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Date : 20150827


Dossier : IMM-386-15

Référence : 2015 CF 1017

Montréal (Québec), le 27 août 2015

En présence de monsieur le juge Shore

ENTRE :

DELCINA SYLVIA HARRY

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   Au préalable

[18]      [L]a Commission s'est fondée sur des éléments de preuve importants pour conclure que la demanderesse pouvait obtenir la protection de l'État. Compte tenu du fait que la Commission est présumée avoir examiné la totalité des éléments de preuve dont elle a été saisie (Florea c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1993] A.C.F. no 598 (C.A.) (QL)) et qu'elle n'est aucunement tenue de mentionner chaque élément de preuve (Kumar c. Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration, 2009 CF 643), il ne serait pas approprié pour la Cour de substituer sa propre appréciation des faits à celle de la Commission.

[15]      [L]a Commission avait certainement le droit d'examiner le temps que la demanderesse a laissé écouler avant de faire sa demande d'asile pour évaluer sa crainte subjective de persécution. Toutefois, le délai n'est pas habituellement un facteur déterminant pour se prononcer sur une demande d'asile (Espinosa c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2003 CF 1324). C'est précisément ce que la Commission a conclu en l'espèce. Bien qu'elle ait exprimé ses doutes quant à la crainte subjective de persécution de la demanderesse en raison de son comportement, la Commission a conclu en fin de compte que le délai n'était pas déterminant et que le récit de la demanderesse était vraisemblable. La décision de la Commission sur ce point n'a rien de déraisonnable.

(Comme exprimé par le juge Yvon Pinard dans D.D.N. c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2010 CF 1167 aux para 18 et 15)

II.                Introduction

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire en vertu de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [LIPR] à l’encontre d’une décision par laquelle la Section de la protection des réfugiés [SPR] rejette la demande d’asile de la demanderesse en concluant que la demanderesse n’est ni une réfugiée au sens de la Convention, ni une personne à protéger, au sens des articles 96 et 97 de la LIPR.

III.             Faits

[2]               La demanderesse est une citoyenne de Saint-Vincent-et-les-Grenadines [Saint-Vincent] âgée de 55 ans.

[3]               La demanderesse a rencontré son mari à l’âge d’environ 17 ans, elle a par la suite emménagé avec lui à Trinidad. Ils se sont mariés en novembre 1981 et ont eu trois enfants.

[4]               L’époux de la demanderesse a constamment été agressif et violent envers celle-ci. La demanderesse voulait le quitter, mais n’y arrivait pas, en raison des menaces qu’il proférait à son endroit.

[5]               Un jour, les policiers ont visité l’époux de la demanderesse et l’ont averti de ne plus frapper la demanderesse. Or, le mari de la demanderesse a continué de la frapper, ce qui a incité la fille de la demanderesse à porter plainte à la police. Bien que cette plainte n’ait donné aucun résultat, le mari de la demanderesse a forcé sa fille à quitter la maison pour avoir osé porter plainte à la police.

[6]               La demanderesse a réussi à déménager à Saint-Vincent pour fuir son mari, mais après quelques années, ce dernier l’a convaincue de revenir habiter avec lui. La demanderesse a recommencé à être victime de violence aux mains de son mari.

[7]               La demanderesse a alors fui aux États-Unis en 2003. La mère de la demanderesse, qui y habitait, a décidé de parrainer la demanderesse aux États-Unis.

[8]               En 2005, l’époux de la demanderesse l’a divorcée, en son absence.

[9]               En 2008, la demanderesse est retournée à Saint-Vincent pour être avec sa fille, qui était atteinte du cancer. Le mari de la demanderesse a entendu dire que cette dernière était de retour et a tenté de la visiter à plusieurs reprises, de façon agressive.

[10]           À son retour aux États-Unis, alors que la demande de parrainage était en cours, la mère de la demanderesse est décédée. La demanderesse a donc décidé de venir au Canada le 29 novembre 2011 pour y demander l’asile.

[11]           Le 23 décembre 2014, la SPR a rejeté la demande d’asile de la demanderesse.

IV.             Décision contestée

[12]           La SPR conclut que bien que la demanderesse ait démontré avoir été victime de violence conjugale, elle n’a pas réfuté la présomption de l’existence de la protection étatique à Saint-Vincent.

[13]           Or, la SPR détermine que la demanderesse est crédible et attribue certains de ses oublis ou imprécisions à son statut vulnérable.

[14]           Dans son analyse quant à la protection étatique, la SPR observe que Saint-Vincent est une démocratie parlementaire pluripartite. Ainsi, la demanderesse devait présenter de la preuve claire et convaincante afin de réfuter la présomption de la protection étatique.

[15]           Dans ses motifs, la SPR identifie la violence conjugale comme étant problématique à Saint-Vincent et reconnait que bien que les auteurs de ce type de violence puissent être visés par des poursuites pénales, la violence conjugale n’est pas, en elle-même, criminalisée par la législation.

[16]           Or, la SPR observe que selon la preuve documentaire, les autorités de Saint-Vincent ont entrepris des démarches de sensibilisation concernant la violence conjugale au niveau des forces policières et de la population générale. Entre autres, une unité spéciale de la police, ainsi qu’un centre de crise et des programmes d’aide et de prévention ont été mis sur pied pour contrer la violence conjugale. La SPR reconnait la preuve qui suggère que la protection des victimes de violence conjugale à Saint-Vincent est inadéquate. Or, la SPR conclut qu’une telle preuve ne constitue pas une preuve « claire et convaincante » pouvant réfuter la présomption de la protection étatique.

[17]           De plus, la SPR observe que la demanderesse n’a pas fait d’effort afin de chercher la protection des autorités. La SPR considère le témoignage de la demanderesse à l’effet qu’elle manque d’éducation et était jeune et naïve, n’était pas au courant des recours disponibles et ne voulait pas quitter son mari.

[18]           Or, la SPR considère que ces explications ne sont pas acceptables une fois que la demanderesse a été informée par la police que des accusations pourraient être portées à l’encontre de son mari. Selon la SPR, à ce moment-là, la demanderesse a pris conscience de la disponibilité de la protection étatique, mais a décidé de ne pas se prévaloir de cette opportunité.

V.                Dispositions législatives

[19]           Les dispositions suivantes sont pertinentes à la demande de protection de la demanderesse :

Définition de « réfugié »

Convention refugee

96. A qualité de réfugié au sens de la Convention — le réfugié — la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

96. A Convention refugee is a person who, by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or

b) soit, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.

(b) not having a country of nationality, is outside the country of their former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, unwilling to return to that country.

Personne à protéger

Person in need of protection

97. (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

97. (1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au sens de l’article premier de la Convention contre la torture;

(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning of Article 1 of the Convention Against Torture; or

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :

(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

      (i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

      (i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,

      (ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas,

      (ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,

      (iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes — sauf celles infligées au mépris des normes internationales — et inhérents à celles-ci ou occasionnés par elles,

      (iii) the risk is not inherent or incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards, and

      (iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.

      (iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care.

(2) A également qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et fait partie d’une catégorie de personnes auxquelles est reconnu par règlement le besoin de protection.

(2) A person in Canada who is a member of a class of persons prescribed by the regulations as being in need of protection is also a person in need of protection.

Exclusion par application de la Convention sur les réfugiés

Exclusion – Refugee Convention

98. La personne visée aux sections E ou F de l’article premier de la Convention sur les réfugiés ne peut avoir la qualité de réfugié ni de personne à protéger.

98. A person referred to in section E or F of Article 1 of the Refugee Convention is not a Convention refugee or a person in need of protection.

VI.             Analyse

[20]           La Cour trouve que la décision de la SPR est raisonnable selon la preuve et le témoignage au dossier.

[21]           Il est raisonnable pour la SPR d’arriver à la conclusion que, suite aux conseils du personnel médical et de la police, la demanderesse devait porter plainte à la police contre son mari. La naïveté alléguée de la demanderesse ne se tient plus suite aux démarches suggérées par ces entités étatiques (voir : Navarro c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2008] ACF 463).

[22]           La SPR démontre par une analyse claire de l’ensemble de la preuve subjective et objective la possibilité d’obtention d’une protection étatique pour la demanderesse.

[23]           De plus, la SPR a considéré, selon les réponses données par la demanderesse, le comportement violent de son conjoint selon l’angle du syndrome de la femme battue. Pour ceci, la CISR a appliqué les Directives 4 et 8 à l’égard des personnes vulnérables qui comparaissent devant la CISR et à l’égard des revendicatrices du statut de réfugié craignant d’être persécutées en raison de leur sexe. Néanmoins, le résultat de la CISR est raisonnable, compte tenu que le récit de la demanderesse spécifie une période assez longue en dehors de son pays avant qu’elle ne réclame le statut de réfugié et essaie plutôt en premier lieu de se faire parrainer par sa mère aux États-Unis. La seule raison pour laquelle la demanderesse n’a pas été parrainée, selon cette dernière, est à cause du fait que sa mère soit décédée avant d’achever le nécessaire pour effectuer le parrainage.

VII.          Conclusion

[24]           Suite à l’analyse de la Cour, la requête en contrôle judiciaire est rejetée.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire soit rejetée. Il n’y a aucune question d’importance à certifier.

« Michel M.J. Shore »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-386-15

INTITULÉ :

DELCINA SYLVIA HARRY c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (Québec)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 26 août 2015

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE SHORE

DATE DES MOTIFS :

LE 27 août 2015

COMPARUTIONS :

Camille Clamens

Pour la demanderesse

Charles Junior Jean

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Camille Clamens

Montréal (Québec)

Pour la demanderesse

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

Pour le défendeur

 

 

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