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Date : 20150821


Dossier : IMM‑6583‑14

Référence : 2015 CF 998

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 21 août 2015

En présence de monsieur le juge Gleeson

ENTRE :

XUILAN LI

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, ch. 27 (LIPR), qui vise une décision de la Section d’appel de l’immigration [SAI] rendue le 15 août 2014. Dans cette décision, un appel interjeté contre une mesure de renvoi visant la demanderesse, Mme Xuilan Li, a été rejeté, car les motifs d’ordre humanitaire n’étaient pas suffisants pour justifier la prise de mesures spéciales.

[2]               Pour les motifs qui suivent, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

I.                   Le contexte

[3]               Mme Li est une citoyenne chinoise qui est arrivée au Canada, en mars 2005, munie d’un visa d’étudiant. Elle avait alors 20 ans et faisait des études en langue anglaise et en création de mode. Le 12 mars 2006, Mme Li a épousé Adam Ryan, un citoyen canadien. Le mariage a été arrangé par deux personnes avec lesquelles Mme Li avait fait connaissance et lui a coûté 30 000 $.

[4]               M. Ryan a reçu de l’argent pour avoir épousé Mme Li  et parrainé sa demande de résidence permanente. La demande de résidence permanente de Mme Li a ensuite été évaluée sans anicroche et elle a obtenu le statut de résident permanent le 28 mars 2007. Mme Li et M. Ryan n’ont jamais habité ensemble. Ils ont divorcé en octobre 2009, grâce à l’aide des personnes qui avaient été rémunérées pour arranger le mariage.

[5]               Dans le cadre d’une enquête menée par l’Agence des services frontaliers du Canada [ASFC] sur un certain nombre de mariages soupçonnés d’être des « mariages de convenance », un rapport circonstancié en vertu du paragraphe 44(1) de la LIPR a été établi le 9 décembre 2010, selon lequel Mme Li avait rempli une demande parrainée de résidence permanente fondée sur un mariage de convenance rémunéré et qu’elle était donc interdite de territoire pour fausses déclarations. Trois avis de convocation à une entrevue ont été envoyés à Mme Li. Sans fournir d’explication, elle ne s’est pas présentée aux deux premières entrevues et a demandé un report de la date de la troisième entrevue par l’entremise de son conseil. La demande de report a été rejetée et, encore une fois, Mme Li ne s’est pas présentée, elle a dit qu’elle était malade. Mme Li n’a pas été convoquée à une autre entrevue, mais elle a eu 15 jours pour fournir des observations écrites.

[6]               Au début de novembre 2011, après que Mme Li eut été avisée qu’elle devait fournir des observations écrites, Mme Li et M. Ryan ont tous deux présenté une déclaration solennelle attestant de la nature authentique de leur mariage. Le 29 novembre 2011, M. Ryan a admis à l’ASFC son rôle dans un mariage de convenance rémunéré avec Mme Li. En vertu du paragraphe 44(2) de la LIPR, l’affaire a donc été déférée à la Section de l’immigration pour enquête.

[7]               Pendant l’enquête le 20 novembre 2012, Mme Li a admis pour la première fois que sa demande parrainée de résidence permanente était fondée sur un mariage de convenance avec M. Ryan et qu’elle n’avait jamais vécu avec lui. La Section de l’immigration l’a donc déclarée interdite de territoire au Canada pour fausses déclarations, conformément à l’alinéa 40(1)a) de la LIPR, et lui a délivré une mesure de renvoi.

[8]               Dans l’appel interjeté à la SAI contre la mesure de renvoi, Mme Li n’a pas contesté la validité juridique de la mesure, mais elle a demandé que la SAI fasse usage de son pouvoir discrétionnaire et accueille son appel fondé sur des motifs d’ordre humanitaire. À l’appui de sa demande de prise de mesures spéciales, Mme Li a produit des éléments de preuve à la SAI selon lesquels elle s’est mariée récemment, elle travaille en ce moment dans l’entreprise de son mari, elle participe activement dans sa communauté, elle aide dans des activités de bienfaisance, et son renvoi en Chine l’exposerait à des difficultés.

[9]               En ce qui a trait à la question des difficultés, selon son témoignage, elle n’a pas vécu en Chine depuis plus de neuf ans et elle n’a pas de liens en Chine (elle est enfant unique, son père est décédé et sa mère demeure maintenant en Corée). Son mari actuel a aussi témoigné quant aux difficultés qu’entraînerait une séparation, mais il a admis qu’il disposait des ressources nécessaires pour rendre visite à Mme Li en Chine et la soutenir, et que c’est ce qu’il ferait si elle y était renvoyée.

II.                La décision de la SAI

[10]           La SAI a décrit les facteurs à prendre en compte dans l’évaluation de la prise de mesures spéciales en vertu de l’alinéa 67(1)c) de la LIPR, citant la décision de la Cour fédérale Wang c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1059, [2005] ACF no 1309 : (1) la gravité des fausses déclarations, (2) les remords exprimés, (3) le temps passé au Canada par la demanderesse et son degré d’enracinement, (4) la présence de membres de la famille de la demanderesse au Canada et les conséquences que le renvoi aurait pour la famille, (5) l’importance des épreuves que subirait la demanderesse si elle était renvoyée du Canada, (6) les intérêts supérieurs d’un enfant directement touché par la décision et (7) toute autre circonstance exceptionnelle.

[11]           La SAI a examiné chaque facteur, elle a conclu que les fausses déclarations étaient importantes, multiples, conscientes et délibérées, les qualifiant de « très grave[s] ». La SAI a insisté sur le fait que la demanderesse a délibérément participé stratagème pour obtenir sa résidence permanente par des moyens frauduleux, animée de motifs intéressés, que ce type de stratagème porte atteinte à l’intégrité du système d’immigration du Canada et que les personnes admises au Canada de cette façon peuvent perpétuer la fraude et parrainer d’autres étrangers. La SAI n’a pas été convaincue que la demanderesse était victime de tromperie et a jugé que celle-ci avait intentionnellement participé à un mariage de convenance.

[12]            En ce qui concerne la question des remords, la SAI a reconnu que la demanderesse avait exprimé certains remords, mais a conclu que ceux‑ci étaient grandement intéressés, puisque la demanderesse n’a pas tenu compte des avis de convocation aux entrevues et a continué de nier les allégations portées contre elle jusqu’à ce que les aveux de M. Ryan la contraignent à les admettre.

[13]           Pour ce qui est du degré d’enracinement de Mme Li au Canada, la SAI a reconnu qu’elle vivait au pays depuis dix ans, qu’elle avait un travail et qu’elle était active au sein de la collectivité. La SAI a conclu qu’il s’agissait d’un facteur favorable dont il fallait tenir compte. De même, la SAI a souligné que Mme Li n’a pas de famille en Chine et qu’elle serait exposée à des difficultés, parce qu’elle serait séparée de son mari, mais que celui‑ci serait en mesure de lui rendre visite en Chine. La SAI a indiqué que ces difficultés sont une conséquence naturelle du renvoi et qu’elles ne s’élèvent pas à un niveau nécessitant la prise de mesures spéciales. Il n’y avait pas d’enfant dont les intérêts devaient être pris en compte par la SAI.

[14]           La SAI a décidé que les facteurs favorables étaient insuffisants pour justifier la prise de mesures spéciales compte tenu de la gravité des fausses déclarations en cause. L’appel a donc été rejeté.

III.             Les questions en litige

[15]           La demanderesse soulève les questions suivantes dans la présente demande :

A.                La SAI a‑t‑elle refusé, à tort, d’envisager et d’aborder la question du sursis à la mesure de renvoi au titre du paragraphe 68(1) de la LIPR?

B.                 L’évaluation de la gravité des fausses déclarations de la demanderesse faite par la SAI était‑elle déraisonnable?

IV.             Les observations de la demanderesse

[16]           La demanderesse invoque la décision de la Cour Lewis c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] ACF no 1227, 173 FTR 291 [Lewis] pour faire valoir sa position selon laquelle la SAI devait envisager la possibilité d’accorder un sursis à la mesure de renvoi, au titre de l’article 68 de la LIPR et donner des motifs précis pour expliquer le refus d’accorder ce sursis. Mme Li soutient que le sursis est souvent accordé dans les cas où une mesure de renvoi est prise pour des raisons de criminalité, afin de donner à la personne visée par la mesure de renvoi l’occasion de faire la preuve de sa réadaptation. La demanderesse affirme qu’il y a des éléments de preuve de sa réadaptation qui appuient fortement l’octroi d’un sursis dans son cas, et qu’elle devrait avoir droit aux mêmes égards que des délinquants.

[17]           La demanderesse affirme aussi qu’il ne suffit pas de prendre en compte les motifs d’ordre humanitaire requis pour accueillir un appel interjeté contre une mesure de renvoi. La demanderesse souligne que même si les facteurs à prendre en compte sont les mêmes, le critère requis pour accorder un sursis fondé sur des motifs d’ordre humanitaire est moins élevé que celui requis pour annuler complètement une mesure de renvoi. La demanderesse fait valoir que la SAI a restreint son pouvoir discrétionnaire lorsqu’elle n’a pas examiné un recours relevant de sa compétence.

[18]           En ce qui a trait à la gravité des fausses déclarations, la demanderesse affirme que le tribunal s’est concentré, à tort, sur les conséquences possibles de sa conduite, c’est‑à‑dire que des personnes qui obtiennent le statut de cette manière peuvent perpétuer le système si elles parrainent d’autres personnes, de façon à ce qu’encore plus de gens puissent accéder à des services et des prestations financés par les fonds publics et destinés aux résidents permanents en raison de telles fausses déclarations. La demanderesse allègue qu’elle n’a jamais utilisé son statut pour parrainer d’autres personnes de cette façon, et que la SAI a donc apprécié la gravité des fausses déclarations en fonction d’un vide factuel, sur la foi de conjectures plutôt que sur la foi de véritables éléments de preuve.

V.                Les observations du défendeur

[19]           Le défendeur affirme que la demanderesse n’a jamais demandé de sursis; au contraire, le dossier certifié du tribunal [DCT] établi que la demanderesse a demandé que la SAI fasse droit à l’appel. Le défendeur avance que la décision Lewis exige uniquement que la SAI donne les motifs pour lesquels elle a refusé d’octroyer un sursis lorsqu’une demande de sursis a été présentée.

[20]           En ce qui concerne les fausses déclarations, le défendeur souligne que la norme de contrôle de cette question est celle de la décision raisonnable et il soutient que la décision est raisonnable. Le défendeur avance que les conclusions de la SAI en ce qui a trait au caractère raisonnable des fausses déclarations et à d’autres facteurs étaient étayées par des éléments de preuve. La preuve démontrait que les fausses déclarations en question touchaient à l’intégrité du système d’immigration, avaient entraîné une erreur dans l’application de la LIPR, que la demanderesse semblait éprouver peu de véritables remords et qu’elle avait admis ses torts uniquement parce qu’elle était au pied du mur. Le défendeur fait valoir qu’il était raisonnable de conclure que les facteurs favorables liés au degré d’enracinement de la demanderesse et à sa relation avec son mari actuel étaient contrebalancés par les facteurs défavorables.

VI.             Analyse et décision

A.                La norme de contrôle

[21]           La norme de contrôle à appliquer, lorsque quelqu’un soutient qu’un tribunal n’a pas pris en compte un des motifs soulevés et approfondis devant le tribunal, est abordée dans l’arrêt Turner c Canada (Procureur général), 2012 CAF 159, [2012] ACF no 666, [Turner] :

[38]      Il y a une certaine incertitude quant à savoir quelle norme de contrôle doit être appliquée à une situation où, comme en l’espèce, le Tribunal n’a pas examiné un des motifs que l’appelant avait soulevés dans sa plainte et qu’il avait évoqués devant le Tribunal. Doit‑on considérer qu’il s’agit d’une question liée au caractère suffisant des motifs, susceptible de contrôle selon la norme de la décision raisonnable : Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c. Terre‑Neuve‑et‑Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62 (CanLII), [2011] 3 RCS 708, aux paragraphes 14 à 22 (Newfoundland Nurses’ Union)? Ou doit‑on considérer qu’il s’agit d’une question d’équité procédurale, susceptible de contrôle selon la norme de la décision correcte : Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) 1999 CanLII 699 (CSC), [1999] 2 RCS 817?

[39]      Deux points pertinents ressortent clairement de la jurisprudence.

[40]      Premièrement, le tribunal administratif n’est pas tenu d’aborder chacun des arguments formulés […]

[41]      Deuxièmement, le tribunal administratif doit examiner les points importants en litige, et ses motifs doivent rendre compte d’un examen des principaux facteurs pertinents : Via Rail Canada Inc. c. Office national des transports (C.A.), 2000 CanLII 16275 (CAF), [2001] 2 CF 25, au paragraphe 22. Cependant, il incombe au demandeur de démontrer qu’un point ou un facteur était d’une importance telle que le tribunal avait l’obligation légale de l’examiner : Stelco Inc. c. British Steel Canada Inc. (C.A.), 2000 CanLII 17097 (CAF), [2000] 3 CF 282, aux paragraphes 24 à 26.

[…]

[43]      La question de savoir si le tribunal administratif a l’obligation légale, au titre de son obligation d’équité procédurale, d’examiner un argument qui lui a été présenté doit être examinée selon la norme de la décision correcte. Une cour de révision ne peut pas faire preuve de retenue à l’égard du choix d’un tribunal administratif de ne pas examiner un argument lorsque l’équité procédurale commande qu’il le fasse. Par conséquent, la question de savoir si un point ou un argument soulevé devant un tribunal administratif était d’une importance telle que le tribunal était tenu de l’examiner est une question susceptible de contrôle selon la norme de la décision correcte.

[Non souligné dans l’original.]

[22]           Je suis convaincu que la question de savoir si la SAI a refusé, à tort, d’examiner la question du sursis est susceptible de contrôle selon la norme de la décision correcte.

[23]           La question B, portant sur la conclusion de la SAI relative à la gravité des fausses déclarations de la demanderesse, lorsque la SAI a examiné si des motifs d’ordre humanitaire justifiaient la prise de mesures spéciales en vertu de l’alinéa 67(1)c) de la LIPR, est une question relative au pouvoir discrétionnaire qui englobe appréciation liée aux faits et guidée par des considérations de politique qui ressort du domaine d’expertise de la SAI et qui est donc susceptible de contrôle selon la norme de la décision raisonnable (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, [2009] 1 RCS 339, aux paragraphes 55 à 58).

B.                 La SAI a‑t‑elle refusé, à tort, d’envisager un sursis?

[24]           Les paragraphes 67(1) et 68(1) de la LIPR sont rédigés comme suit :

Fondement de l’appel

67. (1) Il est fait droit à l’appel sur preuve qu’au moment où il en est disposé :

a) la décision attaquée est erronée en droit, en fait ou en droit et en fait;

b) il y a eu manquement à un principe de justice naturelle;

c) sauf dans le cas de l’appel du ministre, il y a — compte tenu de l’intérêt supérieur de l’enfant directement touché — des motifs d’ordre humanitaire justifiant, vu les autres circonstances de l’affaire, la prise de mesures spéciales.

Sursis

68. (1) Il est sursis à la mesure de renvoi sur preuve qu’il y a — compte tenu de l’intérêt supérieur de l’enfant directement touché — des motifs d’ordre humanitaire justifiant, vu les autres circonstances de l’affaire, la prise de mesures spéciales.

Appeal allowed

67. (1) To allow an appeal, the Immigration Appeal Division must be satisfied that, at the time that the appeal is disposed of,

(a) the decision appealed is wrong in law or fact or mixed law and fact;

(b) a principle of natural justice has not been observed; or

(c) other than in the case of an appeal by the Minister, taking into account the best interests of a child directly affected by the decision, sufficient humanitarian and compassionate considerations warrant special relief in light of all the circumstances of the case.

Removal order stayed

68. (1) To stay a removal order, the Immigration Appeal Division must be satisfied, taking into account the best interests of a child directly affected by the decision, that sufficient humanitarian and compassionate considerations warrant special relief in light of all the circumstances of the case.

 

[25]           Au paragraphe 14 de la décision Lewis, le juge Simpson parle de la nécessité de traiter du sursis dans les motifs écrits :

14.       […] À mon avis, lorsqu’un sursis est demandé et que les faits montrent qu’il y a lieu d’envisager un sursis conditionnel, si des motifs sont donnés conformément au paragraphe 69.4(5) de la Loi, le demandeur a le droit de savoir pourquoi le sursis est refusé.

[26]           Après avoir examiné le DCT, je suis d’avis que la demanderesse n’a pas démontré qu’un sursis a été demandé : (arrêt Turner, au paragraphe 41). Je crois aussi qu’il ne s’agit pas d’un cas où les faits laissent supposer qu’un sursis aurait dû être envisagé.

[27]           La transcription de l’audience dans le DCT révèle que :

A.                Au début de l’audience, le président de l’audience a informé la demanderesse que la SAI avait trois possibilités dans l’examen de l’appel : (1) accueillir l’appel en droit, (2) accueillir l’appel pour des motifs d’ordre humanitaire, (3) surseoir à l’exécution de la mesure de renvoi au titre du paragraphe 68(1) de la Loi (DCT à la page 403, lignes 35 à 37).

B.                 Le président de l’audience a affirmé que le pouvoir d’accorder un sursis n’est généralement pas utilisé dans le type d’affaire dont il est saisi (DCT à la page 403, ligne 37).

C.                 En réponse à la question du président de l’audience de savoir si la validité juridique de la mesure de révocation est contestée en vertu de l’article 67, l’avocat de la demanderesse a confirmé que la validité juridique de la mesure de révocation n’était pas contestée, mais qu’il invoquait la compétence en équité de la Commission prévue à l’article 68 (DCT à la page 404, lignes 36 à 38).

D.                La demanderesse a demandé au moins trois fois que l’appel soit accueilli pour des motifs fondés sur le pouvoir discrétionnaire ou l’équité (DCT à la page 454, ligne 38, DCT à la page 455, ligne 13, DCT à la page 459, ligne 9).

E.                 La demanderesse a affirmé qu’il y a très peu de chance, voire aucune, qu’elle récidive. Le président de l’audience a répondu qu’elle n’a pas à le faire, car « elle s’est surpassée en matière de fausses déclarations » (DCT à la page 454, lignes 40 à 47).

[28]           La transcription de l’audience démontre que le président de l’audience sait que la SAI a la possibilité d’octroyer un sursis, mais que cette possibilité n’est généralement pas utilisée dans les cas de fausses déclarations. Le point de vue exprimé par le président de l’audience ressort de la jurisprudence; un sursis au titre du paragraphe 68(1) de la LIPR est généralement sollicité et octroyé lorsque le motif d’interdiction de territoire est lié à la criminalité : (Bulgak c Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), [2014] ACF no 490, 2014 CF 468; Singh c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2005] ACF no 198 43 Imm. L.R. (3e) 262 (CF).

[29]           Ce recours au pouvoir d’octroyer un sursis dans des cas de criminalité reflète la distinction fondamentale entre un comportement criminel après l’admission, pour lequel il y a eu une décision initiale valide et légitime quant à l’admissibilité, et les cas de fausses déclarations, pour lesquels la décision initiale quant à l’admissibilité a été rendue par erreur, en raison des fausses déclarations. Dans les cas de criminalité, la SAI peut exercer son pouvoir discrétionnaire fondé sur des motifs d’ordre humanitaire prévu au paragraphe 68(1) de la LIPR afin de surseoir à la mesure de renvoi et de permettre à la personne de démontrer qu’il est peu probable qu’elle récidive. Une telle considération n’existe habituellement pas dans les cas de fausses déclarations, dans lesquels il n’y a pas de motivation à la récidive tant que la personne visée est autorisée à demeurer au Canada. En d’autres termes, ce sont les circonstances entourant les fausses déclarations qui ont mené à la conclusion d’interdiction de territoire qui présentent le plus d’intérêt dans les cas de fausses déclarations, pas la possibilité de réadaptation : (Tai c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 248, [2011] ACF, aux paragraphes 82 et 83).

[30]           Cela n’empêche pas la demanderesse de solliciter un sursis dans un cas de fausses déclarations, mais comme cela ressort de la décision Lewis, un tel recours doit être sollicité pour que la Cour statue que la SAI a commis une erreur lorsqu’elle n’a pas expressément traité de ce recours dans ses motifs.

[31]           En l’espèce, la demanderesse fait référence au recours prévu à l’article 68 de la LIPR au début de l’audience. Cette référence est soulevée dans une réponse à une question liée aux motifs justifiant la contestation de la mesure de révocation qui ressort du pouvoir de la SAI d’accueillir un appel en vertu de l’article 67. La demanderesse a répondu : [traduction« j’interjette appel uniquement sur le fondement de la compétence en équité de la Commission au titre de l’article 68 ». Cette déclaration ne cadre pas avec la thèse défendue à d’autres moments lors de l’audience, lorsque la demanderesse soutenait que l’appel devait être accueilli pour des motifs fondés sur le pouvoir discrétionnaire et l’équité, c’est-à-dire la prise de mesures spéciales dont il est question à l’alinéa 67(1)c) de la LIPR, pas la prise de mesure spéciale sous la forme d’un sursis au titre de l’article 68. À l’exception de cette référence précoce à l’article 68 de la LIPR, la demanderesse ne sollicite expressément, à aucun autre moment, le sursis en guise de recours principal ou subsidiaire. Dans un tel contexte, il n’est pas du tout évident que la référence faite par la demanderesse à l’article 68 à la SAI ait été délibérée ou commise par inadvertance.

[32]           En outre, la demanderesse n’a rien trouvé à redire à la déclaration du président de l’audience au début de celle-ci, à savoir qu’un sursis n’est généralement pas utilisé dans le type d’affaire dont il est saisi. Il était raisonnable de s’attendre à ce que la demanderesse réponde à la déclaration du président de l’audience, si elle souhaitait effectivement obtenir le sursis prévu à l’article 68. Lors de sa plaidoirie devant la Cour, la demanderesse n’a présenté aucun précédent au cours duquel un sursis a été octroyé dans un cas de fausses déclarations.

[33]           L’obligation qui pèse sur un décideur de traiter expressément du refus d’octroyer un sursis prévu à l’article 68 en raison de l’équité procédurale est déclenchée lorsqu’une demande de sursis est présentée. En l’espèce, les éléments de preuve ne permettent pas de conclure que le sursis est un recours qui va de soi, et je ne suis pas convaincu que la demanderesse a sollicité que la SAI envisage d’accorder un sursis, que ce soit en guise de recours principal ou subsidiaire.

[34]           Le simple fait que l’article 66 de la LIPR prévoit qu’un sursis est une des possibilités qui s’offrent à la SAI dans l’examen d’un appel ne constitue pas une obligation expresse que la SAI examine le sursis et en traite de son propre chef.

[35]           Dans les circonstances, je ne suis pas convaincu que la SAI a commis une erreur lorsqu’elle a refusé d’examiner le sursis à la mesure de renvoi au titre du paragraphe 68(1) de la LIPR et d’en traiter dans ses motifs.

C.                 L’évaluation de la gravité des fausses déclarations de la demanderesse faite par la SAI était‑elle déraisonnable?

[36]           La SAI a minutieusement examiné les éléments de preuve et a conclu que Mme Li a sciemment et délibérément participé à un mariage de convenance rémunéré pour un avantage financier, qu’elle a fait de fausses déclarations quant aux faits liés à son mariage aux autorités de l’immigration et qu’elle a obtenu un visa de résident permanent sur la foi de ces fausses déclarations. La SAI a conclu que les fausses déclarations étaient très graves et qu’elles portaient atteinte à l’intégrité du système d’immigration.

[37]           Le président de l’audience a correctement cerné les facteurs que la SAI devait évaluer lorsqu’elle envisage d’exercer son pouvoir discrétionnaire fondé sur des motifs d’ordre humanitaire. Chacun de ces facteurs a été évalué eu égard aux éléments de preuve et en référence à l’obligation de franchise qui pèse sur le demandeur de la résidence permanente et aux objectifs de la LIPR décrits à l’article 3 : voir Baro c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 1299, [2007] ACF no 1667, au paragraphe 15.

[38]           La demanderesse est en désaccord avec les commentaires de la SAI concernant les conséquences possibles plus lourdes de ses fausses déclarations, elle soutient que la SAI avait l’obligation de se limiter à l’examen des véritables conséquences des fausses déclarations qu’elle avait faites. Je ne suis pas d’accord.

[39]           Il convient d’évaluer le caractère raisonnable de la décision de la SAI dans son ensemble. La SAI avait un certain nombre de motifs convaincants, sur la foi des éléments de preuve précis de l’affaire, qui étayent la conclusion que les fausses déclarations étaient très graves. Une telle conclusion et la décision de rejeter l’appel appartiennent aux issues possibles acceptables : Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190, au paragraphe 47.

[40]           Je ne vois aucun motif d’intervenir quant au pouvoir discrétionnaire de la SAI de refuser la prise de mesures spéciales.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée. Aucune question n’est certifiée aux fins d’un appel.

« Patrick Gleeson »

Juge

Traduction certifiée conforme

L. Endale


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


 

DoSSIER :

IMM‑6583‑14

 

INTITULÉ :

XUILAN LI c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 21 juillet 2015

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT :

LE JUGE GLEESON

 

DATE DES MOTIFS et du jugement :

Le 21 AOÛT 2015

 

COMPARUTIONS :

Dov Maierovitz

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Ada Mok

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Dov Maierovitz

Avocat

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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