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Date : 20150612


Dossiers : IMM-4845-14

IMM-4614-14

Référence : 2015 CF 740

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 12 juin 2015

En présence de madame la juge McVeigh

ENTRE :

ROBERT MOSCICKI

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION ET LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

défendeurs

MOTIFS DU JUGEMENT

[1]               Le demandeur a présenté une demande de contrôle judiciaire de la décision de la Section de l’immigration de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission) datée du 8 mai 2014, dans laquelle la Commission a prononcé une interdiction de territoire pour grande criminalité à l’égard du demandeur (IMM-4845-14), en vertu de l’alinéa 36(1)b) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la LIPR). Cette demande de contrôle judiciaire a été jumelée au dossier IMM-4614-14, dans lequel le demandeur a sollicité un jugement déclaratoire contre Citoyenneté et Immigration Canada (CIC) pour avoir omis de mener à terme la demande de statut de résident permanent (RP) qu’aurait présentée le demandeur en 1989 à titre d’enfant mineur non accompagné de son père. Les faits sont généralement les mêmes dans les deux dossiers.

[2]               Les deux demandes ont été rejetées sans dépens le 11 décembre 2014.

I.                   Contexte

[3]               Le demandeur est un citoyen de la Pologne. Il était âgé de 17 ans quand il est arrivé au Canada le 18 octobre 1989. Le demandeur a été parrainé à titre de fils à la charge de son père, qui était arrivé environ un an plus tôt. Le demandeur affirme que son père est devenu résident permanent le 24 mars 1989. Les deux cadets du demandeur ont toujours demeuré en Europe.

[4]               En mars 1992, le demandeur a été accusé et, le 28 septembre 1992, il a été reconnu coupable de « tentative de vol par effraction dans une résidence » dans le comté de Cook, en Illinois, aux États‑Unis. Le 22 janvier 1993, il a été condamné à une peine d’emprisonnement de cinq ans et a obtenu un crédit de 317 jours pour le temps purgé. Quand il a eu fini de purger sa peine aux États-Unis, le demandeur a été expulsé des États-Unis vers la Pologne, mais il est revenu au Canada le 9 août 2008 à l’Aéroport international Toronto Pearson. Quand il est arrivé au Canada, il a été admis sur la foi d’un passeport polonais avec un visa de résident temporaire (VRT) d’une durée de six mois.

[5]               En février 2010, le demandeur a demandé la citoyenneté canadienne, mais sa demande a été rejetée le 3 juin 2013. CIC a déclaré qu’il n’y avait aucune indication qu’il avait été admis légalement au Canada en vue d’y devenir résident permanent. Compte tenu de sa demande de citoyenneté, son cas a été porté à l’attention de l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC) et du Groupe de travail sur l’immigration. Le demandeur a fait l’objet d’une enquête et, le 12 février 2014, l’ASFC l’a soumis à la préparation d’un rapport sous le régime de l’article 44. Par conséquent, l’ASFC a délivré un mandat d’arrestation. Lorsque le demandeur a été mis en état d’arrestation en février 2014, l’ASFC a déterminé qu’il présentait un risque de fuite et l’a placé en détention. Lors de son enquête, la Commission a statué que la disposition de l’Illinois concernant la « tentative de vol par effraction dans une résidence » était équivalente à la disposition du Code criminel du Canada sur la « tentative d’introduction par effraction ». Dans son témoignage, le demandeur a affirmé que son rôle dans le crime avait consisté à attendre dans une voiture à l’extérieur d’une maison dans laquelle ses compagnons cherchaient à s’introduire. La Commission a statué qu’il était un ressortissant étranger interdit de territoire pour grande criminalité et elle a pris une mesure d’expulsion contre le demandeur.

[6]               Les notes du SSOBL indiquent que le dossier concernant la demande présentée par le demandeur en 1989 a été détruit en 2008 dans le cours normal des activités. Hormis les notes du SSOBL, CIC n’a aucun autre dossier sur le demandeur. Ces notes montrent que le demandeur a été parrainé par son père et qu’il a été accepté en principe en vue de l’obtention du statut de résident permanent pendant qu’il était au Canada avec l’autorisation de travailler. En 1991, les notes du SSOBL font mention que [traduction] « l’ADP est toujours en traitement ». Selon la documentation, aucune autre mention n’a été ajoutée avant février 2011, quand il a demandé de l’aide sociale, et à nouveau en septembre 2012, lorsqu’il a encore demandé de l’aide sociale.

[7]               Les notes du SSOBL indiquent que le demandeur était admissible à un examen des risques avant renvoi (ERAR) le 10 avril 2014, mais qu’il n’a pas présenté de demande.

[8]               Pour appuyer sa position selon laquelle il est un résident permanent, voici les arguments qu’il fait valoir :

  • son père est allé chercher sa carte de RP en 1991;
  • il n’a jamais reçu de lettre de refus de CIC;
  • on lui a donné un numéro d’assurance sociale (qui commence par le chiffre 5, ce qui dénote son statut de résident permanent);
  • il a une carte d’assurance-maladie de l’Ontario sur laquelle on a indiqué le statut de « résident permanent ».

II.                La décision de la Commission au sujet de l’équivalence

[9]               La Commission a rendu une décision de vive voix après l’enquête et a statué que le demandeur était interdit de territoire en vertu de l’alinéa 36(1)b) de la LIPR. La Commission a conclu que, même si le demandeur prétendait être un RP du Canada, il n’avait pas été en mesure de produire une preuve objective de son statut. Le ministre a déposé un courriel de l’ASFC à CIC dans lequel il est précisé qu’il n’existe aucun dossier de statut de RP ou de quelque statut légal que ce soit au Canada au nom du demandeur. De plus, le défendeur a fourni la lettre de refus de juin 2013 de CIC qui mentionne l’absence de statut du demandeur.

[10]           La Commission a fait remarquer que le demandeur avait reconnu sa culpabilité et avait été déclaré coupable de tentative de vol par effraction dans une résidence le 28 septembre 1992. La Commission a conclu qu’il existait des motifs raisonnables de croire qu’il avait été déclaré coupable pour l’infraction commise en Illinois.

[11]           En ce qui concerne l’équivalence, la Commission a pris connaissance de la disposition de l’Illinois et du paragraphe 24(1) (tentatives) du Code criminel du Canada, LRC 1985, c C-46 (le Code), et elle a constaté que le libellé des mesures législatives en matière de tentatives était « pratiquement identique ». La Commission a pris note du fait que les deux dispositions mentionnaient l’intention, la perpétration d’une infraction et la commission d’actes afin d’en arriver à son but. La Commission s’est fondée sur l’article 463 du Code, qui prévoit une peine de quatorze ans en cas de tentative de commettre un acte criminel passible de l’emprisonnement à perpétuité.

[12]           En dernier lieu, la Commission a comparé les dispositions de l’Illinois sur le vol par effraction dans une résidence et l’article 348 du Code canadien, qui traite d’introductions par effraction. La Commission a conclu que le libellé des deux infractions faisait mention d’une maison d’habitation ou d’une maison, que les deux mettaient en cause une effraction, soit s’introduire en un lieu sans autorisation, et que les deux traitaient de l’intention de commettre l’infraction, et elle a statué que les éléments de ces dispositions étaient équivalents. L’article 348 prévoit un acte criminel passible de l’emprisonnement à perpétuité. En résumé, la Commission a statué qu’il existait des motifs raisonnables de croire que le demandeur était un ressortissant étranger interdit de territoire au sens de la LIPR, et elle a pris une mesure d’expulsion.

III.             Questions en litige

  1. L’analyse de l’équivalence que la Commission a faite est-elle raisonnable?
  2. CIC devrait-il recevoir l’ordre de traiter la demande de 1989 et d’accorder au demandeur le statut de RP?

IV.             Analyse

A.                Analyse de l’équivalence

(1)               Norme de contrôle

[13]           La norme de contrôle de l’équivalence en vue d’une interdiction de territoire sous le régime de l’alinéa 36(1)b) de la LIPR est celle de la décision raisonnable (Abid c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 164 (Abid)). Les décisions relatives à l’équivalence sont des questions mixtes de fait et de droit à l’égard desquelles la retenue s’impose (Abid, au paragraphe 11).

[14]           Le demandeur fait valoir que les décisions d’interdiction de territoire fondées sur des faits relatifs à une infraction commise à l’étranger doivent être évaluées selon la norme de la décision raisonnable, mais que l’analyse de l’équivalence doit être faite en fonction de la norme de la décision correcte, parce qu’il s’agit exclusivement d’une question de droit. Je ne suis pas d’accord. L’acte sous-jacent qui constitue l’infraction commise à l’étranger a fait l’objet d’une évaluation factuelle de la part de la Commission et l’équivalence subséquente découle d’une analyse mixte de fait et de droit (Ulybin c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 629, au paragraphe 19 (Ulybin)).

[15]           Voici comment s’est exprimée la juge Snider dans la décision Ulybin, au paragraphe 21 :

21 Comment la norme de la raisonnabilité s’applique-t-elle à l’analyse en cause? Il est important que l’agent qui effectue l’analyse de l’équivalence comprenne les éléments constitutifs de l’infraction comparable. L’omission de traiter de l’un des éléments constitutifs aurait pour effet de rendre l’analyse déraisonnable. Cependant, l’application des faits aux éléments constitutifs du Code criminel effectuée par l’agent est une question au sujet de laquelle la Cour doit faire preuve de déférence envers l’agent. Cet exercice peut mener à plus d’une issue raisonnable, surtout lorsque l’on tient compte de la nature hautement factuelle de la détermination de l’équivalence.

[Non souligné dans l’original.]

[16]           Il existe de la jurisprudence divergente qui qualifie l’analyse de l’équivalence de question de droit susceptible de révision selon la norme de la décision correcte (Park c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 782, au paragraphe 12). Toutefois, les autres précédents énumérés ci-dessus prévoient le recours à la norme de la décision raisonnable. En raison de la nature factuelle de l’analyse de l’équivalence, j’ai mis en application le raisonnement de la juge Snider pour avoir recours à la norme de la décision raisonnable en l’espèce.

[17]           L’analyse de l’équivalence peut être effectuée à l’aide de l’une des trois méthodes décrites dans la décision Hill c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1987] ACF no 47 (QL) :

1. En comparant le libellé précis des dispositions de chacune des lois par un examen documentaire et, s’il s’en trouve de disponible, par le témoignage d’un expert ou d’experts du droit étranger pour dégager, à partir de cette preuve, les éléments essentiels des infractions respectives;

2. Par l’examen de la preuve présentée devant l’arbitre afin d’établir si elle démontrait que les éléments essentiels de l’infraction au Canada avaient été établis dans le cadre des procédures étrangères;

3. Au moyen d’une combinaison de cette première et de cette seconde démarches.

[18]           Comme l’a affirmé le juge Roy dans l’affaire Victor c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2013 CF 979, au paragraphe 43, les trois méthodes sont alternatives et il n’existe aucune hiérarchie entre elles. La Commission doit avoir des motifs raisonnables de croire que certains faits sont survenus (article 33 de la LIPR); la norme des « motifs raisonnables » exige davantage qu’un simple soupçon, mais reste moins stricte que la norme de la prépondérance des probabilités (Mugesera c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CSC 40). Il n’est pas nécessaire de comparer tous les principes généraux de la responsabilité criminelle, il suffit d’examiner et de comparer les deux infractions, et non d’analyser la comparabilité des déclarations de culpabilité possibles; l’analyse de l’équivalence n’a pas pour objet de juger à nouveau la personne (Li c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1997] 1 CF 235, au paragraphe 19 (Li)). C’est clairement l’équivalence des infractions qui est évaluée, et non l’équivalence du droit (Steward c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1988] 3 CF 452 (FCA); Ngo c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 609).

(2)               Observations du demandeur au sujet de l’équivalence

[19]           Le demandeur fait valoir que le libellé des dispositions n’est pas pratiquement identique, contrairement à ce que la Commission a conclu. Au paragraphe 11 de ses observations, le demandeur soutient que la disposition canadienne sur les tentatives est plus générale. Les différences relevées par le demandeur sont résumées dans le tableau qui suit :

Canada

Illinois

Englobe l’intention et la négligence en raison des mots « omet de faire quelque chose ».

Actes intentionnels seulement.

Exige que l’accusé « [fasse] quelque chose pour arriver à son but ».

Exige que l’accusé commette « un acte constituant une étape importante en vue de la commission de ladite infraction ».

L’infraction est consommée « qu’il fût possible ou non, dans les circonstances, de la commettre ».

L’infraction est consommée seulement si l’accusé commet « un acte constituant une étape importante en vue de la commission de ladite infraction ».

[20]           Le demandeur soutient également que l’analyse de l’équivalence entre la disposition de l’Illinois sur le « vol par effraction dans une résidence » et la disposition canadienne sur « l’introduction par effraction dans une maison d’habitation » est inexacte et erronée.

[21]           Le demandeur a affirmé que la Commission était tenue d’étudier les faits sous-jacents à la déclaration de culpabilité en Illinois pour établir ce qui s’était vraiment produit en Illinois et si ces faits constituent les éléments essentiels de l’infraction canadienne. Selon le demandeur, la Commission a commis une erreur, parce qu’elle a effectué son évaluation de l’équivalence en tenant uniquement compte de la déclaration de culpabilité prononcée aux États‑Unis.

[22]           Le demandeur cite la décision Brannson c Le ministre de l’Emploi et de l’Immigration, [1981] 2 CF 141 (Brannson), afin de démontrer qu’il faut d’abord une preuve que les éléments essentiels de la disposition canadienne sont inclus dans l’infraction commise à l’étranger et, en deuxième lieu, qu’il doit y avoir une preuve que les circonstances à l’origine de l’inculpation, du chef d’accusation, de la mise en accusation ou de tout autre document servant à intenter une poursuite criminelle constitueraient une infraction au Canada.

[23]           Le demandeur invoque également la décision Lei c Canada (Solliciteur général), [1994] A.C.F. no 222, dans laquelle la Cour a annulé la décision, parce qu’en l’absence de preuve des circonstances qui avaient entraîné la déclaration de culpabilité aux États‑Unis, il était impossible de tirer une conclusion au sujet de l’équivalence.

[24]           Le demandeur prétend que la Commission n’a pas tenu compte du fait qu’il était demeuré dans la voiture tandis que d’autres brisaient une fenêtre de garage pendant la perpétration du crime en Illinois. Le demandeur soutient que la Commission n’a pas donné de motif afin d’expliquer pourquoi elle n’avait pas retenu sa version des faits et que ce défaut ou cette omission de prendre en considération les gestes du demandeur est fatal pour l’évaluation de l’équivalence. Le demandeur allègue que ses actes équivalent en fait à la disposition sur les méfaits de l’article 430 du Code, qui n’est pas un acte criminel.

(3)               Observations du demandeur au sujet de sa réadaptation

[25]           Le demandeur est d’avis qu’il n’aurait pas dû être déclaré interdit de territoire pour grande criminalité, parce que sa déclaration de culpabilité datait de 21 ans et qu’il avait fini de purger sa peine au moins 16 ans auparavant. L’alinéa 36(3)c) de la LIPR prévoit que le résident permanent ou l’étranger peut, à l’expiration du délai réglementaire, convaincre le ministre de sa réadaptation. Le demandeur ne soutient pas qu’il est admissible à une réadaptation présumée.

[26]           Le demandeur soutient que le dossier certifié du tribunal ne contient aucune preuve qu’il a été déclaré coupable d’une infraction autre que celle qu’il a commise aux États‑Unis. Le demandeur ajoute qu’il a parlé de sa réadaptation à la Commission en lui disant [traduction« je me suis tenu tranquille pendant tellement d’années. J’essaie seulement de bien me comporter et de respecter toutes les lois ». Le demandeur soutient que la Commission aurait dû être convaincue qu’il était réadapté.

(4)               Analyse

[27]           À mon avis, la Commission a réalisé l’analyse de l’équivalence à la lumière d’une déclaration de culpabilité légitime aux États-Unis et d’une preuve démontrant que celle-ci a été prononcée. Le demandeur fait valoir que seuls de minces faits ont été établis par le dossier pendant l’audience, et qu’en raison d’une très brève description des incidents qui ont abouti à sa déclaration de culpabilité, il était impossible que la Commission ait compris quels étaient les éléments de l’infraction. Toutefois, selon la norme, il faut « des motifs raisonnables de croire » qu’une déclaration de culpabilité serait prononcée au Canada, et il ne revient pas à la Commission de juger à nouveau le crime en tenant compte des faits précis qui ont mené à la déclaration de culpabilité. La Commission a eu recours à la troisième méthode décrite dans la décision Hill précitée, en combinant une comparaison du libellé des dispositions et l’examen de la preuve des faits concernant la déclaration de culpabilité, et elle a conclu qu’il y avait équivalence.

[28]           Ce qu’il faut retenir, c’est qu’il n’est pas nécessaire que la Commission détermine si la preuve était suffisante pour justifier une déclaration de culpabilité au Canada. Elle doit se demander si elle a des motifs raisonnables de croire que le demandeur serait déclaré coupable s’il avait commis les mêmes actes au Canada. Donc, l’équivalence doit être faite entre les dispositions et non en comparant les possibilités de déclaration de culpabilité. De plus, il faut s’attendre à des différences de langage lorsqu’on réalise l’analyse de l’équivalence (Brannson, précitée).

[29]           Selon la lecture que je fais de la décision de la Commission, c’est la troisième méthode de la décision Hill que celle-ci a employée pour déterminer l’équivalence.

[30]           La Commission a commencé par conclure que le demandeur avait été déclaré coupable aux États-Unis de l’infraction commise en Illinois. La Commission s’est servie des éléments suivants en preuve :

  • le plaidoyer de culpabilité;
  • le fait qu’une déclaration de culpabilité est inscrite au National Crime Information Center;
  • le fait que ses empreintes digitales se trouvent dans une base de données du FBI sur les déclarations de culpabilité;
  • le fait qu’une déclaration certifiée de l’Illinois atteste qu’il a été reconnu coupable.

[31]           On voit que la Commission se sert d’abord de la deuxième méthode pour examiner la preuve qui a été produite devant elle afin d’établir la déclaration de culpabilité en Illinois.

[32]           Puis, la Commission est passée à la première méthode et a extrait les éléments nécessaires des dispositions du Canada et de l’Illinois, puis elle a conclu que les éléments nécessaires étaient équivalents. Finalement, la Commission a donc eu recours à la troisième méthode pour déterminer l’équivalence, parce qu’elle s’est servie d’une combinaison des deux méthodes.

[33]           La Commission a déterminé que les éléments essentiels équivalents entre les dispositions sur les tentatives étaient les suivants : (1) l’intention; (2) de perpétrer l’infraction; (3) et la commission d’actes afin d’en arriver à la perpétration de l’infraction. Il s’agit d’une façon raisonnable d’extraire les éléments des dispositions. La Commission a aussi déterminé que les éléments essentiels équivalents des dispositions sur le cambriolage et l’introduction par effraction étaient les suivants : (1) une maison d’habitation (qui correspond à lieu d’habitation); (2) l’introduction par effraction qui est identique à s’introduire en un lieu sans y avoir été autorisé; (3) l’intention de commettre une infraction; (4) le fait que le vol ou l’acte délictueux grave sont équivalents à un acte criminel.

[34]           Je ne souscris pas à l’argument du demandeur lorsqu’il prétend qu’une « introduction par effraction » n’est pas la même chose que « s’introduire en un lieu sans y avoir été autorisé », parce qu’il fait une distinction là où il n’y a pas de différence. La Commission a reconnu que les libellés étaient différents, mais que l’objet et le sens des mots employés étaient identiques. Comme le décrit la décision Li, précitée, au paragraphe 18, les mots doivent être similaires ou prévoir les mêmes critères; il n’est pas obligatoire que les mots soient identiques pour conclure à l’équivalence :

Je pense qu’il serait tout à fait conforme à l’objectif de la loi, et à la jurisprudence de notre Cour, de conclure que ce que signifie l’équivalence, c’est essentiellement la similitude de définition des deux infractions. Une définition est similaire si elle prévoit les mêmes critères à observer pour prouver que l’infraction a été commise, que ces critères se traduisent par des « éléments constitutifs » (au sens restrictif) ou par des « moyens de défense » dans l’une ou l’autre loi. À mon avis, la définition d’une infraction embrasse les éléments constitutifs et les moyens de défense propres à cette infraction, voire à cette catégorie d’infractions.

[35]           Par son argumentation décrite dans le tableau ci-dessus, le demandeur tente de laisser entendre que la disposition canadienne n’est pas équivalente à celle de l’Illinois, mais ce qu’il a réussi à démontrer, c’est que l’infraction canadienne est plus générale; je constate donc qu’elle englobe nécessairement les actes constitutifs de l’infraction en Illinois. De plus, la Commission a cerné et extrait les éléments essentiels de chaque infraction, puis elle a examiné s’ils étaient équivalents. Je trouve que l’analyse de la Commission est raisonnable. Enfin, si la Cour entreprenait une analyse distincte du libellé exact des dispositions et si elle réalisait sa propre analyse de l’équivalence, comme le fait le demandeur dans son exposé, le contrôle finirait par être effectué selon la norme de la décision correcte, plutôt que selon la norme de la décision raisonnable.

[36]           Le demandeur allègue que dans l’affaire Li, la décision sur l’équivalence a été annulée, parce qu’il était impossible d’arriver à une conclusion d’équivalence en l’absence de preuve des circonstances de la déclaration de culpabilité aux États-Unis. On peut très facilement faire la distinction avec la décision Lei parce que, dans ce cas, la cour a conclu que l’infraction canadienne était plus restrictive et que l’arbitre aurait dû aller au-delà du libellé des lois et se livrer à l’analyse des actes. En l’espèce, c’est le caractère raisonnable de l’équivalence qui est évalué par la Cour fédérale, et j’ai déterminé que l’équivalence était raisonnable. En tant que tel, il n’est pas nécessaire d’analyser les faits sous-jacents, comme le suggère le demandeur. Le fait d’invoquer la décision Ngo, précitée, n’est d’aucune utilité parce que, dans ce cas, la commission n’avait réalisé aucune analyse de l’équivalence entre le libellé particulier des dispositions législatives, tandis que c’est exactement ce que la Commission a fait en l’espèce.

[37]           Dans le même ordre d’idées, le demandeur invoque également à tort la décision Brannson, parce que la disposition canadienne était plus restrictive dans cette affaire et qu’il a fallu analyser les actes qui avaient donné lieu à l’accusation pour déterminer s’ils constitueraient un crime au Canada. Compte tenu de la portée différente des deux dispositions, la cour a statué que la commission dans l’affaire Bransson était tenue d’examiner si la disposition canadienne englobait les actes commis à l’étranger.

[38]           Dans son exposé des arguments supplémentaire, le demandeur soutient avec vigueur que la Commission était obligée de se pencher sur les faits de la déclaration de culpabilité aux États-Unis pour déterminer l’équivalence. Toutefois, je viens à peine de répéter que la Commission n’était pas tenue de faire un nouveau procès au demandeur pour voir s’il pouvait être déclaré coupable au Canada. La barre n’a tout simplement pas été placée si haut : la Commission devait seulement avoir des motifs raisonnables de croire qu’un acte de la même nature entraînerait une déclaration de culpabilité au Canada. La décision Li n’autorise pas la Commission à tenir un « mini-procès », mais établit plutôt que la Commission doit comparer les dispositions, et non les probabilités de déclaration de culpabilité au Canada. Dans la décision Brannson, on peut également lire que les « éléments essentiels de l’infraction punissable au Canada » doivent être analysés pour déterminer s’ils sont équivalents aux éléments de la disposition étrangère, pas nécessairement les faits constitutifs de l’infraction. Voici ce qu’on peut lire au paragraphe 38 de la décision Brannson :

[L]orsqu’il s’agit de déterminer si une infraction commise à l’étranger constitue une infraction prévue au Canada par un texte de loi canadien, il convient d’appliquer le principe suivant : [q]uels que soient les termes employés pour désigner ces infractions ou pour les définir, il faut relever les éléments essentiels de l’une et de l’autre et s’assurer qu’ils correspondent.

[39]           Le demandeur allègue que ses actes s’apparentaient davantage à un méfait et que la Couronne aurait certainement agi en conséquence, mais ce facteur aussi est inopportun. La Commission n’est pas obligée de deviner ce que la Couronne aurait fait au Canada. La Commission a pour rôle de comparer les dispositions afin de déterminer s’il existe des motifs raisonnables de croire qu’une déclaration de culpabilité aurait été prononcée.

[40]           Compte tenu de ce qui précède, je conclus que la Commission a raisonnablement évalué l’équivalence entre les dispositions canadiennes et américaines. Après avoir analysé en profondeur les deux dispositions et leur libellé, la Commission les a jugées équivalentes.

[41]           En ce qui concerne la réadaptation, le demandeur a l’obligation de remplir une demande de réadaptation afin que la Commission puisse décider judicieusement s’il est réadapté. Il incombe une fois encore au demandeur de présenter une demande de cette nature et de faire en sorte qu’une demande approuvée soit déposée à la Commission. C’est ce que décrit le juge Shore dans la décision Alabi c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2008 CF 370 :

[36] La prétention de M. Akanmu Alabi doit être rejetée pour plusieurs raisons. D’abord, il incombe à M. Akanmu Alabi d’établir qu’il a été considéré par le ministre comme une personne présumée réadaptée. Cette obligation impose nécessairement la production d’éléments de preuve devant la Section de l’immigration.

[37] Ensuite, la Section de l’immigration ne peut évaluer que la preuve dont elle dispose. Sauf production d’éléments de preuve selon lesquels le ministre a effectivement conclu à la réadaptation, la Section de l’immigration ne peut se pencher sur l’application de l’alinéa 36(3)c) de la LIPR. Si le ministre a bel et bien jugé M. Akanmu Alabi comme une personne réadaptée, ce dernier avait l’obligation d’en faire la preuve devant le commissaire de la Section de l’immigration.

[38] M. Akanmu Alabi ne peut être considéré comme réadapté sans prouver qu’une conclusion en ce sens a été tirée. On ne peut reprocher à la Section de l’immigration de s’attendre à ce que le demandeur produise une telle preuve.

[42]           À l’audience, j’ai demandé au défendeur de me fournir les délais de traitement d’une demande de réadaptation, et il m’a répondu environ 12 mois.

[43]           Aucune demande de réadaptation n’avait été déposée au moment de l’audience. Je conclus qu’il était raisonnable de la part de la Commission de ne pas se pencher sur la question de la réadaptation du demandeur.

B.                 CIC devrait-il recevoir l’ordre de traiter la demande de 1989 et d’accorder le statut de RP au demandeur?

[44]           Le demandeur présente cette demande pour obtenir un jugement déclaratoire face à la « réticence » de CIC à mener à terme la demande qu’aurait présentée le demandeur en 1989 pour obtenir le statut de RP. Subsidiairement, le demandeur sollicite une ordonnance de mandamus dans le but de forcer CIC à lui accorder le statut de RP ou de forcer CIC à mener à terme le traitement de la demande de 1989 dans un délai précis. Le demandeur veut obtenir les dépens à titre d’indemnisation partielle pour le long retard dans le traitement de sa demande. Il n’y a eu aucune autre communication entre le demandeur et CIC après la présentation de sa demande de 1989, et les notes de 1991 du SSOBL montrent qu’elle était toujours en traitement.

[45]           Le demandeur ne conteste pas qu’il n’aurait pas pu obtenir le droit d’établissement depuis l’entrée en vigueur de la LIPR, parce qu’il aurait été impossible de convaincre CIC qu’il n’était pas interdit de territoire, étant donné que son certificat de santé, la vérification de ses antécédents criminels et son autorisation de sécurité étaient fort probablement périmés. Le demandeur fait plutôt valoir qu’il respectait toutes les exigences légales de l’ancienne Loi sur l’immigration et de son Règlement en date de 1990 ou 1991, et que CIC a refusé ou omis de l’admettre entre 1989 et 1993 (l’année de sa déclaration de culpabilité aux États‑Unis).

[46]           Le demandeur fait valoir que les critères régissant la délivrance d’un bref de mandamus ont été remplis (Apotex Inc. c Canada (Procureur général), [1994] 1 CF 742, au paragraphe 55; Conille c Canada (Citoyenneté et Immigration), [1999] 2 CF 33, au paragraphe 8). Voici les critères en question :

  • Il existe une obligation légale à caractère public envers le demandeur;
  • L’obligation doit exister envers le demandeur;
  • Il existe un droit manifeste d’obtenir l’exécution de cette obligation, notamment : a) le demandeur a satisfait à toutes les conditions préalables donnant naissance à cette obligation; b) il y a eu une demande d’exécution de l’obligation, un délai raisonnable a été accordé pour permettre de donner suite à la demande, et il y a eu un refus ultérieur, exprès ou implicite, par exemple, un délai déraisonnable;
  • Il n’existe aucun autre recours.

[47]           Les deux avocats ont présenté d’excellents arguments très probants. Même s’il subsiste une énigme concernant ce qui est vraiment advenu de la demande de 1989, il incombe au demandeur de prouver son statut. La preuve devant la Commission n’établit pas qu’on lui a déjà accordé le statut de RP, même si la première étape du traitement de sa demande avait été franchie. Ce qui rend plus difficile de déterminer ce qui s’est produit, c’est que le demandeur a choisi de ne présenter aucune preuve pour combler certains des trous dans le déroulement des incidents. Ce qui complique davantage la situation, c’est la minceur du dossier de CIC, étant donné que le dossier a été détruit dans le cours normal des activités en 2008 et qu’il ne reste que les notes du SSOBL.

[48]           Dans le cadre du contrôle judiciaire de deux des audiences sur sa détention, le juge Hughes a écrit ce qui suit au paragraphe 6 de la décision Moscicki c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 993 : « Bien que le demandeur soit en détention depuis près de huit mois, la seule raison pour laquelle il n’a pas encore été renvoyé est son refus de coopérer avec les autorités polonaises. Il est l’artisan de son propre maintien en détention. »

[49]           Je reprends à mon compte le raisonnement du juge Hughes et je déclare que le demandeur a été l’artisan de son propre malheur en ce qui concerne son statut au Canada. J’éprouve une certaine sympathie pour le demandeur, étant donné que son parrainage s’est produit lorsqu’il était jeune et que son jeune âge peut expliquer pourquoi il n’a pas fait de suivi auprès de CIC. Toutefois, quand le demandeur est revenu au Canada en 2008, il aurait dû comprendre qu’il n’avait pas le statut de RP quand on lui a accordé seulement un VRT valide pour six mois. Tous les documents de l’État de l’Illinois indiquent qu’il est citoyen de la Pologne et c’est là qu’il a été expulsé après avoir purgé sa peine. Là encore, le fait qu’il n’était pas un RP au Canada aurait dû être clair pour lui lorsqu’il est entré dans le système de justice des États‑Unis en 1992.

[50]           Le demandeur fait valoir qu’il a rempli les conditions suivantes pour l’obtention d’une ordonnance de mandamus : (1) CIC a une obligation légale à caractère public de traiter sa demande de résidence permanente et cette obligation est prévue au paragraphe 5(2) de l’ancienne Loi sur l’immigration et au paragraphe 11(1) de la LIPR, lesquels imposaient et imposent l’obligation d’accorder le droit d’établissement aux demandeurs qui se conforment aux exigences pertinentes de la loi; (2) une fois que CIC a déterminé que le demandeur était un fils à charge au sens du paragraphe 2(1) de l’ancien Règlement, CIC était tenu d’examiner si le droit d’établissement pouvait lui être accordé; (3) le demandeur a présenté une demande dûment remplie, des documents justificatifs et les droits de traitement, ce qui obligeait un agent de CIC à exercer ses fonctions; (4) la demande est en traitement depuis près de 25 ans, ce qui représente un délai déraisonnable. Ce dernier point est suffisant pour obtenir une ordonnance de mandamus. Sans ce délai imputable à CIC, le demandeur affirme qu’il aurait pu obtenir le droit d’établissement dès 1990 ou 1991.

[51]           Le demandeur soutient que la preuve est contradictoire à propos de son statut, car CIC a confirmé n’avoir aucun dossier sur sa demande d’établissement, alors que Service Canada le considère comme un résident permanent et qu’il n’existe aucune décision confirmant le rejet de sa demande. Le demandeur s’attarde particulièrement à la preuve de Service Canada; selon l’arrêt Toussaint c Canada (Procureur général), 2011 CAF 213, au paragraphe 40, il est interdit à Service Canada d’approuver les frais médicaux de ressortissants étrangers. Selon le demandeur, en l’absence d’une preuve contraire, il faut tenir pour acquis que Service Canada a agi avec diligence quand il a vérifié le statut du demandeur avant d’approuver sa demande de renouvellement en mars 2013.

[52]           La Cour fédérale a compétence pour décerner un bref de mandamus en application du paragraphe 18.1(3) de la Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, c F-7. Cette ordonnance peut être accordée si les critères de l’arrêt Apotex, précité, sont remplis. La juge Gagné, dans l’affaire Magalong c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 966, a expliqué comme suit la décision Apotex :

[21] Le bref (ou l’ordonnance) de mandamus est une mesure discrétionnaire. Il « permet d’exiger l’exécution d’une obligation légale à caractère public lorsqu’une autorité publique refuse ou néglige de remplir cette obligation même si elle a été dûment sommée de le faire » (Dragan c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CFPI 211 (CanLII), 2003 CFPI 211, [2003] 4 CF 189, au paragraphe 38).

[22] Les parties conviennent qu’il est nécessaire de satisfaire aux critères suivants – lesquels ont été énoncés dans la décision Apotex Inc. c Canada (Procureur général), 1993 CanLII 3004 (CAF), [1994] 1 CF 742, conf. par 1994 CanLII 47 (CSC), [1994] 3 RCS 1100, au paragraphe 45 – avant que la Cour puisse délivrer un bref de mandamus :

1. il doit exister une obligation légale d’agir à caractère public dans les circonstances de la cause;

2. l’obligation doit exister envers le demandeur;

3. il existe un droit clair d’obtenir l’exécution de cette obligation et, notamment :

a) le demandeur a rempli toutes les conditions préalables donnant naissance à cette obligation;

b) (i) il y a eu une demande d’exécution de l’obligation; (ii) un délai raisonnable a été accordé pour permettre de donner suite à la demande, à moins que celle‑ci n’ait été rejetée sur‑le‑champ; et (iii) il y a eu refus ultérieur, express ou implicite, par exemple un délai déraisonnable;

4. le demandeur n’a aucun autre recours;

5. l’ordonnance sollicitée aura une incidence sur le plan pratique;

6. dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire, le tribunal estime que, en vertu de l’équité, rien n’empêche d’obtenir le redressement demandé;

7. compte tenu de la balance des inconvénients, une ordonnance de mandamus devrait être rendue.

[53]           Dans la décision Singh c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 757 (Singh), le juge de Montigny, suivant l’analyse décrite dans Apotex, a statué que CIC avait une obligation légale à caractère public de traiter une demande de résidence permanente dans une affaire analogue :

[50] Il ne fait aucun doute dans mon esprit que le demandeur a rempli toutes les conditions nécessaires à la délivrance d’un bref de mandamus. Il est clair que CIC a l’obligation légale à caractère public de traiter la demande de résidence permanente du demandeur. Le paragraphe 5(2) de l’ancienne Loi sur l’immigration imposait à CIC l’obligation claire d’accorder le droit d’établissement à tout résident permanent qui remplissait les exigences prévues par la loi, et c’est toujours le cas en application du paragraphe 11(1) de la LIPR : voir, par exemple, Dragan, précitée, au paragraphe 40; Vaziri c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1159 (CanLII), [2006] A.C.F. n° 1458, au paragraphe 41.

[54]           Dans la décision Singh, précitée, les faits ainsi que les dispositions législatives étaient similaires : le demandeur dans cette affaire était passé à la deuxième étape du traitement afin de déterminer s’il se conformait aux exigences de la loi relativement au droit d’établissement, mais sa demande n’avait pas été approuvée, parce que CIC avait établi qu’une photocopie de son passeport n’était pas suffisante pour remplir les conditions. Des accusations criminelles avaient été portées dans l’intervalle et le demandeur n’a jamais obtenu le statut de RP. Selon le juge de Montigny, une fois que le demandeur a présenté une demande dûment remplie avec les documents justificatifs exigés et qu’il a payé les droits exigibles, il a le droit à ce que les obligations décrites ci-dessus soient honorées. Au cours des dix années qui avaient précédé le dépôt d’accusations, la Cour a conclu que le demandeur avait droit au statut de RP et elle a donc rendu une ordonnance de mandamus.

[55]           Même si, à première vue, la décision Singh est analogue à la présente espèce, la preuve documentaire cruciale que contenait le dossier de 1989 a été détruite et les faits sont loin d’être identiques, contrairement à ce que prétend le demandeur. En l’espèce, le demandeur se plaint d’un délai de 25 ans et, en vertu des mêmes dispositions de la Loi qui était en vigueur en 1993, comme dans Singh, CIC a également envers lui l’obligation de mener à terme le traitement de sa demande, étant donné que les notes du SSOBL indiquent qu’une demande était en traitement. Malheureusement, le demandeur ne peut pas établir qu’il s’est conformé à toutes les conditions préalables qui donnent naissance à cette obligation, comme l’exige la décision Apotex.

[56]           Le défendeur fait valoir à juste titre qu’il n’existe aucune preuve démontrant que le demandeur a satisfait aux exigences de la résidence permanente ou que le délai ne lui est pas personnellement imputable.

[57]           Contrairement à la décision Singh, la preuve qui pourrait établir que le demandeur a rempli les conditions prescrites par la loi est ambiguë. De plus, dans l’affaire Singh, le demandeur et son avocat ont communiqué à maintes reprises avec CIC pour avoir des nouvelles, et une date ainsi qu’une entrée au dossier indiquaient que le demandeur satisfaisait à toutes les exigences de la loi.

[58]           Mais une autre complication se présente en raison du fait que c’est le défendeur qui est responsable de la destruction du dossier qui pourrait démontrer s’il a omis d’agir. Si le dossier avait été intact et complet, il conviendrait d’examiner l’opportunité d’une ordonnance de mandamus, mais en l’absence de cette preuve, il est impossible de traiter la demande de RP de 1989.

[59]           La question de la destruction des dossiers d’immigration s’est posée dans l’affaire Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Obodzinsky, [2000] ACF no 1675. Le juge Marc Nadon a statué que la destruction systématique des dossiers d’immigration est raisonnable et ne constitue pas de la négligence de la part du gouvernement. De surcroît, la destruction du dossier a des effets pour les deux parties, parce que son existence est déterminante pour les deux parties.

[60]           Le défendeur a la capacité de combler certains des trous au cours de la période qui n’est pas visée par le dossier. Selon le dossier de CIC, le demandeur a rempli les critères de la première étape et il a obtenu un permis de travail (du 18 octobre 1989 au 5 février 1992) pendant qu’il était parrainé par son père quand il est arrivé à l’âge de 17 ans, le 18 octobre 1989. Il a produit un NAS et une carte d’assurance-maladie qui indiquent qu’il est un RP, mais je ne trouve pas ces faits déterminants, parce qu’il était un enfant parrainé par son père et parce que je n’ai aucune preuve qu’ils ne lui ont pas été accordés en raison du fait qu’il était un enfant parrainé. Je n’ai aucune preuve montrant qu’il est un RP ni qu’il a franchi la deuxième étape. Les notes du SSOBL indiquent que le 5 février 1991, la demande était en cours de traitement, puis plus rien. Il n’existe aucune preuve portant sur la période de trois ans entre octobre 1989 et sa déclaration de culpabilité le 22 janvier 1993.

[61]           Je n’ai pas de preuve au sujet du moment exact où il a purgé sa peine ni de celui où il a été expulsé des États-Unis. J’ai la preuve qu’il se trouvait à Chicago le 08/12/93, lorsqu’il a été mis en liberté. Mais, il n’existe aucune preuve de ses allées et venues jusqu’à ce qu’il revienne au Canada avec un passeport polonais le 9 août 2008 et qu’on lui accorde un visa de résident temporaire pour l’admettre au Canada. Ce passeport n’a pas été produit en preuve.

[62]           Je n’ai aucune preuve m’indiquant s’il a travaillé ni où il a travaillé pendant les périodes manquantes ni, du reste, où il a résidé dans le monde. Le demandeur a choisi de ne pas produire de preuve pour m’aider. Même si le demandeur a affirmé dans son affidavit et dans son argumentation écrite qu’il comptait [traduction« plus de vingt années de résidence au Canada », rien ne l’établit dans la preuve, ni déclaration de revenus ni preuve de résidence. Les notes du SSOBL nous apprennent qu’il a demandé de l’aide sociale à deux reprises.

[63]           Je comprends les arguments du demandeur et je crois qu’il savait, à 17 ans, que le processus était enclenché et qu’il avait la documentation nécessaire pour poursuivre sa vie. Il a probablement cru qu’il avait le statut de résident permanent, mais je ne vois aucun élément prouvant qu’il ait poursuivi ses démarches au-delà de la première étape. En l’espèce, il n’a pas un « droit non équivoque » d’obtenir le statut de RP et il est loin d’être évident que le demandeur a rempli toutes les conditions préalables qui auraient donné naissance à l’obligation de lui accorder le statut de RP.

[64]           Je ne suis disposée à accorder aucun des recours intentés par le demandeur, qui étaient :

  • Un jugement déclaratoire statuant qu’en 1990, CIC a omis de s’acquitter de ses obligations légales en ce qui concerne la demande de RP du demandeur;
  • Une déclaration portant que le statut du demandeur est en principe celui d’un RP;
  • Une déclaration portant sursis des ordonnances d’expulsion et d’expulsion (les mesures de renvoi) pour des motifs d’intérêt public, en vertu de l’article 233 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, jusqu’à ce que CIC lui accorde le statut de RP;
  • Un bref de mandamus pour forcer CIC à traiter sa demande de RP dans un délai de 90 jours à la deuxième étape, étant donné que la première étape (l’approbation de principe) a déjà été franchie.

[65]           Compte tenu de ce dont la Cour est saisie, je ne vois aucun élément de preuve permettant de forcer CIC à lui accorder la résidence permanente.

[66]           Les demandes sont rejetées et aucuns dépens spéciaux ne sont accordés en l’espèce. Aucune question n’est certifiée.

LA COUR STATUE :

1.                  Les demandes sont rejetées;

2.                  Aucuns dépens ne sont octroyés;

3.                  Aucune question n’est certifiée.

« Glennys L. McVeigh »

Juge

Traduction certifiée conforme

Pierre Ballard LL.L., traducteur agréé


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :

IMM-4845-14 et IMM-4614-14

INTITULÉ :

ROBERT MOSCICKI c MCI ET AL.

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 3 dÉCEMBRE 2014

MOTIFS DU JUGEMENT :

LA JUGE MCVEIGH

DATE DES MOTIFS :

LE 12 JUIN 2015

COMPARUTIONS :

Nikolay Y. Chsherbinin

POUR LE DEMANDEUR

Brad Gotkin

POUR LES INTIMÉS

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Chsherbinin Litigation

Toronto (Ontario)

POUR LE DEMANDEUR

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LES INTIMÉS

 

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