aval était suffisant à des fins de planification et d’évaluation. De plus, son approche de modélisation parvenait à fournir le degré de capacité prédictive nécessaire pour déterminer les concentrations de méthylmercure en aval. Cette supposition était étayée par l’engagement pris par Nalcor de surveiller et de vérifier les prévisions, de clarifier les incertitudes et d’incorporer la gestion adaptative. Les mesures d’atténuation proposées par Nalcor consistaient, notamment, à travailler avec les intéressés autochtones pour surveiller la teneur en mercure chez les poissons et les phoques en aval de Muskrat Falls, ainsi qu’à recueillir davantage de données de référence sur les taux de mercure chez les poissons et les phoques des estuaires en aval de Muskrat Falls et de Goose Bay.

[252]       Quant aux autres participants, la CEC a fait remarquer qu’ils avaient exprimé des préoccupations sur l’exclusion de Goose Bay et du lac Melville de la zone évaluée, sur les changements à l’érosion et aux dépôts en aval, sur l’accumulation de mercure, dont les effets de l’entraînement chez les poissons et les phoques, ainsi que des changements à la formation des glaces. Le MPO a déclaré que Nalcor avait justifié de manière insuffisante sa décision d’exclure Goose Bay et le lac Melville.

[253]       La CEC a fait remarquer que le MPO avait publié un document de recherche montrant que les effets du projet de Churchill Falls sur le mercure pouvaient être observés chez plusieurs espèces estuariennes (l’éperlan, le poulamon et la truite mouchetée) dans les eaux du lac Melville, situé à plus de 300 kilomètres du réservoir de Smallwood. Le MPO s’est dit inquiet de l’absence d’échantillons pris en aval de principaux producteurs et de macrobenthos en raison de leur potentiel de bioaccumulation du mercure. Il a donc recommandé que Nalcor mette sur pied un programme exhaustif de surveillance des changements spatiaux et temporels au mercure présent dans le poisson dans les réservoirs et en aval, dont à Goose Bay, après la création d’un réservoir. La fréquence et le moment de l’échantillonnage devraient étayer une évaluation nette de l’ampleur des changements et du moment de leur survenue, et étayer la prise de décisions sur les risques pour la santé humaine, ainsi que la mise en œuvre de mesures de gestion des pêches connexes. Il serait nécessaire de recueillir davantage de données de référence sur les taux de mercure dans les poissons estuariens en aval de Muskrat Falls et à Goose Bay avant l’inondation.

[254]       Dans ses conclusions et recommandations, la CEC a reconnu qu’il y avait eu peu d’informations sur les effets en aval et estuariens de projets hydroélectriques dans une région boréale, que les rapports cités par les participants pourraient être peu pertinents, et que ce manque d’informations était probablement aggravé par la décision de Nalcor de situer la limite de l’étude à l’embouchure du fleuve et, de ce fait, de ne pas prélever d’échantillons au lac Melville. La CEC a donc mentionné qu’elle ne pouvait pas conclure avec confiance quels seraient les effets écologiques en aval de Muskrat Falls, et en particulier dans le milieu estuarien de Goose Bay et du lac Melville :

La commission en conclut que l’affirmation de Nalcor, selon laquelle il n’y aurait aucun effet mesurable sur les niveaux de mercure à Goose Bay et au lac Melville, n’a pas été étayée. Les preuves que le projet de Churchill Falls exerce des effets sur une longue distance chez les espèces estuariennes indiquent clairement que les effets du mercure peuvent passer de l’environnement d’eau douce à l’environnement salin, malgré les allégations de Nalcor du contraire. La commission a conclu que Nalcor n'avait pas effectué une évaluation complète du devenir du mercure dans l'environnement en aval, y compris les voies de bioaccumulation potentielles du mercure dans le phoque et les effets cumulatifs potentiels du projet combinés aux effets d'autres sources de mercure. Étant donné que Nalcor n’a pas reconnu le risque d’exposition potentielle des phoques au mercure dans le cadre du projet, il n’a pas indiqué si les taux élevés de mercure pourraient représenter une menace pour la santé ou la reproduction des phoques.

La signification du potentiel des effets du mercure en aval sur les terres et l’aménagement du territoire autochtone et non autochtone, ainsi que sur la santé humaine et des collectivités, est abordée dans les chapitres 8, 9 et 13.

La commission n’est pas convaincue que tous les effets qui dépassent l’embouchure du fleuve seront « non mesurables », comme le prétend Nalcor (sous réserve de la variabilité naturelle). La commission a également conclu que des effets à long terme en aval pourraient être observés dans Goose Bay en raison des changements que subiraient les sédiments, l'apport en éléments nutritifs et la température de l'eau. Les effets sont plus difficiles à prédire au lac Melville, compte tenu des renseignements existants. La commission reconnaît qu’il est difficile de prévoir avec exactitude l’étendue des effets, étant donné l’absence d’études écologiques à long terme sur les effets sur les eaux réceptrices de projets hydroélectriques dans les environnements nordiques. Cependant, la commission estime que cela souligne justement le besoin de faire preuve de prudence, en particulier parce qu’aucune mesure de gestion adaptative réalisable n’a été proposée pour renverser les changements écologiques à long terme ou les changements à la contamination au mercure de ressources renouvelables.

Avec les renseignements qu’elle a en mains, la commission n’est pas en mesure de prendre une décision pertinente sur le risque d’une altération à long terme de caractéristiques écologiques dans les lieux estuariens. La commission conclut qu’il y a un risque de bioaccumulation du mercure dans les populations de poissons et de phoques de Goose Bay et peut-être du lac Melville également, mais qu’elle ne représente probablement pas un risque pour la santé de ces espèces. Les répercussions sur la santé et l’aménagement du territoire sont abordées ailleurs, mais les recommandations suivantes portent sur le besoin de faire preuve de prudence pour réduire l’incertitude rattachée au potentiel écologique et aux effets du mercure en aval.

RECOMMANDATION 6.7 Évaluation des effets en aval

Si le projet est approuvé, la commission recommande que Pêches et Océans Canada demande à Nalcor de réaliser une évaluation globale des effets en aval avant qu'il lui soit permis de procéder à la mise en eau, y compris :

•     déterminer toutes les voies de cheminement possibles du mercure à travers le réseau alimentaire et appliquer les leçons tirées du projet de Churchill Falls;

•     recueillir des données de référence sur le mercure dans l’eau, les sédiments et le biote (modélisation révisée tenant compte d’autres voies de cheminement et, surtout, de l’accumulation de mercure dans le benthos) afin de prévoir ce qui advient du mercure dans l’environnement en aval;

•     quantifier les changements probables du milieu estuarien liés à la réduction des apports de sédiments et de nutriments et aux changements de température;

•     définir toute mesure d’atténuation ou de gestion adaptative supplémentaire.

Les résultats de cette évaluation devraient être examinés par Pêches et Océans Canada et au moins un expert indépendant. Par ailleurs, les groupes autochtones et les intéressés devraient tenir un forum pour discuter des prévisions révisées et des commentaires en vue de conseiller Pêches et Océans Canada en ce qui a trait aux prochaines étapes.

[255]       Il est important d’examiner le contexte dans lequel s’inscrit cette recommandation. La CEC, en se fondant sur les renseignements qu’elle avait en main, n’a pas été en mesure de tirer une conclusion importante quant au risque d’une altération à long terme des caractéristiques écologiques dans le milieu estuarien. Elle a toutefois conclu qu’il y avait un risque de bioaccumulation du mercure dans les populations de poissons et de phoques de Goose Bay et, peut-être, du lac Melville. Elle a formulé sa recommandation en vue de réduire l’incertitude rattachée à la fois au potentiel écologique et aux effets du mercure en aval.

[256]       L’intention de la recommandation 6.7 était donc d’obtenir plus de certitude au sujet des effets du mercure en aval avant la mise en eau.

[257]       Dans sa réponse, le Canada a déclaré qu’il avait examiné si les effets environnementaux négatifs importants du Projet pouvaient se justifier dans les circonstances, en prenant en compte les engagements pris par le Canada en réponse aux recommandations de la CEC, ainsi qu’aux engagements pris par Nalcor dans l’EIE et aux audiences de la CEC. De plus, le Canada allait exiger certaines mesures d’atténuation, une surveillance des effets environnementaux ainsi que des mesures de gestion adaptative de la part de Nalcor, de même que d’autres études sur les effets en aval, et ce, par la voie d’inclusion d’exigences dans les autorisations et les approbations fédérales. Le Canada a conclu que le fait de veiller à au respect de ces engagements minimiserait les effets négatifs du Projet et atténueraient les risques associés à l’incertitude entourant le succès des mesures d’atténuation. De plus, les avantages importants qui étaient prévus sur les plans énergétique, économique, socioéconomique et environnemental l’emportaient sur les effets environnementaux négatifs importants qui étaient relevés dans le rapport de la CEC.

[258]       Voici la réponse du Canada à la recommandation 6.7 :

6.7 Réponse : Le gouvernement du Canada est d’accord avec l’esprit de cette recommandation et souligne qu’elle concerne Pêches et Océans Canada.

Comme condition d’une autorisation en vertu du paragraphe 35(2) de la Loi sur les pêches et avant la mise en eau, Pêches et Océans Canada exigera de Nalcor qu’elle recueille des données de référence additionnelles sur la bioaccumulation de méthylmercure dans le poisson et l’habitat du poisson en aval de Muskrat Falls.

Pêches et Océans Canada demandera à Nalcor de mettre en œuvre un programme pluriannuel complet de surveillance et de rapports sur la bioaccumulation de méthylmercure dans le poisson et dans le phoque dans les réservoirs et en aval, notamment dans la région de Goose Bay et de Lake Melville. Pêches et Océans Canada demandera aussi à Nalcor de réaliser un projet pluriannuel de surveillance et de rapports à la suite du projet en aval de Lake Melville afin de surveiller divers paramètres, y compris les nutriments, la production primaire, l’utilisation de l’habitat du poisson et le transport des sédiments afin d’évaluer les modifications dans l’habitat du poisson en aval.

[259]       Il ne fait aucun doute que cette réponse ne souscrit pas entièrement à la recommandation 6.7. Bien que cette dernière donne à penser qu’il peut y avoir une autre évaluation avant l’étape de la mise en eau, de façon à mieux prévoir les taux de mercure dans l’environnement situé en aval, que cette évaluation doit être examinée par le MPO et un ou des experts indépendants et que l’on doit discuter des prévisions révisées dans le cadre d’un forum, auquel prendraient part les groupes autochtones, de façon à conseiller le MPO sur les « prochaines étapes », la réponse du Canada requiert que l’on recueille, avant l’étape de la mise en eau, des données de référence additionnelles et que l’on mène un programme pluriannuel de surveillance et de production de rapports sur la bioaccumulation de méthylmercure dans les poissons et dans les phoques au sein des réservoirs et en aval, au lac Melville.

[260]       L’autorisation a traité de ces exigences, à la condition 6 :

[traduction
6.         Le promoteur entreprendra un programme de surveillance des effets environnementaux, tel que décrit dans le « Projet de centrale de production d’énergie hydroélectrique dans le cours inférieur du fleuve Churchill – Programme de surveillance des effets environnementaux aquatiques – Muskrat Falls » (PSEE), daté de février 2013, en vue de surveiller et de vérifier l’effet prévu des travaux proposés sous l’angle du poisson et de son habitat, ce qui inclut les effets en aval liés au projet, la bioaccumulation de méthylmercure dans le poisson ainsi que l’entraînement du poisson à l’installation de Muskrat Falls, et ce, de la manière suivante :

[...]

6.3       La bioaccumulation du méthylmercure sera surveillée chaque année en vue d’en déterminer les taux dans les espèces de poisson résidentes, y compris les phoques, tant à l’intérieur du réservoir qu’en aval, conformément au calendrier de surveillance établi, de façon à pouvoir enregistrer et déclarer les pics de concentration et leur diminution ultérieure vers les niveaux de référence.

6.4       Les renseignements recueillis à la suite des études de référence et postérieures au projet en vue de comparer et de vérifier les prévisions concernant l’effet du projet sur le poisson et son habitat doivent être déclarés de la manière suivante :

6.4.1    fournir un rapport annuel exhaustif résumant tous les aspects associés au PSEE (y compris la collecte de données de référence) au MPO avant le 31 mars. Ce rapport inclura une surveillance des niveaux de référence jusqu’en 2016 inclusivement, ainsi qu’une surveillance effectuée après le projet pendant une période d’au moins vingt (20) ans à compter de 2018 et jusqu’en 2037 inclusivement;

6.4.2    fournir un rapport d’examen exhaustif sur le PSEE, qui résume tous les aspects associés au PSEE postérieur au projet, au MPO avant le 31 mars de chaque cinquième (5e) année, à partir de 2023. Cela facilitera les rajustements à apporter au besoin, et approuvés par le MPO.

[...]

[261]       Le PSEE signale que le transport de mercure jusqu’à Goose Bay et au lac Melville a été modélisé, et que les résultats obtenus font état de hausses minimes à Goose Bay. Le rapport comporte un tableau présentant les concentrations totales prévues de mercure dans l’eau, cinq mois après la mise en eau. Cependant, il indique aussi que la bioaccumulation du mercure dans les cours d’eau situés en aval des projets de centrale hydroélectrique est un phénomène connu. C’est donc dire que le fait de se fier uniquement à une comparaison « avant et après » de la concentration de mercure n’est pas considéré comme un bon moyen de surveiller les effets environnementaux. Le taux de concentration du mercure après la réalisation du projet serait donc comparé à des résultats modélisés ainsi qu’à des données de référence, de pair avec la documentation relative à des projets de centrale hydroélectrique semblables. Et, même si l’on a recueilli des données de référence depuis 2001, c’était pour mettre au point le modèle utilisé pour prévoir les concentrations après la réalisation du projet.

[262]       Pour ce qui est de l’échantillonnage du mercure, la zone visée par le PSEE comprend le réservoir de Muskrat Falls et le secteur situé en aval jusqu’à Goose Bay et au lac Melville. L’échantillonnage doit avoir lieu une fois par année jusqu’à ce que l’on observe le pic visible et la diminution de la concentration. Des analyses plus poussées seront effectuées à ce stade, et des travaux de surveillance auront lieu [traduction« dans le cadre d’un calendrier efficace ».

[263]       Le PSEE indique que l’on recueille des données de référence sur les concentrations totales de mercure chez le poisson depuis plus de treize ans (depuis 1999) et qu’il est possible que la concentration réelle au moment de l’inondation soit différente. Des échantillons de poisson additionnels seraient donc recueillis et analysés en vue de déterminer la charge corporelle de mercure lors de la période préalable à l’inondation afin de continuer de recueillir les concentrations de mercure et le plus de données possible de chaque poisson. Un graphique montre les concentrations moyennes de mercure qui ont été mesurées dans le cours principal en aval de Muskrat Falls pour neuf types de poissons jusqu’à ce jour, tandis qu’un autre illustre les concentrations moyennes de mercure mesurées à Goose Bay et au lac Melville pour onze types de poissons. Des renseignements semblables sur les phoques sont fournis.

[264]       Comme il a été mentionné plus tôt, la réponse du Canada ne souscrit pas entièrement à la recommandation 6.7. Le NCC ne laisse pas entendre que le Canada est tenu d’accepter les recommandations que la CEC a formulées dans le cadre du processus d’EE. Cependant, à mon avis, étant donné que le processus d’EE et le rapport de la CEC ont pour but de relever les effets environnementaux et d’éclairer la réponse du Canada, on ne peut pas faire simplement abstraction des recommandations de la CEC ou les rejeter sans motifs. Agir ainsi reviendrait à miner entièrement le processus d’EE et l’utilisation qu’en fait le Canada pour s’acquitter de ses obligations en matière de consultation.

[265]       Ici, cependant, la recommandation 6.7 n’a pas été omise ou rejetée en bloc. Son intention a plutôt été acceptée dans la mesure où l’incertitude que la CEC a relevée a été reconnue et traitée, mais pas de la manière recommandée par la CEC. Dans sa réponse, le Canada a expliqué que le fait de veiller à ce que l’on exécute les engagements pris par Nalcor et le gouvernement provincial amoindrirait les effets négatifs du Projet et réduirait les risques associés à l’incertitude entourant le succès des mesures d’atténuation. De plus, les avantages importants prévus sur les plans énergétique, économique, socioéconomique et environnemental l’emportaient sur les effets environnementaux négatifs importants relevés dans le rapport de la CEC.

[266]       À cet égard, la CEC n’a pas indiqué que le NCC s’exposait au risque de subir un effet négatif important s’il était nécessaire de diffuser des avis sur la consommation. Mais, même si cela avait été le cas, la réponse du Canada a reconnu les préoccupations soulevées et a mis en balance les intérêts opposés en expliquant pourquoi elle était arrivée à sa conclusion (Nation haïda, au paragraphe 45; Taku River, au paragraphe 2). La réponse du Canada aurait pu, sans aucun doute, expliquer plus en détail pourquoi elle souscrivait à l’intention de la recommandation 6.7, mais non à son adoption intégrale, mais sa justification ressort clairement du dossier. Dans le contexte du présent contrôle judiciaire de la délivrance de l’autorisation, ce fait est pertinent, car il se rapporte aux consultations et à la justification sous-jacente à la réponse du Canada et à la décision sur la voie à suivre, lesquelles, à leur tour, ont mené à la délivrance de l’autorisation et des conditions qui s’y rattachent.

[267]       Et même si l’évaluation supplémentaire que la CEC a recommandée a peut-être permis d’obtenir un niveau supérieur de certitude des prévisions quant aux taux de mercure, il ressort clairement aussi des observations que le MPO a présentées à la CEC, lesquelles ont été essentiellement adoptées par la réponse du Canada, que le MPO était convaincu que la modélisation et les données recueillies par Nalcor contribuaient aussi à fournir une base prédictive suffisante par rapport à laquelle il serait possible de comparer les travaux de surveillance futurs après les avoir combinés aux travaux additionnels d’échantillonnage et de surveillance de base qu’exigeait le PSEE. C’est-à-dire que le Canada était persuadé qu’il était possible de gérer l’incertitude et le risque concernant la bioaccumulation de méthylmercure au moyen des programmes de surveillance.

[268]       Le processus de consultation montre que le Canada était entièrement au fait des opinions des groupes autochtones, dans la mesure de l’évaluation en aval qui était exigée. Cependant, il est évident qu’il ne souscrivait pas à ces opinions. La lettre du 31 mai 2013 que le MPO a envoyée au NCC répondait à cette question dans le contexte de la phase 5. Le MPO a expliqué qu’en ce qui concernait la recommandation 6.7, selon la réponse du Canada, Nalcor serait tenue de recueillir des données de base sur l’accumulation de méthylmercure dans le poisson et dans son habitat en aval de Muskrat Falls, avant la mise en eau. Le PSEE prévoyait que l’on examinerait les renseignements détaillés que Nalcor recueillerait.

[269]       Essentiellement, la recommandation 6.7 visait à obtenir une évaluation supplémentaire, avant la mise en eau, avant d’obtenir un niveau prédictif de certitude supérieur au sujet des effets du mercure en aval. Dans sa réponse, le Canada a admis en fait que cette incertitude présentait un risque. Cependant, par rapport aux avantages du Projet, les effets environnementaux négatifs importants étaient supplantés et pouvaient être gérés au moyen des conditions rattachées à l’autorisation. Le NCC n’est pas d’accord avec cette conclusion, mais ses objections ne concernent aucune lacune perçue dans le PSEE. Il ne laisse pas entendre, par exemple, qu’un échantillonnage annuel est insuffisant, que le nombre d’espèces de poissons analysées n’est pas représentatif ou qu’il y a des mesures précises que l’on pourrait prendre pour améliorer les mesures d’échantillonnage ou de surveillance de base décrites. Au lieu de cela, il fait de nouveau état de son désaccord, en principe, avec la réponse du Canada.

[270]       Là encore, même si le Canada aurait pu sans aucun doute mieux expliquer pourquoi il n’était pas nécessaire de procéder à une évaluation plus approfondie et pourquoi le PSEE suffisait, son explication était suffisante pour que l’on puisse comprendre sa justification (Nation haïda, au paragraphe 44; Ka’a’Gee Tu no 2, au paragraphe 131; West Moberly, au paragraphe 144).

b)                  Le défrichement des réservoirs – la recommandation 4.5

[271]       La CEC a analysé la question de la préparation des réservoirs, tant au chapitre 4, intitulé « Nécessité du projet et solutions de rechange », qu’au chapitre 6, intitulé « Environnement aquatique », de son rapport.

[272]       Au chapitre 4, la CEC a décrit les observations de Nalcor sur la justification environnementale, technique et économique de trois scénarios de défrichement : aucun défrichement, un défrichement complet ou un défrichement partiel. Elle a également décrit les points de vue des participants. Ceux-ci incluaient l’opinion de RNC selon laquelle les méthodes que Nalcor avait choisies pour modéliser le devenir du mercure dans l’environnement après le défrichement des réservoirs étaient appropriées; cependant, l’EIE n’indiquait pas si Nalcor avait examiné l’efficacité d’un défrichement partiel. Nalcor n’avait pas évalué non plus la possibilité de retirer la couche organique de sol ou de défricher sélectivement les broussailles et d’autres matières organiques en vue de réduire la production de méthylmercure. Selon de nouvelles données tirées de lacs expérimentaux, RNC a recommandé le retrait des arbres, des broussailles et des sols dans la zone de réduction de la possibilité annuelle de coupe entre les niveaux d’eau élevés et faibles, étant donné que, d’après les recherches, c’était cette zone qui contribuait le plus à la production de méthylmercure, ce qui appuyait le scénario de défrichement partiel de Nalcor. Le NCC ne semble pas avoir fait d’observations sur cette question.

[273]       La CEC a signalé que la solution du « défrichement partiel » de Nalcor comprenait le défrichement des arbres uniquement dans les zones de glace et les zones de rivage situées autour du périmètre des réservoirs, et uniquement dans les zones qui s’inscrivaient dans les contraintes de sécurité, environnementales et économiques prédéterminées de Nalcor; autrement, les arbres demeuraient en place. La solution du « défrichement complet » comprenait, en plus d’un défrichement partiel, le défrichement du bois présent dans la zone inondée, dans les secteurs qui répondaient aux mêmes critères opérationnels que ceux du « défrichement partiel ». Autrement dit, le « défrichement complet » ne signifiait pas le retrait de tous les arbres.

[274]       La CEC a énuméré les facteurs qu’elle a considérés comme particulièrement pertinents pour arriver à ses conclusions sur d’autres moyens de préparer les réservoirs. Elle a indiqué :

La commission souligne également, comme le mentionne le chapitre 5, que plus le nombre d’arbres retirés est élevé, plus les avantages liés à la réduction d’accumulations de méthylmercure et d’émissions de gaz à effet de serre augmenteront, bien que les gains puissent être petits. La commission note également que Ressources naturelles Canada a recommandé que Nalcor étudie le retrait des boues dans la zone d’abaissement de surface pour réduire la production de méthylmercure dans le terrain inondé. Ce sujet est de nouveau abordé dans le chapitre 6.

[275]       La CEC a conclu qu’il était à la fois techniquement et économiquement faisable de procéder au « défrichement complet » du réservoir de Muskrat Falls. Sa recommandation 4.5 était la suivante : si le Projet est approuvé, que Nalcor soit tenue de mettre en œuvre son option de préparation du réservoir prévoyant le défrichement complet.

[276]       Au chapitre 6, la CEC a également traité du défrichement des réservoirs et a décrit les points de vue des participants. Nalcor a déclaré que la mobilisation du méthylmercure dans les réservoirs était une répercussion inévitable des projets hydroélectriques et qu’un « défrichement complet » ne ferait que réduire les taux de mercure d’environ dix pour cent chez les poissons, ce qui ne justifiait pas la dépense additionnelle. Elle a également indiqué que d’autres types de mesures d’atténuation, comme la pêche intensive de certaines espèces, n’étaient pas éprouvées, et probablement non réalisables. Nalcor a également noté que le retrait à grande échelle, recommandé par RNC, de la végétation et des sols, avant l’inondation, ne serait pas techniquement réalisable ou économique et aurait d’importants effets environnementaux.

[277]       RNC a fait remarquer que l’acquisition de connaissances sur les problèmes du méthylmercure associés à la création de réservoirs en était encore à ses balbutiements et qu’à ce jour, les mesures d’atténuation étaient principalement limitées à des avis sur la consommation (avis dont la Commission a traité au chapitre 13). De récentes recherches avaient montré que l’atténuation la plus efficace pouvait être le retrait de la végétation et de la couche supérieure du sol dans ce qui deviendrait plus tard la zone de rabattement du nouveau réservoir. RNC recommandait donc que Nalcor envisage un retrait à grande échelle des sols riches en mercure et en carbone dans cette région - le soi-disant « anneau du bain » - pour atténuer la production de méthylmercure, tout en reconnaissant que cette forme d’atténuation avait, jusqu’à maintenant, été menée uniquement à petite échelle expérimentale.

[278]       La CEC a conclu :

La commission note que Ressources naturelles Canada a remis en question le principe selon lequel la mobilisation du mercure est une conséquence inévitable du développement de centrales hydroélectriques et les avis à la consommation en tant qu’unique intervention suffisent. Les bienfaits de l’atténuation avant l’inondation, comme un défrichement plus intensif de la végétation et des sols, devraient être évalués dans le contexte des effets des niveaux de mercure prédits sur la faune consommatrice de poisson (chapitre 7), l’utilisation de ressources renouvelables (chapitre 8) et la santé humaine (chapitre 13). De même, la signification de l’effet cumulatif d’autre période de contamination au méthylmercure dans le système de la partie inférieure du fleuve Churchill, après les effets du projet de Churchill Falls, devrait être évaluée dans le contexte de la santé humaine et de l’utilisation de ressources renouvelables.

[...]

La commission accepte la supposition que le retrait sélectif du sol aux rebords du réservoir n’est pas encore une mesure d’atténuation qui a fait ses preuves, mais souligne tout de même que cette approche semble avoir un certain mérite, surtout si le défrichement peut être restreint au pourtour du réservoir.

La commission conclut en disant que les avis à la consommation transfèrent une partie du coût de la production de l’hydroélectricité aux populations locales, et qu’il importe donc de tenter de trouver de meilleures solutions pour réduire le méthylmercure dans les réservoirs. Par conséquent, la commission estime que Ressources naturelles Canada devrait tester la solution d’atténuation qui consiste à retirer le sol dans la zone de rabattement, et déterminer comment éviter ou réduire au minimum les impacts environnementaux, ainsi que des moyens de faire un usage avisé des matières retirées.

[279]       Pour ce qui est de la recommandation 4.5, la CEC a conclu qu’il était à la fois techniquement et économiquement réalisable de procéder au « défrichement complet » du réservoir de Muskrat Falls, et elle a formulé la recommandation suivante :

RECOMMANDATION 4.5 Défrichement complet du réservoir de Muskrat Falls

Si le projet est approuvé, la commission recommande que Nalcor soit tenue de mettre en œuvre son option de préparation du réservoir de Muskrat Falls prévoyant le défrichement complet.

[280]       La réponse du Canada a été la suivante :

Recommandation 4.5 : Défrichement complet du réservoir de Muskrat Falls

Si le projet est approuvé, la commission recommande que Nalcor soit tenue de mettre en œuvre son option de préparation du réservoir de Muskrat Falls prévoyant le défrichement complet.

Réponse : Le gouvernement du Canada souligne que cette recommandation concerne les activités de Nalcor, conformément à la réglementation de la province de Terre-Neuve-et-Labrador. Le gouvernement du Canada collaborera avec les parties concernées s’il y a lieu.

[281]       Le NCC soutient, essentiellement, qu’en délivrant l’autorisation le ministre a fait abstraction de l’effet qu’aurait l’approche suivie par la réponse du Canada à la recommandation 4.5 sur les niveaux de méthylmercure ainsi que sur les impacts consécutifs.

[282]       Est jointe à l’affidavit de Bennett une copie de la réponse de la Province, qui a été produite à la même date que la réponse du Canada. Cette réponse indique :

[traduction

Recommandation 4.5 – Défrichement complet du réservoir de Muskrat Falls

Si le projet est approuvé, la commission recommande que Nalcor soit tenue de mettre en œuvre son option de préparation du réservoir de Muskrat Falls prévoyant le défrichement complet.

Réponse :

Le gouvernement de Terre-Neuve-et-Labrador souscrit au principe de l’utilisation maximale de la ressource forestière. Compte tenu du peu de possibilités d’utiliser la ressource, ainsi que de la réduction vraisemblablement négligeable des taux de mercure associés au défrichement complet par opposition au défrichement partiel, le gouvernement est en faveur d’une récolte partielle de la zone inondée. Si une occasion économique d’exploiter la ressource se concrétise, il sera envisagé de récolter de la fibre additionnelle.

[283]       Dans son affidavit, M. Finn dit [traduction« croire que Nalcor est en voie de retirer une part importante des arbres dans la zone qu’occupera le réservoir de Muskrat Falls ». Cependant, il n’indique pas sur quoi il s’appuie, et il n’explique pas non plus ce que peut vouloir dire une [traduction« part importante des arbres » dans le contexte d’un défrichement complet ou partiel.

[284]       Le retrait des arbres en tant que mesure d’atténuation est directement lié au problème de la bioaccumulation du méthylmercure ainsi qu’à l’éventuel besoin connexe de diffuser des avis sur la consommation de poisson en aval de Muskrat Falls et du lac Melville. C’est donc dire que, même si la réponse du Canada était fondée sur une question de compétence, le Canada aurait su que la Province avait l’intention d’exiger un défrichement partiel plutôt que complet, comme le recommandait la CEC. Pourtant, le Canada n’a pas tenu compte de la hausse consécutive du méthylmercure dans sa réponse à la recommandation 4.5 ou n’a pas expliqué de quelle façon cette question avait été examinée ailleurs. Comme les niveaux de méthylmercure étaient un sujet de préoccupation pour les groupes autochtones et un enjeu fondamental pour la CEC, et comme le processus de la CEC remplissait en partie l’obligation de consultation du Canada et que son rapport éclairait la réponse du Canada, le NCC aurait bien pu s’attendre à ce que la question soit examinée de manière explicite, plutôt que de la voir réglée simplement en faisant valoir qu’un défrichement complet relevait de la compétence de la Province.

[285]       Cependant, comme nous l’avons vu plus tôt, le Canada s’est dit convaincu que les activités de modélisation ainsi que de surveillance, d’échantillonnage et de collecte de données de base de Nalcor, rehaussées par le PSEE qui constituait un élément de l’autorisation, étaient suffisantes pour relever toute augmentation imprévue des niveaux de méthylmercure chez les poissons et les phoques. C’est donc dire que sa décision de délivrer l’autorisation sans exiger un défrichement complet, par opposition à un défrichement partiel, était éclairée et raisonnable. D’autant plus que la CEC avait reconnu que les avantages du fait d’exiger un défrichement complet plutôt qu’un défrichement partiel pouvaient être restreints.

c)                  L’efficacité du PCPHP

[286]       Le NCC soutient que le ministre a fait abstraction des informations scientifiques dont il disposait, dont deux documents de recherche publiés par des scientifiques du MPO, au sujet du manque d’efficacité des programmes de compensation du poisson du MPO pour ce qui était d’atteindre l’objectif d’aucune perte nette de poisson (affidavit de Todd, au paragraphe 69). Le ministre a donc adopté sciemment un programme qui a peu de chances d’être efficace, ce qui rend donc sa décision déraisonnable.

[287]       La CEC a analysé la question de la perte, de la détérioration et de la compensation de l’habitat du poisson au chapitre 6 de son rapport. La CEC a présenté le point de vue de Nalcor, à savoir que le principe d’« aucune perte nette » du MPO, en ce qui avait trait à la gestion de l’habitat, était le principal principe qui guidait son évaluation des effets sur le poisson et son habitat. Nalcor, en collaboration avec le MPO, avait établi une méthode propre à la partie inférieure du fleuve Churchill pour calculer l’utilisation de l’habitat actuelle et future pour toutes les espèces de poissons présentes dans l’aire d’évaluation. Nalcor a fait référence à l’EIE, qui montrait la quantité d’habitats de poisson qui pourraient être détruits ou altérés par le Projet, d’après le MPO, et par l’empreinte directe des centrales hydroélectriques de Gull Island et de Muskrat Falls, qui détruiraient 26,03 et 7,30 hectares, respectivement. Selon Nalcor, cette perte serait compensée par la création d’un nouvel habitat par des moyens accessoires (création d’un réservoir) et par la construction de moyens physiques de compensation. Nalcor a conclu que ses stratégies de compensation et d’atténuation contribueraient grandement à l’atteinte de l’objectif d’« aucune perte nette » du MPO et fourniraient un habitat suffisant pour chaque cycle de vie de chaque espèce de poisson se trouvant dans la zone visée par le Projet. Par conséquent, aucun effet indésirable grave pour le poisson et son habitat n’était prévu. Nalcor a présenté les mesures d’atténuation et de surveillance qu’elle proposait, lesquelles incluaient la préparation de plans distincts de compensation de l’habitat du poisson, l’examen de sites permettant d’améliorer l’habitat à l’extérieur de la zone de mise en eau en vue de compenser les travaux de compensation physiques éventuellement inefficaces après la mise en eau, l’exécution d’une surveillance et d’une gestion adaptative à long terme des travaux de compensation en vue de veiller au respect du principe d’« aucune perte nette » et la collecte de données supplémentaires.

[288]       Le MPO a souscrit en général à la manière dont Nalcor a décrit les effets à long terme que le Projet aurait sur l’habitat du poisson et a indiqué que la stratégie de compensation de Nalcor était acceptable en principe, et que les détails seraient fournis dans son plan de compensation, qu’il publierait sous peu. Le MPO a fait remarquer que Nalcor avait pris d’importants engagements à long terme à l’égard de la surveillance de l’habitat dans les réservoirs, et s’attendait à ce que cette surveillance confirme bien les prévisions relatives à l’utilisation de l’habitat du poisson. Le MPO a toutefois également relevé des incertitudes quant au temps qui pourrait être nécessaire avant que la qualité de l’eau dans les réservoirs se stabilise, ainsi qu’à la manière dont les populations de poissons s’adapteraient à ces changements. Le MPO a donc recommandé que l’on recueille davantage de données de référence, avant l’inondation, sur les poissons et leur habitat avant la construction.

[289]       Divers participants se sont dits inquiets des mesures de compensation du poisson et de son habitat. Cependant, comme nous le verrons plus en détail ci-après, le NCC n’en faisait pas partie. Faisant référence à plusieurs rapports, Grand RiverKeeper Labrador Inc. a critiqué le succès avec lequel les travaux de compensation atténuaient les pertes d’habitat causées par de grands projets et il a laissé entendre que ni le MPO ni EC ne s’étaient acquittés correctement de leurs obligations en matière de surveillance et d’exécution des règles concernant d’autres initiatives de compensation à grande échelle menées sous le régime de la Loi sur les pêches.

[290]       Entre autres conclusions, la CEC a reconnu que si la stratégie de compensation proposée par Nalcor réussissait, elle finirait par répondre à la plupart des besoins en matière d’habitat des espèces résidentes. De plus, elle a reconnu que le MPO avait souscrit provisoirement à la stratégie et avait indiqué que des travaux de compensation à plus petite échelle avaient été efficaces, mais sans fournir toutefois de preuves détaillées à l’appui. Nalcor n’avait pas non plus présenté de preuves de ses réussites ou des leçons tirées de projets hydroélectriques à grande échelle semblables.

[291]       Plus précisément :

La commission a reçu des preuves selon lesquelles Pêches et Océans Canada n’aurait pas été en mesure de démontrer des progrès importants dans la réalisation de son mandat d’aucune perte nette, et que les projets de compensation de l’habitat du poisson mis en œuvre dans l’ensemble du pays, s’ils sont examinés de près, ne reproduisent pas l’habitat ou ne procurent pas un habitat équivalent à celui qui a été perdu, dans la plupart des situations. Le personnel régional de Pêches et Océans Canada a indiqué que leur expérience à Terre-Neuve-et-Labrador était différente, et que les projets de compensation mis en œuvre dans la province ont été efficaces, mais n’ont pas présenté de renseignements détaillés à l’appui.

RECOMMANDATION 6.6 Compensation de l’habitat du poisson

Si le projet est approuvé, la commission recommande que Pêches et Océans Canada demande à Nalcor de :

•        préparer, en collaboration avec les intéressés et les groupes autochtones, un plan de compensation détaillé de l’habitat du poisson qui tient compte, dans la mesure du possible, des interactions probables entre les espèces et les étapes du cycle de vie, y compris les relations prédateur-proie ainsi que le potentiel de remplacement des habitats des affluents;

•        préparer un plan de surveillance de l’habitat comprenant des seuils critiques d’intervention et des mesures de gestion adaptative définies;

•        mettre en œuvre le plan proposé, documenter le processus;

•        évaluer la mesure dans laquelle un nouvel habitat stable a été créé, son utilisation et sa productivité;

•        appliquer les leçons tirées de la mise en œuvre du plan de compensation de Muskrat Falls aux travaux de compensation proposés à Gull Island.

Si, après que toutes les mesures de gestion adaptative possibles aient été appliquées, Pêches et Océans Canada détermine que la quantité d’habitats créés et maintenus avec succès est nettement insuffisante par rapport à la proposition initiale, Nalcor devrait être tenue de compenser cette insuffisance en procédant à des travaux de compensation de l’habitat dans d’autres bassins hydrologiques au Labrador. La préférence devrait être accordée à l’atténuation et à l’amélioration dans les zones touchées par le projet de Churchill Falls.

[292]       La CEC a ensuite déclaré que, tout en reconnaissant l’exhaustivité du plan de compensation de Nalcor, elle concluait qu’il y avait un risque important que les mesures de compensation ne soient pas aussi efficaces qu’elles devraient l’être, et ce, pour les raisons qu’elle a indiquées, dont le fait que le Projet créerait une importante dépendance à l’égard de la réussite d’un ambitieux plan de compensation de l’habitat.

[293]       La CEC a tiré une conclusion importante dans la section suivante de son rapport, qui traite des effets sur l’assemblage du poisson. Plus précisément, à cause de l’incertitude entourant les effets sur les poissons et les populations de poissons causée par le nombre et l’ampleur des changements au milieu aquatique par suite de la création de réservoirs, de l’incertitude entourant l’efficacité de la compensation de l’habitat et du risque qu’au moins une certaine partie de l’habitat du poisson perdu ne puisse être recréée efficacement, le Projet se solderait par des effets environnementaux éventuellement irréversibles et significatifs sur l’habitat du poisson et l’assemblage du poisson dans les deux réservoirs.

[294]       Il y a plusieurs choses qui découlent de cela. Premièrement, la CEC a clairement examiné la question de l’efficacité des mesures de compensation de l’habitat. Elle a pris acte de l’incertitude et en a traité dans son rapport. Autrement dit, cette question a été examinée au cours du processus de la CEC.

[295]       Deuxièmement, le NCC, par l’entremise de l’affidavit de Todd, en affirmant que le ministre a fait abstraction des informations scientifiques dont il disposait, fait référence à deux documents de recherche publiés par des scientifiques du MPO au sujet du manque d’efficacité des programmes de compensation de l’habitat du poisson du MPO pour ce qui est d’atteindre réellement l’objectif d’« aucune perte nette » de l’habitat; ces deux rapports sont joints en tant que pièces à cet affidavit.

[296]       Cependant, l’affidavit de Finn souligne que le second des deux documents a été analysé, de pair avec une autre étude des mêmes auteurs sur le sujet des programmes de compensation de l’habitat du poisson, avec la participation du MPO, lors des audiences que la CEC a tenues sur l’environnement aquatique les 15 et 16 mars 2011. L’affidavit de Finn signale également que le NCC n’a pas fait d’observations à l’occasion de cette séance. De plus, le MPO était au courant des deux documents et ceux-ci faisaient partie d’un vaste ensemble de connaissances, de pair avec les conclusions et les recommandations de la CEC, qui ont été examinées et qui ont constitué le fondement scientifique du PCPHP, lequel était joint en tant que condition relative à l’autorisation. M. Finn déclare aussi être convaincu que le PCPHP était raisonnable et traitait de préoccupations semblables à celles qui étaient évoquées dans les deux documents, et il recommandait donc que le directeur général régional délivre l’autorisation.

[297]       Le NCC reconnaît ne pas avoir fait d’observations sur la question au cours du processus de la CEC, mais il ajoute que c’était parce qu’il ne participait pas aux travaux à cette époque [traduction« à cause d’un litige en cours ».

[298]       À mon avis, c’était au cours du processus de la CEC qu’il fallait soulever ces sujets de préoccupation (Katlodeeche, aux paragraphes 119, 164 et 165). Le NCC était bien au courant que la CEC était le principal moyen de soulever des préoccupations de cette nature. Il a décidé de ne pas participer aux travaux, comme il était en droit de le faire, mais cette décision n’était pas sans risque. De plus, rien ne prouve qu’après le refus de sa demande d’injonction le NCC a ensuite tenté de soulever cette préoccupation auprès de la CEC ou du MPO. Elle n’a pas non plus été évoquée au moment où le NCC a demandé de soumettre à un contrôle judiciaire le rapport de la CEC, une demande que la Cour fédérale a rejetée le 20 décembre 2012 (Grand Riverkeeper). L’affidavit de Finn indique que, en fait, les deux rapports en question n’ont jamais été évoqués par le NCC comme des sujets que le MPO ou l’Agence devaient prendre en considération avant le dépôt de l’affidavit de Todd. Comme il est indiqué dans la décision Katlodeeche :

[164]    La PNK n'a jamais exprimé de préoccupation au sujet de la « fracturation » et c'est la première fois qu'elle a soulevé la question dans la présente demande. On ne saurait guère reprocher à la Couronne de ne pas avoir consulté la PNK à ce sujet, étant donné que la PNK n'avait encore jamais indiqué qu'elle s'inquiétait à ce sujet. Ainsi que Paramount le souligne, la fracturation était expressément envisagée comme technique d'achèvement dans le cadre de l'évaluation environnementale EA03‑005 et a été examinée dans le cadre de l'évaluation environnementale. Le chef Fabian a admis, lors de son contre-interrogatoire, qu'il était au courant que les effets cumulatifs du projet avaient été examinés lors de l'évaluation environnementale EA03‑005. Il a pourtant soulevé la question de la fracturation devant la Cour pour la première fois. La PNK a également été invitée à plusieurs reprises à exprimer ses préoccupations au sujet du Projet sans pourtant mentionner la fracturation.

[165]    En ce qui concerne le suivi des répercussions sur le milieu aquatique, j'estime que la PNK est bien au courant de la faiblesse de sa cause à cet égard et qu'elle a tenté d'étayer sa thèse en soulevant des préoccupations supplémentaires pour la première fois dans le cadre de la présente demande. La présente demande n'est pas le cadre approprié pour soulever de nouvelles questions. Je ne dispose d'aucun élément de preuve me permettant de penser que la PNK ne sera pas en mesure de soulever et de faire examiner de nouvelles préoccupations auprès de la Couronne au fur et à mesure que le Projet évoluera ou même que des préoccupations comme celles relatives à la « fracturation » n'ont pas déjà été abordées lors de l'évaluation environnementale. La décision du ministre d'approuver le permis d'utilisation des eaux de type A sur la base du dossier dont il disposait n'est pas moins raisonnable parce que la PNK soulève devant moi de nouvelles préoccupations qu'elle n'avait pas soulevées alors qu'elle a eu de nombreuses occasions de le faire et que du personnel qualifié aurait pu les examiner correctement avant la délivrance du permis d'utilisation des eaux de type A.

[299]       En omettant de soulever cette question avant le dépôt de la présente demande de contrôle judiciaire, le NCC tente en fait de faire obstacle au processus consultatif (Halfway River First Nation, aux paragraphes 160 et 161).

[300]       Comme il est indiqué dans la décision Katlodeeche :

[104]    Bien que la Couronne ait l'obligation de consulter les Autochtones, ceux‑ci ont également l'obligation correspondante de participer de bonne foi aux consultations en saisissant les occasions raisonnables qui leur sont offertes. Les Autochtones ont l'obligation réciproque de « faire leur part en matière de consultation, de faire connaître leurs préoccupations, de supporter les efforts du gouvernement en vue de tenir compte de leurs préoccupations et suggestions, et de tenter de trouver une solution mutuellement satisfaisante » (Nation crie Mikisew crie, précitée, au paragraphe 65).

[301]       De plus, par la voie de l’autorisation, le MPO a exigé que l’on se conforme au PCPHP et il a inclus des conditions connexes. De façon importante, ces conditions comprennent le fait que si, à un moment quelconque, Nalcor prend conscience que l’habitat compensatoire n’est pas terminé ou ne fonctionne pas d’une manière conforme aux critères énoncés dans l’autorisation et le PCPHP, elle est tenue d’exécuter tous les travaux qui sont nécessaires pour s’assurer que l’habitat compensatoire est terminé ou fonctionne comme l’exige l’autorisation (condition 4.5), et, pour ce qui est de la surveillance de l’habitat compensatoire et des rapports connexes (condition 5), y compris la mise en œuvre d’un processus de gestion adaptative en vue de surveiller les prévisions postérieures au projet et entreprendre des mesures adaptatives s’il survient des changements imprévus (condition 5.4).

[302]       En conséquence, même si les mesures de compensation de l’habitat du poisson ne sont pas aussi efficaces que prévu, Nalcor est tout de même tenue par l’autorisation de prendre toutes les autres mesures qui sont nécessaires pour s’assurer que l’on respecte entièrement les exigences.

[303]       Et, finalement, comme il est indiqué dans la décision Ekuanitshit CF, dans le contexte d’une contestation de la réponse du Canada au Projet :

[...] Il est important de réitérer qu’il n’appartient pas à la Cour de décider si les analyses de Nalcor et de MHI sont correctes ou pas et de réévaluer le poids à accorder à une étude plutôt qu’à une autre, mais plutôt de déterminer si la décision du gouvernement fédéral repose sur un fondement raisonnable. Comme l’énonce le juge Sexton dans la décision Inverhuron, précitée :

Le processus d’évaluation environnementale est déjà un processus long et ardu, tant pour les défenseurs que pours (sic) les adversaires d’un projet. Faire de la juridiction de contrôle une « académie des sciences » – expression employée par mon collègue le juge Strayer (charge qu’il occupait alors) dans l’affaire Vancouver Island Peace Society c. Canada – serait à la fois contre‑productif et contraire à l’économie de la Loi. (Inverhuron, précitée, au para 36.)

[304]       Cela a été mentionné de nouveau dans la décision Grand Riverkeeper, au paragraphe 41 :

[41]      La Cour d’appel fédérale a fait observer dans l’arrêt Iverhuron & District Ratepayers’ Association c Canada (Ministre de l’Environnement), [2001] AFJ no 1008, au paragraphe 40, qu’elle devait simplement pouvoir trouver un fondement rationnel dans les conclusions de la commission. La présente Cour a approfondi la question dans la décision Pembina Institute for Appropriate Development c Canada (Procureur général), [2008] ACF no 324 (Pembina), dans laquelle elle a déclaré que « la retenue à l’égard de l’expertise se fonde sur la formulation convaincante des justifications aux conclusions qui ont été tirées » (au paragraphe 75). Cette façon de voir s’accorde avec l’arrêt Dunsmuir, précité, dans lequel la Cour suprême explique que « [l]e caractère raisonnable tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (au paragraphe 47).

[305]       En l’espèce, le processus de la CEC a passé en revue la question de l’efficacité des programmes de compensation de l’habitat du poisson, a relevé les incertitudes soulevées et a formulé des recommandations qui ont été mises en œuvre par le PCPHP et les conditions rattachées à l’autorisation. Il ne fait aucun doute qu’il est possible de satisfaire à l’obligation de consultation en menant des consultations dans le cadre du processus réglementaire (Taku River, au paragraphe 40; Little Salmon, au paragraphe 39; Ekuanitshit CAF, au paragraphe 99; Katlodeeche, au paragraphe 97) et je suis convaincue que cette obligation a été satisfaite, que l’autorisation reflète une mesure d’accommodement raisonnable et que la décision du ministre de la délivrer était éclairée et raisonnable.

[306]       Et, comme il est indiqué dans la décision Malcolm, dans le contexte des décisions de cette nature le rôle de la Cour n’est pas de soupeser à nouveau les facteurs et de tirer sa propre conclusion. Si la décision est celle qu’un ministre pourrait raisonnablement prendre, la déférence commande qu’on la respecte (au paragraphe 73).

d)                 Questions diverses

(i)                 La mise en eau

[307]       L’affidavit de Russell affirme également que le MPO n’exigeait pas que Nalcor procède à la mise en eau du réservoir d’après le calendrier recommandé par la CEC, ce qui pouvait causer des dommages au poisson lors du cycle du frai. Cependant, l’affidavit de Finn indique que l’autorisation concorde avec la recommandation 6.1, car elle inclut une condition qui exige expressément que la mise en eau du réservoir ait lieu entre la mi-juillet et la fin septembre. Je signale que la réponse du Canada a souscrit à la recommandation 6.1 et que l’autorisation à délivrer exigerait que Nalcor procède à la mise en eau dans le délai recommandé par la CEC, entre la mi-juillet et la fin septembre. À cet égard, l’autorisation qui a été délivrée est valable du 15 juin 2013 au 31 décembre 2017 et la mise en eau complète du réservoir est limitée à la période du 15 juillet au 30 septembre à l’intérieur de cette période, ce qui semble concorder avec la recommandation 6.1.

(ii)               Le traitement des Innus

[308]       Enfin, le NCC soutient également qu’il n’a pas été traité de la même façon que les Innus par Nalcor et le MPO et que la manière dont le MPO a traité les Innus, en tant que groupe autochtone le plus directement touché par le Projet, est une erreur de droit qui mine la validité des consultations. Cet argument, selon moi, est peu fondé. La question en litige dans la présente affaire a trait au caractère suffisant des consultations que le Canada a menées avec le NCC dans la phase 5, dans le contexte des titres et des intérêts du NCC qui sont touchés. Cette question est tributaire des faits, est propre au NCC et a trait à l’autorisation et aux conditions qui y sont rattachées, en particulier, le PCPHP et le PSEE, ainsi que la décision du ministre de délivrer l’autorisation. Et, en tout état de cause, le Protocole régissant la phase réglementaire, le processus de consultation, s’appliquait à tous les groupes autochtones.

La conclusion

[309]       L’obligation de consultation et d’accommodement ne veut pas dire que les groupes autochtones détiennent un droit de veto sur les décisions que prennent les gouvernements. La Couronne peut prendre des décisions même si un groupe autochtone s’y oppose, pour autant que le processus de consultation et les mesures d’accommodement soient équitables, raisonnables et conformes au principe de l’honneur de la Couronne (Adams Lake, au paragraphe 100).

[310]       En l’espèce, l’obligation de consultation se situait entre le point inférieur et le point médian du continuum. Le Canada, conformément au Cadre de consultation, a proposé le Protocole régissant la phase réglementaire pour la phase 5 du Projet. Le MPO a rencontré le NCC en vue de discuter du régime de délivrance de permis réglementaires à suivre au moyen de l’autorisation délivrée sous le régime de la Loi sur les pêches. Le MPO a également fourni au NCC l’ébauche du Protocole régissant la phase réglementaire et a sollicité les commentaires du NCC sur ce processus de consultation. Le NCC y a effectivement répondu, au-delà du délai demandé de quatorze jours, mais n’a pas fourni de commentaires de fond, demandant plutôt que l’on définisse l’empreinte du Projet, un sujet dont il avait été question au début du processus de consultation en cinq phases, ainsi qu’un protocole distinct pour partager les connaissances traditionnelles autochtones du NCC, sur lesquelles, d’après ce dernier, il était nécessaire de mettre l’accent.

[311]       Le MPO a fourni au NCC les ébauches du PCPHP et du PSEE conformément au Protocole régissant la phase réglementaire. Cependant, au lieu de faire des commentaires sur ces deux plans, le NCC a contesté le processus du protocole et s’est élevé contre le prétendu non-respect des recommandations de la CEC, un manque d’aide financière pour la phase 5 ainsi que d’autres questions. Le MPO a répondu à chacun de ces sujets de préoccupation.

[312]       À mon avis, le processus décrit dans le Protocole régissant la phase réglementaire était suffisant pour que le Canada s’acquitte de son obligation de consultation, il était raisonnable et le MPO l’a suivi. La réponse de ce dernier a peut-être été moins que parfaite, mais la perfection n’est pas exigée tant que l’on a fait des efforts raisonnables pour consulter et prendre des mesures d’accommodement et, si le résultat appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit, il n’y a pas lieu d’intervenir (Ka’a’Gee Tu no 2, aux paragraphes 90 à 92; Nation haïda, au paragraphe 42). Même si le NCC n’était pas satisfait d’un grand nombre des réponses du Canada, comme nous l’avons vu plus tôt, la décision qu’a prise le ministre de délivrer l’autorisation a été, en fin de compte, raisonnable.

[313]       Quant au caractère suffisant des consultations concernant les connaissances traditionnelles autochtones du NCC ainsi que l’utilisation contemporaine des terres et des ressources, je ne suis pas convaincue qu’une aide financière insuffisante ou les possibilités de consultation offertes lors des phases 1 à 4 du processus de consultation ont empêché le NCC de recueillir et de présenter ces informations. Le processus de la CEC était le principal moyen de traiter de ces questions. De plus, une aide financière additionnelle, quoique restreinte, a été accordée au cours de la phase 4 pour pouvoir traiter de questions découlant du rapport de la CEC, lesquelles auraient inclus la position du NCC selon laquelle on n’avait pas traité de manière adéquate de ses connaissances traditionnelles autochtones ainsi que de l’utilisation des terres et des ressources. Comme le processus de consultation était de nature continue, le ministre était en droit de prendre en considération les consultations antérieures au moment de décider de délivrer l’autorisation.

[314]       Aucune aide financière n’a été fournie au cours de la phase 5, ce qui est regrettable, car cela a peut-être restreint la capacité des groupes autochtones, dont le NCC, de retenir les services de consultants indépendants, le cas échéant, qui les auraient aidés à déterminer si l’autorisation, en particulier, ainsi que le PCPHP et le PSEE, permettaient d’atténuer convenablement tout effet négatif sur leurs titres et leurs intérêts touchés. Cependant, le NCC était au courant du processus de consultation appliqué par le Protocole régissant la phase réglementaire et a également eu la possibilité de rencontrer à la fois Nalcor et le MPO pour discuter des deux plans, mais il a refusé de le faire. Le NCC ne s’est pas non plus servi de ses propres ressources à cet égard. En conséquence, il n’a établi ni un manquement à l’obligation de consultation ni l’existence d’un effet négatif en découlant.

[315]       Quant au respect des recommandations 6.7 et 4.5 du rapport de la CEC, le Canada s’est dit convaincu que les activités de modélisation et de collecte de données de Nalcor permettaient d’offrir un fondement prédictif suffisant par rapport auquel comparer les activités de surveillance futures si elles étaient combinées aux autres activités d’échantillonnage et de surveillance de base qu’exigeait le PSEE. C’est-à-dire que le Canada s’est dit convaincu qu’il était possible de gérer au moyen des programmes de surveillance l’incertitude et le risque que suscitait la bioaccumulation du méthylmercure. C’est donc dire que la décision qu’a prise le ministre de délivrer l’autorisation sur ce fondement, et sans exiger un défrichement complet, était éclairée et raisonnable et ne démontre pas l’existence d’un manque de mesures d’accommodement.

[316]       Enfin, l’allégation du NCC selon laquelle le ministre a fait abstraction d’informations scientifiques disponibles et a sciemment adopté un plan de compensation de l’habitat du poisson ayant peu de chances d’être efficace, ce qui rendait sa décision déraisonnable, n’est pas défendable. Premièrement, parce que la CEC a traité de la question, a pris acte de l’incertitude et a formulé à cet égard des recommandations qui se reflètent dans l’autorisation. Deuxièmement, parce que le NCC a omis de soulever cette question en tant que sujet de préoccupation à un moment quelconque au cours du processus de consultation. Le fait d’évoquer une telle question pour la première fois dans le cadre du contrôle judiciaire de la dernière phase d’un long processus de consultation et de demander à la Cour de soupeser de nouveau les preuves scientifiques ne correspond pas au rôle de la Cour et ne constitue pas non plus une manière appropriée de traiter de la question.

[317]       Pour les raisons qui précèdent, je suis d’avis que l’on s’est acquitté de l’obligation de consultation et que la décision du ministre de délivrer l’autorisation était raisonnable.

[318]       En conséquence, la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que :

1.      La demande est rejetée.

2.      Le procureur général du Canada et Nalcor auront droit à leurs dépens, d’un montant de 1 250 $ par partie.

« Cecily Y. Strickland »

Juge

Traduction


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-1339-13

 

INTITULÉ :

NUNATUKAVUT COMMUNITY COUNCIL INC. ET TODD RUSSELL, EN LEUR PROPRE NOM ET EN CELUI DES MEMBRES DU NUNATUKAVUT COMMUNITY COUNCIL INC. c LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA ET NALCOR ENERGY

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Halifax (NOUVELLE-ÉCOSSE)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LES 2, 3 ET 4 FÉVRIER 2015

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE STRICKLAND

 

DATE DES MOTIFS :

LE 18 AOÛT 2015

 

COMPARUTIONS :

Derek Simon

Jason Cooke

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Reinhold M. Endres, c.r.

James Klaassen

 

POUR LE DÉFENDEUR, LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU Canada

 

Maureen Killoran, c.r.

Thomas Gelbman

 

POUR la défenderesse, Nalcor energy

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Burchells LLP

Avocats

Halifax (Nouvelle-Écosse)

 

POUR LES DEMANDEURS

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada Halifax (Nouvelle-Écosse)

 

POUR LE DÉFENDEUR, LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU Canada

 

Osler, Hoskin & Harcourt LLP

Avocats

Calgary (Alberta)

 

POUR LA DÉFENDERESSE, NALCOR ENERGY

 

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