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Date : 20150826


Dossier : IMM-863-15

Référence : 2015 CF 1015

Montréal (Québec), le 26 août 2015

En présence de monsieur le juge Locke

ENTRE :

LUIS TRINIDAD ESPINOSA REYES

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   Nature de l’affaire

[1]               Il s’agit d’un contrôle judiciaire de la décision de la Section de la protection des réfugiés [SPR] de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié datée du 16 janvier 2015 par laquelle la SPR a déterminé que le demandeur ne peut avoir la qualité de « réfugié au sens de la Convention » ni celle de « personne à protéger » au sens des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [LIPR] pour le motif que le demandeur est visé par l’alinéa 1Fb) de la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés, signée à Genève le 28 juillet 1951 [la Convention] par l’application de l’article 98 de la LIPR.

[2]               Pour les raisons qui suivent, je suis d’avis que la décision de la SPR doit être maintenue.

II.                Contexte

[3]               L’article 98 de la LIPR mentionne :

Exclusion par application de la Convention sur les réfugiés

Exclusion — Refugee Convention

98. La personne visée aux sections E ou F de l’article premier de la Convention sur les réfugiés ne peut avoir la qualité de réfugié ni de personne à protéger.

98. A person referred to in section E or F of Article 1 of the Refugee Convention is not a Convention refugee or a person in need of protection.

[4]               L’alinéa 1Fb) de la Convention mentionne :

F. Les dispositions de cette Convention ne seront pas applicables aux personnes dont on aura des raisons sérieuses de penser :

F. The provisions of this Convention shall not apply to any person with respect to whom there are serious reasons for considering that:

[…]

[…]

b) qu’elles ont commis un crime grave de droit commun en dehors du pays d’accueil avant d’y être admises comme réfugiées ;

(b) he has committed a serious non-political crime outside the country of refuge prior to his admission to that country as a refugee;

[Soulignements ajoutés.]

[5]               Le demandeur est arrivé au Canada du Mexique le 14 août 2012. Il a demandé le statut de réfugié le lendemain.

[6]               Avant son arrivée au Canada, le demandeur a vécu aux États-Unis pendant plusieurs années où il a eu plusieurs démêlés avec le système de justice en Californie. Malgré ces nombreux démêlés, il n’y a qu’un seul incident pertinent à cette décision. Le 29 avril 1996, le demandeur et son épouse (Guadalupe Garcia) se sont disputés. La dispute a dégénéré jusqu’au point où le demandeur a frappé plusieurs fois son épouse à coups de poing, tout cela alors que leurs enfants mineurs étaient présents.

[7]               Le rapport de police décrit les blessures de Mme Garcia comme suit :

Garcia’s upper lip was swollen and discolored. She had a large bump on the right rear side of her head […] She had a scratch on her left cheek. She had scrapes and bruises on her lower back.

[8]               Pendant que le demandeur battait son épouse, une voisine entendait Mme Garcia crier et demander que quelqu’un appelle la police, ce que la voisine a fait. À l’arrivée de la police, le demandeur s’est sauvé en sortant par la fenêtre de sa chambre à coucher.

[9]               Le demandeur a été arrêté le 7 mai 1996 et accusé de « inflicting corporal injury on spouse » (l’article 273.5(a) du Penal Code of California) et « endangering health of a child » (l’article 273a(b)). Après une négociation de plaidoyer, le demandeur a plaidé nolo contendere à la première accusation (qui indique que l’accusation n’est pas contestée), et la deuxième accusation a été retirée. Par la suite, le demandeur a été condamné et a reçu une sentence de huit mois d’emprisonnement, suspendue, ainsi que 36 mois de probation, 104 heures de thérapie pour contrôler sa violence, et quelques amendes. À la fin de l’affaire, le demandeur avait passé 97 jours en prison puisqu’il était incapable de payer une caution de 7 500 $ pour sa mise en liberté avant le procès.

[10]           L’article 273.5(a) du Penal Code of California se lit comme suit :

Any person who willfully inflicts corporal injury resulting in a traumatic condition upon a victim described in subdivision (b) is guilty of a felony, and upon conviction thereof shall be punished by imprisonment in the state prison for two, three, or four years, or in a county jail for not more than one year, or by a fine of up to six thousand dollars ($6,000), or by both that fine and imprisonment.

[11]           La SPR a conclu que cette infraction a comme pendant, en droit canadien, l’article 267b) du Code criminel, LRC 1985, c C-46, ce qui n’est pas contesté. L’article 267b) se lit comme suit :

Agression armée ou infliction de lésions corporelles

Assault with a weapon or causing bodily harm

267. Est coupable soit d’un acte criminel et passible d’un emprisonnement maximal de dix ans, soit d’une infraction punissable sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire et passible d’un emprisonnement maximal de dix-huit mois quiconque, en se livrant à des voies de fait, selon le cas :

267. Every one who, in committing an assault,

[…]

[…]

b) inflige des lésions corporelles au plaignant.

(b) causes bodily harm to the complainant,

is guilty of an indictable offence and liable to imprisonment for a term not exceeding ten years or an offence punishable on summary conviction and liable to imprisonment for a term not exceeding eighteen months.

[12]           Dans sa décision, la SPR a conclu qu’une présomption que le crime commis par le demandeur était grave s’applique puisque l’infraction aurait, si elle avait été commise au Canada, été punissable d’un emprisonnement maximal d’au moins dix ans : Canada (Citoyenneté et Immigration) c Nwobi, 2014 CF 520 au para 6. La SPR a noté que cette présomption peut être réfutée après considération des facteurs suivants listés dans Jayasekara c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CAF 404 (Jayasekara) au para 38 :

  • la nature de l’acte;
  • le dommage réellement causé;
  • la forme de la procédure employée pour engager des poursuites;
  • la nature de la peine encourue pour un tel crime;
  • si la plupart des juridictions considéreraient l’acte en question comme un crime grave.

[13]           Après son analyse, la SPR a conclu qu’il s’agit d’un crime grave de droit commun, et que le demandeur tombe donc dans l’exclusion de l’article 98 de la LIPR et l’alinéa 1Fb) de la Convention.


III.             Analyse

[14]           Les parties s’entendent, et je suis d’accord que la norme de contrôle applicable à l’analyse de la gravité d’un crime pour les buts de ce contrôle judiciaire est celle de la décision raisonnable : Jayasekara c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 238 au para 10.

[15]           Les parties s’entendent aussi que la décision de la Cour d’appel fédérale dans Jayasekara est une bonne autorité pour la présomption de gravité d’un crime et pour les facteurs à considérer pour réfuter cette présomption. Toutefois, le demandeur soumet que la SPR n’a pas tenu compte de tous ces facteurs. Le demandeur se concentre sur trois erreurs.

[16]           Premièrement, le demandeur soumet que la SPR n’a pas reconnu que le crime pour lequel il a été condamné possédait deux niveaux de gravité (tant au Canada qu’en Californie), et sa condamnation était liée au moins sérieux de ces deux niveaux. En Californie, il y a la possibilité d’emprisonnement « in the state prison for two, three, or four years » ou bien « in a county jail for not more than one year, or by a fine of up to six thousand dollars ($6,000), or by both that fine and imprisonment. » D’une façon semblable, une poursuite au Canada suivant l’article 267b) du Code criminel peut résulter en un emprisonnement maximal de dix ans ou de dix-huit mois selon la procédure suivie pour arriver à la condamnation.

[17]           La SPR n’a jamais noté que le dossier du demandeur devant la Cour en Californie a été transféré de la Cour supérieure à la Cour municipale et que sa condamnation d’emprisonnement était dans la prison du comté. La SPR n’a aussi jamais noté que la peine d’un emprisonnement maximal d’au moins dix ans (qui donne naissance à la présomption de gravité) ne s’applique qu’au plus sérieux des niveaux de l’infraction définie à l’article 267 du Code criminel. Le demandeur soumet que la présomption de gravité n’aurait donc jamais dû s’appliquer.

[18]           La deuxième des erreurs alléguées par le demandeur est que la SPR a indiqué plusieurs fois dans sa décision (aux paras 4, 23, 31, 32) que le demandeur a été condamné pour les deux infractions dont il a été accusé initialement, quoiqu’il n’ait été condamné que pour une, la deuxième accusation étant retirée. Le demandeur soumet que la SPR a mal compris les faits.

[19]           La troisième des erreurs alléguées par le demandeur est que la SPR n’a pas reconnu que la sentence de huit mois d’emprisonnement imposée par la Cour en Californie était suspendue. Le demandeur soumet qu’il s’agit d’un autre exemple de l’incompréhension des faits par la SPR.

[20]           En ce qui concerne les deux niveaux du crime pour lequel le demandeur a été condamné, je ne vois aucune erreur de la part de la SPR. Malgré que l’un des facteurs pertinents à la réfutation de la présomption de gravité d’un crime est « la forme de la procédure employée pour engager des poursuites », je suis satisfait que la SPR était au courant du fait de ces deux niveaux (ayant avoir reproduit l’article 273.5(a) du Penal Code of California au para 31 de sa décision).

[21]           La décision dans Canada (Citoyenneté et Immigration) c Lopez Velasco, 2011 CF 627, citée par le demandeur, ne l’assiste pas. La Cour dans cette décision a indiqué (au para 46) que « [l]a SPR était en droit de considérer la nature mixte » de l’article pertinente dans cette affaire. Mais permettre à la SPR de considérer le fait que la poursuite contre lui était du niveau moins sérieux n’est pas la même chose que de l’obliger d’en faire référence explicite dans sa décision.

[22]           Le défendeur attire mon attention sur le paragraphe 36(3) de la LIPR qui indique que, dans le but de déterminer si un crime est assez sérieux pour une interdiction du Canada pour grande criminalité, le mode de poursuite n’est pas pertinent. Le défendeur soumet que le même principe devrait s’appliquer ici.

[23]           À mon avis, il était raisonnable que la SPR conclue que le crime commis par le demandeur était grave, bien que l’accusation ait été poursuivie devant la Cour municipale. La SPR n’était pas obligée de faire référence explicite au mode de poursuite en Californie.

[24]           En ce qui concerne les mentions par la SPR que le demandeur a été condamné pour les deux infractions dont il a été accusé initialement (au lieu d’une seule infraction), je suis d’avis que la SPR comprenait bien les faits, et qu’il s’agit simplement d’une inexactitude mineure. La SPR a indiqué clairement au para 24 de sa décision qu’une des deux accusations a été retirée, et je suis satisfait qu’elle ait gardé ce fait en tête partout dans sa décision.

[25]           En ce qui concerne le fait que la sentence de huit mois d’emprisonnement imposée au demandeur ait été suspendue, je suis d’avis encore que la SPR comprenait bien la preuve. Malgré que la SPR n’ait pas fait référence explicite à ce fait, je n’ai aucune raison de croire que la SPR ignorait que la sentence était suspendue. Je suis satisfait que la SPR se soit concentrée sur les faits plus au centre de sa décision, comme les blessures dont Mme Garcia a souffert.

IV.             Conclusion

[26]           Je conclus donc que la SPR n’a pas fait d’erreur suffisamment importante pour rendre sa décision déraisonnable. Cette conclusion est assez pour rejeter la présente demande de contrôle judiciaire.

[27]           Avant de finir, je veux commenter sur l’argument du demandeur que son crime n’était pas grave. En particulier, le demandeur soumet qu’il s’agit d’une chicane familiale d’un type qui arrive dans 40% des familles, que c’est Mme Garcia qui l’a commencée, que ce n’est pas elle qui a appelé la police, et qu’elle a refusé les soins médicaux (donc ses blessures n’étaient pas sérieuses).

[28]           Je ne sais pas où commencer avec cette série de soumissions. Comme commentaire général, je note que je suis en accord avec le défendeur que ces arguments démontrent que le demandeur a peu appris au sujet de la violence conjugale depuis l’incident de 1996.

[29]           Aucune chicane familiale, peu importe qui l’a commencée, ne peut justifier battre son épouse. Le rapport de police lors de l’incident décrit des blessures qui démontrent une violence sérieuse, malgré le fait que Mme Garcia ait refusé les soins médicaux.

[30]           Le fait qu’une voisine ait appelé la police après avoir entendu Mme Garcia crier, suggère que la raison pour laquelle Mme Garcia n’a pas appelé la police elle-même n’est pas que la « chicane » n’était pas sérieuse, mais plutôt qu’elle était en train d’être battue, donc incapable d’appeler la police elle-même.

[31]           Le fait que la victime était l’épouse du demandeur est une circonstance aggravante : sous-alinéa 718.2a)(ii) du Code criminel; Unachukwu c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 199 au para 26. Le fait que les enfants mineurs du demandeur étaient présents pendant l’incident est une autre circonstance aggravante.

[32]           Les parties ont indiqué qu’elles ne suggèrent aucune question grave de portée générale à certifier.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que :

  1. La présente demande est rejetée.
  2. Aucune question grave de portée générale n’est certifiée.

« George R. Locke »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-863-15

INTITULÉ :

LUIS TRINIDAD ESPINOSA REYES c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (Québec)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 12 août 2015

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE LOCKE

DATE DES MOTIFS :

LE 26 août 2015

COMPARUTIONS :

Dorin Cosescu

Pour le demandeur

Jocelyne Murphy

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Dorin Cosescu

Avocat

Montréal (Québec)

Pour le demandeur

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

Pour le défendeur

 

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