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Date : 20150819


Dossier : T-2598-14

Référence : 2015 CF 987

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Toronto (Ontario), le 19 août 2015

En présence de madame la juge Mactavish

ENTRE :

ABDUL R. SHAHEIN

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               Abdul Shahein interjette appel d’une décision par laquelle le juge de la citoyenneté a rejeté sa demande de citoyenneté canadienne puisqu’il n’avait pas établi qu’il avait été effectivement présent au Canada pendant 1 095 jours sur les quatre ans ayant précédé le dépôt de sa demande. DShahein soutient que la décision du juge de la citoyenneté était déraisonnable et que ce dernier avait fait preuve de partialité à son égard.

[2]               Je suis convaincue que la décision du juge de la citoyenneté était raisonnable. Dr Shahein a aussi omis de produire des éléments de preuve fiables démontrant que le juge de la citoyenneté avait fait preuve de partialité à son égard. Par conséquent, l’appel sera rejeté.

I.                   La raisonnabilité de la conclusion du juge de la citoyenneté sur la question de la présence effective

[3]               Il incombait à Dr Shahein d’établir qu’il était en fait au Canada les jours en question. Comme il a seulement affirmé avoir été au Canada pendant 1 097 jours entre le 7 juin 2010 et le 27 juillet 2013 (que deux jours de plus que les 1 095 jours requis), le défaut d’établir sa présence effective pour seulement quelques-unes des journées indiquées dans sa demande porterait un coup fatal à sa demande de citoyenneté.

[4]               Le juge de la citoyenneté a relevé de nombreuses incohérences et contradictions dans la preuve présentée par Dr Shahein à l’appui de sa demande de citoyenneté. Dr Shahein a tenté de régler quelques-unes de ces questions dans l’affidavit qu’il a produit à l’appui de son appel, mais son affidavit a plutôt eu pour effet d’accentuer la confusion sur plusieurs points.

[5]               Le défendeur a relevé de nombreuses incohérences dans les renseignements fournis par Dr Shahein lors de l’audience relative à sa citoyenneté, dans sa demande de citoyenneté, dans le questionnaire de résidence et dans son affidavit. Je n’ai pas l’intention d’examiner chacune des incohérences relevées dans la preuve, mais je conviens avec le défendeur que celles-ci soulèvent de très sérieux doutes quant à la fiabilité de la preuve de Dr Shahein.

[6]               Je veux cependant souligner une incohérence relevée dans la preuve qui était, en soi, suffisante pour faire échouer la demande de Dr Shahein, selon laquelle il avait été effectivement présent au Canada pendant 1 097 jours au cours de la période pertinente, qui s’est terminée le 27 juillet 2013, date à laquelle Dr Shahein a déposé sa demande de citoyenneté canadienne.

[7]               Le profil « LinkedIn » de Dr Shahein indique qu’il était un interne en pédiatrie à l’hôpital Nationwide Children’s à Columbus, en Ohio, de février 2013 à mai 2014. Cela contredit ce que Dr Shahein a déclaré au juge de la citoyenneté, soit qu’il a seulement commencé à travailler à l’hôpital en juillet 2013. Quand le juge de la citoyenneté l’a interrogé à propos des renseignements qui figuraient sur son profil « LinkedIn », Dr Shahein a affirmé qu’il faisait de la recherche à l’hôpital pendant cette période et qu’il devait aller passer seulement deux ou trois jours à la fois aux États-Unis.

[8]               Dr Shahein a dit qu’il vivait à Windsor, en Ontario, entre février et juillet 2013 et qu’il n’allait passer quelques jours aux États-Unis qu’occasionnellement. Cependant, quand le juge de la citoyenneté lui a demandé de donner les dates précises auxquelles il avait travaillé à l’hôpital, Dr Shahein a affirmé qu’il n’était pas en mesure de le faire puisqu’il ne se rappelait pas des dates exactes auxquelles il avait séjourné aux États-Unis.  

[9]               Dr Shahein fournit une explication différente en ce qui concerne cette incohérence dans son affidavit. Il affirme que lorsque le juge de la citoyenneté l’a interrogé au sujet des dates de l’internat qui étaient inscrites sur son profil « LinkedIn », il a expliqué qu’il était censé commencer son programme d’internat en juillet 2012, mais que la date avait été reportée en raison des difficultés qu’il avait eues à obtenir un visa américain. Par conséquent, il n’a commencé son programme que l’année suivante. Selon son affidavit, Dr Shahein avait simplement omis de mettre à jour son profil « LinkedIn » puisqu’il n’utilisait plus son compte.

[10]           Cette explication pose deux problèmes.  

[11]           Tout d’abord, le profil « LinkedIn » de Dr Shahein n’indiquait pas qu’il avait commencé son internat en juillet 2012, comme le précise son affidavit. Il était plutôt indiqué qu’il avait commencé son internat en février 2013, soit peu de temps après avoir obtenu le visa américain J‑1 qui lui permettait de travailler aux États-Unis. Par conséquent, le fait que Dr Shahein ait dû attendre pour obtenir son visa n’explique pas les renseignements erronés qui se sont retrouvés sur son profil « LinkedIn ».

[12]           Le deuxième problème que soulève l’explication donnée par Dr Shahein dans son affidavit est qu’il a clairement continué à utiliser son compte « LinkedIn » sur une base régulière puisqu’il a mis son compte à jour pas plus tard qu’en octobre 2014 pour y ajouter des renseignements sur le fait qu’il avait été admis dans un programme de résidence dans un hôpital américain.

[13]           Comme je l’ai mentionné au début des présents motifs, il incombait à Dr Shahein d’établir qu’il était au Canada les jours en question. Il a fourni des éléments de preuve contradictoires et peu convaincants à propos des ses allées et venues entre février et juillet 2013. Dans ces circonstances, la conclusion du juge de la citoyenneté selon laquelle Dr Shahein avait omis de fournir une preuve fiable à l’appui de la prétention selon laquelle il avait été effectivement présent au Canada pendant 1 097 jours était tout à fait raisonnable.

II.                La question de la partialité

[14]           Dans son affidavit, Dr Shahein présente aussi de très graves allégations d’inconduite de la part du juge de la citoyenneté. À l’audience tenue devant moi, l’avocat de Dr Shahein est allé même jusqu’à qualifier le juge de la citoyenneté de [traduction] « monstre » et de « disgrâce », soutenant que le juge avait fait preuve d’une « partialité extrêmement grave ».

[15]           Je conviens que si les allégations présentées par Dr Shahein étaient vraies, elles seraient effectivement très troublantes. Cependant, je ne suis pas prête à conclure que les allégations ont été prouvées selon la prépondérance des probabilités compte tenu de la preuve dont je dispose.

[16]           Une allégation de partialité réelle ou de crainte de partialité soulève une question d’équité procédurale. Je dois donc examiner la question de savoir si le processus décisionnel du décideur satisfait au niveau d’équité requis au vu de l’ensemble de la preuve : voir Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12, au paragraphe 43, [2009] 1 R.C.S. 339).

[17]           Dr Shahein soutient que, dès le début de l’audience, le juge de la citoyenneté a tenté de l’intimider, qu’il s’est fâché contre sa fillette quand elle a commencé à chanter l’hymne national canadien à l’audience et qu’il a ordonné à sa femme et à sa fille de quitter la salle d’audience quand sa femme a voulu confirmer une de ses réponses.

[18]           Dr Shahein soutient également que le juge de la citoyenneté a posé des questions inappropriées à propos de femme, qu’il lui a crié après tout au long de l’audience, qu’il a fait abstraction des réponses qu’il a données aux questions, qu’il était indifférent et parfois irrespectueux. Selon Dr Shahein, la conduite du juge était [traduction] « un signe de discrimination raciale et religieuse ».

[19]           Le critère qui permet de déterminer l’existence de partialité réelle ou d’une crainte raisonnable de partialité en rapport avec un décideur particulier est bien connu : la Cour doit examiner à quelle conclusion en arriverait une personne bien renseignée qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et pratique. C’est-à-dire, croirait-elle que, selon toute vraisemblance, le décideur, consciemment ou non, ne rendra pas une décision juste : voir Committee for Justice and Liberty c. Canada (Office national de l’énergie), [1978] 1 R.C.S. 369, à la page 394, 68 D.L.R. (3d).

[20]           Dr Shahein souligne que les éléments de preuve contenus dans son affidavit à propos de la conduite du juge de la citoyenneté ne sont pas contestés et que le défendeur a choisi de ne pas le contre-interroger sur son affidavit. Par conséquent, Dr Shahein soutient que je dois accepter la preuve qu’il a présentée sur ce point. Je ne suis pas d’accord.

[21]           Une allégation de partialité, particulièrement de partialité réelle, par opposition à une crainte de partialité, est une allégation grave. En fait, elle met en cause l’intégrité même du décideur dont la décision est contestée. Par conséquent, il faut faire preuve de beaucoup de rigueur pour tirer une conclusion de partialité : R. c. S. (R.D.), [1997] 3 R.C.S. 484, au paragraphe 113, 151 D.L.R. (4th) 193.

[22]           Contrairement à la situation à laquelle devait faire face la Cour dans l’affaire Sols R. Isabelle Inc. c. Stikeman Elliott LLP, 2011 CF 59, 92 C.P.R. (4th) 83, une décision invoquée par Dr Shahein, il y a de bonnes raisons de douter de la véracité des faits présentés par Dr Shahein  dans son affidavit. Comme je l’ai souligné dans la section précédente des présents motifs, il y avait de nombreuses incohérences dans les éléments de preuve que Dr Shahein a produits à l’appui de sa demande de citoyenneté, y compris certaines déclarations dans son affidavit qui contredisaient d’autres éléments de preuve qu’il avait présentés. Vu ces problèmes, je ne suis pas convaincue que Dr Shahein est un témoin fiable.

[23]           En outre, la femme de Dr Shahein était présente à l’audience et a été témoin de certains des agissements reprochés au juge de la citoyenneté. Toutefois, Dr Shahein n’a fourni aucun affidavit de sa femme lorsqu’il a présenté une demande d’autorisation visant à faire corroborer ses allégations. De plus, Dr Shahein n’a pas remédié à cet oubli après avoir obtenu l’autorisation, même si le défendeur avait souligné cette lacune dans ses observations produites en réponse au stade de l’autorisation. Voilà un oubli troublant : Li c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 1091, au paragraphe 9, [2013] A.C.F n° 1183.

[24]           Enfin, le droit exige qu’une allégation de partialité soit soulevée à la première occasion : Iqbal c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 1338, au paragraphe 31, 421 F.T.R. 159. Dr Shahein ne l’a pas fait.

III.             Conclusion

[25]           Pour ces motifs, la demande est rejetée.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

« Anne L. Mactavish »

Juge

Traduction certifiée conforme

Mylène Borduas


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-2598-14

INTITULÉ :

ABDUL R. SHAHEIN c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 17 AOÛT 2015

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE MACTAVISH

DATE DES MOTIFS :

LE 19 AOÛT 2015

COMPARUTIONS :

Wennie Lee

Patrick Simon

POUR LE DEMANDEUR

Daniel Engel

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Lee & Company

Services d’assistance judiciaire, d’avocats et de litiges en matière d’immigration

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

POUR LE DÉFENDEUR

 

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