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Date : 20150807


Dossier : T-1754-09

Référence : 2015 CF 958

Ottawa (Ontario), le 7 août 2015

En présence de monsieur le juge LeBlanc

ENTRE :

KERRY MURPHY

demandeur

et

COMPAGNIE AMWAY CANADA

et

AMWAY GLOBAL

défenderesses

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   Introduction

[1]               La Cour est saisie d’une requête visant à faire autoriser la présente instance comme recours collectif (la Requête en autorisation), tel que le permet la partie 5.1 des Règles des Cours fédérales, SOR/98-106 (les Règles).

[2]               Ancien adhérant au réseau de distributeurs de la défenderesse, Compagnie Amway Canada (Amway Canada[1]), une entreprise de commercialisation à paliers multiples spécialisée dans la vente et la distribution de produits domestiques, de soins personnels, de beauté et de santé, le demandeur prétend avoir été lésé par les pratiques commerciales de cette dernière.  Il lui reproche plus particulièrement d’opérer suivant un modèle d’affaires qui contrevient à la Loi sur la concurrence, LRC 1985, c C-34 (la Loi) et s’estime en droit, par conséquent, de lui réclamer des dommages aux termes de l’article 36 de la Loi, lequel confère à toute personne qui subit une perte ou un dommage résultant d’un comportement anticoncurrentiel prohibé par la partie VI de la Loi, le droit de réclamer de l’auteur d’un tel comportement, la perte ou le dommage subi.

[3]               Le demandeur allègue, à cet égard, qu’Amway Canada recrute ses distributeurs – désignés, dans le jargon d’Amway Canada, comme des « propriétaires de commerce indépendant » (PCI), lesquels forment le cœur de sa structure commerciale, sur la foi de représentations fausses et trompeuses quant à leur rémunération et qu’elle opère, de fait, un système de vente pyramidale, le tout en contravention des articles 52, 55 et 55.1 de la Loi.

[4]               Le demandeur cherche à être autorisé à entreprendre ce recours au nom de toutes les personnes résidant au Canada qui, depuis octobre 2007, ont distribué les produits d’Amway Canada, à l’exclusion des employés de celle-ci, leurs associés et les membres de leur famille.[2]  Le demandeur estime que ce groupe pourrait représenter jusqu’à 30 000 personnes.

[5]               Ayant initialement fixé sa réclamation monétaire et celle des membres de ce groupe à 15 000 $, le demandeur a dû réduire celle-ci à 1 000 $ en raison de la présence d’une convention d’arbitrage dans les documents contractuels liant les parties, convention à laquelle cette Cour - et la Cour d’appel fédérale après elle (Kerry Murphy c Compagnie Amway Canada et Amway Global, 2013 CAF 38) - a donné plein effet, la Cour se déclarant par ailleurs compétente pour statuer sur les réclamations de 1 000 $ ou moins.

[6]               Pour les motifs qui suivent, je suis d’avis de rejeter la Requête en autorisation.

II.                Contexte

A.                Le fondement du recours du demandeur

[7]               Le demandeur entreprend son recours en octobre 2009 par le dépôt d’un « Statement of Claim » (la Déclaration d’action).  Le recours est institué quelques semaines après que le demandeur eut mis fin à son plus récent contrat d’adhésion au réseau de PCI d’Amway Canada.  Ce contrat est en vigueur depuis juin 2008 et valide jusqu’au 31 décembre 2009.  À l’époque, la conjointe du demandeur, Cheryl Rhodes, est codemanderesse à l’instance.  Elle s’est, depuis, retirée du dossier.

[8]               Dans le jugement précité statuant sur l’applicabilité et le caractère exécutoire de la convention d’arbitrage à la réclamation initiale du demandeur (Kerry Murphy c Compagnie Amway Canada et Amway Global, 2011 CF 1341 [Murphy]), le juge Richard Boivin (maintenant juge à la Cour d’appel fédérale) présente en ces termes le modèle d’affaires d’Amway Canada :

[6] La défenderesse commercialise ses produits auprès des consommateurs en utilisant un système connu sous le nom de plan de commercialisation à niveaux multiples. Cette structure est composée d'un vaste réseau de propriétaires de commerce indépendants (PCI)). Le système fonctionne de la façon suivante : la défenderesse fournit des produits à ses PCI partout au Canada et les encourage ensuite à recruter d'autres distributeurs, et ainsi de suite, ce qui entraîne la création de plusieurs niveaux de distributeurs. Les ventes effectuées par le PCI récemment recruté visent également à compenser le PCI recruteur initial, en partie grâce à un système de prime connu sous l'expression "ligne de parrainage". Les recrutés sont appelés les PCI "en aval" du système de commercialisation et les recruteurs, les PCI "en amont".

[7] Lorsque de nouveau PCI sont recrutés, ils doivent prendre connaissance de la brochure Opportunité commerciale et signer un accord d'inscription, aux termes duquel ils acceptent d'être liés par le Plan de compensation des PCI et par les Règles de la déontologie de la défenderesse qui figurent dans le Guide de référence du commerce.

[9]               Le demandeur, comme je l’ai déjà dit, soutient dans la Déclaration d’action qu’Amway Canada contrevient aux articles 52, 55 et 55.1 de la Loi de deux façons, soit, d’une part, en recrutant ses PCI sur la foi de représentations fausses et trompeuses quant aux perspectives de succès financier et, de façon particulière, quant à leur rémunération et, d’autre part, en opérant un système de vente pyramidale.  Les portions pertinentes de ces trois dispositions, se lisent comme suit :

Indications fausses ou trompeuses

False or misleading representations

52. (1) Nul ne peut, de quelque manière que ce soit, aux fins de promouvoir directement ou indirectement soit la fourniture ou l’utilisation d’un produit, soit des intérêts commerciaux quelconques, donner au public, sciemment ou sans se soucier des conséquences, des indications fausses ou trompeuses sur un point important.

52. (1) No person shall, for the purpose of promoting, directly or indirectly, the supply or use of a product or for the purpose of promoting, directly or indirectly, any business interest, by any means whatever, knowingly or recklessly make a representation to the public that is false or misleading in a material respect.

Preuve non nécessaire

Proof of certain matters not required

(1.1) Il est entendu qu’il n’est pas nécessaire, afin d’établir qu’il y a eu infraction au paragraphe (1), de prouver :

(1.1) For greater certainty, in establishing that subsection (1) was contravened, it is not necessary to prove that

a) qu’une personne a été trompée ou induite en erreur;

(a) any person was deceived or misled;

b) qu’une personne faisant partie du public à qui les indications ont été données se trouvait au Canada;

(b) any member of the public to whom the representation was made was within Canada; or

c) que les indications ont été données à un endroit auquel le public avait accès.

(c) the representation was made in a place to which the public had access.

[…]

[…]

55. (1) Pour l’application du présent article et de l’article 55.1,  « commercialisation à paliers multiples » s’entend d’un système de distribution de produits dans lequel un participant reçoit une rémunération pour la fourniture d’un produit à un autre participant qui, à son tour, reçoit une rémunération pour la fourniture de ce même produit ou d’un autre produit à d’autres participants.

55. (1) For the purposes of this section and section 55.1, “multi-level marketing plan” means a plan for the supply of a product whereby a participant in the plan receives compensation for the supply of the product to another participant in the plan who, in turn, receives compensation for the supply of the same or another product to other participants in the plan.

Assertions quant à la rémunération

Representations as to compensation

(2) Il est interdit à l’exploitant d’un système de commercialisation à paliers multiples, ou à quiconque y participe déjà, de faire à d’éventuels participants, quant à la rémunération offerte par le système, des déclarations qui ne constituent ou ne comportent pas des assertions loyales, faites en temps opportun et non exagérées, fondées sur les informations dont il a connaissance concernant la rémunération soit effectivement reçue par les participants ordinaires, soit susceptible de l’être par eux compte tenu de tous facteurs utiles relatifs notamment à la nature du produit, à son prix, à sa disponibilité et à ses débouchés de même qu’aux caractéristiques du système et de systèmes similaires et à la forme juridique de l’exploitation.

(2) No person who operates or participates in a multi-level marketing plan shall make any representations relating to compensation under the plan to a prospective participant in the plan unless the representations constitute or include fair, reasonable and timely disclosure of the information within the knowledge of the person making the representations relating to (a) compensation actually received by typical participants in the plan; or (b) compensation likely to be received by typical participants in the plan, having regard to any relevant considerations, including (i) the nature of the product, including its price and availability, (ii) the nature of the relevant market for the product, (iii) the nature of the plan and similar plans, and (iv) whether the person who operates the plan is a corporation, partnership, sole proprietorship or other form of business organization.

Idem

Idem

(2.1) Il incombe à l’exploitant de veiller au respect, par les participants et ses représentants, de la règle énoncée au paragraphe (2), compte tenu des informations dont il a connaissance.

(2.1) A person who operates a multi-level marketing plan shall ensure that any representations relating to compensation under the plan that are made to a prospective participant in the plan by a participant in the plan or by a representative of the person who operates the plan constitute or include fair, reasonable and timely disclosure of the information within the knowledge of the person who operates the plan relating to (a) compensation actually received by typical participants in the plan; or (b) compensation likely to be received by typical participants in the plan, having regard to any relevant considerations, including those specified in paragraph (2)(b).

Défense

Due diligence defence

(2.2) La personne accusée d’avoir contrevenu au paragraphe (2.1) peut se disculper en prouvant qu’elle a pris les mesures utiles et fait preuve de diligence pour que :

(2.2) A person accused of an offence under subsection (2.1) shall not be convicted of the offence if the accused establishes that he or she took reasonable precautions and exercised due diligence to ensure

a) soit ses représentants ou les participants ne fassent aucune déclaration concernant la rémunération versée au titre du système;

(a) that no representations relating to compensation under the plan were made by participants in the plan or by representatives of the accused; or

b) soit leurs déclarations respectent les critères énoncés au paragraphe (2).

(b) that any representations relating to compensation under the plan that were made by participants in the plan or by representatives of the accused constituted or included fair, reasonable and timely disclosure of the information referred to in that subsection.

[…]

[…]

55.1 (1) Pour l’application du présent article, « système de vente pyramidale » s’entend d’un système de commercialisation à paliers multiples dans lequel, selon le cas :

55.1 (1) For the purposes of this section, “scheme of pyramid selling” means a multi-level marketing plan whereby

a) un participant fournit une contrepartie en échange du droit d’être rémunéré pour avoir recruté un autre participant qui, à son tour, donne une contrepartie pour obtenir le même droit;

(a) a participant in the plan gives consideration for the right to receive compensation by reason of the recruitment into the plan of another participant in the plan who gives consideration for the same right;

b) la condition de participation est réalisée par la fourniture d’une contrepartie pour une quantité déterminée d’un produit, sauf quand l’achat est fait au prix coûtant à des fins promotionnelles;

(b) a participant in the plan gives consideration, as a condition of participating in the plan, for a specified amount of the product, other than a specified amount of the product that is bought at the seller’s cost price for the purpose only of facilitating sales;

c) une personne fournit, sciemment, le produit en quantité injustifiable sur le plan commercial;

(c) a person knowingly supplies the product to a participant in the plan in an amount that is commercially unreasonable; or

d) le participant à qui on fournit le produit :

(d) a participant in the plan who is supplied with the product

(i) soit ne bénéficie pas d’une garantie de rachat ou d’un droit de retour du produit en bon état de vente, à des conditions commerciales raisonnables,

(i) does not have a buy-back guarantee that is exercisable on reasonable commercial terms or a right to return the product in saleable condition on reasonable commercial terms, or

(ii) soit n’en a pas été informé ni ne sait comment s’en prévaloir.

(ii) is not informed of the existence of the guarantee or right and the manner in which it can be exercised.

[…]

[…]

(1)               Les représentations fausses et trompeuses

[10]           Le demandeur allègue, à cet égard, qu’Amway Canada fait la promotion de son modèle d’affaires en misant sur les possibilités illimitées, pour un PCI, de développer une entreprise lucrative capable de lui assurer indépendance financière, liberté et succès alors qu’en réalité, selon lui, la quasi-totalité des PCI perdent de l’argent ou ont un revenu net nul ou négatif.

[11]           Il soutient plus particulièrement que les représentations d’Amway Canada relatives à la rémunération des PCI, ne répondent pas aux exigences de l’article 55 de la Loi.  Il plaide à cet égard que lesdites représentations sont fondées non pas sur les données actuelles relatives à la rémunération que reçoit effectivement – ou qu’est susceptible de recevoir – un « participant ordinaire » à son système de commercialisation à paliers multiples, tel que le requiert ledit article, mais plutôt sur des données désuètes fondées sur le revenu « brut » d’un participant « actif », et donc sur des données ne tenant pas compte des dépenses d’opération engagées par les PCI et reposant sur un échantillonnage de PCI non représentatif du « participant ordinaire ».

[12]           Le demandeur avance à cet égard que l’information relative à la rémunération d’un « participant ordinaire » doit être représentative de la plus petite fourchette de revenu gagné par plus de 50% des participants à un tel système de commercialisation, notion qui exclut, contrairement à ce que ferait Amway Canada, la prise en compte des données relatives à la rémunération du petit nombre de participants gagnant une rémunération élevée.

[13]           Ainsi, allègue-t-il, Amway Canada contreviendrait non seulement à l’article 55 mais également à l’article 52 de la Loi en donnant au public, sciemment ou sans se soucier des conséquences, des indications fausses ou trompeuses sur un point important lié à la promotion de ses intérêts commerciaux.

(2)               Le modèle d’affaires d’Amway présente les caractéristiques d’un système de vente pyramidale

[14]           Le demandeur allègue que le système de commercialisation à paliers multiples d’Amway Canada présente les deux caractéristiques suivantes d’un système de vente pyramidale.  D’une part, ce système lierait l’adhésion d’un PCI ou l’accès aux pleins avantages du système, notamment aux bonis de performance, à l’achat, à tous les mois et à un prix supérieur au prix coûtant, d’une quantité importante de produits Amway, ce qui serait contraire au paragraphe 55.1(b) de la Loi.

[15]           D’autre part, le demandeur allègue que les PCI ne bénéficieraient pas d’une clause de rachat ou de retour de produits en bon état de vente, à des conditions commerciales raisonnables.  Suivant les documents contractuels liant un PCI à Amway Canada, il ne serait pas possible au PCI de retourner ses produits à Amway Canada, de qui il les a achetés.  Le rachat serait plutôt laissé à l’entière discrétion du PCI de qui les produits ont été achetés, et ultimement à celle d’Amway Canada, et serait conditionnel à la résiliation du contrat d’adhésion du PCI souhaitant procéder au rachat, ce qui serait contraire au paragraphe 55.1(d) de la Loi.  Les formalités à remplir pour procéder au rachat seraient telles, suivant le demandeur, qu’elles seraient de nature à décourager les PCI à se prévaloir de ladite clause de rachat, ce qui, encore une fois, contreviendrait aux exigences de cette disposition.

(3)        Le droit au recouvrement de la perte ou le dommage subi

[16]           Le demandeur soutient que le paragraphe 36(1) de la Loi lui confère le droit de réclamer et recouvrer d’Amway Canada la perte ou le dommage résultant de ces comportements, qu’il estime être anticoncurrentiels.  Il allègue avoir subi entre juin 2008 et août 2009, période pendant laquelle son plus récent contrat d’adhésion au réseau de PCI d’Amway Canada aurait été en vigueur, des pertes de l’ordre de 15 000 $.  Le paragraphe 36(1) se lit comme suit :

Recouvrement de dommages-intérêts

Recovery of damages

36. (1) Toute personne qui a subi une perte ou des dommages par suite :

36. (1) Any person who has suffered loss or damage as a result of

a) soit d’un comportement allant à l’encontre d’une disposition de la partie VI;

(a) conduct that is contrary to any provision of Part VI, or

b) soit du défaut d’une personne d’obtempérer à une ordonnance rendue par le Tribunal ou un autre tribunal en vertu de la présente loi,

(b) the failure of any person to comply with an order of the Tribunal or another court under this Act,

peut, devant tout tribunal compétent, réclamer et recouvrer de la personne qui a eu un tel comportement ou n’a pas obtempéré à l’ordonnance une somme égale au montant de la perte ou des dommages qu’elle est reconnue avoir subis, ainsi que toute somme supplémentaire que le tribunal peut fixer et qui n’excède pas le coût total, pour elle, de toute enquête relativement à l’affaire et des procédures engagées en vertu du présent article.

may, in any court of competent jurisdiction, sue for and recover from the person who engaged in the conduct or failed to comply with the order an amount equal to the loss or damage proved to have been suffered by him, together with any additional amount that the court may allow not exceeding the full cost to him of any investigation in connection with the matter and of proceedings under this section.

B.                 L’historique procédural

[17]           L’historique procédural du présent recours est déjà passablement chargé, ce qui explique que, bien que ce recours ait été institué il y a près de six ans maintenant, nous n’en soyons encore qu’au stade de décider s’il peut procéder ou non comme recours collectif et que certaines requêtes préliminaires soient toujours pendantes.

[18]           Entrepris, comme nous l’avons vu, en octobre 2009, Amway Canada réagit au dépôt de la Déclaration d’action en produisant un certain nombre de requêtes préliminaires, dont une visant à la faire soit rejeter, soit suspendre de façon permanente, sur la base que la réclamation du demandeur est assujettie à une procédure d’arbitrage obligatoire et exécutoire prévue au contrat que celui-ci a signé en joignant Amway Canada en tant que PCI.

[19]           Amway Canada soutient aussi qu’il appartient à l’arbitre visé par la convention d’arbitrage, et non à la Cour, de se prononcer sur la portée, la validité et le caractère exécutoire de ladite convention.  Dans un jugement prononcé le 2 juillet 2010, le juge Robert Mainville, (maintenant juge à la Cour d’appel du Québec), qui gère alors l’instance comme le requiert la Règle 384.1, rejette cet argument et conclut que l’examen de cette question relève de la compétence de la Cour (Cheryl Rhodes et Kerry Murphy c Compagnie Amway Canada et Amway Global, 2010 CF 724).  Ce jugement est porté en appel, mais Amway Canada se désiste de son appel quelques mois plus tard.

[20]           Entre temps, soit en juin 2010, le demandeur produit la Requête en autorisation.  Celle-ci est éventuellement fixée pour être entendue en même temps que la requête visant à faire suspendre l’instance sur la base de la convention d’arbitrage.  La Cour est également appelée à statuer à cette occasion sur deux autres requêtes préliminaires présentées par Amway Canada, l’une cherchant à faire radier des affidavits et pièces produites au soutien de la Requête en autorisation, l’autre visant l’obtention d’une ordonnance de confidentialité à l’égard de réponses à certains engagements pris lors du contre-interrogatoire d’un des affiants d’Amway Canada.

[21]           Outre le sien et celui de sa conjointe, Mme Rhodes, le demandeur produit trois affidavits au soutien de la Requête en autorisation :

  1. Celui de Bruce A. Craig, un ancien sous-procureur général pour le compte du ministère de la Justice de l’État du Wisconsin, qui affirme avoir été impliqué à ce titre, entre 1967 et 1997, dans plusieurs litiges impliquant des compagnies opérant des systèmes de vente pyramidale, dont la compagnie Amway aux États-Unis à qui l’État du Wisconsin reprochait d’attirer ses distributeurs sur la foi de fausses représentations quant à leur rémunération;
  2. Celui de Robert Fitzpatrick, un américain qui se présente comme un expert sur l’industrie de la commercialisation à paliers multiples et qui cherche à démontrer que comme c’est le cas aux États-Unis, la vaste majorité des gens qui joignent le réseau de PCI d’Amway Canada, dont le modèle d’affaires serait semblable à celui de la compagnie mère américaine, engagent davantage de dépenses qu’ils ne génèrent de revenus; et
  3. Celui de William Powell, qui dit avoir adhéré au réseau de PCI d’Amway Canada à deux occasions, soit entre 1994 et 1998 et entre 2002 et 2007, et qui prétend n’avoir pu générer, à ce titre, aucun revenu net à ni l’une ni l’autre occasion.

[22]           Amway Canada réplique en produisant :

  1. Un affidavit de Gary VanderVen, alors « Director, Business Conduct and Rules and Business Support Materials Adminsitration » pour le compte d’Amway Corporation, dont le siège est à Ada dans l’État du Michigan;
  2. Un affidavit de Jeff W. Johnson, alors « National Sales Manager – Canada & Caribbean » pour le compte d’Amway Canada;
  3. L’affidavit et le rapport d’expert de Anne T. Coughlan, professeure en marketing au « Kellogg School of Management » de l’université Northwestern, en Illinois; et
  4. Les affidavits de huit personnes ayant adhéré au réseau de PCI d’Amway Canada et témoignant de leur expérience à ce titre, et, dans certains cas, de discussions qu’ils ont pu avoir avec le demandeur en lien avec son rapport à Amway Canada; il s’agit des affidavits de Merel Weber, Ronald Maintland, Youngio Han, Oksoo Han, Jay Morrow, Kimberly D. Coles, Garry Coles et Esmon Emmons.

[23]           Le 23 novembre 2011, le juge Boivin, qui assure dorénavant la gestion de l’instance, juge, comme on l’a vu, la convention d’arbitrage applicable et exécutoire à la réclamation du demandeur et suspend en conséquence l’instance, tel que le lui permet le paragraphe 50(1) de la Loi sur les cours fédérales.  Dans ces circonstances, il estime qu’il n’est pas nécessaire de statuer sur les trois autres requêtes.  Bien qu’il accueille la requête en suspension de l’instance, il affirme que la Cour est par ailleurs compétente pour se saisir de réclamations de 1 000 $ et moins (Murphy, précitée au para 28).

[24]           Insatisfait de ce jugement, le demandeur le porte en appel, mais il est débouté par la Cour d’appel fédérale le 14 février 2013 (Kerry Murphy c Compagnie Amway Canada et Amway Global, 2013 CAF 38).  Quelques jours plus tard, il s’adresse à la Cour en vue d’amender sa réclamation de manière à en réduire le quantum à 1 000 $ et de faire lever, sur cette base, la suspension de l’instance prononcée le 23 novembre 2011.  Amway Canada s’oppose à cette demande, estimant que cette suspension a un caractère définitif et qu’elle ne peut, en conséquence, être levée.

[25]           Dans une ordonnance émise le 9 octobre 2013, le juge Boivin lève la suspension de l’instance pourvu que l’amendement à la réclamation du demandeur – auquel il est procédé le 17 octobre 2013 – limite effectivement celle-ci à 1 000 $ ou moins et que ce dernier renonce formellement à faire valoir devant un arbitre, comme le lui aurait autrement permis la convention d’arbitrage liant les parties, une réclamation pour le reliquat.  Insatisfaite à son tour, Amway Canada s’adresse à la Cour d’appel fédérale afin de faire reconnaître le caractère permanent de la suspension d’instance prononcée par le juge Boivin en novembre 2011.  Cet appel est rejeté le 27 mai 2014 (Compagnie Amway Canada et Amway Global c Kerry Murphy, 2014 CAF 136).

[26]           La question préliminaire liée à la présence de la convention d’arbitrage dans les documents contractuels liant les parties étant réglée, la Cour doit maintenant décider si le recours entrepris par le demandeur peut être autorisé comme recours collectif.

[27]           Deux autres requêtes préliminaires sont demeurées pendantes le temps que se règle ladite question, soit la requête par laquelle Amway Canada cherche à faire radier des affidavits et pièces produites au soutien de la Requête en autorisation et celle visant l’obtention d’une ordonnance de confidentialité à l’égard de réponses à certains engagements pris lors du contre-interrogatoire d’un de ses affiants.  Compte tenu des conclusions auxquelles j’en suis arrivé eu égard à la Requête en autorisation, il ne sera pas nécessaire de disposer de ces deux autres requêtes.

[28]           Par ailleurs, Amway Canada a aussi annoncé son intention de contester la validité constitutionnelle de l’article 36 de la Loi au motif qu’il excèderait la compétence législative du Parlement.  Les parties se sont toutefois entendues pour lier la nécessité de débattre de cette question au sort de la Requête en autorisation.

C.                Les conditions d’ouverture au recours collectif

[29]           Suivant la Règle 334.16, un recours collectif est autorisé lorsque les conditions suivantes sont réunies :

  1. Les actes de procédure révèlent une cause d’action valable;
  2. Il existe un groupe identifiable formé d’au moins deux personnes;
  3. Les réclamations des membres du groupe soulèvent des points de droit ou de faits communs, que ceux-ci prédominent ou non sur ceux qui ne concernent qu’un membre;
  4. Le recours collectif est le meilleur moyen de régler, de façon juste et efficace, les points de droit ou de faits communs; et
  5. Il existe un représentant demandeur qui (i) représente de façon équitable les intérêts du groupe, (ii) a élaboré un plan qui propose une méthode efficace pour poursuivre l’instance au nom du groupe et tenir les membres du groupe informés de son déroulement, (iii) n’a pas de conflit d’intérêts avec d’autres membres du groupe en ce qui a trait aux points de droit ou de fait communs; et (iv) communique un sommaire des conventions relatives aux honoraires et débours qui sont intervenues entre lui et l’avocat inscrit au dossier.

[30]           La partie qui cherche à faire autoriser une instance comme recours collectif doit, pour réussir, démontrer qu’elle satisfait à toutes et chacune de ces conditions.  En revanche, lorsque ce fardeau est rencontré, la marge discrétionnaire de la Cour est inexistante et l’autorisation doit être accordée (Buffalo c Nation crie de Samson, 2008 CF 1308, [2009] 4 FCR 3 [Samson], aux paras 34-35; confirmé par la Cour d’appel fédérale, Buffalo c Nation crie de Samson, 2010 CAF 165).

[31]           La Règle 334.18, pour sa part, précise les facteurs qui ne peuvent justifier un refus d’autoriser une instance comme recours collectif.  C’est ainsi que la Cour ne peut refuser d’émettre une telle autorisation au motif que les réparations demandées (i) comprennent une réclamation en dommages et intérêts qui exigerait, une fois les points de droit ou de fait communs tranchés, une évaluation individuelle, (ii) portent sur des contrats distincts concernant différents membres du groupe, ou (iii) ne sont pas les mêmes pour tous les membres du groupe.

[32]           Le fait que le nombre exact de membres du groupe ou l’identité de chacun des membres ne soit pas connu ou encore qu’il existe au sein du groupe un sous-groupe dont les réclamations soulèvent des points de droit ou de fait communs que ne partagent pas tous les membres du groupe, ne peut servir non plus, toujours suivant la Règle 334.18, de fondement à un refus d’autoriser une instance comme recours collectif.

[33]           Par ailleurs, comme la Cour le rappelait dans l’affaire Samson, précitée, il ne faut jamais perdre de vue, lorsqu’il s’agit de déterminer si une instance devrait être autorisé comme recours collectif, qu’il s’agit là d’une question de procédure.  Ainsi, l’enjeu n’est pas de savoir si le litige a des chances de succès, mais plutôt de déterminer comment il devrait se dérouler (Samson, au para 12).

[34]           Enfin, l’examen d’une requête visant à autoriser qu’une instance se poursuive comme recours collectif doit se faire en tenant compte des objectifs qui sous-tendent le recours collectif. Ces objectifs – l’économie de ressources judiciaires, l’accès à la justice et la modification des comportements – ont été articulés de la sorte par la Cour suprême du Canada dans l’affaire Hollick c Toronto (ville), 2001 CSC 68 [2001] 3 RCS 158 [Hollick], une affaire instituée sous le régime de la loi ontarienne sur les recours collectifs (Loi de 1992 sur les recours collectifs, L.O. 1992, ch. 6), laquelle a largement inspiré la rédaction de la partie 5.1 des Règles (Samson, au para 41) :

[15]      La Loi traduit la reconnaissance croissante des avantages importants qu’offre le recours collectif comme instrument de procédure. J’explique en détail dans Western Canadian Shopping Centres (par. 27-29) que le recours collectif a trois avantages majeurs sur les poursuites individuelles multiples.  Premièrement, par le regroupement d’actions individuelles semblables, le recours collectif permet de faire des économies de ressources judiciaires en évitant la duplication inutile de l’appréciation des faits et de l’analyse du droit.  Deuxièmement, en répartissant les frais fixes de justice entre les nombreux membres du groupe, le recours collectif assure un meilleur accès à la justice en rendant économiques des poursuites que les membres du groupe auraient jugées trop coûteuses pour les instituer individuellement.  Troisièmement, le recours collectif sert l’efficacité et la justice en faisant en sorte que les malfaisants actuels ou éventuels prennent pleinement conscience du préjudice qu’ils infligent ou qu’ils pourraient infliger au public et modifient leur comportement en conséquence. […]

III.             Questions en litige

[35]           Il s’agit ici de déterminer si la Requête en autorisation satisfait aux critères énoncés à la Règle 336.16. 

[36]           Amway Canada plaide que le demandeur ne satisfait à aucun de ces critères.

IV.             Analyse

A.                Les actes de procédures révèlent-ils une cause raisonnable d’action?

[37]           Il est bien établi qu’il appartient au demandeur d’établir « un certain fondement factuel » pour chacune des conditions énoncées à la Règle 334.16(1), à l’exception de celle voulant que les actes de procédures révèlent une cause d’action valable, cette dernière exigence devant plutôt être appréciée suivant la norme applicable à la requête en radiation.  Suivant cette norme, les actes de procédures révèlent une cause d’action valable à moins qu’il ne soit « manifeste et évident » ou « au-delà de tout doute raisonnable » que le recours entrepris, « à supposer que les faits invoqués soient vrais », n’a aucune chance de réussir.  (Samson, précitée aux para 32 et 43; Hollick, précitée au para 25; Pro-Sys Consultants Ltd. C. Microsoft Corporation, 2013 CSC 57, [2013] 3 RCS 477, au para 63; Hunt c. Carey Canada Inc., [1990] 2 RCS 959, à la page 980).

[38]           Notamment, la longueur et la complexité des questions, la nouveauté de la cause d'action ou encore la possibilité que la partie défenderesse présente une défense solide ne doivent pas faire obstacle à ce que le demandeur puisse intenter son recours (Hunt, précitée à la page 980). 

[39]           L’analyse relative au critère de l’existence d’une cause d’action valable doit donc se faire, en l’espèce, en tenant pour avérés les faits allégués dans la Déclaration d’action.  La preuve soumise de part et d’autre dans le cadre de la Requête en autorisation, ne m’est, en principe, d’aucune utilité à ce stade de l’examen de ladite Requête (Le Corre c. Canada (Procureur général) et al, 2005 CFA 127, aux paras 12 à 18 et 25; Bédard c Canada (Procureur général), 2007 CF 516, aux paras 70 et 80; Bédard c Kellogg Canada Inc., 2008 CAF 125).  Je crois que ce passage de l’arrêt Tiboni et al c Merck Frosst Canada Ltd et al, (dossier 04-CV-45435 CP0 – 27 juillet 2008), prononcé par la Cour supérieure de justice de l’Ontario, résume bien l’approche qu’il y a lieu d’adopter lorsqu’il s’agit de déterminer si l’instance qu’une partie souhaite poursuivre comme recours collectif révèle une cause d’action valable:

[56]      The requirement in section 5(1)(a) is to be considered on the basis of the pleading alone.  The question is whether material facts that constitute a cause of action have been pleaded.  Evidence is inadmissible and it must be assumed that – unless manifestly incapable of proof – the allegations of fact in the statement of claim will be proven at trial.  Moreover, unless it is plain and obvious that the existence of a cause of action would be rejected on the basis of the allegations of fact, the requirement in section 5(1)(a) will be found to be satisfied.

[40]            Le demandeur estime que la Déclaration d’action révèle indubitablement une cause d’action valable en ce qu’il y est allégué :

a.       Que le recours est fondé sur le paragraphe 36(1) de la Loi, lequel prévoit que toute personne qui subit une perte ou un dommage par suite d’un comportement allant à l’encontre d’une disposition de la partie VI de la Loi, peut s’adresser à tout tribunal compétent pour réclamer et recouvrer de l’auteur d’un tel comportement une somme égale au montant de la perte ou du dommage subi ainsi que toute somme supplémentaire que le tribunal peut fixer;

  1. Qu’Amway Canada a des comportements allant à l’encontre des articles 52, 55 et 55.1 de la Loi, qui sont tous des dispositions de la partie VI;
  2. Qu’en particulier, Amway fait de fausses représentations sur les perspectives de succès financier et la rémunération des PCI et opère illégalement un système de vente pyramidale; et
  3. Que le demandeur, en tant que PCI, a subi un dommage résultant de ces comportements.

[41]           Amway Canada n’est pas du même avis.  Elle invoque plusieurs moyens, la plupart prenant appui dans le contre-interrogatoire subit par le demandeur en marge de l’affidavit qu’il a souscrit au soutien de la Requête en autorisation de même que dans la preuve qu’elle a elle-même produite en réponse à ladite Requête, ce qui, à ce stade de l’analyse, comme nous venons de le voir, n’est toutefois pas permis.  Mon analyse se limitera donc strictement au contenu de la Déclaration d’action (Bédard c Canada (Procureur général), précité au para 80; Tiboni, précité au para 56).

(1)               La prescription

[42]           Dans un premier temps, Amway Canada soutient que le recours du demandeur est prescrit et qu’il est, par conséquent, manifestement voué à l’échec.  Elle rappelle à cet égard que suivant l’alinéa 36(4)(a) de la Loi, un recours fondé sur un comportement qui va à l’encontre d’une disposition de la partie VI doit être entrepris dans les deux ans qui suivent la date du comportement en question. Or, plaide-t-elle, le contre-interrogatoire du demandeur a permis d’établir qu’avant d’adhérer au réseau de PCI d’Amway Canada en juin 2008, celui-ci s’était déjà joint à ce réseau à deux reprises, soit en 1999 et 2002, et ce, aux mêmes conditions, sur la foi des mêmes représentations et sur la base du même modèle d’affaires que ceux prévalant en juin 2008, faisant en sorte que son recours aurait dû être entrepris dans les deux ans suivant son adhésion initiale en 1999.

[43]           Or, il est bien établi que, sous le régime des Règles, la prescription ne peut servir de fondement à une demande de radiation et, donc, servir à établir, à ce stade, qu’une action n’a aucune chance de succès.  Sous ce régime, la prescription doit être plaidée en défense de manière à permettre à la partie à qui on l’oppose de plaider que son droit d’action n’était pas éteint au moment où l’action a été intentée en faisant la preuve, par exemple, de la récurrence du comportement fautif (Watt c Canada (Transport Canada), Dossier A-448-97 – Cour d’appel fédérale – 21 janvier 1998 – demande de permission d’en appeler à la Cour suprême du Canada rejetée – 231 NR 396n; Kibale c Sa Majesté La Reine (1991), 123 NR 153 (CAF)).  En l’espèce, même s’il m’était permis de tenir compte du fait qu’en juin 2008, le demandeur en était déjà à son troisième contrat d’adhésion au réseau des PCI d’Amway Canada, il serait certes prématuré d’exclure cette possibilité.

(2)               Les représentations fausses et trompeuses

[44]           Amway Canada soutient, à cet égard, qu’à sa face même, le recours du demandeur révèle des contradictions flagrantes qui minent toute chance raisonnable de succès.  Elle plaide que le demandeur ne peut lui reprocher de créer l’impression que la majorité des PCI génèrent des revenus substantiels et du même coup faire état du fait qu’elle précise dans ses brochures et guides d’information à l’intention du public et dans les documents contractuels qui la lient à ses PCI que le revenu brut mensuel moyen d’un PCI « actif » est de 181 $.  Elle soutient également que toute la question de la conformité de l’information relative à la rémunération des PCI aux exigences du paragraphe 55(2) de la Loi est non pertinente puisque le demandeur aurait, selon elle, adhéré à son réseau de PCI non pas en raison, mais bien en dépit, de cette information.

[45]           À ce stade de l’analyse, où je dois tenir les faits allégués dans la Déclaration d’action pour avérés et où je dois être satisfait, sur cette base, que le recours du demandeur n’est pas manifestement mal fondé, je ne peux souscrire à ces arguments.  Suivant ma compréhension de la Déclaration d’action, le demandeur se plaint du fait qu’Amway Canada fait miroiter à ceux qui joignent son réseau de PCI des perspectives de succès financier alors que la très vaste majorité d’entre eux perdent, comme ce fut le cas pour lui, de l’argent et que la moyenne de revenu mensuel affichée par Amway Canada, même si elle demeure modeste, est inexacte et masque le fait que l’expérience commerciale du PCI demeure très largement déficitaire.  Je comprends du paragraphe 35 de la Déclaration d’action que si cette réalité lui avait été représentée, comme Amway Canada en avait l’obligation, selon lui, aux termes de la Loi, il n’aurait pas adhéré à son réseau de PCI en juin 2008 et n’aurait, par conséquent, pas encouru les pertes et dommages qu’il allègue avoir subis.  À ce dernier égard, le demandeur allègue ceci au paragraphe 11 de la Déclaration d’action :

As distributors of the Defendants products, Plaintiffs never made any net income: they lost money despite having invested resources, time and energy.  In fact, since June 2008, the Plaintiffs have lost over $15,000;

[46]           Lorsque tenues pour avéré, je ne peux dire que ces récriminations, à la lumière des articles 52, 55 et 36 de la Loi, n’ont aucune chance d’être retenues, en tout ou en partie, dans un jugement au fond.

[47]           Subsidiairement, Amway Canada plaide que les allégations du demandeur concernant la non-conformité, au paragraphe 55(2) de la Loi, de l’information qu’elle diffuse relativement à la rémunération des PCI – le revenu brut mensuel moyen de 181 $ –  sont sans fondement aux motifs que :

  1. Le paragraphe 55(2) ne requerrait pas qu’elle tienne compte du taux d’attrition des PCI nouvellement recrutés – qui serait de 50% selon le demandeur – dans la confection de cette information;
  2. Le concept de « participant actif », à partir duquel ladite information est établie, répondrait amplement à la notion de « participant ordinaire » à laquelle réfère le paragraphe 55(2) et serait inclusif au point où le revenu brut mensuel moyen affiché de 181 $ s’en trouverait sous-estimé;

c.       Le paragraphe 55(2) ne concernerait que la rémunération que les PCI peuvent s’attendre de recevoir, et non les dépenses d’opération que ceux-ci sont susceptibles d’engager pour générer un revenu, qu’il s’agisse du coût d’acquisition de produits Amway ou du matériel didactique d’appui aux PCI;

  1. Lesdites dépenses seraient à tout événement prises en compte dans la confection de l’information relative à la rémunération des PCI puisque cette information ne concerne que le revenu « brut » du PCI; et
  2. Rien n’obligerait un PCI à se porter acquéreur de produits Amway ou de matériel didactique, que ce soit à hauteur de seuils quantitatifs ou monétaires préétablis ou autrement, et donc, à engager des dépenses d’opération, ce type de dépenses étant, suivant le modèle d’affaires d’Amway Canada, laissé à l’entière discrétion et au bon jugement du PCI.

[48]           Ces arguments, si attrayants soient-ils à première vue, requièrent, à mon avis, pour en disposer, une incursion sur le fond du litige.  Ils reposent, notamment, sur la conception qu’Amway Canada se fait du paragraphe 55(2) de la Loi, et en particulier des notions de « rémunération offerte par le système » et de « participants ordinaires », alors que cette disposition ne semble pas avoir fait l’objet, à ce jour, d’une interprétation judiciaire.  Ils reposent aussi sur sa propre vision de son modèle d’affaires et de son rapport aux PCI, une question mixte de fait et de droit largement contestée par le demandeur.

[49]           La question de savoir si les assertions d’Amway Canada relatives à la rémunération des PCI est contraire aux exigences du paragraphe 55(2) exige aussi que soit définit juridiquement ce qu’est une rémunération « effectivement reçue » par un participant ordinaire, ou encore une rémunération « susceptible de l’être » compte tenu de « facteurs utiles » – énumérés audit paragraphe – relatifs, notamment, à la nature du produit, à son prix, à sa disponibilité et à ses débouchés de même qu’aux caractéristiques du système de commercialisation à paliers multiples en cause et de systèmes similaires et à la forme juridique de l’exploitation.  Cette question requiert aussi que soit compris juridiquement ce que constitue une assertion loyale, faite en temps opportun et non exagérée, et fondée sur les informations dont l’exploitant dudit système a connaissance et que l’ensemble de ces concepts soit appliqué aux faits de l’espèce, ce qui suppose, ici, une compréhension intime des caractéristiques du modèle d’affaires d’Amway Canada et de son rapport aux PCI en général et au demandeur en particulier.

[50]           Selon moi, cette question ne peut, en l’espèce, être résolue à ce premier stade de l’analyse des conditions de la Règle 334.16(1).  Elle requiert un débat de fait et de droit et relève, par conséquent, du mérite de l’affaire.  Comme on l’a vu précédemment, l’enjeu de la Requête en autorisation n’est pas de savoir si le litige a des chances de succès, mais plutôt de déterminer comment il devrait se dérouler (Samson, précité au para 12), et ce, même s’il y a possibilité qu’Amway Canada présente une défense solide à l’encontre du recours du demandeur (Hunt, précité à la page 980).

[51]           Ce sera évidemment au demandeur, le cas échéant, à établir qu’Amway Canada s’est comporté d’une manière qui contrevient aux articles 52 et 55 de la Loi mais pour l’heure, je ne suis pas convaincu qu’il est « manifeste et évident » ou « au-delà de tout doute raisonnable » que le recours entrepris par le demandeur, dans la mesure où il repose sur lesdits articles, est voué à l’échec.

(3)               Le système de vente pyramidale

[52]           Les mêmes considérations s’imposent quant à savoir si les allégations du demandeur à l’effet qu’Amway Canada exploiterait un système de commercialisation à paliers multiples présentant deux caractéristiques d’un système de vente pyramidale, soit celles visées par les paragraphes 55.1(1)(b) et 55.1(1)(d)(i) de la Loi, soulèvent une cause d’action valable.

[53]           Le paragraphe 55.1(1)(b) de la Loi stipule qu’un système de commercialisation à paliers multiples devient un système de vente pyramidale, interdit par la Loi, lorsque la condition de participation au système « est réalisée par la fourniture d’une contrepartie pour une quantité déterminée d’un produit, sauf quand l’achat est fait au prix coûtant à des fins promotionnelles ».  Le demandeur allègue que suivant le modèle d’affaires d’Amway Canada, l’accès aux bonis de performance serait lié à l’achat obligatoire d’une quantité importante de produits Amway.  L’obtention des pleins avantages dudit modèle d’affaires, comme celui de gravir les échelons à l’intérieur du système, serait ainsi liée à des exigences en matière d’achat, ce qui serait un indice d’un système de vente pyramidale tel que l’envisage le paragraphe 55.1(1)(b).

[54]           Amway Canada réitère à cet égard qu’à part le paiement obligatoire d’un frais d’adhésion, les PCI ne sont soumis à aucune autre condition de participation à son système de commercialisation à paliers multiples, incluant celle d’acheter une quantité donnée de produits Amway.

[55]           Encore une fois, je ne peux dire que le recours du demandeur, dans la mesure où il est envisagé sous l’angle du paragraphe 55.1(1)(b) de la Loi, est manifestement – ou hors de tout doute raisonnable – voué à l’échec.  Tenant pour avérées les allégations du demandeur à ce sujet, la question qui se pose en l’instance n’est pas tant de savoir, il me semble, si le fait de ne pas être tenu d’acheter des produits pour joindre les rangs d’un système de commercialisation à paliers multiples – ou reconduire sa participation - constitue une réponse satisfaisante à l’interdiction prescrite par le paragraphe 55.1(1)(b), mais bien de savoir si le fait de devoir acheter une quantité donnée de produits pour espérer avoir accès au régime de bonification monétaire dudit système, lorsqu’on a joint celui-ci dans l’espoir de générer des revenus, comme la publicité de l’exploitant du système nous y invite, contrevient à cette interdiction.

[56]           À mon avis, le texte du paragraphe 55.1(1)(b) n’écarte pas ce questionnement d’emblée, questionnement dont la résolution suppose, encore là, qu’une preuve du modèle d’affaires d’Amway Canada et de son rapport aux PCI sera nécessaire.  Les allégations de la Déclaration d’action fondées sur cette disposition de la Loi, révèlent donc, selon moi, une cause d’action valable.

[57]           Il en va de même des allégations fondées sur l’autre caractéristique d’un système de vente pyramidale reprochée à Amway Canada, soit l’absence, comme le prohibe le paragraphe 55.1(1)(d)(i) de la Loi, d’une garantie de rachat ou d’un droit de retour de produits en bon état, à des conditions commercialement raisonnables.

[58]           Le demandeur allègue à cet égard que bien qu’Amway Canada offre une garantie de rachat, celle-ci ne peut être exercée à des conditions commerciales raisonnables dans la mesure où cette garantie, d’une part, ne s’impose qu’au PCI de qui les produits ont été achetés, et non  à Amway Canada et, ne le fait, d’autre part, que sur une base strictement discrétionnaire et à condition de résiliation du contrat liant Amway Canada au PCI qui souhaite se prévaloir de ladite garantie.  Amway Canada fait une lecture différente de sa garantie de rachat ou de retour et plaide que celle-ci, en termes de protection, va bien au-delà des exigences du paragraphe 55.1(1)(d)(i) de la Loi.

[59]           Amway Canada a peut-être raison, mais il s’agira pour elle de le plaider en défense et, le cas échéant, de l’établir au procès puisque, tenant pour avérées les allégations de la Déclaration d’action, ce volet des récriminations du demandeur ne me paraît pas manifestement voué à l’échec.  Il y a certes un débat à faire sur la nature exacte, la portée, les effets et les modalités de mise en œuvre de la garantie de rachat ou de retour d’Amway Canada de même que sur la portée du paragraphe 55.1(1)(d)(i) de la Loi, notamment du concept voulant que la garantie soit exercée, au bénéfice du participant qui s’en prévaut, à « conditions commerciales raisonnables ».

[60]            En conclusion, je suis satisfait que le recours du demandeur, en tenant les faits pour avérés, ne s’annonce pas résolument voué à l’échec.  Ceci dit, il en faut davantage, comme nous l’avons vu précédemment, pour que ce recours puisse se poursuivre comme recours collectif.  Les quatre autres conditions énoncées à la Règle 334.16(1) doivent également être satisfaites.  C’est aussi à ce stade de l’analyse qu’entre en jeu la preuve soumise par les parties au soutien ou à l’encontre de la Requête en autorisation.

[61]           Il convient également de rappeler, avant d’entreprendre ce second segment de la grille d’analyse, que le fardeau d’établir que ces autres conditions sont satisfaites repose sur les épaules du demandeur (Samson, précité au para 32).  Ce fardeau, par contre, n’exige pas que du demandeur qu’il satisfasse à ces conditions selon la norme de la prépondérance des probabilités.  Il lui suffit d’établir « un certain fondement factuel » pour chacune desdites conditions (Pro-Sus Consultants, précitée, au paragraphe 102).

B.                 Existe-t-il un groupe identifiable formé d’au moins deux personnes?

[62]           Le demandeur souhaite représenter le groupe suivant :

All persons resident in Canada who distributed Defendants products, since October 23rd, 2009 excluding Defendants’ employees and their affiliates and family members.

[63]           Il reconnaît qu’il doit établir que ce groupe est composé d’au moins deux personnes et qu’il est identifiable selon un critère objectif.  Il plaide à cet égard que, suivant la preuve au dossier, provenant principalement de son contre-interrogatoire sur affidavit, ce groupe est composé d’au moins 30 000 personnes.  Quant à la définition du groupe, il avance qu’il n’est pas possible de le définir de façon plus restreinte sans exclure de manière arbitraire des personnes qui ont un intérêt commun dans le règlement des questions communes proposées.  Il ajoute qu’il existe un lien rationnel entre ces questions et tous les PCI visés par la définition qu’il propose.

[64]           Amway Canada répond, notamment, que pour que cette condition soit remplie, encore faut-il que le groupe de personnes que le demandeur souhaite représenter soit aux prises avec les mêmes problèmes que lui.  Or, plaide-t-elle, le demandeur n’a pu identifier, que ce soit dans ses actes de procédures ou lors de son contre-interrogatoire sur affidavit, aucun autre distributeur d’Amway Canada s’estimant lésé par les pratiques anticoncurrentielles dont il se plaint.

[65]           L’argument trouve appui dans la jurisprudence; il a du poids.

[66]           La Cour suprême du Canada, dans Sun-Rype c. Archer Daniels Midland, [2013] 3 RCS 454, 2013 CSC 58, au para 67, rappelle que certifier un recours collectif sans connaître au moins deux personnes qui seront en mesure de prouver les pertes que leur ont fait subir l’auteur présumé d’un comportement répréhensible – dans cette affaire un comportement contraire, comme en l’espèce, à la partie VI de la Loi – « contrecarre l’objectif des recours collectifs, qui est d’offrir une voie de recours plus efficace aux demandeurs ayant subi un préjudice mais pour qui il est irréaliste d’exercer un recours individuel ou qui n’ont pas les moyens de le faire. »

[67]           Le juge Strathy, de la Cour supérieure de justice de l’Ontario a bien résumé, je crois, l’état du droit sur cette question dans l’affaire Singer c Schering-Plough Canada Inc., 2010 ONSC 42, où la partie demanderesse cherchait à être autorisé à exercer un recours collectif au nom de quelques 3 millions d’acheteurs de crème solaire manufacturée par la partie défenderesse au motif que celle-ci avait faussement représenté l’efficacité de son produit.  L’on reprochait notamment à la partie demanderesse dans cette affaire de ne pas avoir fait la preuve « of a class of “two or more persons” who assert a claim ».  Le juge Strathy, brossant un tableau de la jurisprudence, a disposé de cet argument en ces termes :

[128]  The second concern is more fundamental. The defendants submit that there is no evidence of “two or more persons” who assert a claim, as required by s. 5(1)(b) of the C.P.A. They say that this criterion has not been satisfied because there is no evidence that anyone other than Mr. Singer asserts a claim in relation to the wrongs alleged in this proceeding. While the plaintiff’s counsel has provided some information that other individuals have recently contacted his firm, or responded to a website, there is no evidence about these individuals, no evidence that they ever purchased the defendants’ products or that they actually wish to assert a claim against the defendants.

[129]  The defendants rely on the observations of Winkler, J., as he then was, in Lau v. Bayview Landmark Inc. [1999] O.J. No. 4060, 40 C.P.C. (4th) 301 (S.C.J.) at para. 23:

[A] Class proceeding cannot be created by simply shrouding an individual action with a proposed class. That is to say, it is not sufficient to make a bald assertion that a class exists. The record before the court must contain a sufficient evidentiary basis to establish the existence of the class [emphasis added].

[130]   The defendants also refer to the decision of Nordheimer, J. in Bellaire v. Independent Order of Foresters, [2004] O.J. No. 2242, 5 C.P.C. (6th) 68 (S.C.J.) at para. 33:

In my view, before the extensive process of a class proceeding is engaged, it ought to be clear to the court that there is a real and subsisting group of persons who are desirous of having their common complaint (assuming there to be a common complaint) determined through that process. The scale and complexity of the class action process ought not to be invoked at the behest, and for the benefit, of a single complainant.

[131]  The issue was raised in Chartrand v. General Motors Corp. 2008 BCSC 1781 (CanLII), [2008] B.C.J. No. 2520, in which the plaintiff sought to certify an action on behalf of owners of GM vehicles with allegedly defective parking brakes.  Martinson J. declined to certify the action, holding that there was no evidence that two or more people had a complaint about the product or that it had caused them any loss or that the manufacturer had been enriched. There was evidence that the regulatory requirements had been met and there was no evidence of complaints by the regulator. The putative plaintiff was not even aware that there was an issue until she was contacted by counsel.  Martinson J. described the identifiable class requirement as an “air of reality test”, testing the reality of the linkage between the plaintiff’s claim and the proposed class: Samos Investments Inc. v. Pattison, 2001 BCSC 1790 (Can LII), 22 B.L.R. (3d) 46, aff’d 2003 BCCA 87 (CanLII), 10 B.C.L.R. (4th) 234; Nelson v. Hoops L.P., a Limited Partnership, 2003 BCSC 277 (CanLII), [2003] B.C.J. No. 382, aff’d 2004 BCCA 174 (CanLII), [2004] B.C.J. No. 618. This requires not simply that there be a theoretical link between the claim, the class and the common issues, but that there be a demonstrated link in fact to two or more bona fide claimants.

[132]   Martinson J. noted that in many products liability cases, the link between the class and the common issues will be obvious and will be reflected by recalls, public safety alerts and complaints. She concluded at paras. 67 and 68:

In this case, there have been no complaints in British Columbia to GM or Transport Canada about the alleged defective parking brake system. No regulatory body in Canada or the United States has expressed concern over the safety of the parking brake system on the automatic proposed class vehicles. There is no evidence that GM has been unjustly enriched. There is also no evidence of anyone wanting to participate in the class proceeding; Ms. Chartrand herself was recruited to participate.

There is no air of reality to the assertion that there is a relationship between the proposed class, being the owners of the automatics in question, and the proposed common issues that arise in Ms. Chartrand's negligence and unjust enrichment claims. [Emphasis added].

[133]  Other cases have expressed the concern that the plaintiff is required to show that the claim is more than idiosyncratic: Ducharme v. Solarium de Paris Inc., [2007] O.J. No. 1659, 48 C.P.C. (6th) 194, (S.C.J.), aff’d [2008] O.J. No. 1558 (Div. Ct.); Zicherman v. Equitable Life Insurance Co. of Canada (2000), 47 C.C.L.I. (3d) 39, [2000] O.J. No. 5144 (S.C.J.).

[]  

[135]  Finally, in Lambert v Guidant Corp. (2009), 72 C.P.C. (6th) 120, [2009] O.J. No. 1910 (S.C.J.), Cullity J. observed that not every case will require evidence that there is a group of putative class members waiting in the wings. The nature of the claims and the circumstances of the case may permit the court to infer the existence of a class looking for a solution. Cullity J. suggested, however, that the analysis of the issue is best considered together with the other factors that bear on the exercise of the court’s discretion in the “preferable procedure” analysis. In that case Cullity J. was prepared to give plaintiff’s counsel leave, if required, to file evidence to establish that other putative class members had expressed interest in the proceeding.

[136]   It has been suggested that on a motion for certification the court plays an important gate keeping function to ensure that the proceeding is in fact suitable for certification: Arabi v. Toronto-Dominion Bank (2006), 30 C.P.C. (6th) 164, [2006] O.J. No. 2072 (S.C.J.), aff’d. (2007), 2007 CanLII 56527 (ON SCDC), 53 C.P.C. (6th) 135, [2007] O.J. No. 5035 (Div. Ct.); 2038724 Ontario Ltd. v. Quizno’s Canada Restaurant Corp. (2009), 2009 CanLII 23374 (ON SCDC), 96 O.R. (3d) 252, [2009] O.J. No. 1874. In this case, there is no evidence of a class of two or more people seeking access to justice. In a case where all the other requirements of s. 5(1) of the C.P.A. had been met, it might be appropriate to follow the approach of Cullity J. in Lambert v Guidant Corp., but in my view this is not such a case. (Mon emphase)

[68]           L’état du droit au Québec semble au même effet : il ne suffit pas au requérant d’identifier un groupe, si imposant soit-il; il doit être en mesure de démontrer qu’au moins un membre de ce groupe a exprimé des récriminations semblables aux siennes (Hébert c Kia Canada Inc et al, 2014 QCCS 3968, aux paras 20 à 46).

[69]           Or, en l’espèce, un constat s’impose : rien de cela n’a été fait.  La Déclaration d’action et l’affidavit souscrit par le demandeur au soutien de la Requête en autorisation sont étonnamment muets sur ce point.  Il en est de même de la Requête elle-même.  Il y a bien l’affidavit de William Powell, mais celui-ci s’est auto-déclaré ne pas faire partie du groupe identifié par le demandeur.  Il y avait bien aussi, à l’origine, la conjointe du demandeur, Mme Rhodes, mais elle s’est retirée du dossier dans des circonstances qui demeurent nébuleuses.  Lorsqu’interrogé sur le nombre de personnes qui se seraient enregistrées auprès de ses procureurs, les réponses du demandeur sont demeurées vagues et spéculatives.

[70]           S’agit-il d’un cas, comme m’a invité à le faire le procureur du demandeur à l’audition, où je devrais présumer qu’il existe au moins une autre personne dans le groupe proposé par le demandeur souhaitant faire valoir devant les tribunaux un recours semblable au sien?  Je ne le crois pas.  S’il y a au dossier de la preuve voulant que le modèle d’affaires de l’entité Amway ait été sous la loupe des autorités de certains États américains et des autorités britanniques, il n’y a rien de tel pour le Canada.  En particulier, il n’y a pas de preuve qu’il y ait eu des plaintes ou des demandes d’enquête auprès du Commissaire à la concurrence relativement aux comportements dont se plaint le demandeur.  Je n’ai pas de preuve non plus qu’il y ait eu quelque forme de mobilisation dénonçant ce type de comportements.  Pourtant, la preuve au dossier révèle qu’Amway Canada opère, sous le nom de Compagnie Amway Canada ou encore sous celui de Quixtar Canada Inc/Quixtar Canada Corporation, depuis 1962.  Il n’y a pas non plus au dossier de sondage auprès de PCI révélant que le demandeur n’est pas le seul à juger le modèle d’affaires d’Amway Canada anticoncurrentiel et préjudiciable.

[71]           Comme j’en ai déjà fait mention, le présent recours a été institué voilà bientôt 6 ans et la Requête en autorisation, produite il y a plus de 5 ans maintenant.  Amway Canada a contre -interrogé le demandeur en mars 2011 et répondu par écrit à la Requête en autorisation en septembre 2011, soulignant, ce faisant, cette lacune potentiellement fatale à la Requête en autorisation.  Ladite lacune a également été notée par le juge Boivin dans son jugement du 23 novembre 2011 concluant à l’applicabilité de la Convention d’arbitrage à la réclamation initiale du demandeur (Murphy, précité au para 73).  Celui-ci semble ne pas avoir jugé bon de prévenir les coups en bonifiant son dossier à cet égard.

[72]           Je rappelle que le demandeur se devait de démontrer qu’il existe davantage qu’un lien théorique entre le groupe qu’il propose, son recours et les questions qu’il estime communes à tous les membres du groupe.  Bien qu’il n’était pas tenu de nommer tous les membres du groupe (Sun-Rype, précité au para 59), il se devait à tout le moins d’établir un certain fondement factuel de l’existence d’un lien « to two or more bona fide claimants » (Singer, au para 131).  Il ne l’a pas fait.  Dans les circonstances de la présente affaire, j’estime que cela lui est fatal.

[73]           Amway Canada fait également valoir un certain nombre d’arguments concernant la définition du groupe, l’estimant notamment beaucoup trop générale et déficiente à plusieurs égards.  Compte tenu de ma conclusion à l’effet que le demandeur a fait défaut de démontrer qu’au moins un autre membre du groupe proposé se prétend lui aussi lésé par les pratiques anticoncurrentielles dont il se plaint, j’estime qu’il n’est pas nécessaire de disposer de ces arguments.

C.                Les réclamations des membres du groupe soulèvent-elles des points de droit ou de fait communs, que ceux-ci prédominent ou non sur ceux qui ne concernent qu’un membre?

[74]           Il va de soi qu’il ne peut y avoir de questions communes lorsque l’existence d’un groupe identifiable formé d’au moins deux personnes n’a pas été établie.  Par conséquent, l’examen de la Requête en autorisation pourrait très bien s’arrêter ici puisque, comme je l’ai indiqué précédemment, toutes et chacune des conditions prescrites par la Règle 334.16(1) doivent être satisfaites pour que la Requête soit accueillie.  Toutefois, même en supposant l’existence d’un tel groupe, j’estime que le recours du demandeur ne soulève pas de questions communes, du moins en ce qui a trait au volet du recours fondé sur les représentations fausses ou trompeuses.  Voici pourquoi.

[75]           Le critère de la « question commune » sous-tend l’idée que ceux qui ont des revendications en justice communes devraient pouvoir obtenir le règlement de ces revendications dans le cadre d’une seule instance de manière à éviter, dans une optique d’accès à la justice, d’économie des ressources judiciaires et de modification des comportements, la répétition dans l’appréciation des faits ou l’analyse juridique (Pro-Sys Consultants, précité aux paras 106 à 108; Singer, précité au para 138).

[76]           La « question commune » est celle dont la résolution est nécessaire au règlement des demandes de chacun des membres bien qu’il ne soit pas essentiel que les membres du groupe soient tous dans la même situation par rapport à la partie adverse ou encore que les questions communes prédominent sur les questions non communes.  Même s’il n’est pas nécessaire que les questions communes prédominent sur les questions individuelles, les réclamations des membres du groupe doivent néanmoins partager un élément important qui s’évalue en comparant l’importance des questions communes par rapport aux questions individuelles.  Enfin, la question commune doit permettre que le succès d’un membre du groupe emporte nécessairement celui de tous les membres, bien que cela puisse être dans des proportions variables (Pro-Sys Consultants, précité au para 108).

[77]           Le demandeur plaide que sa thèse à cet égard est simple et incontestable dans la mesure où tous les membres du groupe proposé sont visés par les représentations fausses et trompeuses reprochées à Amway Canada.  En particulier, il avance que tous les PCI sont réputés s’être fiés auxdites représentations en signant leur contrat d’adhésion au réseau de PCI d’Amway Canada, lequel contient une mention expresse du revenu brut mensuel moyen des PCI, et qu’il y a une preuve qu’ils ont tous perdu de l’argent pendant la période visée par la définition du groupe.  Il ajoute que le sous-paragraphe 52(1.1)(a) de la Loi crée une présomption légale de causalité individuelle qui dispense les membres du groupe de l’obligation de faire la preuve qu’ils ont été induits en erreur ou trompés par lesdites représentations.

[78]           En conséquence, le demandeur estime que son recours soulève à ce niveau des questions communes suffisamment importantes pour que leur résolution permette de faire évoluer le litige de manière efficace en permettant, notamment, de trancher la question de la responsabilité d’Amway Canada à l’encontre de tous les membres du groupe.  Ces questions ont été formulées comme suit :

Throughout the period starting October 23rd, 2007 until present:

Did the Defendants operate, in Canada, a multi-level marketing plan within the meaning of section 55(1) of the CA (Competition Act)?

Did the Defendants make representations to class members relating to compensation that distributors might receive?

In the affirmative, did the Defendants knowingly or recklessly make a false or misleading representation to the public in contravention of section 52 of the CA?

Did the Defendants provide class members with fair, reasonable and timely information relating to compensation actually received by typical participants in the plan or with respect to compensation likely to be received by typical participants?

Did the Defendants breach sections 52(1), 55(2) and/or 55(2.1) of the CA?

What remedies are available to distributors under section 36 of the CA?

Are class members entitled to the collective recovery of aggregate damages?

[79]           Amway Canada a raison de dire, à mon avis, que les réclamations fondées sur des allégations de fausses représentations se prêtent mal à la procédure du recours collectif en raison de la difficulté inhérente à cerner une ou des questions communes dû au fait que ce type de réclamations requiert la preuve, pour réussir, d’un rapport de cause à effet entre la fausse représentation, ce qui a poussé le membre à agir à son détriment et le dommage ou la perte que celui-ci allègue avoir subi.  Cette difficulté tient au fait que ce fardeau de preuve exige un examen de la situation individuelle de chaque membre du groupe, créant ainsi un déséquilibre important entre les questions non communes et ce qui pourrait se qualifier au titre de questions communes.

[80]           Cette problématique a été bien cernée, à mon avis, par le juge Cumming de la Cour suprême de l’Ontario, dans l’affaire Williams c Mutual Life Insurance of Canada, 2000 CanLII 22704 (ON SC), lorsqu’il écrit, au paragraphe 22 de sa décision :

[22]      Negligent misrepresentation is a cause of action that is very problematic in seeking certification of a common issue for class members.  Proof is generally dependent upon a multitude of circumstances specific to the individual members.  The result of the trial of any one alleged misrepresentation to a claimant cannot generally stand proof of the cause of action to any other claimant.  The outcome class members’ claims based upon alleged negligent misrepresentations depends upon a myriad of individual evidentiary factors.  See for example: Carom v. BreX Minerals Ltd. (1999) 44 O.R. (3d) 173 at p. 211, 46 B.L.R. (2d) 247 (S.C.J.), affd (1999), 46 O.R. (3d) 315 at pp. 316-17, 6 B.L.R. (3d) 82 (Div. Ct.); Controltech Engineering Inc. v. Ontario Hydro, [1998] O.J. No. 5350 (Gen. Div.) at paras. 12-27, affd [2000] O.J. No. 379 (Div. Ct.); cited with approval in Hollick v. Metropolitan Toronto (Municipality) (1999), 1999 CanLII 2894 (ON CA), 46 O.R. (3d) 257 at p. 268, 181 D.L.R. (4th) 426 (C.A.), leave to appeal granted [2000] S.C.C.A. No. 41; Rosedale Motors Inc. v. Petro-Canada Inc. (1998), 1998 CanLII 14721 (ON SC), 42 O.R. (3d) 776 at pp. 779-80, 788, 86 C.P.R. (3d) 1 (Gen. Div.); Mouhteros v. DeVry Canada Inc. (1998), 1998 CanLII 14686 (ON SC), 41 O.R. (3d) 63 at pp. 70-71, 22 C.P.C. (4th) 198 (Gen. Div.).

Voir aussi : McKenna c. Gammon Gold Inc. 2010 ONSC 1591, au para 47.

[81]           Au paragraphe 39 de ses motifs, le juge Cumming souligne l’importante distinction entre une cause d’action commune et une question commune :

[39]      The causes of action are asserted by all class members. But the fact of a common cause of action does not in itself give rise to a common issue. A common issue cannot be dependent upon findings of fact which have to be made with respect to each individual claimant. While the theories of liability can be phrased commonly, the actual determination of liability for each class member can only be made upon an examination of the unique circumstances with respect to each class member's purchase of a policy.

[82]           Les mêmes principes d’ailleurs s’imposent que l’on soit dans un cas de fausses représentations mû par la common law ou dans un cas régi par l’article 36 de la Loi puisque dans ce cas, comme dans le premier, la preuve que le membre a agi, à son détriment, sur la foi des fausses représentations alléguées et qu’il en subit une perte ou un dommage, est un des éléments constitutifs du recours contre l’auteur desdites représentations (Singer, précité au para 153).

[83]           D’ailleurs, la structure de l’article 36 de la Loi est claire à cet égard : il ne suffit pas de démontrer que la personne contre qui la réclamation est dirigée a eu un comportement allant à l’encontre d’une disposition de la partie VI de la Loi; il faut également prouver qu’une perte ou un dommage en a résulté.  Lorsque le comportement reproché prend la forme de représentations fausses et trompeuses, la preuve de ce même rapport de cause à effet – fausse représentation, ce qui a poussé le membre à agir à son détriment et le dommage ou la perte – s’impose, faisant en sorte que le succès d’un membre du groupe n’emporte pas nécessairement celui de tous les membres.

[84]           C’est aussi, je pense, la conclusion à laquelle en est arrivé le juge Strathy, dans Singer, précité, lorsqu’il a jugé que la réponse à la question commune visant à déterminer si l’article 52 de la Loi avait été enfreint n’était pas de nature à permettre de faire évoluer la résolution des réclamations des membres du groupe.  Rappelant que l’article 52 ne crée pas un droit d’action, le juge Strathy s’est exprimé comme suit:

[181]  Common issue 10 asks:

Can it be established that under Section 52 of the Competition Act the Defendants made materially false and misleading representations to the public which stated a level of performance of their products which was untrue and/or failed to disclose to the Class the true effectiveness and quality of the products?

[182]  The answer to this question, on its own, does nothing to advance the plaintiff’s claim, because s. 52 of the Competition Act does not create a civil cause of action. The answer might advance the resolution of a claim under s. 36 of the Competition Act, since a breach of section 52 a necessary prerequisite to such a claim. Answering the question would require an examination of a wide range of products and a variety of representations concerning each product, over a lengthy time period. The answer to this question would not, however, advance the resolution of the claims of class members, because a court would have to find that the plaintiff suffered a loss caused by the breach and this could only be accomplished on an individual basis. […]

[85]           En l’espèce, la preuve révèle qu’une personne qui se joint au réseau de PCI d’Amway Canada le fait pour différentes raisons et motivations – comme se lancer en affaires, arrondir ses fins de mois, acheter des produits Amway pour consommation ou usage personnel au prix escompté offert aux PCI, faire partie d’un réseau social – et le fait à partir de différentes sources et contacts, tels un PCI, un ami, un parent, Internet, la littérature Amway et la participation à une séance d’information.  Les choix que va faire cette personne, une fois qu’elle a joint ce réseau, pourront être influencés par des collègues PCI lors de rencontres formelles ou informelles, le PCI qui l’a recruté, son répondant (« sponsor ») ou encore son parrain (« up-line ») au sein du réseau, des membres de la famille ou des amis.

[86]           Ainsi, la réponse à la question de savoir si, et dans quelle mesure, le cas échéant, les représentations fausses et trompeuses reprochées à Awmay Canada en l’instance ont pu contaminer la décision des membres du groupe proposé de joindre le réseau de PCI de cette dernière ou encore ont pu influer sur leurs décisions une fois dans ledit réseau, va dépendre, en grande partie, « upon an examination of the unique circumstances with respect to each class member » (Williams, précité au para 39).

[87]           Pour paraphraser le jugement de la Cour suprême de l’Ontario dans l’affaire Moutheros v DeVry Canada Inc., 1998 CanLII 14686 (ON SC), même en supposant que le volet du présent recours portant sur les représentations fausses et trompeuses reprochées à Amway Canada se prêtait à la formulation de questions communes, cela ne marquerait que le début, et non la fin, du litige (Moutheros v DeVry Canada Inc., au para 31).

[88]           Je suis donc d’avis que les réclamations des membres, dans la mesure où elles sont fondées sur les articles 52 et 55 de la Loi, ne soulèvent pas de questions communes.

[89]           Par ailleurs, à l’instar d’Amway Canada, je ne crois pas que l’alinéa 52(1.1)(a) de la Loi, qui prévoit que celui ou celle qui veut établir qu’une infraction au paragraphe 52 de la Loi a été commise n’a pas à prouver qu’une personne a été trompée ou induite en erreur, y change quoique ce soit.  D’une part, cette disposition est d’application limitée : elle n’est pertinente qu’aux cas visés au paragraphe 52(1) de la Loi; elle n’est d’aucune application à ceux visés à l’article 55.  D’autre part, elle ne dispense pas les membres du groupe d’établir un lien causal entre les représentations fausses et trompeuses et la perte ou le dommage réclamé puisque le droit de recouvrer cette perte ou ce dommage découle, comme nous l’avons vu, non pas du paragraphe 52(1) mais bien de l’article 36 de la Loi.  Comme nous l’avons vu également, l’existence d’un tel lien causal est un des éléments constitutifs de ce recours faisant en sorte qu’il ne suffit pas d’établir, lorsque le paragraphe 52(1) est en cause, que cette disposition a été violée; il faut aussi démontrer que la perte ou le dommage réclamé résulte de cette violation (Singer, précité au para 107).

[90]           Ultimement, le fardeau demeure le même, que le recours entrepris en vertu de l’article 36 soit fondé sur le paragraphe 52(1) ou l’article 55 de la Loi.  Les conséquences sur le plan de l’évaluation du critère de la présence de questions communes demeurent, elles aussi, les mêmes.

[91]           Ceci dit, la situation est toutefois différente en ce qui a trait aux allégations liées à l’exploitation d’un système de vente pyramidale dans la mesure où la dimension des représentations fausses et trompeuses est exclue de l’équation.  Ces allégations ont plutôt trait à une question d’ordre structurel, à savoir l’absence ou la présence, dans les contrats d’adhésion des participants à un système de commercialisation à paliers multiples, d’éléments permettant de distinguer ce système, par ailleurs légal, d’un système de vente pyramidale, par ailleurs illégal.

[92]           Le demandeur prétend que les réclamations des membres du groupe qu’il propose, soulèvent, sur ce point, la question commune suivante :

Did the Defendants establish, operate, advise or promote a scheme of pyramid selling in contravention of section 55.1 of the CA?

Et les questions connexes subsidiaires suivantes :

What remedies are available to distributors under section 36 of the CA?

Are class members entitled to the collective recovery of aggregate damages?

[93]           Il estime que la réponse à la question principale permettra de faire trancher, à l’égard de tous les membres du groupe, la question de la responsabilité d’Amway Canada sur ce point.  Amway Canada n’a pas fait de représentations spécifiques sur cette question.  À tout le moins, elle ne l’a pas fait en distinguant les deux situations, lesquelles, à mon sens, requièrent un traitement différent.

[94]           Quoiqu’il en soit, je suis prêt, aux fins du présent jugement, à reconnaître que la question proposée par le demandeur en lien avec les réclamations des membres fondées sur l’article 55.1 de la Loi se qualifie au titre de question commune.

D.                Le recours collectif est-il le meilleur moyen de régler, de façon juste et efficace, les points de droit ou de fait communs

[95]           Ce critère est régi par la Règle 334.16(2), qui stipule ce qui suit :

Facteurs pris en compte

Matters to be considered

(2) Pour décider si le recours collectif est le meilleur moyen de régler les points de droit ou de fait communs de façon juste et efficace, tous les facteurs pertinents sont pris en compte, notamment les suivants :

(2) All relevant matters shall be considered in a determination of whether a class proceeding is the preferable procedure for the just and efficient resolution of the common questions of law or fact, including whether

a) la prédominance des points de droit ou de fait communs sur ceux qui ne concernent que certains membres;

(a) the questions of law or fact common to the class members predominate over any questions affecting only individual members;

b) la proportion de membres du groupe qui ont un intérêt légitime à poursuivre des instances séparées;

(b) a significant number of the members of the class have a valid interest in individually controlling the prosecution of separate proceedings;

c) le fait que le recours collectif porte ou non sur des réclamations qui ont fait ou qui font l’objet d’autres instances;

(c) the class proceeding would involve claims that are or have been the subject of any other proceeding;

d) l’aspect pratique ou l’efficacité moindres des autres moyens de régler les réclamations;

(d) other means of resolving the claims are less practical or less efficient; and

e) les difficultés accrues engendrées par la gestion du recours collectif par rapport à celles associées à la gestion d’autres mesures de redressement.

(e) the administration of the class proceeding would create greater difficulties than those likely to be experienced if relief were sought by other means.

 

[96]           À la lumière de ces facteurs, j’estime, à supposer toujours qu’un groupe identifiable d’au moins deux personnes existe, que le recours collectif n’est pas le meilleur moyen de régler le litige, du moins en ce qui a trait aux réclamations des membres fondées sur les articles 52 et 55 de la Loi.  Notamment, ce critère suppose qu’il y a des questions communes à régler.  J’ai conclu, en marge de l’analyse du critère des questions communes, qu’il n’y en avait pas ou qu’à tout le moins, elles ne prédominent pas sur celles concernant les membres, pris individuellement.

[97]           Par ailleurs, on peut présumer qu’une proportion significative de membres a un intérêt légitime à poursuivre des instances séparées compte tenu de la convention d’arbitrage dont ils bénéficient, laquelle leur permet de réclamer un montant supérieur au 1 000 $ auquel le présent recours les contraint en plus de les obliger à renoncer aux bénéfices de ce mode alternatif de règlement des litiges.

[98]           Enfin, dans la mesure où le demandeur cherche à « mettre en lumière les agissements frauduleux d’Amway Canada » et à « dévoiler la vérité de toutes les personnes qui se sont faites flouées et sont tombées dans le piège bien orchestré », le Parlement a prévu un mécanisme de plainte auprès d’une agence spécialisée, le Commissaire à la concurrence, capable d’enquêter et de mettre fin aux comportements anticoncurrentiels dont il se plaint et d’imposer, le cas échéant, des amendes sévères à Amway Canada.  La preuve au dossier révèle que cette alternative, sûrement moins coûteuse et moins difficile à gérer pour les membres du groupe qu’un recours collectif, n’a pas même été considérée.

[99]           Ces mêmes considérations s’appliquent tout autant aux réclamations des membres fondées sur les allégations d’exploitation d’un système de vente pyramidale, à l’exception du facteur relatif à la prédominance des questions communes, lequel, dans ce cas, joue en faveur du demandeur dans la mesure où l’on accepte que ce volet du recours soulève de tels questions.

[100]       Toutefois, même en acceptant que le recours collectif soit le recours approprié eu égard aux réclamations fondées sur ces allégations, j’estime que le demandeur, en tant que représentant du groupe, n’a pas satisfait aux exigences de la Règle 334.16(1)(e).

E.                 Le demandeur rencontre-t-il, en tant que représentant, les exigences de la Règle 334.16(1)(e)?

[101]       Le dernier critère devant être établi pour autoriser une instance comme recours collectif est celui portant sur la capacité du demandeur à agir en tant que représentant du groupe.  Ce critère requiert que le demandeur démontre (i) qu’il représenterait de façon équitable et adéquate les intérêts du groupe, (ii) qu’il a élaboré un plan qui propose une méthode efficace pour poursuivre l’instance au nom du groupe et tenir les membres du groupe informés, (iii) qu’il n’a pas de conflit d’intérêts avec d’autres membres du groupe en ce qui concerne les points de droit et de fait communs, et (iv) qu’il communique un sommaire des conventions relatives aux honoraires et débours qui sont intervenues entre lui et l’avocat inscrit au dossier.

[102]       Dans l’affaire Western Canadian Shopping Centres Inc. c. Dutton [2001] 2 RCS 534, 2001 CSC 46, au para 41, la Cour suprême du Canada a précisé que s’il n’est pas nécessaire que le représentant proposé soit un modèle type du groupe, ni qu’il soit le meilleur représentant possible, le tribunal procédant à l’évaluation de ce critère doit néanmoins « être convaincu que le représentant proposé défendra avec vigueur et compétence les intérêts du groupe ».

[103]       Le demandeur plaide qu’il a élaboré un plan de litige efficace, qu’il n’est pas en conflit d’intérêts avec d’autres membres du groupe et qu’il a communiqué un sommaire des conventions et débours intervenus avec ses procureurs en juin 2010.

[104]       Il estime également qu’il ne fait aucun doute qu’il a la capacité d’assurer une représentation adéquate des intérêts du groupe.  Il précise à cet égard qu’il a été interrogé pendant 10 heures par les procureurs d’Amway, ce qui lui a permis d’expliquer avec franchise « comment le système pyramidal mis en place par Amway avait bouleversé sa vie et celle des autres », comment « il avait été subjugué par les techniques de vente d’Esmon Emmons » et comment les « représentants » d’Amway s’étaient immiscés dans sa vie privée, au point de mentir à sa conjointe sur les circonstances ayant entouré la signature du contrat d’adhésion du 5 juin 2008.

[105]       Enfin, le demandeur soutient qu’Amway Canada est malvenue d’attaquer sa crédibilité compte tenu de la façon dont elle s’est comportée jusqu’à maintenant dans le cadre du présent litige.

[106]       Je ne crois pas que cela soit suffisant comme démonstration à la lumière de ce qu’ont fait ressortir les procureurs d’Amway Canada lors du contre-interrogatoire sur affidavit du demandeur.  Cette preuve révèle un ensemble de faits qui me font douter fortement de la capacité du demandeur à défendre avec vigueur et compétence les intérêts du groupe qu’il souhaite vouloir représenter, un groupe qu’il estime à plus de 30 000 personnes.

[107]       Ce contre-interrogatoire révèle en effet :

  1. Que le demandeur a menti délibérément, dans son affidavit, sur les circonstances ayant entouré la signature du contrat d’adhésion du 5 juin 2008;
  2. Le présent recours a été institué à l’instigation de sa conjointe, Mme Rhodes, alors que lui, jusqu’au moment où il a signé son affidavit, en juin2010, ne considérait pas avoir été lésé par Amway Canada;
  3. Il n’a jamais contacté le bureau du Commissaire à la concurrence;
  4. Il n’a jamais contacté d’autres PCI au Canada pour savoir si ses récriminations à l’encontre d’Amway Canada étaient partagées par d’autres;
  5. Il n’a pu donner de précisions sur la convention relative aux honoraires et débours intervenue avec ses procureurs, notamment en ce qui a trait au type d’honoraires convenu;
  6. Il n’a pu davantage donner de précisions sur le plan de litige;
  7. Il ignorait si des gens s’étaient enregistrés auprès de ses procureurs aux fins du recours collectif qu’il souhaite intenter;
  8. Il n’a pu expliquer certains concepts-clés de son recours, comme la différence entre la rémunération moyenne d’un « participant actif » et la rémunération effective d’un « participant ordinaire »;
  9. Il a confondu un système de commercialisation à paliers multiples et un système de vente pyramidale;
  10. Il ignorait que des requêtes en lien avec son recours devaient être entendues en octobre 2011 et que certaines procédures avaient été rédigées en français, une langue qu’il ne sait pas lire; et
  11. Il ignorait le stade procédural où en était rendu son recours.

[108]       Amway Canada prétend également que le plan de litige préparé par le demandeur est inadéquat à sa face même dans la mesure où il ne prévoit que les grandes étapes procédurales de son recours et qu’il est muet sur certaines des étapes que les tribunaux s’attendent généralement à retrouver dans un tel plan.  Effectivement, je constate à la lecture du plan de litige du demandeur qu’on y retrouve rien – ou rien de particulièrement précis – sur: (i) les mesures qui seront prises pour déterminer l’identité des témoins nécessaires, les trouver et recueillir leur preuve; (ii) la collecte des documents pertinents auprès des membres du groupe et d’autres personnes; (iii) la gestion des documents produits par toutes les parties; (iv) les mécanismes permettant de répondre aux questions des membres du groupe; (v) la probabilité qu’un interrogatoire préalable soit tenu auprès de certains membres du groupe et, dans l’affirmative, la procédure envisagée à cette fin; (vi) la nécessité de recourir à des experts et, dans l’affirmative, les mesures à prendre pour les trouver et retenir leurs services; et (vii)  les mesures envisagées pour résoudre les questions individuelles qui demeureront encore en litige après le règlement des questions communes, le cas échéant (Samson, précité au para 151).

[109]       Cet ensemble d’éléments me laisse perplexe quant aux efforts déployés par le demandeur pour préparer le recours, en comprendre, de façon même générale, les tenants et aboutissants, et s’informer de son déroulement, tant pour lui-même que pour les membres qu’il souhaite représenter.  À cela s’ajoute le fait qu’au moment de l’audition de la Requête en autorisation, le demandeur savait depuis au moins trois ans que l’absence de preuve de l’existence d’au moins une autre personne désireuse de faire valoir devant les tribunaux les mêmes récriminations que lui à l’encontre d’Amway Canada serait invoquée contre lui.  Comme je l’ai déjà indiqué, cette lacune – potentiellement fatale à la Requête en autorisation – a été notée par le juge Boivin dans son jugement du 23 novembre 2011 (Murphy, précité au para 73).  Il est pour le moins surprenant que rien n’ait été tenté pour prévenir les coups.  Et c’est sans compter l’épisode du faux témoignage dans son affidavit, lequel met en cause sa probité.

[110]       Pour toutes ces raisons, je ne suis pas satisfait que le demandeur ait la capacité de représenter adéquatement les intérêts du groupe visé par la Requête en autorisation.

[111]       La Requête en autorisation sera donc rejetée.  Amway Canada demande les dépens.  Toutefois, j’estime qu’elle n’a pas démontré que les circonstances de la présente affaire justifient une dérogation au principe établi par la Règle 334.39(1) voulant que les dépens ne soient pas adjugés contre une partie à une requête en vue de faire autoriser l’instance comme recours collectif.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la requête en vue de faire autoriser l’instance comme recours collectif est rejetée, sans frais.

« René LeBlanc »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-1754-09

INTITULÉ :

KERRY MURPHY c COMPAGNIE AMWAY CANADA

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (Québec)

DATE DE L’AUDIENCE :

LEs 9 et 10 décembre 2014

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE LEBLANC

DATE DES MOTIFS :

LE 7 août 2015

COMPARUTIONS :

Me André Lespérence

(Lauzon, Bélanger, Lespérance, Avocats)

Me Bruce W. Johnston

(Trudel & Johnston)

M. Jean-Marc Lacoursière (stag.)

Pour le demandeur

Me Claude Marseille

Me Adam Spiro

Pour la défenderesse

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Lauzon, Bélanger, Lespérance, Avocats Avocat(e)s

Montréal (Québec)

Trudel & Johnston

Avocat(e)s

Montréal (Québec)

Pour le demandeur

Blake, Cassels & Graydon LLP

Avocat(e)s

Montréal (Québec)

Pour la défenderesse

 



[1]               Le statut de la codéfenderesse Amway Global est contesté. Le demandeur allègue qu’elle est une personne morale incorporée aux États-Unis, qu’elle a son siège social au Michigan et qu’elle est la compagnie mère de Compagnie Amway Canada.  Amway Canada avance qu’Amway Global est une marque de commerce sous le nom duquel elle fait affaires.  Il n’est pas nécessaire, aux fins du présent jugement, de régler cette question.  Toute référence à Amway Canada dans le présent jugement sera donc indistinctement une référence à Compagnie Amway Canada et à Amway Global.

[2]               La procédure introductive d’instance (“Statement of Claim ”) a été rédigée en anglais.  La description du groupe au nom duquel le demandeur souhaite intenter le recours collectif y est libellée comme suit : « All persons resident in Canada who distributed defendant’s products, since October 2007, excluding the defendant’s employees and their affiliates and family members. »

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