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Date : 20150831

Dossier : T-2311-14

Référence : 2015 CF 1032

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 31 août 2015

En présence de madame la juge Elliott

ENTRE :

FAZIER MOHAMED MACKEEN

demandeur

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire, présentée en vertu du paragraphe 18.1(1) de la Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, c F-7, à l’égard d’une décision rendue le 10 octobre 2014 par une représentante du ministre des Ressources humaines et du Développement des compétences Canada (représentante du ministre/ministère), comme il s’appelait à l’époque.

[2]               Pour les motifs qui suivent, la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

I.                   LA DÉCISION CONTESTÉE

[3]               En 2012, le demandeur a obtenu des prestations d’invalidité du Régime de pensions du Canada (RPC) avec effet rétroactif au mois d’avril 2010, ce qui correspondait à la durée maximale permise par la loi. Toutefois, le demandeur a soutenu qu’il avait droit au versement rétroactif de prestations à compter de septembre ou octobre 2004, car, selon ses allégations, il aurait reçu en 2004 un avis erroné au sujet de la possibilité, pour lui, de demander une pension. C’est la décision de la représentante du ministre de lui refuser cette rétroactivité à l’année 2004 qui fait l’objet du présent contrôle.

[4]               Cette décision a été prise en vertu du paragraphe 66(4) du Régime de pensions du Canada, LRC 1985, c C–8 (le RPC), qui énonce ce qui suit :

66. (4) Dans le cas où le ministre est convaincu qu’un avis erroné ou une erreur administrative survenus dans le cadre de l’application de la présente loi a eu pour résultat que soit refusé à cette personne, selon le cas :

a) en tout ou en partie, une prestation à laquelle elle aurait eu droit en vertu de la présente loi,

b) le partage des gains non ajustés ouvrant droit à pension en application de l’article 55 ou 55.1,

c) la cession d’une pension de retraite conformément à l’article 65.1, le ministre prend les mesures correctives qu’il estime indiquées pour placer la personne en question dans la situation où cette dernière se retrouverait sous l’autorité de la présente loi s’il n’y avait pas eu avis erroné ou erreur administrative.

66. (4) Where the Minister is satisfied that, as a result of erroneous advice or administrative error in the administration of this Act, any person has been denied:

(a) a benefit, or portion thereof, to which that person would have been entitled under this Act,

(b) a division of unadjusted pensionable earnings under section 55 or 55.1, or

(c) an assignment of a retirement pension under section 65.1, the Minister shall take such remedial action as the Minister considers appropriate to place the person in the position that the person would be in under this Act had the erroneous advice not been given or the administrative error not been made.

[5]               Le représentante du ministre a conclu que la demande de prestations du demandeur n’avait pas été rejetée à la suite d’un avis erroné ou d’une erreur administrative du ministère. Par conséquent, la demande, présentée en vertu du paragraphe 66(4) du Régime de pensions du Canada, par laquelle le demandeur sollicitait la prise de mesures correctives afin d’être placé dans la situation où il se serait retrouvé s’il n’y avait pas eu avis erroné ou erreur administrative, a été rejetée.

[6]               Après avoir examiné les documents consignés au dossier (comme il est précisé ci‑dessous), la représentante du ministre a conclu à l’impossibilité de confirmer que le demandeur avait bien eu les conversations en question et, concernant l’allégation selon laquelle le décideur se serait appuyé sur des renseignements erronés, la représentante du ministre était convaincue que ces renseignements n’avaient pas eu pour résultat le refus d’une prestation.

[7]               En d’autres termes, la représentante du ministre a conclu que le demandeur ne s’était pas acquitté du fardeau de prouver ses allégations selon la prépondérance des probabilités.

II.                L’HISTORIQUE DES PROCÉDURES ET DE L’ENQUÊTE

[8]               Le 25 juillet 2011, le demandeur a présenté une demande de prestations d’invalidité du RPC.

[9]               Sa demande a été approuvée par le ministère le 23 février 2012. Il a reçu des paiements rétroactifs au mois d’avril 2010, soit 15 mois avant la date de réception de sa demande. Il s’agit là du montant maximal permis par le Régime.

[10]           Le ministère a téléphoné au demandeur le 23 février 2012 pour l’aviser de cette décision. Au cours de la conversation, le demandeur a indiqué qu’il avait communiqué en 2004 avec le ministère au sujet de la possibilité de présenter une demande de prestations d’invalidité du RPC, mais qu’on lui avait répondu qu’il n’y serait pas admissible, puisque, à ce moment-là, il recevait des indemnités pour accident du travail.

[11]           Le 13 mars 2012, le demandeur a envoyé à Service Canada une lettre indiquant que, en 2004, son psychiatre lui avait conseillé de présenter une demande de prestations d’invalidité du RPC, et qu’en septembre ou octobre 2004, il avait appelé la ligne O-Canada en vue d’obtenir les coordonnées nécessaires à cette fin.

[12]           Le demandeur a dit avoir appelé au numéro qu’on lui avait fourni et avoir parlé à une employée. Selon ce qu’il a affirmé, celle-ci lui aurait demandé s’il recevait d’autres prestations et, en apprenant qu’il touchait des prestations de la Commission de la sécurité professionnelle et de l’assurance contre les accidents du travail (CSPAAT), elle aurait dit qu’il ne serait pas admissible à des prestations d’invalidité du RPC.

[13]           Dans sa lettre, le demandeur a également déclaré que, en 2005, son psychiatre lui avait demandé s’il avait présenté une demande de prestations d’invalidité du RPC, ce à quoi il avait répondu qu’il percevait déjà des prestations de la CSPAAT. La lettre mentionnait enfin que, en 2011, lors d’une consultation, il avait demandé à son médecin de famille s’il serait admissible à des prestations d’invalidité du RPC, et elle lui aurait dit de lui apporter les formulaires pour qu’elle les signe. Une fois cela fait, le demandeur a posté les formulaires.

[14]           À la suite de la lettre du demandeur, le ministère a mené une enquête et, le 8 mai 2013, il a envoyé au demandeur une brève lettre mentionnant qu’après avoir examiné attentivement les renseignements à cet égard, on avait conclu que sa demande n’avait pas été rejetée à la suite d’un avis erroné.

[15]           Après réception de la lettre de refus, le demandeur a présenté, le 3 juin 2013, une demande de contrôle judiciaire à l’égard de la décision. Lorsqu’il a déposé son affidavit, celui-ci contenait une autre allégation selon laquelle, le 8 mai 2012, le demandeur aurait appelé le ministère et [traduction] « parlé avec une personne nommée Debra », laquelle aurait affirmé qu’il n’aurait pas droit à un [traduction] « paiement rétroactif » parce qu’il n’avait pas suffisamment cotisé au RPC.

[16]           Le 17 septembre 2013, le ministère a déposé auprès de la Cour des observations dans lesquelles il demandait à la Cour d’ordonner que l’affaire soit renvoyée à un autre représentant du ministre pour nouvel examen.

[17]           Bien que le demandeur se soit opposé à la demande du ministère, l’affaire a été renvoyée à une autre représentante du ministre le 17 octobre 2013.

[18]           Le 19 novembre 2013, la nouvelle représentante a écrit au demandeur afin de l’inviter à lui envoyer tout renseignement, toute preuve ou toute observation supplémentaire qui, selon lui, pourrait étayer son allégation. Mais aucune observation de la sorte n’a été fournie; l’enquête a donc été menée sur la base des documents et de la preuve figurant déjà au dossier.

[19]           Dans une décision datée du 10 octobre 2014, la représentante du ministre a mentionné avoir pris les mesures suivantes dans le cadre de son enquête :

(1)               passage en revue de l’historique du dossier à compter de la date de réception de la demande, soit le 25 juillet 2011;

(2)               examen des dispositions du paragraphe 66(4);

(3)               constatation de trois cas distincts d’avis erroné ou d’erreur administrative soulevés par le demandeur : (i) avis erroné en 2004 (appel téléphonique), puis (ii) en 2012 (appel téléphonique) et (iii) erreur administrative de l’enquêtrice, qui se serait fiée à de mauvais renseignements en présumant que le demandeur s’était adressé à un agent d’O-Canada, et non à un agent du programme de prestations d’invalidité du RPC ;

(4)               entretien avec la gestionnaire, Exécution des programmes du RPC et de la SV à la Direction des centres d’appels de Service Canada;

(5)               échange de correspondance avec « Debra », à qui le demandeur avait parlé le 8 mai 2012;

(6)               vérification des manuels des opérations et des procédures qui étaient en usage au moment de l’appel téléphonique allégué du demandeur, en 2004.

[20]           Comme il est mentionné dans la lettre de décision, les raisons du rejet de la demande présentée au titre du paragraphe 66(4) sont les suivantes :

[traduction] En fonction de la preuve que j’ai examinée, j’estime que vous ne vous êtes pas acquitté du fardeau de prouver, selon la prépondérance des probabilités, que vous vous êtes vu refuser tout ou partie d’une prestation par suite d’un avis erroné donné par le ministère, ou d’une erreur administrative commise par celui-ci.

III.             LA NORME DE CONTRÔLE

[21]           Les avocats ont convenu que, en l’espèce, la norme applicable était celle de la décision raisonnable.

[22]           Je suis également d’accord pour dire que la norme de contrôle applicable à la décision est celle du caractère raisonnable, et que, s’il y a eu erreur, la question de savoir si celle-ci a privé le demandeur de prestations qu’il aurait autrement été en droit de recevoir est également assujettie à la norme de contrôle de la décision raisonnable (Canada (Procureur général) c. Torrance, 2013 CAF 227).

IV.             LES QUESTIONS EN LITIGE

[23]           Il n’est pas contesté que le demandeur est invalide. Du point de vue du demandeur, la question principale à trancher consiste à déterminer si les prestations d’invalidité devraient être rétroactives à l’année 2004.

[24]           Les parties s’entendent pour dire que la Cour doit chercher à déterminer non pas si un avis erroné a été donné, mais plutôt si, après examen de la décision de la représentante du ministre, une erreur a été commise et déclenche l’application des dispositions du paragraphe 66(4) du RPC.

[25]           Le paragraphe 66(4) du Régime de pensions du Canada permet au ministre de prendre des mesures correctives en plaçant une personne à qui on a refusé des prestations dans la situation où elle se retrouverait s’il n’y avait pas eu avis erroné ou erreur administrative.

[26]           Le ministre doit être convaincu que la personne s’est vu refuser une prestation en raison de l’erreur administrative ou de l’avis erroné.

[27]           En pareilles circonstances, il n’appartient pas à la Cour d’apprécier à nouveau la preuve, mais plutôt d’examiner si le ministre a suivi les bonnes procédures et appliqué les bons facteurs. Lee c Canada (Procureur Général), 2011 CF 689.

V.                LA POSITION DU DEMANDEUR

[28]           L’avocat du demandeur a qualifié la présente affaire de cas simple, qui repose en grande partie sur les faits.

[29]           L’avocat a insisté sur le fait que le demandeur était une personne innocente qui, en 2004, avait fait un appel téléphonique et qui, en toute innocence, ignorait totalement qu’il mettait les pieds dans ce que l’avocat a qualifié de bourbier juridique potentiel.

[30]           Il a été reconnu que la seule preuve présentée à la Cour consiste en deux lettres. L’une d’entre elles a été écrite le 13 mars 2012 par le demandeur. Elle est dactylographiée et tient sur une page. L’autre lettre, apparemment dictée le 10 février 2012 par le psychiatre du demandeur, confirme que celui-ci a vu le demandeur pour la première fois le 28 septembre 2004.

[31]           L’avocat du demandeur me presse de conclure que la lettre du psychiatre corrobore non seulement le fait qu’il a vu le demandeur en 2004, mais également l’état général d’invalidité du demandeur. Aucun de ces faits n’a été contesté, et j’estime que la lettre les corrobore. Mais je n’irai pas jusqu’à conclure que la lettre confirme la prétention du demandeur. Il s’agit d’un rapport médical, et il ne traite en aucune façon des questions en litige en l’espèce.

[32]           L’autre élément de preuve dont est saisie la Cour est la décision de la représentante du ministre. L’avocat du demandeur me prie de conclure qu’elle est le seul autre élément de preuve dont dispose la Cour.

[33]           Jusqu’ici, le demandeur s’était représenté lui-même tout au long des procédures. Il n’y a donc aucun témoignage sous serment prenant la forme d’une déclaration solennelle ou d’un affidavit, ni aucune lettre de confirmation provenant du psychiatre ou d’autres personnes. Nous disposons seulement de la lettre écrite par le demandeur, où celui-ci décrit ses difficultés, et d’une lettre confirmant qu’il recevait des soins psychiatriques en 2004.

[34]           Le demandeur a fait valoir que, tel que mentionné dans la décision, la représentante du ministre était dans l’incapacité de vérifier que le demandeur avait bien eu des interactions avec le ministère en 2004. Selon lui, cela démontrait que la représentante du ministre ne disposait d’aucune preuve autre que celle du demandeur. L’avocat a fait valoir que la représentante du ministre avait ensuite fait des conjectures au sujet de ce qui avait pu se produire à l’époque, compte tenu des protocoles du centre d’appels qui étaient alors en place, en écartant la preuve du demandeur.

[35]           L’argument du demandeur était qu’il avait déposé un certain nombre d’éléments de preuve devant la Cour, mais que le défendeur n’avait présenté aucun élément de preuve, seulement un compte rendu d’enquête.

VI.             LA POSITION DU DÉFENDEUR

[36]           L’avocat du défendeur a formulé les observations ci-après, non contestées, en ce qui a trait au droit applicable au contrôle d’une décision rendue sous le régime du paragraphe 66(4). Je conviens que ces observations s’appliquent en l’espèce :

(1)               il n’existe pas de procédure établie pour les enquêtes menées sous le régime du paragraphe 66(4) du RPC; Leskiw c Canada (Procureur général), 2003 CFPI 582, conf. par 2004 CAF 177;

(2)               le ministre n’a l’obligation de prendre des mesures correctives que lorsqu’il est convaincu qu’un avis erroné a été donné; Kissoon c Canada (Ministre du Développement des ressources humaines), 2004 CF 24, conf. par 2004 CAF 384;

(3)               le paragraphe 66(4) confère au ministre un large pouvoir discrétionnaire en matière de redressement et de conclusion de fait informelle; Graceffa c Canada (Développement social), 2006 CF 1513;

(4)               dans le cadre du contrôle judiciaire d’une décision rendue par le ministre, la Cour ne doit pas remettre en question les conclusions du ministre au motif qu’elle aurait elle-même conclu différemment; Kissoon c Canada (Ministre du Développement des ressources humaines), 2004 FC 24, au paragraphe 5, conf. par 2004 CAF 384;

(5)               la question en litige n’est pas de savoir s’il était possible qu’un avis erroné ait été donné. Il s’agit plutôt de déterminer si les faits ont convaincu le ministre qu’un avis erroné a bien été donné (non souligné dans l’original); Manning c Canada (Développement des Ressources Humaines), 2009 CF 523;

(6)               il incombe au demandeur de démontrer, selon la prépondérance des probabilités, qu’il a reçu un avis erroné, et que cet avis erroné a eu pour effet que des prestations en vertu du Régime lui soient refusées. Manning c Canada (Développement des Ressources Humaines), 2009 CF 523.

[37]           Le défendeur a affirmé que la décision rendue par le ministre appartenait aux issues possibles acceptables. L’avocat a invoqué la décision rendue dans l’affaire Lee, précitée, au paragraphe 99, qui se lit comme suit :

Selon les dispositions législatives applicables aux prestations du RPC, pour pouvoir toucher des prestations rétroactives à 1998, les demandeurs doivent prouver – à l’aide de témoins ou de documents – qu’on leur a donné un avis erroné, ou qu’on a commis une erreur administrative, relativement à leur demande de prestations. Ils doivent convaincre le décideur qu’une telle erreur a été commise. […] les demandeurs doivent démontrer que leur version des faits est la plus probable. [Souligné dans l’original.]

[38]           Le défendeur a attiré l’attention sur l’analyse fouillée effectuée par l’enquêtrice, qui a notamment examiné et pris en compte l’ensemble des documents figurant dans les dossiers physiques et électroniques du demandeur, de même que vérifié le système informatique utilisé en 2004 pour gérer les prestations du RPC et le système informatique par lequel il a été remplacé en mai 2009. Ces recherches se sont avérées vaines, car elles n’ont permis de découvrir aucune note au dossier datant de 2004, qu’elle soit entrée dans le système ou écrite à la main. En raison de l’absence de preuve matérielle, l’enquêtrice a également discuté avec la gestionnaire de l’Exécution des programmes du RPC et de la SV à la Direction des centres d’appels de Service Canada, qui lui a transmis un sommaire des procédures qui étaient en vigueur en 2004 relativement au Régime de pensions du Canada et à son Règlement. Selon ce qu’indiquait cet élément de preuve, si un client déclarait toucher des prestations d’invalidité d’un régime privé ou provincial, l’agent du centre d’appels était censé l’aviser que cela ne rendait pas automatiquement un demandeur inadmissible à des prestations d’invalidité du RPC.

VII.          ANALYSE

[39]           Les faits essentiels, arguments fondamentaux et observations présentés en l’espèce sont pratiquement identiques à ceux de la décision Manning, précitée, sous tous les aspects importants.

[40]           L’affaire Manning concerne le cas d’un médecin qui avait présenté une demande de prestations d’invalidité au titre du RPC. Sa demande a été approuvée et, en 2005, il a reçu le montant maximal prévu de versements rétroactifs, correspondant à une période de 15 mois. Dans cette affaire, le Dr Manning souhaitait lui aussi que son paiement rétroactif s’applique à une période plus longue, soit à compter de la date du début de son invalidité, en 1993. Et ce, au motif que, en avril 1995, son épouse (la Dre Malaguti-Manning) avait téléphoné à la ligne d’information du RPC et parlé à une « femme d’âge mûr », qui lui aurait dit qu’il était inutile de demander des prestations d’invalidité du RPC, puisque toute somme reçue devrait être remboursée à l’assureur privé du demandeur.

[41]           La représentante du ministre n’a pu trouver aucune trace de l’appel téléphonique en question, mais elle a examiné les documents et pratiques de formation en usage à l’époque, et a conclu qu’il était très improbable que l’avis erroné ait été donné.

[42]           Lorsqu’il a rejeté la demande de contrôle judiciaire, le juge Mandamin a tiré les conclusions figurant ci-après, que je fais miennes, en tenant compte des adaptations nécessaires aux faits de l’espèce :

[39]      La Dre Malaguti-Manning a présenté un témoignage par affidavit de nature très générale. Aucune preuve n’a été soumise quant à l’existence de l’appel téléphonique, et on n’a pas précisé l’identité de l’agente ayant reçu l’appel, la date de l’appel ni le numéro de téléphone composé; on n’a pas non plus donné de détails précis sur l’avis reçu. Le témoignage quant au motif pour lequel le demandeur n’a pas sollicité en 1995 le versement de prestations d’invalidité, soit l’avis de l’agente, n’est pas des plus sûrs, bien qu’il soit étayé d’une certaine manière du fait qu’on se soit fié sur l’information fournie, l’épouse du demandeur n’ayant effectivement pas demandé le versement de prestations.

[40]      L’enquête a révélé qu’aucune trace n’a été conservée d’appels faits il y a si longtemps. La représentante du ministre a fait état de divers éléments de preuve, notamment les listes de conseils, la liste de vérification aux fins d’orientation, la procédure en usage à l’époque en cause et les manuels qui étaient fournis aux agents des centres d’appels.

[41]      Toute la preuve produite par l’agente d’enquête a été mise en balance avec celle fournie par la Dre Malaguti-Manning, le ministre ayant ensuite dû établir selon la prépondérance des probabilités si un avis erroné avait été donné. Le ministre a conclu, selon cette prépondérance, en faveur du défendeur. Il a conclu qu’il était davantage vraisemblable qu’aucun avis erroné n’avait été donné.

[42]      Je conclus que la décision du ministre était raisonnable, car il s’agissait d’une conclusion pouvant se justifier au regard de la preuve.

[43]           En l’espèce, le demandeur prie la Cour de conclure que la lettre rédigée huit ans après les événements en cause, et renfermant des allégations qui ne sont corroborées d’aucune manière, n’est pas seulement un « élément de preuve », mais le seul élément de preuve que la Cour puisse prendre en compte, puisque le défendeur n’a pas été en mesure de réfuter le fait qu’un avis erroné avait été donné. Il en est ainsi parce que le défendeur n’a pas de trace écrite d’une conversation avec une personne à qui, selon les termes employés par l’avocat du demandeur, [traduction] « on n’a jamais demandé de s’identifier ».

[44]           Avec égards, je ne saurais souscrire à l’affirmation selon laquelle le ministre n’a fourni aucun élément de preuve. De fait, de par sa nature et sa qualité, la preuve produite par le ministre était plus complète, détaillée et fiable que celle produite par le demandeur. La représentante du ministre a offert au demandeur de présenter des observations supplémentaires, mais il ne l’a pas fait. Elle a examiné en détail chacune des trois allégations du demandeur, en plus d’interroger deux personnes possédant une expertise et des connaissances relativement aux points importants invoqués par le demandeur. Elle a examiné et pris en compte les documents écrits pertinents.

[45]           J’estime que le processus d’enquête suivi par la représentante du ministre était rigoureux, transparent et exhaustif.

[46]           Pour rendre sa décision, il n’aurait pas été raisonnable de la part de la représentante du ministre de ne pas tenir compte de la procédure amplement documentée et des protocoles et politiques du centre d’appels, ainsi que des témoignages des personnes avec qui elle s’est entretenue. Il aurait également été déraisonnable d’omettre de tenir compte du critère de la prépondérance des probabilités, qu’elle aurait également eu à appliquer pour en arriver à la conclusion que la lettre du demandeur établissait le bien-fondé de sa requête, et qu’il n’y avait aucun élément de preuve provenant du ministre.

[47]           Compte tenu du critère établi dans la décision Lee, précitée, il était raisonnable de la part du ministre de conclure que le demandeur n’avait pas démontré que sa version des faits était plus vraisemblable que la sienne.

[48]           J’estime que la décision de la représentante du ministre appartenait tout à fait « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ». Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190. La présente demande est par conséquent rejetée.

[49]           Le défendeur ne sollicite pas de dépens. Le demandeur tenté de recouvrer une partie de ses frais, mais il n’a pas obtenu gain de cause.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que :

1.      La demande est rejetée.

2.      Aucuns dépens ne sont adjugés.

« E. Susan Elliott »

Juge

Traduction certifiée conforme

Julie-Marie Bissonnette, traductrice


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-2311-14

 

INTITULÉ :

FAZIER MOHAMED MACKEEN

c

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 25 août 2015

 

Jugement et motifs :

LA juge ELLIOTT

 

DATE DES MOTIFS :

Le 31 août 2015

 

COMPARUTIONS :

H.J. Levinson

 

Pour le demandeur

 

Hasan Junaid

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Levinson et associés

Avocats

Toronto (Ontario)

 

Pour le demandeur

 

William F. Pentney

Sous-procureur général

du Canada

Gatineau (Québec)

 

Pour le défendeur

 

 

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