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Date : 20150820


Dossiers : T-929-15

T-931-15

T-933-15

T-934-15

T-935-15

T-936-15

T-937-15

T-938-15

Référence : 2015 CF 990

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Dossier : T-929-15

ENTRE :

COMMISSAIRE DE LA CONCURRENCE

demandeur

et

SASKATCHEWAN TELECOMMUNICATIONS

défenderesse

Dossier : T-931-15

ET ENTRE :

COMMISSAIRE DE LA CONCURRENCE

demandeur

et

TBAYTEL

défenderesse

Dossier : T-933-15

ET ENTRE :

COMMISSAIRE DE LA CONCURRENCE

demandeur

et

ROGERS COMMUNICATIONS INC.

défenderesse

Dossier : T-934-15

ET ENTRE :

COMMISSAIRE DE LA CONCURRENCE

demandeur

et

VIDÉOTRON LTÉE

défenderesse

Dossier : T-935-15

ET ENTRE :

COMMISSAIRE DE LA CONCURRENCE

demandeur

et

BRAGG COMMUNICATIONS

défenderesse

Dossier : T-936-15

ET ENTRE :

COMMISSAIRE DE LA CONCURRENCE

demandeur

et

TELUS CORPORATION

défenderesse

Dossier : T-937-15

ET ENTRE :

COMMISSAIRE DE LA CONCURRENCE

demandeur

et

MTS INC.

défenderesse

Dossier : T-938-15

ET ENTRE :

COMMISSAIRE DE LA CONCURRENCE

demandeur

et

BELL MOBILITÉ INC.

défenderesse

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

LE JUGE EN CHEF CRAMPTON

[1]               Voici les motifs des ordonnances que j’ai rendues, le 18 juin 2015, dans le cadre des présentes instances. À quelques exceptions près, ces ordonnances correspondent à la réparation demandée par le commissaire de la concurrence [le commissaire] dans huit demandes ex parte réunies visant à obtenir des déclarations écrites des défenderesses conformément à l’alinéa 11(1)c) de la Loi sur la concurrence, LRC 1985, c C‑34 [la Loi].

[2]               L’objectif des présents motifs consiste à examiner cinq points soulevés au cours de l’audition des demandes du commissaire. Les voici : (i) la période visée par les déclarations écrites demandées par le commissaire [la période pertinente]; (ii) l’incapacité alléguée de certaines défenderesses à respecter certaines des demandes formulées à l’annexe 1 des projets d’ordonnance; (iii) le délai que le commissaire cherche à imposer aux défenderesses pour la présentation d’une réponse au projet d’ordonnance; (iv) ce qui, dans les ordonnances rendues en vertu de l’article 11 de la Loi, est excessif, disproportionné ou inutilement onéreux pour les défenderesses; (v) les Lignes directrices : Production de renseignements stockés électroniquement du Bureau de la concurrence (les lignes directrices pour la production de RSE).

I.                   Contexte

[3]               Conformément à l’alinéa 11(1)c) de la Loi, la Cour peut, sur demande ex parte du commissaire, ordonner à une personne de préparer et de donner au commissaire, dans le délai que prévoit l’ordonnance, une déclaration écrite faite sous serment ou affirmation solennelle et énonçant en détail les renseignements exigés par l’ordonnance.

[4]               Avant de rendre une telle ordonnance, la Cour doit être convaincue qu’une enquête est menée en application de l’article 10 et que la personne visée détient vraisemblablement des renseignements qui sont pertinents pour cette enquête. (Voir en général Canada (Commissaire de la concurrence) c Pearson Canada Inc., 2014 CF 376, aux paragraphes 34 à 50 [Pearson].)

[5]               Selon les affidavits souscrits par Mme Shannon Kack (les affidavits de Mme Kack), agente du droit de la concurrence au Bureau de la concurrence, le commissaire a ouvert une enquête en mars 2014 en vertu du sous-alinéa 10(1)b)(ii) de la Loi au sujet de certaines activités d’Apple Inc. [Apple] et d’Apple Canada Inc. [Apple Canada], activités qui sont susceptibles d’examen aux termes de la partie VIII de la Loi.

[6]               Plus précisément, Mme Kack explique dans ses affidavits que l’enquête du commissaire est axée sur l’inclusion de certaines obligations dans les contrats liant Apple Canada et les défenderesses, qui revendent des appareils mobiles portant sa marque, à savoir les appareils iPhone d’Apple (les appareils iPhone).

[7]               Mme Kack précise que les contrats susmentionnés comportent certaines clauses imposant des obligations aux défenderesses en ce qui concerne la vente et la promotion d’appareils iPhone à leurs clients (les obligations contractuelles).

[8]               Mme Kack ajoute qu’elle croit, selon l’enquête menée à ce jour par le commissaire, que ces obligations contractuelles sont susceptibles d’empêcher ou de diminuer sensiblement la concurrence de différentes façons. Entre autres, elles peuvent empêcher des fournisseurs de téléphones mobiles concurrents d’avoir accès à un marché, réduire le choix et l’innovation, et faire augmenter le prix que les consommateurs canadiens ont payé, paient ou paieront pour des appareils mobiles ou sans fil.

[9]               En gros, le commissaire demande des renseignements portant entre autres sur les points suivants :

A.    les marchés au Canada dans lesquels Apple, Apple Canada et les défenderesses exercent des activités;

B.     l’établissement du prix des appareils mobiles (particulièrement une catégorie d’appareils mobiles appelés des téléphones intelligents) et des forfaits de services sans fil au Canada;

C.     les effets réels ou vraisemblables des activités d’Apple et d’Apple Canada sur la concurrence au Canada.

[10]           Toujours de façon générale, il semble que les catégories de renseignements énoncées ci‑dessus soient pertinentes pour l’enquête du commissaire.

[11]           Contrairement à plusieurs demandes présentées en application de l’article 11 – où le commissaire demande à la Cour d’ordonner, selon l’alinéa 11(1)b), la production de certains documents précis, ou de préparer et de donner, selon l’alinéa 11(1)c), une déclaration écrite – les projets d’ordonnance soumis en l’espèce visent uniquement le dernier type de renseignements.

II.                La période pertinente

[12]           Lorsque j’ai examiné pour la première fois les projets d’ordonnance soumis par le commissaire dans le cadre des présentes instances, je me suis inquiété de la longueur de la période pertinente établie dans certains d’entre eux. Par exemple, le paragraphe c) du projet d’ordonnance visant Telus Corporation (Telus) exigeait de cette dernière qu’elle produise des déclarations écrites couvrant la période du 1er janvier 2008 jusqu’à la date à laquelle l’ordonnance a été rendue, sauf indication contraire. Il s’agit d’une très longue période, beaucoup plus longue que la période pertinente de la plupart des ordonnances rendues en vertu de l’article 11. Je m’inquiétais de la possibilité qu’une telle période pertinente ait pour effet de rendre l’ordonnance excessive, disproportionnée ou inutilement onéreuse pour certaines grandes sociétés défenderesses.

[13]           Dans ses affidavits, Mme Kack déclare que l’enquête préliminaire du commissaire permet de croire que les obligations contractuelles, ou des variantes de ces obligations ou d’une partie de celles‑ci, font partie des ententes aux termes desquelles les défenderesses revendent des appareils iPhone aux consommateurs depuis environ le 14 mars 2008, alors que Rogers Communications Inc. ou ses filiales (collectivement Rogers) ont commencé à vendre des appareils iPhone aux consommateurs canadiens. Mme Kack ajoute que Rogers a perdu le droit exclusif de vendre des appareils iPhone à l’été 2009, lorsque certaines défenderesses ou leurs filiales ont commencé à revendre ces appareils.

[14]           Compte tenu de ce qui précède, Mme Kack déclare que le commissaire a demandé à Rogers et à ces défenderesses de fournir des renseignements couvrant la période du 1er janvier 2008 jusqu’à la date à laquelle l’ordonnance a été rendue afin qu’il puisse [traduction] « analyser l’incidence des activités de Rogers consistant à revendre des appareils iPhone, notamment en ce qui concerne le passage des consommateurs d’un fournisseur à un autre et le début de la pénétration d’Apple sur le marché canadien ».

[15]           À mon avis, le commissaire ne présente généralement pas une demande excessive, disproportionnée ou inutilement onéreuse lorsqu’il demande des renseignements sur les activités visées par une enquête, et ce, relativement à toute la période où les activités en question auraient eu lieu. Cela dit, la Cour agira avec vigilance pour que les renseignements demandés par le commissaire soient pertinents et que leur communication ne soit pas excessive, disproportionnée ou inutilement onéreuse. J’analyserai cette question en détail ci‑dessous.

[16]           En ce qui concerne les renseignements se rapportant aux périodes antérieure et postérieure à la période qui est l’objet de l’enquête, la Cour a formulé l’observation suivante dans la décision Canada (Commissaire de la concurrence) c Indigo Books & Music Inc, 2015 CF 526, au paragraphe 39 :

[...] il est compréhensible que le commissaire puisse exiger des renseignements se rapportant à une période raisonnable antérieure et postérieure à la période qui est l’objet de l’enquête. De tels renseignements permettront souvent au commissaire d’évaluer l’environnement commercial dans lequel les activités qui sont l’objet de l’enquête ont pu se dérouler, et éventuellement la mesure dans laquelle la concurrence a été, ou pouvait vraisemblablement, être empêchée ou diminuée sensiblement, par rapport à la situation qui aurait prévalu sans de telles activités (décision Pearson, précitée, aux paragraphes 77 à 79).

[17]           Compte tenu de ce qui précède et de la nature de l’enquête du commissaire, je suis toujours convaincu que la période pertinente établie dans les différents projets d’ordonnance soumis par le commissaire dans les présentes instances n’aurait pas pour effet de rendre l’une ou l’autre de ces ordonnances excessive, disproportionnée ou inutilement onéreuse. À mon avis, il est tout à fait raisonnable que le commissaire souhaite évaluer les renseignements requis par les ordonnances que j’ai prononcées, et que la période visée commence quelques mois avant le début de la vente des appareils iPhone au Canada et se poursuive jusqu’à aujourd’hui. Il est entendu que je suis convaincu que les renseignements visés par chacune des ordonnances rendues dans les présentes instances sont tous pertinents.

III.             L’incapacité alléguée à respecter certaines exigences

[18]           Conformément à l’obligation de divulgation complète et franche du commissaire, les affidavits de Mme Kack abordent les différentes préoccupations soulevées par les défenderesses au cours de ce qui est maintenant connu comme la [traduction« discussion préalable à l’ordonnance rendue » intervenue entre elles et le commissaire. Plusieurs défenderesses craignaient entre autres de ne pas être en mesure de respecter certaines des demandes formulées dans les projets d’ordonnance.

[19]           Le commissaire a répondu à cette préoccupation dans une certaine mesure; il a retiré ou modifié certaines demandes figurant dans une version antérieure des projets d’ordonnance.

[20]           Néanmoins, un certain nombre de défenderesses craignaient toujours de ne pas pouvoir respecter certaines des demandes formulées dans la version définitive des ordonnances.

[21]           Lorsqu’une défenderesse a des motifs de croire qu’elle [traduction« n’a pas les renseignements exigés dans une ordonnance, parce que ces renseignements n’ont jamais existé ou n’existent plus », le paragraphe 3 de la plupart des ordonnances que rend la Cour en application de l’article 11 de la Loi (le modèle d’ordonnance) prévoit un mécanisme qui permet de remédier à la situation. Ce paragraphe, qui est inclus dans chacune des ordonnances rendues dans les présentes instances, permet à la défenderesse qui a reçu une demande du commissaire de [traduction« préparer et donner une autre déclaration écrite expliquant les raisons pour lesquelles les renseignements ou les éléments [exigés dans l’ordonnance] n’ont jamais existé ou n’existent plus ». Ce mécanisme devrait répondre entièrement aux préoccupations des défenderesses concernant leur incapacité à fournir des renseignements au motif que ceux‑ci n’ont jamais existé ou n’existent plus.

[22]           Si une défenderesse craint de ne pas pouvoir fournir certains renseignements non pas pour ce motif, mais plutôt pour le motif que la communication des renseignements peut s’avérer disproportionnée, inutilement onéreuse ou démesurément coûteuse, le paragraphe 3 du modèle d’ordonnance ne peut pas l’aider. Dans cette situation, une autre solution s’impose.

[23]           La Cour encourage le commissaire à discuter des préoccupations de cette nature avec les défenderesses et à modifier la portée des projets d’ordonnance afin qu’ils ne soient pas excessifs, disproportionnés ou inutilement onéreux (Pearson, précitée, aux paragraphes 42 à 46 et 98).

[24]           Toutefois, lorsque les discussions avec le commissaire ne permettent pas de répondre aux préoccupations d’une défenderesse, la Cour encourage cette dernière à informer le commissaire de ces préoccupations afin que celui‑ci les porte à l’attention de la Cour conformément à son obligation de divulgation complète et franche (Pearson, précitée, aux paragraphes 44 à 46, 94 et 95).

[25]           Dans les présentes instances, les préoccupations de certaines défenderesses ont été portées à mon attention. Par exemple, Bell Mobilité Inc. (Bell Mobilité) s’inquiétait de ce que [traduction« pour interpréter les données brutes limitées (à la disposition de Bell Mobilité) et extrapoler à partir de celles‑ci de la façon exigée, Bell Mobilité devrait consacrer des ressources considérables, alors que l’exactitude et l’exhaustivité des renseignements ainsi obtenus seraient limitées, sans compter que les renseignements seraient très subjectifs compte tenu de l’ampleur des travaux d’interprétation que devrait effectuer Bell Mobilité ».

[26]           Pour remédier à ce problème, Bell Mobilité a proposé d’insérer dans plusieurs demandes du projet d’ordonnance la mention [traduction« dans la mesure où ces renseignements sont raisonnablement accessibles ». Toutefois, le commissaire n’était pas prêt à accepter cette proposition, que j’estimais raisonnable.

[27]           Devant la compréhension dont j’ai fait preuve à l’égard des préoccupations soulevées par Bell Mobilité et d’autres défenderesses, le commissaire a plutôt proposé d’inclure la clause suivante dans les projets d’ordonnance :

[traduction]
Le commissaire peut renoncer à l’obligation pour la défenderesse de se conformer pleinement à une demande de la présente ordonnance en ce qui concerne la communication de déclarations écrites, s’il est convaincu que la défenderesse a pris toutes les mesures raisonnables pour transmettre les renseignements demandés et qu’elle fournit une déclaration écrite établissant un fondement factuel suffisant permettant au commissaire de conclure que la production de tout autre renseignement serait excessive, disproportionnée ou inutilement onéreuse.

[28]           Je n’étais pas satisfait de la solution proposée par le commissaire, en partie parce que le commissaire aurait conservé le pouvoir discrétionnaire d’exiger que les renseignements soient communiqués. Cela me préoccupait, notamment à cause du point de vue du commissaire sur ce qui constitue une demande de renseignements excessive, disproportionnée ou inutilement onéreuse. Je traiterai de cette question plus loin. Je craignais également qu’il soit impossible d’appliquer la clause proposée par le commissaire, du moins dans certains cas.

[29]           Par conséquent, j’ai laissé savoir que je n’étais pas prêt à inclure dans les ordonnances la clause proposée par le commissaire. J’ai plutôt dit que je serais disposé à rendre les ordonnances demandées si elles comprenaient la clause suivante :

[traduction]
4. LA COUR ORDONNE EN OUTRE que la défenderesse ne soit pas tenue de communiquer les renseignements décrits à l’annexe I de la présente ordonnance si elle atteste qu’elle a pris toutes les mesures raisonnables pour communiquer les renseignements demandés et que les autres mesures qu’elle devrait prendre pour communiquer lesdits renseignements seraient excessives, disproportionnées ou inutilement onéreuses. Cette attestation doit être accompagnée d’une déclaration permettant au commissaire d’évaluer la position de la défenderesse et de contester, à sa discrétion, cette position devant la Cour.

[30]           Le commissaire a accepté d’inclure cette clause, qui figure dans chacune des ordonnances rendues dans les présentes instances.

[31]           Cette clause visait à répondre aux circonstances très précises de l’espèce. Dans les demandes que le commissaire a présentées par la suite en application de l’article 11 de la Loi, la Cour n’a pas cherché, en l’absence de circonstances semblables, à ajouter cette clause aux ordonnances finalement rendues dans ces instances.

IV.             Le délai de réponse

[32]           Aux termes des projets d’ordonnance initialement envoyés aux défenderesses, celles‑ci devaient faire les déclarations écrites dans les 30 jours suivant la signification de l’ordonnance. Plusieurs défenderesses se sont dites préoccupées par le fait que ce délai était trop court, en grande partie en raison de la portée considérable des demandes contenues dans les projets d’ordonnance. Certaines défenderesses ont également laissé savoir qu’elles craignaient d’avoir de la difficulté à faire les déclarations écrites dans un délai de 30 jours, car une partie ou l’ensemble des personnes les mieux placées pour réunir les renseignements seraient en vacances estivales.

[33]           En réponse à ces préoccupations, le commissaire a accepté de prolonger le délai de réponse à 75 jours pour certaines des grandes sociétés défenderesses.

[34]           Toutefois, certaines défenderesses ont persisté à dire qu’il leur faudrait au moins 90 jours pour communiquer les renseignements demandés dans les ordonnances.

[35]           Au cours de l’audition de ces demandes, je me suis montré compréhensif à l’égard de la position des défenderesses sur cette question pour les motifs suivants : (i) les défenderesses devraient réunir une quantité substantielle de renseignements; (ii) le personnel chargé de réunir ces renseignements serait en vacances pendant la période visée par l’ordonnance; (iii) le commissaire a ouvert son enquête environ 15 mois avant le dépôt des demandes dans les présentes instances.

[36]           En réponse, l’avocat du commissaire a dit que le commissaire avait sans doute de bonnes raisons, liées au fonctionnement interne de l’enquête, d’hésiter à expliquer pourquoi il insistait pour fixer un délai de réponse au projet d’ordonnance plus court que celui demandé par les défenderesses. L’avocat a ajouté que l’équipe chargée des présentes affaires [traduction« s’en est remise à son jugement lorsqu’elle a décidé de ne pas le faire ».

[37]           L’avocat a ensuite fait valoir que, pour décider de la période de production à imposer, il convient [traduction« de se demander si cette période est appropriée ou non ».

[38]           Je suis d’accord. Selon l’expérience que j’ai acquise lorsque j’étais membre du barreau et que je répondais aux ordonnances fondées sur l’article 11 de la Loi, l’imposition d’un délai de réponse de 90 jours semble tout à fait appropriée et raisonnable en l’espèce compte tenu de la nature et de la portée des renseignements demandés.

[39]           L’avocat a également mentionné que le commissaire ne peut pas vraiment apprécier les arguments des défenderesses sur le temps nécessaire pour recueillir et communiquer les renseignements demandés dans les projets d’ordonnance.

[40]           Je ne suis pas d’accord. Il s’agit d’une des fonctions que la Cour devrait remplir. Pour déterminer si elle doit exercer son pouvoir discrétionnaire de rendre une ordonnance fondée sur l’article 11, la Cour doit entre autres se demander si le délai dans lequel les renseignements énumérés dans l’ordonnance doivent être produits au commissaire est raisonnable. Pour ce faire, la Cour doit examiner toutes les circonstances pertinentes, y compris la nature et la portée des renseignements demandés, et vérifier si une période de vacances coïncide avec le délai accordé pour la production des renseignements.

[41]           Cela dit, la Cour reconnaît qu’il est souhaitable d’assurer une plus grande certitude et prévisibilité en ce qui concerne les délais de production fixés dans les ordonnances fondées sur l’article 11. Dans une récente affaire, j’ai invité l’avocat du commissaire à formuler ultérieurement des observations à ce sujet.

[42]           D’ici là, de façon générale et uniquement à titre indicatif, je suis prêt à dire qu’un délai de 30 jours serait généralement approprié pour les ordonnances parmi les moins exigeantes en ce qui a trait à la nature et à la portée des renseignements demandés, ainsi qu’à la difficulté à réunir les renseignements. En m’exprimant ainsi, je présume que la période de production ne coïncide pas avec une période de vacances et qu’il n’existe pas d’autres circonstances atténuantes.

[43]           Sous réserve des mêmes conditions, des délais de 60 et de 90 jours seraient généralement appropriés pour les ordonnances plutôt exigeantes et très exigeantes, là encore en ce qui a trait à la nature et à la portée des renseignements demandés ainsi qu’à la difficulté à réunir les renseignements. Toutefois, les ordonnances peuvent prévoir un échéancier de production continu exigeant de répondre plus rapidement à certaines demandes qu’à d’autres. 

[44]           Bien entendu, dans certains cas où les demandes de renseignements sont beaucoup plus étendues, il peut être approprié de fixer un délai plus long.

[45]           Pour évaluer si un projet d’ordonnance appartient aux catégories décrites ci‑dessus, le commissaire et son avocat devraient tenir compte des autres ordonnances rendues par la Cour au cours des dernières années.

V.                Ce qui constitue un fardeau excessif, disproportionné ou inutilement onéreux

[46]           Au cours de l’audition de ces demandes, l’avocat du commissaire a fait valoir qu’un fardeau est disproportionné lorsqu’il est [traduction« indu ». Il a ensuite fait valoir qu’un fardeau est [traduction« indu » lorsqu’il dépasse [traduction« le fardeau particulier imposé à » une défenderesse dans le cadre d’une demande fondée sur l’article 11 et est imposé [traduction« au détriment du public en général ». Autrement dit, l’avocat a fait valoir qu’en se demandant si le fardeau associé à un projet d’ordonnance est susceptible d’être [traduction« indu », la Cour doit non seulement tenir compte de la défenderesse, mais aussi de l’intérêt public général.

[47]           Le terme « indûment », qui fait partie du critère établi pour apprécier la nature et la portée des renseignements demandés dans les projets d’ordonnance soumis en vertu de l’article 11, semble provenir du paragraphe 46 de la décision Pearson, précitée, dans laquelle j’ai dit que la Cour doit être convaincue que les renseignements demandés par le commissaire « ne sont pas excessifs, disproportionnés ou indûment onéreux ». Au paragraphe 48 de cette décision, j’ai également cité la décision SGL Canada Inc. c Canada (Directeur des enquêtes et recherches), [1998] ACF no 1951, au paragraphe 11 (1re inst), où la Cour a formulé l’observation suivante : « Les tribunaux judiciaires doivent, dans l’exercice de [leur] ce (sic) pouvoir discrétionnaire, toujours demeurer conscients du danger qu’il y a de surcharger et de compliquer indûment le processus d’enquête sur l’application de la loi. » Ce sont les deux seules fois où le terme « indûment » est employé dans la décision Pearson, précitée. Aux paragraphes 4, 42, 59, 68 et 98 de cette décision, j’ai formulé le critère en précisant qu’il faut déterminer si les renseignements demandés par le commissaire sont « excessifs, disproportionnés ou inutilement onéreux » (non souligné dans l’original).

[48]           Je reconnais que j’ai également employé l’expression « indûment onéreux » en énonçant le même critère au paragraphe 38 de la décision Indigo, précitée. Cependant, aux paragraphes 24 et 57 de cette décision, j’ai plutôt utilisé l’expression « inutilement astreignante ».

[49]           À l’avenir, je tenterai d’éviter le terme « indûment » pour énoncer le critère et j’utiliserai plutôt l’expression « excessif, disproportionné ou inutilement onéreux ». Entre autres, j’espère que cela permettra d’éviter ce qui s’est produit en l’espèce, alors que l’avocat du commissaire a cherché à interpréter le terme « indu » en faisant référence à des décisions antérieures qui ne sont pas particulièrement utiles, comme celles fondées sur les anciennes dispositions relatives au complot qui figuraient à l’article 45 de la Loi et des lois qui l’ont précédée, et sur certaines dispositions de la Loi relative aux enquêtes sur les coalitions, LRC, 1970, c C‑23, qui exigeaient la preuve qu’une fusion, un monopole ou un complot opère « au détriment ou à l’encontre de l’intérêt du public ».

[50]           Quoi qu’il en soit, je rejette catégoriquement la prétention du commissaire voulant que, lorsqu’elle examine si la nature et la portée des renseignements demandés dans un projet d’ordonnance sont disproportionnées ou indûment onéreuses, la Cour doive non seulement tenir compte du fardeau que l’ordonnance est susceptible d’imposer à la défenderesse, mais aussi de la question de savoir si cette ordonnance opère au détriment du public en général. À mon avis, pour déterminer si la communication des renseignements demandés est susceptible d’être excessive, disproportionnée ou inutilement onéreuse, il convient d’établir un équilibre entre : (i) ce dont le commissaire a raisonnablement besoin pour mener l’enquête en question; (ii) le fardeau que l’ordonnance est susceptible d’imposer aux défenderesses. Dans certains cas, le deuxième facteur aidera la Cour à évaluer le premier, à savoir si le commissaire peut raisonnablement exiger certains renseignements, ou certains renseignements dans une forme particulière, peu importe leur pertinence. Lorsqu’elle procède à cet exercice, la Cour doit se demander si la défenderesse est visée par l’enquête du commissaire ou si elle est simplement un tiers indépendant, car ce détail peut avoir une incidence sur la décision de la Cour quant à la question de savoir si la communication des renseignements demandés est excessive, disproportionnée ou inutilement onéreuse.

[51]           Il convient de souligner que, lorsqu’une entité légale comme le commissaire, qui fait partie de l’appareil de l’État, cherche à obtenir une ordonnance intrusive pouvant entraîner un coût important ou un autre fardeau pour les personnes ou entreprises désignées comme défenderesses dans une instance fondée sur l’article 11, la Cour soupèsera attentivement les besoins légitimes de cette entité et les préoccupations de bonne foi des défenderesses quant à la possibilité que l’objet de la demande soit excessif, disproportionné ou inutilement onéreux.

[52]           L’avocat du commissaire a fait valoir à plusieurs reprises que les renseignements demandés ne pouvaient pas être de nature disproportionnée, car ils étaient pertinents et touchaient au « cœur » de l’enquête du commissaire.

[53]           Je ne suis pas d’accord. Malgré la pertinence d’un certain type de renseignements, la portée des renseignements demandés peut être disproportionnée, excessive ou inutilement onéreuse. Par exemple, dans les présentes instances, les ordonnances exigeaient la description de la nature et de la valeur de toutes les promotions relatives à tous les téléphones intelligents, de tous les rabais mensuels se rapportant à tous les types de téléphones intelligents, de l’ensemble des stimulants à la vente et des remises de promotion financés par n’importe quel fabricant d’équipement d’origine (FEO) qui ont été versés aux défenderesses au cours de la période pertinente.

[54]           Ce type de renseignements est incontestablement pertinent pour l’enquête du commissaire. Si ces renseignements sont facilement accessibles, ils devraient être communiqués au commissaire. Toutefois, si les mesures à prendre pour fournir tous ou presque tous les renseignements sont excessives, disproportionnées ou inutilement onéreuses, les défenderesses ne devraient pas être tenues de fournir tous les renseignements demandés. Elles ne devraient fournir que les renseignements demandés par le commissaire que la Cour juge raisonnables et qui peuvent être recueillis par la prise de mesures raisonnables. Si les parties ne s’entendent pas sur ce qui constitue des « mesures raisonnables » ou sur ce qui serait « excessif, disproportionné ou inutilement onéreux », elles peuvent s’adresser à la Cour. C’est pour cette raison que j’ai insisté pour ajouter le paragraphe 4 aux ordonnances rendues dans les présentes instances.

[55]           À mon avis, pour déterminer si un type particulier d’activité susceptible d’examen a empêché ou diminué sensiblement la concurrence ou risque de le faire, il n’est peut-être pas nécessaire que le commissaire dispose d’éléments de preuve sur chaque promotion, rabais, ou stimulant à la vente et remise de promotion financés par un FEO au cours de la période visée par l’enquête. Cela est d’autant plus vrai lorsque la période couvre de nombreuses années, comme dans le cas présent. Il en va de même lorsque la défenderesse n’a pas raisonnablement accès à tous les renseignements demandés et que la collecte de ces renseignements entraînerait un fardeau considérable.

[56]           Dans ces circonstances, je ne vois pas à première vue pourquoi une quantité fiable et représentative de renseignements de cette nature ne serait pas suffisante pour permettre au commissaire de prouver qu’un certain type d’activité susceptible d’examen a eu ou risque d’avoir l’effet anticoncurrentiel décrit dans la Loi. À mon avis, il serait approprié d’établir un équilibre entre, d’une part, la tâche qui incombe au commissaire de mener des enquêtes et d’intenter des procédures d’exécution dans les cas d’activités anticoncurrentielles, et d’autre part, le recours par le commissaire à des pouvoirs intrusifs lui permettant d’obtenir les renseignements nécessaires pour déterminer si de telles procédures sont justifiées.

VI.             Les lignes directrices pour la production de RSE

[57]           Selon le paragraphe 2d) des ordonnances rendues dans les présentes instances, les défenderesses doivent produire toutes les déclarations écrites conformément aux lignes directrices pour la production de RSE du Bureau de la concurrence, qui se trouvent à l’annexe II des ordonnances.

[58]           Selon le paragraphe 2h) de ces ordonnances, un représentant dûment autorisé des défenderesses est tenu, avant la production des déclarations écrites exigées par les ordonnances, de communiquer avec Mme Kack pour lui donner des détails sur la façon dont les défenderesses respecteront les lignes directrices pour la production de RSE. Aux termes du même paragraphe, les défenderesses doivent prendre des mesures raisonnables pour respecter toute autre exigence technique que peut imposer le commissaire en ce qui a trait à la production de déclarations écrites conformément aux lignes directrices pour la production de RSE.

[59]           Il semble que ce soit la première fois que des dispositions se rapportant aux lignes directrices pour la production de RSE étaient incluses dans un projet d’ordonnance soumis par le commissaire. Ces dispositions ont depuis été intégrées dans plusieurs ordonnances que la Cour a rendues par la suite à la demande du commissaire.

[60]           Au cours de l’audition des présentes demandes, et en réponse à une question que j’ai posée, l’avocat du commissaire a affirmé qu’aucune défenderesse n’avait soulevé de question concernant les lignes directrices pour la production de RSE. Une observation semblable a été formulée au cours de l’audition de deux autres demandes présentées par la suite par le commissaire en vertu de l’article 11 de la Loi. 

[61]           L’avocat a également affirmé que les lignes directrices pour la production de RSE avaient fait l’objet d’une consultation publique entre août et octobre 2014, et que la Section sur le droit de la concurrence de l’Association du Barreau canadien (ABC) avait donné son avis dans le cadre de cette consultation. L’avocat a invité la Cour à conclure que les lignes directrices pour la production de RSE n’étaient pas controversées, étant donné que [traduction« peu de commentaires ont été reçus à la suite de la consultation auprès de l’ABC ».

[62]           En l’absence de preuve quant au fait qu’une défenderesse ayant reçu un projet d’ordonnance comprenant les dispositions décrites ci‑dessus a soulevé des questions se rapportant aux lignes directrices pour la production de RSE, la Cour n’a pas soulevé elle‑même de question à ce sujet.

VII.          Conclusion

[63]           L’objectif des présents motifs consistait à examiner les cinq points soulevés ci‑dessus afin que le public soit au fait de l’évolution de la façon dont la Cour traite les demandes présentées par le commissaire en application de l’article 11 de la Loi.

[64]           Soucieuse d’accroître la transparence, la certitude et la prévisibilité dans ce domaine du droit, la Cour continuera de motiver, au besoin, les ordonnances rendues en vertu de l’article 11.

« Paul S. Crampton »

Juge en chef

Ottawa (Ontario)

Le 20 août 2015

Traduction certifiée conforme

Édith Malo, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


 

DoSSIERs :

T-929-15, T-931-15, T-933-15, T-934-15, T-935-15, T-936-15, T-937-15 ET T-938-15

 

DOSSIER :

T-929-15

 

INTITULÉ :

COMMISSAIRE DE LA CONCURRENCE c SASKATCHEWAN TELECOMMUNICATIONS

 

ET DOSSIER :

T-931-15

 

INTITULÉ :

COMMISSAIRE DE LA CONCURRENCE c TBAYTEL

 

ET DOSSIER :

T-933-15

 

INTITULÉ :

COMMISSAIRE DE LA CONCURRENCE c ROGERS COMMUNICATIONS INC.

 

ET DOSSIER :

T-934-15

 

INTITULÉ :

COMMISSAIRE DE LA CONCURRENCE c VIDÉOTRON LTÉE

 

ET DOSSIER :

T-935-15

 

INTITULÉ :

COMMISSAIRE DE LA CONCURRENCE c BRAGG COMMUNICATIONS INC.

 

ET DOSSIER :

T-936-15

 

INTITULÉ :

COMMISSAIRE DE LA CONCURRENCE c TELUS CORPORATION

 

ET DOSSIER :

T-937-15

 

INTITULÉ :

COMMISSAIRE DE LA CONCURRENCE c MTS INC.

 

ET DOSSIER :

T-938-15

 

INTITULÉ :

COMMISSAIRE DE LA CONCURRENCE c BELL MOBILITÉ INC.

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 10 JUIN 2015

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE :

LE JUGE EN CHEF CRAMPTON

 

DATE DES MOTIFS :

LE 20 AOÛT 2015

 

COMPARUTIONS :

Derek Leschinsky

Ministère de la Justice

Services juridiques du Bureau de la concurrence

50, rue Victoria, Gatineau (Québec)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Aucune comparution

POUR LES DÉFENDERESSES

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Aucun avocat inscrit au dossier

 

POUR LES DÉFENDERESSES

 

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