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Date : 20150908


Dossier : T‑32‑15

Référence : 2015 CF 1053

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 8 septembre 2015

En présence de madame la juge Strickland

ENTRE :

ANDREW ORR ET PAUL HOULE

demandeurs

et

PREMIÈRE NATION DE PEERLESS TROUT

défenderesse

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision rendue le 8 janvier 2015 par Lornes J. Ternes qui, conformément au Règlement sur les élections coutumières de la Première Nation de Peerless Trout (le Règlement électoral), agissait à titre d’arbitre des appels en matière d’élections (l’arbitre) à l’égard de deux appels concernant l’élection tenue le 30 octobre 2014 par la Première Nation de Peerless Trout (la PNPT). La demande est fondée sur l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, c 41.

Contexte

[2]               L’arbitre a rendu en fait deux décisions, puisqu’il a été saisi de deux appels distincts par suite de l’élection en cause.

Appel de M. Orr

[3]               Le premier appel concernait le demandeur Andrew Orr, un membre de la PNPT. M. Orr a été désigné comme candidat au poste de chef en vue de l’élection du 30 octobre 2014, mais le fonctionnaire électoral, M. Albert Oostendorp (le fonctionnaire électoral), l’a informé qu’il ne pouvait pas être candidat. Le motif en était qu’en vertu de l’alinéa 9.3c) du Règlement électoral, nul électeur étant partie demanderesse dans une action civile contre la PNPT ne pouvait être nommé candidat, et qu’en 2011, M. Orr avait engagé une action civile devant la Cour du Banc de la Reine de l’Alberta contre la PNPT en vue d’obtenir une indemnité de 2 817 720 $ pour du travail qu’il aurait fait dans le cadre d’une revendication territoriale de la PNPT. Cette action est toujours en cours.

[4]               Par avis d’appel en date du 31 octobre 2014 (l’avis d’appel), M. Orr a interjeté appel de cette décision. Il a fait valoir que le fonctionnaire électoral avait mal interprété et appliqué le Règlement électoral, qu’il fallait déclarer l’alinéa 9.3c) du Règlement électoral inopérant parce qu’il violait les alinéas 2b) et d) et les articles 3, 15, 30, 35 et 36 de la Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R‑U), 1982 c 11 (la Charte), et que cette disposition contrevenait à la primauté du droit et constituait un abus de pouvoir, puisqu’elle visait à priver les membres de la PNPT d’un recours contre le gouvernement de la Première Nation. L’arbitre a tranché sur dossier l’appel en matière d’élections de M. Orr.

[5]               Le 3 juillet 2014, M. Orr a également introduit une action devant la Cour du Banc de la Reine de l’Alberta afin qu’elle déclare l’alinéa 9.3c) invalide parce qu’il contrevenait aux dispositions de la Charte. Le 5 janvier 2014, le protonotaire en chambre Smart (le protonotaire Smart) a rendu une décision dans cette affaire : Orr c Peerless Trout First Nation, 2015 ABQB 5 [Orr QB]. Les actes de procédure présentés au protonotaire Smart ont également été présentés à l’arbitre. La décision Orr QB est décrite ci‑après parce qu’elle porte sur les mêmes questions que celles qui ont été soulevées devant l’arbitre, et que M. Orr fait encore valoir certaines d’entre elles dans le cadre du présent contrôle judiciaire.

[6]               Dans Orr QB, le protonotaire Smart a souligné qu’en vertu du paragraphe 74(1) de la Loi sur les Indiens, SC 1951, c 29, le ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien pouvait autoriser une Première Nation à établir elle‑même son code électoral, et que les membres de la PNPT avaient établi un tel code en adoptant le Règlement électoral. Un code électoral communautaire adopté par une Première Nation peut faire l’objet d’un examen fondé sur la Charte (Taypotat c Taypotat, 2013 CAF 192 [Taypotat]).

[7]               Le protonotaire Smart a décrit comme suit les questions dont il était saisi :

[traduction]

[2]        M. Orr soutient que l’alinéa 9.3c) est inconstitutionnel et vise à priver les membres de la PNPT d’un recours contre la bande. M. Orr demande que l’alinéa 9.3c) soit déclaré invalide en application de l’article 52 de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R‑U), 1982 c 11 (la Constitution), parce qu’il viole les alinéas 2b) et 2d) et les articles 3, 15, 30, 35 et 36 de la Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R‑U), 1982 c 11 (la Charte).

[3]        Enfin, M. Orr soutient que le gouvernement vise avec l’alinéa 9.3c) à empêcher les citoyens d’exercer leur droit fondamental de le poursuivre, et que cette disposition est ainsi ultra vires.

[8]               Quant à l’argument de M. Orr selon lequel l’objet de l’alinéa 9.3c) était d’empêcher les membres de la PNPT de poursuivre le conseil de la PNPT, et était donc ultra vires, le protonotaire Smart a conclu qu’on ne pouvait dégager comme principe général de la jurisprudence citée par M. Orr que les gouvernements canadiens ne peuvent pas adopter de dispositions les protégeant des actions en justice de leurs citoyens, et que cette jurisprudence n’appuyait pas l’idée qu’il découle de la Loi constitutionnelle de 1867, (R‑U), 30 et 31 Vict., c 3, réimprimée dans LRC 1985, app. II, no 5 (la Constitution), ou de la Charte, un droit fondamental à l’exercice de recours judiciaires contre les gouvernements. Quant à la prétention de M. Orr selon laquelle l’alinéa 9.3c) enfreint la liberté d’expression que lui garantit l’alinéa 2b), le protonotaire Smart a noté que M. Orr n’avait pas fait valoir que le fait de poser sa candidature comme chef constituait une tentative de transmission d’un message. Il a aussi noté l’observation de la défenderesse qui affirmait que le fait pour un individu de ne pas pouvoir être membre du conseil ne l’empêchait pas de voter ou d’autrement prendre part au processus électoral, de présenter des observations au conseil ou de faire du lobbying auprès de ses membres, ou encore d’assister aux réunions et d’exprimer des opinions. Le protonotaire Smart a conclu que les circonstances de l’affaire dont il était saisi ressemblaient à celles de l’affaire Baier c Alberta, 2007 CSC 31 [Baier], et que comme dans celle‑ci, il s’agissait d’une restriction à l’accès à une tribune, et non d’une restriction d’origine législative à la liberté d’expression.

[9]               De la même façon, le protonotaire Smart a conclu que M. Orr n’avait pas dit en quoi la nomination à des fonctions publiques était protégée par la liberté d’association. La restriction apportée à cette activité n’empêchait pas M. Orr de constituer une association, de la maintenir et d’y appartenir, ni n’enfreignait le droit que lui garantit l’alinéa 2d) à la liberté d’association. Le protonotaire Smart a également conclu que l’article 3 de la Charte ne s’appliquait pas aux élections du conseil de bande (Crow c Bande indienne de Blood, [1996] ACF no 119, au paragraphe 23 [Crow c Bande de Blood]; Haig c Canada, [1993] 2 RCS 995, à la page 1033 [Haig]). Il a en outre appliqué le critère à deux volets relatif aux droits à l’égalité garantis par l’article 15, établi dans l’arrêt R c Kapp, 2008 CSC 41 [R c Kapp], et a conclu que la distinction en cause dans l’affaire dont il était saisi était que l’action civile intentée contre la PNPT n’était pas réglée. Le protonotaire a conclu que cette distinction ne se fondait pas sur un motif analogue à ceux énumérés au paragraphe 15(1) de la Charte, et qu’elle ne portait pas atteinte, en perpétuant un désavantage, au droit à l’égalité garanti par le paragraphe 15(1). Faute d’explication quant à la prétendue violation, le protonotaire Smart n’a pas non plus conclu à une violation des articles 35 ou 36 qui rendrait l’alinéa 9.3c) inopérant.

Appel de M. Houle

[10]           M. Paul Houle, également membre de la PNPT, était candidat au poste de chef lors de l’élection du 30 octobre 2014.

[11]           On a recouru à deux bureaux de scrutin pour la tenue de l’élection, l’un à Trout Lake et l’autre à Peerless Lake. Les activités au bureau de scrutin de Peerless Lake étaient supervisées par le fonctionnaire électoral, assisté de la greffière de scrutin, Jackie Laboucan. Les activités au bureau de scrutin de Trout Lake étaient supervisées par le fonctionnaire électoral adjoint Earl Laboucan, assisté des greffières de scrutin, Rose Sowan et Penny Gullion. M. James Alook a été élu chef, ayant obtenu 173 voix, tandis que M. Houle est arrivé deuxième, avec 129 voix.

[12]           Le 2 novembre 2014, après la tenue du scrutin, M. Houle a déposé un avis d’appel dans lequel il faisait état de nombreuses violations qui auraient été commises à l’encontre du Règlement électoral, notamment :

         Un acte de corruption, en violation de l’alinéa 16.1c) du Règlement électoral, M. Alook ayant promis à un électeur que sa famille serait la prochaine à obtenir un logement;

         Les bulletins de vote pour les postes de chef et de conseillers étaient déposés dans la même boîte de scrutin, en violation de l’alinéa 11.2b) du Règlement électoral, qui prescrit l’utilisation de boîtes de scrutin distinctes;

         Le fonctionnaire électoral adjoint Earl Laboucan a transporté la boîte de scrutin de Trout Lake jusqu’au bureau de scrutin de Peerless Lake, et Linda Noskiye, qui n’était ni agente électorale, ni greffière de scrutin, ni fonctionnaire électorale, a pris part à la division des bulletins. Cela contrevenait à l’article 12.1 du Règlement électoral, lequel prévoit que le fonctionnaire électoral ou le greffier de scrutin doit ouvrir chaque boîte de scrutin et compter les votes à la fermeture du bureau de scrutin.

         Linda Noskiye, belle‑sœur de M. Alook et membre de la PNPT, a aidé au déroulement du scrutin, en violation de l’article 8.4 du Règlement électoral, lequel prévoit que le fonctionnaire électoral doit désigner des greffiers de scrutin et des interprètes, et que les interprètes ne doivent pas être des membres de la PNPT;

         Le fonctionnaire électoral adjoint a demandé à Linda Noskiye de prêter assistance aux électeurs au bureau de scrutin de Trout Lake, et cette dernière y est demeurée toute la journée;

         Le fonctionnaire électoral avait déjà agi comme fonctionnaire électoral lors d’une élection précédente au sein de la PNPT, en violation du paragraphe 13(2) de la Loi électorale du Canada;

         Il aurait dû y avoir deux dépouillements des bulletins et deux résultats du vote, un pour chacun des fonctionnaires électoraux, puisqu’il y avait deux bureaux de scrutin;

         Rose Cardinal, belle‑soeur de M. Alook, était agente électorale au bureau de scrutin de Peerless Lake, mais la documentation requise n’y a pas été fournie. Mme Cardinal est demeurée à l’extérieur du bureau de scrutin, où elle discutait avec des électeurs, alors qu’elle aurait dû demeurer avec le fonctionnaire électoral à l’intérieur du bureau;

         Il se peut qu’on n’ait pas suivi la procédure prescrite pour aider un électeur aveugle à voter.

[13]           Une audience a été tenue le 18 décembre 2014 pour l’instruction de l’appel de M. Houle.

Décision faisant l’objet du contrôle

Appel de M. Orr

[14]           L’arbitre a souligné qu’il avait instruit l’appel de M. Orr entièrement sur dossier, en se fondant en grande partie sur les documents déposés dans l’affaire Orr QB, où la Cour avait examiné les mêmes questions que celles soulevées en appel devant lui. Pour les motifs qu’il a exposés, l’arbitre a souscrit à la conclusion du protonotaire Smart selon laquelle l’alinéa 9.3c) n’enfreignait pas la Charte, ni n’était par ailleurs ultra vires du conseil de la PNPT. L’arbitre a par conséquent rejeté l’appel.

[15]           Quant à la prétention de M. Orr voulant que l’alinéa 9.3c) soit ultra vires, constitue un abus de procédure et contrevienne à la primauté du droit, l’arbitre n’a pas souscrit à l’argument de ce dernier selon lequel l’alinéa 9.3c) visait à empêcher les membres de la PNPT de poursuivre en justice le conseil de la PNPT, son objet étant plutôt de garantir, a‑t‑il conclu, que le chef et les conseillers s’acquittent pleinement et correctement des obligations que le Règlement électoral leur impose. L’arbitre a conclu que, plutôt que de constituer un abus de pouvoir ou de contrevenir à la primauté du droit, la disposition était le fait d’un gouvernement responsable. Il a également souscrit à la conclusion tirée par le protonotaire Smart dans Orr QB qu’on ne pouvait dégager comme principe général de la jurisprudence citée par M. Orr, Amax Potash Ltd c Saskatchewan, [1977] 2 RCS 576 [Amax Potash], Air Canada c Colombie‑Britannique (Procureur général), [1986] 2 RCS 539 [Air Canada], et Kingstreet Investments Ltd. c Nouveau‑Brunswick (Finances), 2007 CSC 1 [Kingstreet], que les gouvernements canadiens ne peuvent pas adopter de dispositions les protégeant des recours en justice de leurs citoyens, et que cette jurisprudence n’appuyait pas l’idée qu’il découle de la Constitution ou de la Charte un droit fondamental à l’exercice de recours judiciaires contre les gouvernements.

[16]           Quant à l’alinéa 2b) de la Charte, l’arbitre a convenu avec la PNPT que l’alinéa 9.3c) du Règlement électoral ne violait pas le droit à la liberté d’expression qu’il garantit, au motif que M. Orr disposait toujours du droit de voter, des droits dévolus aux membres de la PNPT et de la possibilité de défendre ses opinions au sein de la collectivité et auprès du gouvernement de la PNPT. L’arbitre a aussi conclu que M. Orr s’était volontairement engagé dans la voie qu’il estimait nécessaire en poursuivant la PNPT, une voie directement et gravement incompatible avec les obligations incombant à un chef ou à un conseiller. L’arbitre a aussi approuvé la déclaration faite par le protonotaire Smart dans Orr QB, selon laquelle l’alinéa 9.3c) n’était pas une restriction d’origine législative à la liberté d’expression.

[17]           Quant à l’alinéa 2d) de la Charte, l’arbitre a conclu que l’alinéa 9.3c) du Règlement électoral n’enfreignait pas le droit à la liberté d’association de M. Orr, et a souscrit à la conclusion du protonotaire Smart dans Orr QB selon laquelle M. Orr n’avait pas dit en quoi la nomination à des fonctions publiques était protégée par la liberté d’association. La restriction apportée à cette activité n’empêchait pas M. Orr de constituer une association, de la maintenir et d’y appartenir. En tant que membre de la PNPT, M. Orr décide avec tous les autres membres, par voie électorale, qui fera partie du conseil de la PNPT et veillera à la réalisation des objectifs communs.

[18]           L’arbitre a déclaré que l’article 3 de la Charte protégeait les droits démocratiques des Canadiens. Par ailleurs, la Cour suprême du Canada a déterminé dans l’arrêt Baier qu’était ainsi protégé le droit de voter et de se porter candidat, mais seulement pour les élections législatives fédérales ou provinciales (Baier, au paragraphe 39; Taypotat, au paragraphe 28). L’arbitre a aussi conclu que la décision Crow c Bande de Blood, au paragraphe 22, citée par le protonotaire Smart dans Orr QB, permettait de même de soutenir que l’article 3 ne s’appliquait pas aux élections des conseils de bande. L’arbitre a par conséquent conclu que ce droit garanti par la Charte ne s’appliquait pas aux élections de la PNPT.

[19]           Quant à l’argument de M. Orr selon lequel la disposition contestée violait ses droits à l’égalité garantis par le paragraphe 15(1) de la Charte, l’arbitre a de nouveau souligné que l’objet de l’alinéa 9.3c) du Règlement était d’empêcher les conflits d’intérêts graves, et que la disposition ne perpétuait pas un préjugé à l’encontre de M. Orr. Faisant allusion au critère à deux volets énoncé dans l’arrêt R c Kapp, cité par le protonotaire Smart dans Orr QB, l’arbitre a convenu avec ce dernier qu’aucune preuve ne démontrait que l’existence d’une action civile non réglée contre la PNPT constituait un motif de discrimination énuméré au paragraphe 15(1) ou un motif analogue. L’arbitre a aussi admis que M. Orr pourrait présenter sa candidature une fois l’action réglée, et qu’il n’existait pas de désavantage par la perpétuation d’un préjugé qui enfreignait le droit à l’égalité garanti par le paragraphe 15(1) de la Charte.

[20]           Quant à l’article premier de la Charte, l’arbitre a conclu que, dans l’éventualité où il aurait tort de conclure que l’alinéa 9.3c) du Règlement électoral est compatible avec la Charte, il serait possible de démontrer, aux fins de l’article premier, que l’incompatibilité se justifie dans le cadre d’une société libre et démocratique. L’arbitre a souligné qu’on ne pouvait pas s’attendre à ce que le chef d’une Première Nation qui intente contre celle‑ci une action de 2,8 M $, même pour un motif valable, soit impartial et puisse s’acquitter pleinement et correctement des obligations que la loi lui impose. Appliquant le critère énoncé dans l’arrêt R c Oakes, [1986] 1 RCS 103 [Oakes], l’arbitre a conclu que l’objectif de l’alinéa 9.3c) est urgent et réel en ce qu’il vise à éviter que des conflits d’intérêts graves empêchent des membres du gouvernement de s’acquitter de leurs obligations. En outre, il existe un lien rationnel entre l’objectif visé par l’alinéa 9.3c) et le moyen utilisé pour l’atteindre, l’interdiction garantissant que les membres du conseil qui poursuivent la PNPT ne puissent, dans l’exercice de leurs fonctions, obtenir des renseignements susceptibles de nuire à cette dernière dans un procès. L’atteinte portée par la disposition est également minimale, puisque l’électeur exclu dispose toujours du droit de voter, de faire du lobbying et d’influencer le conseil de manière légitime. L’arbitre a conclu qu’il y avait proportionnalité entre l’objectif poursuivi par l’alinéa 9.3c) et ses effets, puisqu’une fois le litige civil réglé, l’électeur pourrait se porter candidat.

[21]           L’arbitre a aussi relevé que M. Orr n’avait pas étoffé les observations écrites où il affirmait que l’alinéa 9.3c) violait les articles 30, 35 et 36.

[22]           En fin de compte, l’arbitre a rejeté l’appel de M. Orr après avoir conclu que le fonctionnaire électoral avait correctement appliqué l’alinéa 9.3c) du Règlement électoral, et que cette disposition n’enfreignait pas la Charte. L’arbitre a aussi conclu que, dans l’éventualité où il aurait tort sur ce point, la disposition était raisonnable et justifiée au sens de l’article premier de la Charte.

Appel de M. Houle

[23]           L’arbitre s’est d’abord penché sur l’allégation de manœuvre électorale frauduleuse, un moyen d’appel fondé sur l’alinéa 16.1c) du Règlement électoral. M. Houle soutenait dans son avis d’appel que M. Alook avait promis à un électeur que, s’il votait pour lui, sa famille serait la prochaine à obtenir une indemnité de logement. Les électeurs ont par la suite été identifiés comme étant M. et Mme Trindle. À titre préliminaire, M. Houle a demandé à présenter des témoins additionnels, de crainte que les Trindle ne soient pas en mesure de témoigner. L’arbitre a conclu que le Règlement électoral constituait un code complet établissant les exigences impératives à respecter pour qu’un avis d’appel soit valide, et qu’une fois expiré le délai de présentation de l’avis, il ne pouvait plus accepter d’autres témoins ou faits importants au soutien de la thèse de M. Houle. L’arbitre a statué dans le même sens lorsqu’à l’audience M. Houle a demandé à témoigner et à présenter une preuve par ouï‑dire quant aux allégations d’acte de corruption. Il a fait remarquer que M. Houle n’avait pas été inscrit précédemment sur la liste des témoins et n’avait pas fourni avant l’audience une « déclaration anticipée ». L’arbitre n’a pas autorisé M. Houle à témoigner par souci d’équité envers la défenderesse et compte tenu du fait que, si cette preuve par ouï‑dire était entendue, le poids à lui accorder serait minime. Les Trindle n’ayant pas témoigné, et aucun autre élément de preuve n’ayant été présenté pour étayer l’allégation d’acte de corruption, l’arbitre a conclu que M. Orr n’avait pas prouvé que M. Alook était coupable d’un tel acte. Ce faisant, l’arbitre a aussi pris acte de la déclaration solennelle non contestée de M. Chris Wilson, administrateur de bande de la PNPT, à laquelle était jointe la politique provisoire sur les logements locatifs de la PNPT (la politique sur le logement). Conformément à la politique sur le logement, l’office d’habitation de la Première Nation de Peerless Trout (l’office) agit comme organisme d’appel à l’égard des décisions en matière de logement prises par le personnel de la PNPT. Les conseillers de la PNPT ne peuvent pas siéger comme membres de l’office. Ainsi, le personnel de la PNPT et l’office forment un abri institutionnel entre les décisions en matière de logement et le conseil de la PNPT, ce que l’arbitre a dit constituer un exemple de bonne gouvernance.

[24]           L’arbitre s’est ensuite penché sur les nombreuses allégations de M. Houle selon lesquelles le fonctionnaire électoral et les greffières de scrutin avaient agi irrégulièrement, en contravention des alinéas 16.1d) et e) du Règlement électoral.

[25]           Quant à l’alinéa 11.2b), l’arbitre a conclu que rien n’obligeait à recourir à des boîtes de scrutin distinctes pour l’élection du chef et celle des conseillers. Il a plutôt jugé approprié le recours à une même boîte, comme les bulletins pour l’élection du chef étaient colorés et ceux pour l’élection des conseillers étaient blancs.

[26]           L’arbitre a conclu que, selon la preuve, M. Earl Laboucan, le fonctionnaire électoral adjoint, avait quitté son bureau de scrutin à la demande du fonctionnaire électoral afin de transporter vers le bureau de Peerless Lake des bulletins blancs en excédent du bureau de Trout Lake. M. Laboucan s’est absenté une ou deux heures environ, et pendant cette période de 75 à 100 électeurs ont voté. L’article 11.7 du Règlement électoral exige du fonctionnaire électoral qu’il appose ses initiales sur les bulletins, qu’il remette les bulletins aux électeurs et qu’il surveille la boîte de scrutin. Le fonctionnaire électoral adjoint s’étant absenté, les votes enregistrés pendant son absence pourraient être mis en question. L’arbitre a toutefois conclu que, si l’absence nécessaire du fonctionnaire électoral adjoint était regrettable, elle n’était pas fatale. Un seul fonctionnaire électoral étant nommé et deux bureaux de scrutin étant utilisés, l’arbitre a interprété le Règlement électoral comme autorisant les greffiers de scrutin à assurer le bon déroulement du processus électoral lorsque, par nécessité, le fonctionnaire électoral n’est pas disponible; il a aussi fait observer que Rose Sowan et Penny Gullion n’avaient pas quitté les lieux et avaient continué d’agir à titre de greffières de scrutin.

[27]           L’arbitre s’est ensuite penché sur le fait que le décompte des bulletins de Trout Lake avait eu lieu à Peerless Lake. Il a conclu que, selon la preuve, le fonctionnaire électoral adjoint et les deux greffières de scrutin ont fermé la serrure de la boîte de scrutin de Trout Lake après la clôture du scrutin à 20 h, et qu’ils ont ensuite quitté le bureau de Trout Lake pour se rendre ensemble au bureau de Peerless Lake. L’arbitre a retenu le témoignage du fonctionnaire électoral adjoint selon lequel ils ne s’étaient pas arrêté en chemin et étaient demeurés en possession de la boîte de scrutin pendant tout le trajet, et que les bulletins n’avaient pas été dépouillés au bureau de Trout Lake immédiatement après la fermeture du scrutin, tel que requis par l’article 12.1 du Règlement électoral, parce que le fonctionnaire électoral adjoint croyait qu’il fallait quitter la salle à 20 h 30 au plus tard.

[28]           L’arbitre a aussi conclu que, bien que l’article 12.3 du Règlement électoral lui impose de remplir pour chaque bureau de scrutin un formulaire intitulé « Formulaire no 9 – Dépouillement des bulletins de vote et résultats du vote », le fonctionnaire électoral n’avait rempli qu’un formulaire combiné ne renfermant aucun renseignement sur chacun des bureaux en question.

[29]           L’arbitre a conclu qu’il ressortait de la preuve qu’une fois les bulletins comptés par le fonctionnaire électoral et son assistante au bureau de scrutin de Peerless Lake (pour le poste de chef seulement), le fonctionnaire électoral adjoint s’était rendu, en compagnie de Mmes Sowan et Gullion, à l’avant de la salle de Peerless Lake en ayant avec lui la boîte de scrutin de Trout Lake. L’arbitre a retenu le témoignage du fonctionnaire électoral adjoint, qui a affirmé avoir déverrouillé la boîte, déversé les bulletins sur la table devant une foule de 90 à 100 personnes environ, ramassé quelques bulletins tombés au sol, séparé les bulletins colorés pour le poste de chef des bulletins blancs pour les postes de conseillers, et lu à l’assistance le nom inscrit sur chaque bulletin, qu’il montrait ensuite aussi aux personnes présentes. L’arbitre a aussi retenu les dépositions de témoins selon lesquelles Penny Gullion, Rose Sowan et Linda Noskiye avaient fait le tri entre les bulletins colorés et les bulletins blancs, la déposition du fonctionnaire électoral adjoint selon laquelle le fonctionnaire électoral et Jackie Laboucan, sa greffière de scrutin, étaient présents lors du décompte à la table du dépouillement des bulletins, et la déposition du fonctionnaire électoral selon laquelle Mme Rosie Cardinal, agente électorale de M. Alook, était aussi présente à cette table.

[30]           L’arbitre a ensuite examiné l’allégation d’assistance inappropriée apportée à un électeur. La preuve montrait, a dit l’arbitre, qu’un électeur non identifié avait demandé de l’aide au bureau de scrutin de Trout Lake, et que cet électeur avait répondu par l’affirmative lorsque la greffière de scrutin lui avait demandé s’il préférait obtenir l’aide de Linda Noskiye. On a aussi laissé entendre qu’un ou deux autres électeurs avaient pu obtenir l’aide d’une greffière de scrutin, mais on ignore qui, le cas échéant, avait bien pu les aider. L’arbitre a toutefois conclu que, si quelqu’un avait demandé de l’aide, le formulaire approprié pour consigner cette demande n’avait pas été rempli conformément à l’article 11.5 ou à l’article 11.6 du Règlement électoral.

[31]           L’arbitre a conclu que les éléments de preuve tendaient à établir que le fonctionnaire électoral avait accepté que Rose Cardinal agisse comme agente électorale de M. Alook, mais qu’il ne l’avait pas désignée par écrit ainsi que l’exigeait l’article 11.4 du Règlement électoral.

[32]           Quant aux allégations relatives aux activités irrégulières de Mme Linda Noskiye, l’arbitre a conclu que la preuve démontrait que Mme Noskiye, une électrice, avait été présente pendant tout le déroulement du scrutin à Trout Lake, en violation de l’alinéa 11.7j) du Règlement électoral, qui enjoint aux électeurs de quitter le bureau de scrutin immédiatement après avoir voté. L’arbitre a retenu le témoignage du fonctionnaire électoral adjoint, qui a affirmé que Mme Noskiye était présente pour aider les membres du personnel électoral de Trout Lake à identifier les électeurs, et a rejeté les allégations selon lesquelles elle avait agi comme greffière de scrutin en dépouillant les bulletins de vote. L’arbitre a aussi retenu le témoignage du fonctionnaire électoral qui a affirmé qu’il avait demandé à Mme Noskiye d’aider à trier les bulletins, et qu’il ne l’avait rien vu faire d’inapproprié, de malencontreux ou d’inhabituel qui aurait constitué de la tricherie. D’autres témoins ont confirmé que Mme Noskiye avait participé au tri, puis était allée s’asseoir. L’arbitre a aussi conclu que, si Mme Noskiye avait bel et bien aidé un électeur à voter, il lui aurait fallu remplir le formulaire no 6 ou no 7, selon le cas, et que cela n’ayant pas été fait, une voix pouvait être mise en question.

[33]           Quant à l’argument selon lequel la Loi électorale du Canada interdisait à M. Oostendorp d’agir comme fonctionnaire électoral, l’arbitre a souligné qu’on n’y avait pas donné suite. L’arbitre a reconnu que la Loi électorale du Canada s’applique uniquement aux élections fédérales, et que le Règlement électoral constitue un code écrit complet régissant les élections au sein de la PNPT.

[34]           Quant aux autres moyens d’appel (article 12.3 – formulaire 9, articles 11.4, 16.2 et 11.6, paragraphe 11.6(6) et article 11.6), ils chevauchaient les moyens déjà examinés et avaient donc été considérés.

[35]           L’arbitre a conclu en résumé que les articles 12.1, 11.5 (ou 11.6) et 11.4 du Règlement électoral n’avaient pas été parfaitement respectés. Il a ensuite examiné si ces moyens d’appel avaient influé de façon importante sur le résultat de l’élection.

[36]           L’élément clé de cette analyse est l’alinéa 16.8b) du Règlement électoral, qui impose de déterminer si un ou plusieurs des comportements imparfaits relevés ont influé de façon importante sur le résultat de l’élection. L’arbitre a souligné que les deux parties avaient invoqué la décision Beamish et al c Miltenberger and the Returning Officer for the Electoral District of Thebacha, [1997] NWTR 160 [Beamish] pour dire que, si la loi électorale en cause présente des lacunes en matière de contestation d’élections, il faut remédier à ces lacunes en recourant à la common law, qui prévoit que le résultat d’une élection est présumé valide et ne doit être annulé que s’il est démontré, selon la prépondérance des probabilités, que les irrégularités commises ont influé sur ce résultat. L’arbitre a aussi souligné que les parties avaient toutes deux cité l’arrêt Opitz c Wrzesnewskyj, 2012 CSC 55 [Opitz], dans lequel les juges de la majorité ont considéré le « critère du nombre magique » comme étant le critère permettant de déterminer si, sans l’irrégularité à l’examen, le résultat de l’élection aurait été différent. Suivant ce critère, l’élection doit être annulée si le nombre de votes invalides est égal ou supérieur à la majorité du candidat vainqueur.

[37]           L’arbitre a conclu qu’un vote avait pu être incorrectement compté, et que M. Alook avait obtenu 44 voix de plus que M. Houle à l’élection pour le poste de chef. L’arbitre a aussi conclu qu’aucune des trois infractions relevées n’avait influé de façon importante sur le résultat de l’élection.

[38]           Cela étant, l’arbitre a fait droit à l’appel de M. Houle, mais il a maintenu le résultat de l’élection. Estimant que l’appel était pour l’essentiel non fondé, il a aussi condamné M. Houle, en application de l’article 16.11 du Règlement électoral, aux dépens de l’appel, y compris les frais pour la location de la salle, les services de transcription et le repas le jour de l’audience, les frais post‑électoraux engagés par le fonctionnaire électoral et le fonctionnaire électoral adjoint en lien avec l’arbitrage, ainsi que ses propres honoraires et frais.

Questions en litige

[39]           Je formulerai les questions en litige comme suit :

1.      Quelle est la norme de contrôle applicable?

2.      L’arbitre a‑t‑il conclu erronément que l’alinéa 9.3c) du Règlement électoral n’était pas inconstitutionnel?

3.      L’arbitre a‑t‑il refusé erronément à M. Houle de présenter d’autres témoins?

4.      L’arbitre a‑t‑il conclu erronément que les pratiques électorales contraires au Règlement électoral n’avaient pas influé de façon importante sur le résultat?

5.       L’arbitre a‑t‑il eu tort de condamner M. Houle aux dépens?

Question 1 – Quelle est la norme de contrôle applicable?

[40]           Les demandeurs soutiennent que toutes les questions soulevées par le présent contrôle judiciaire touchent à l’analyse constitutionnelle ou à l’interprétation législative, ou sont des questions de droit, de sorte que la norme de la décision correcte leur est applicable (Multani c CSMB, 2006 CSC 6, aux paragraphes 16 à 23 et 30). Les questions liées à l’équité procédurale lors d’une audience administrative appellent, de même, la norme de la décision correcte (SCFP c Ontario (Ministre du Travail), 2003 CSC 29, aux paragraphes 100 à 103).

[41]           La défenderesse convient que la norme de la décision correcte s’applique à l’interprétation par l’arbitre des dispositions de la Constitution et de la Charte ainsi qu’aux questions d’équité procédurale. Il soutient toutefois que sont assujetties à la norme de la raisonnabilité les conclusions de fait tirées par l’arbitre et à l’égard desquelles la Constitution et la Charte doivent être appliquées, y compris la question de savoir si, en fonction de ces faits, l’alinéa 9.3c) du Règlement électoral est raisonnable et justifié dans une société libre et démocratique (Doré c Barreau du Québec, 2012 CSC 12, aux paragraphes 44 et 54 à 48 [Doré]); l’interprétation du Règlement électoral par l’arbitre (Première Nation de Fort McKay c Orr, 2012 CAF 269, aux paragraphes 8 à 11 [Fort McKay]; Testawich c Duncan’s First Nation, 2014 CF 1052, au paragraphe 16 [Testawich]); les conclusions de fait tirées par l’arbitre auxquelles s’applique le Règlement électoral (Testawich, au paragraphe 23).

[42]           À mon avis, la deuxième question en litige comporte deux volets. Il faut examiner, premièrement, si l’arbitre a conclu erronément que l’alinéa 9.3c) du Règlement électoral n’était pas inconstitutionnel. Tel qu’il a été déclaré dans l’arrêt Doré (au paragraphe 43) : « Il ne fait aucun doute que la décision d’un tribunal administratif au sujet de la constitutionnalité d’une loi s’examine suivant la norme de la décision correcte (Dunsmuir, par. 58) ». Ainsi, dans la mesure où l’arbitre examinait si l’alinéa 9.3c) était incompatible avec l’article 3 de la Charte ou les droits démocratiques non écrits, la norme de contrôle applicable est celle de la décision correcte. Par ailleurs, l’arrêt Doré ne nous est guère utile puisqu’on y contestait la constitutionnalité, non pas d’une loi, mais d’une décision administrative d’ordre discrétionnaire.

[43]           Le second volet de la question consiste à savoir si l’alinéa 9.3c) vise à priver les membres de la PNPT d’un recours contre leur gouvernement, et s’il contrevient ainsi à la primauté du droit et constitue un abus de pouvoir et une mesure arbitraire. C’est donc l’interprétation de l’alinéa 9.3c) par l’arbitre qui est en cause. Dans l’arrêt Fort McKay, où elle était saisie d’une décision du conseil d’une Première Nation de suspendre un conseiller par voie de résolution, la Cour d’appel fédérale a déclaré qu’il s’agissait de savoir si cette décision se justifiait selon une interprétation raisonnable des dispositions pertinentes du code électoral (au paragraphe 21), et a appliqué à l’interprétation de ces dispositions la norme de contrôle de la raisonnabilité.

[44]           De plus, dans Testawich, la Cour s’est fondée sur les décisions Fort McKay, aux paragraphes 10 et 11; D’Or c St. Germain, 2014 CAF 28, aux paragraphes 5 et 6; York c Bande indienne de Lower Nicola, 2013 CAF 26, au paragraphe 6 [York]; Tsetta c Conseil de Bande de la Première Nation des Dénés Couteaux‑Jaunes, 2014 CF 396, au paragraphe 22 [Tsetta]; ainsi que Ferguson c Lavallee, 2014 CF 569, au paragraphe 63, pour conclure que l’interprétation et l’application, par un comité d’appel en matière d’élections, d’un règlement sur les élections étaient susceptibles de contrôle selon la norme de la décision raisonnable (aux paragraphes 16 et 21). La Cour a ajouté que, lorsqu’elle appliquait cette norme, elle devait faire preuve de retenue à l’égard des conclusions de fait tirées par le décideur (Testawich, au paragraphe 23). Je ne vois donc pas pourquoi la norme de la raisonnabilité ne s’appliquerait pas également à l’interprétation du Règlement électoral faite par l’arbitre qui a été désigné pour instruire l’appel en matière d’élections conformément à l’article 16 de ce règlement.

[45]           M. Houle formule la troisième question en litige comme une question d’équité procédurale; la norme de la décision correcte s’applique aux questions d’équité procédurale (Khosa c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CSC 12, au paragraphe 43; York, au paragraphe 6; Tsetta; Minde c Première Nation d’Ermineskin, 2008 CAF 52, au paragraphe 32; Khela c Établissement de Mission, 2014 CSC 24, au paragraphe 79; Testawich, au paragraphe 15). La défenderesse soutient pour sa part que cette question met aussi en cause l’interprétation par l’arbitre du Règlement électoral. Or, on l’a dit, une telle interprétation appelle la norme de la décision raisonnable.

[46]           De même, la quatrième question – la conclusion de l’arbitre selon laquelle les violations du Règlement électoral n’ont pas influé de façon importante sur le résultat de l’élection –, met également en cause l’interprétation et l’application par l’arbitre du critère énoncé à l’alinéa 16.8b) du Règlement électoral. Cela commande la norme de la décision raisonnable, tout comme la cinquième question en litige, qui met en cause l’interprétation et l’application par l’arbitre de l’article 16.11, relatif aux frais, du Règlement électoral.

Question 2 – L’arbitre a‑t‑il conclu erronément que l’alinéa 9.3c) du Règlement électoral n’était pas inconstitutionnel?

Thèse de M. Orr

[47]           Dans sa demande contrôle judiciaire, M. Orr s’est concentré sur la question de l’alinéa 9.3c) dans le contexte de ses droits démocratiques. Il a fait valoir que la Constitution incarnait quatre valeurs fondamentales, soit le fédéralisme, la démocratie, le constitutionnalisme et la primauté du droit, qui sont des éléments essentiels du droit constitutionnel au Canada et sont « nettement implicite[s] de par la nature même d’une constitution » (Renvoi relatif à la sécession du Québec, [1998] 2 RCS 217, aux paragraphes 49 à 54 [Renvoi relatif à la sécession du Québec]). De plus, bien que non écrit, le principe de la démocratie est reconnu dans le préambule de la Constitution et est une « considération interprétative essentielle » (Renvoi relatif à la sécession du Québec, aux paragraphes 61 à 69), dont l’origine remonte à la Magna Carta et qui a pris davantage forme dans le Bill of Rights anglais. Ainsi, M. Orr fait valoir que, contrairement à ce qu’ont décidé l’arbitre et le protonotaire Smart, il convient d’interpréter l’article 3 de la Charte comme garantissant le droit de tous les citoyens du Canada à un gouvernement démocratique. Ce droit échappe au pouvoir dérogatoire de l’article 33 de la Charte et appelle une interprétation libérale (articles 3, 4, 33 et 35 de la Charte). Selon M. Orr, bien que l’article 3 ne fasse mention que des élections législatives fédérales et provinciales, il ressort clairement de l’arrêt Nation Tsilhqot’in c Colombie‑Britannique, 2014 CSC 44, aux paragraphes 138 à 144, [Tsilhqot’in] que l’article 35 n’était pas au centre des préoccupations des rédacteurs de la Charte lorsqu’ils ont procédé à sa rédaction.

[48]           M. Orr soutient que l’arrêt Baier n’étaye pas en fait la décision de l’arbitre puisque cette affaire se distingue de la présente espèce et porte principalement sur l’applicabilité de l’alinéa 2b) de la Charte, sans soulever de questions liées aux articles premier, 3 ou 15 de la Charte ou des droits démocratiques constitutionnels. En outre, déclare M. Orr, la Cour suprême du Canada a restreint la portée de l’arrêt Baier dans son arrêt Greater Vancouver Transportation Authority c Fédération canadienne des étudiantes et étudiants, [2009] 2 RCS 295, aux paragraphes 13 à 16, 27, 35 et 36 [Greater Vancouver Transportation Authority].

[49]           M. Orr fait valoir que le Règlement électoral doit respecter le droit constitutionnel à la démocratie, qui comprend, tout en étant de plus large portée, les droits expressément énoncés à l’article 3 de la Charte (Thompson c Conseil de la Première Nation Leq’A:Mel, 2007 CF 707, au paragraphe 8 [Thompson]). Établissant des parallèles avec l’arrêt Taypotat, M. Orr soutient que le principe de la primauté du droit met tous les Canadiens à l’abri des actions étatiques arbitraires, et permet aux citoyens de poursuivre le gouvernement en justice. Selon M. Orr, l’alinéa 9.3c) contrevient aux principes de la démocratie et de la primauté du droit et constitue un abus de pouvoir, puisqu’il s’agit manifestement d’une tentative menée par la PNPT pour priver ses membres d’un recours contre le gouvernement. En outre, pour que l’alinéa 9.3c) se justifie au sens de l’article premier de la Charte, il faut établir que la restriction imposée sert à la réalisation d’un objet ou d’un objectif constitutionnellement valide, et la PNPT n’a présenté aucune preuve en ce sens dans le cadre de la procédure arbitrale d’appel. Avant l’adoption de la Charte, les tribunaux ont statué que les gouvernements ne pouvaient pas, par voie législative, empêcher les citoyens de les poursuivre, de telles dispositions étant ultra vires (Amax Potash, Air Canada, Kingstreet). M. Orr soutient que les dispositions sur les conflits d’intérêts figurant à l’annexe C du Règlement électoral pourraient valablement répondre aux préoccupations que pourrait susciter sa poursuite contre la PNPT. Ainsi, affirme M. Orr, aucune préoccupation urgente ou réelle ne nécessite de restreindre son droit démocratique de se porter candidat.

[50]           M. Orr soutient que le principe fondamental de la démocratie consacré par la Constitution ne vise pas qu’un droit garanti par la Charte, de sorte que toute restriction apportée à la démocratie constitue une restriction des droits fondamentaux protégés par la Constitution (Sauvé c Canada (Directeur général des élections), 2002 CSC 68, aux paragraphes 24 et 28 à 46 [Sauvé]). Il affirme qu’il convient de considérer qu’il existe une distinction entre les droits garantis par l’article 3 de la Charte et les droits démocratiques visés par le préambule de la Constitution, et qu’ainsi, les dispositions de la Charte ne sauraient restreindre la démocratie, à laquelle renvoie le préambule, qui est si fondamentale au Canada (New Brunswick Broadcasting Co c Nouvelle‑Écosse, [1993] 1 RCS 319, aux pages 368 et 373 à 378).

Thèse de la défenderesse

[51]           La thèse de la défenderesse est la suivante : l’alinéa 9.3c) n’est pas inconstitutionnel, il ne viole aucun des articles de la Charte évoqués plus tôt et il ne porte atteinte à aucune valeur démocratique non écrite.

[52]           La défenderesse soutient que l’alinéa 9.3c) ne porte pas atteinte aux droits garantis à M. Orr par l’alinéa 2b) de la Charte parce c’est alinéa ne garantit aucun mode ou lieu d’expression en particulier. La disposition contestée n’enfreint pas non plus le droit à la liberté d’association garanti par l’alinéa 2d) de la Charte à M. Orr, puisque ce droit n’entre en jeu que si l’État interdit une activité en raison de sa nature associative et décourage de ce fait la poursuite d’objectifs communs. La défenderesse souligne que l’alinéa 9.3c) n’empêche pas M. Orr de se porter candidat à une élection pour un motif de nature associative. L’alinéa 9.3c) n’enfreint pas non plus les droits garantis à M. Orr par l’article 3 de la Charte, puisque les droits garantis par cet article ne visent que les élections législatives fédérales ou provinciales; l’article 3 ne s’applique pas au conseil de la PNPT (Baier, au paragraphe 39; Taypotat, au paragraphe 28; Orr QB, au paragraphe 17). La défenderesse affirme aussi que l’alinéa 9.3c) n’établit aucune discrimination en violation du paragraphe 15(1) de la Charte, puisqu’il ne fait pas de distinction fondée sur un motif énuméré ou analogue; l’alinéa ne crée pas non plus, à l’égard des personnes intentant des recours civils, un désavantage par la perpétuation d’un préjugé ou l’application de stéréotypes (Taypotat, au paragraphe 44; Baier, aux paragraphes 63 à 65; Orr QB, au paragraphe 22).

[53]           La défenderesse soutient aussi que l’alinéa 9.3c) du Règlement électoral ne peut être invalidé par l’article 35 de la Charte, qui, au contraire, reconnaît et confirme le droit ancestral à l’autonomie gouvernementale qui permet à la PNPT d’adopter le Règlement électoral, ni par l’article 36 de la Charte, dont peuvent seulement se prévaloir les gouvernements provinciaux et fédéral ayant un intérêt dans les types d’ententes qui y sont visées.

[54]           La défenderesse ajoute que l’alinéa 9.3c) du Règlement électoral ne contrevient à aucun principe constitutionnel non écrit ou droit démocratique qui protège le droit des citoyens de poursuivre leur gouvernement; cette disposition, en tout état de cause, n’interdit à aucun membre d’intenter des poursuites contre la PNPT. S’agissant du Renvoi relatif à la sécession du Québec invoqué par M. Orr, la défenderesse souligne que la Cour suprême du Canada a rappelé qu’il fallait prendre garde de ne pas négliger le texte écrit de la Constitution et que, bien au contraire, il existait des raisons impératives d’insister sur la primauté de la Constitution écrite (Renvoi relatif à la sécession du Québec, au paragraphe 53). La défenderesse soutient que M. Orr a aussi fait abstraction des indications données par la Cour suprême dans l’arrêt Baier, à savoir que l’article 3 ne protège que le droit de voter et celui de se porter candidat lors des élections législatives fédérales ou provinciales, et qu’il n’appartient pas à la Cour suprême de créer des droits constitutionnels à l’égard d’un troisième ordre de gouvernement alors que, interprété contextuellement, le texte de la Constitution ne le fait pas (au paragraphe 39). La défenderesse ajoute qu’on ne peut pas s’appuyer sur les arrêts Tsilhqot’in ou Greater Vancouver Transportation Authority de la Cour suprême, ou sur la décision Thompson de la Cour, pour faire abstraction de la mise en garde de la Cour suprême, et que dans l’arrêt Taypotat, la Cour d’appel fédérale a réaffirmé que l’article 3 ne s’appliquait pas au droit électoral d’une Première Nation (au paragraphe 28).

[55]           La défenderesse soutient qu’aucun [traduction] « principe fondamental » ne se rapporte au droit du citoyen de poursuivre un gouvernement pour rupture de contrat, et que la jurisprudence citée par M. Orr n’établit pas l’existence d’un tel droit constitutionnel.

[56]           La défenderesse soutient que l’alinéa 9.3c) du Règlement électoral visait à éviter les conflits d’intérêts manifestes et flagrants susceptibles d’empêcher un membre élu de s’acquitter pleinement et correctement de ses obligations. Ainsi, la PNPT n’a pas abusé de ses pouvoirs d’autonomie gouvernementale en s’attaquant à ce grave problème lorsqu’elle a établi les critères d’admissibilité.

[57]           La défenderesse soutient aussi qu’il était raisonnable pour l’arbitre de conclure subsidiairement que, même s’il avait tort et que l’alinéa 9.3c) enfreignait bel et bien les droits constitutionnels de M. Orr, cette disposition était protégée par l’article premier de la Charte du fait qu’elle est raisonnable et justifiée dans le cadre d’une société libre et démocratique. La preuve a établi que l’alinéa 9.3c) visait à éviter les conflits d’intérêts manifestes et flagrants. Ainsi, selon la défenderesse, l’arbitre a conclu de manière raisonnable et correcte, au vu des faits qu’on lui avait présentés, qu’il existait un lien rationnel entre l’objectif urgent et réel visé et l’interdiction énoncée à l’alinéa 9.3c) par la PNPT, et que cette disposition portait minimalement atteinte aux droits de M. Orr et était proportionnelle.

Analyse

[58]           L’alinéa 9.3c) du Règlement électoral prévoit ce qui suit :

[traduction]

9.3 Électeurs pouvant être candidats

[...]

c) L’électeur qui intente une action civile contre la PNPT ne peut être mis en candidature.

[59]           Ne peut également être mis en candidature l’électeur reconnu coupable et non réhabilité ou l’électeur inculpé d’un acte criminel au moment de la mise en candidature, non plus que l’électeur travaillant pour la PNPT ou une entreprise relevant de la PNPT (alinéas 9.3b) et d) du Règlement électoral).

[60]           Si je comprends bien le premier élément de l’argumentation de M. Orr, la démocratie est une valeur constitutionnelle fondamentale qui, sans être écrite, est reconnue dans le préambule de la Constitution. Cette valeur est distincte des droits découlant de l’article 3 de la Charte et de portée plus large que ces droits, et les dispositions de la Charte ne peuvent pas restreindre le droit fondamental à la démocratie. En outre, soutient M. Orr, l’article 3 de la Charte n’est pas d’application limitée, mais sert à reconnaître que la démocratie est une valeur fondamentale pour chaque composante des diverses institutions politiques et tous les ordres de gouvernement. C’est pour ce motif, affirme M. Orr, que la disposition contestée n’est pas protégée par l’article premier ou les articles 33 ou 35 de la Charte.

[61]           Afin de statuer sur cette question, je reproduirai d’abord la partie du préambule de la Constitution invoquée par M. Orr au soutien de sa thèse :

CONSIDÉRANT que les provinces du Canada, de la Nouvelle‑Écosse et du Nouveau‑Brunswick ont exprimé le désir de contracter une Union Fédérale pour ne former qu’une seule et même Puissance (Dominion) sous la couronne du Royaume‑Uni de la Grande‑Bretagne et d’Irlande, avec une constitution reposant sur les mêmes principes que celle du Royaume‑Uni :

[62]           L’argument fondé sur le préambule avancé par M. Orr semble découler du Renvoi relatif à la sécession du Québec et s’appuie fortement sur certains de ses passages. Dans l’examen de la première question dont elle était saisie dans cet arrêt, celle de savoir si l’Assemblée nationale, la législature, ou le gouvernement du Québec pouvait, en vertu de la Constitution, procéder unilatéralement à la sécession du Québec du Canada, la Cour suprême du Canada s’est livrée à l’analyse des principes constitutionnels fondamentaux :

[49]      Quels sont ces principes fondamentaux? Notre Constitution est principalement une Constitution écrite et le fruit de 131 années d’évolution. Derrière l’écrit transparaissent des origines historiques très anciennes qui aident à comprendre les principes constitutionnels sous‑jacents. Ces principes inspirent et nourrissent le texte de la Constitution : ils en sont les prémisses inexprimées. L’analyse qui suit traite des quatre principes constitutionnels fondamentaux qui intéressent le plus directement le présent renvoi : le fédéralisme, la démocratie, le constitutionnalisme et la primauté du droit, et le respect des droits des minorités. Ces principes déterminants fonctionnent en symbiose. Aucun de ces principes ne peut être défini en faisant abstraction des autres, et aucun de ces principes ne peut empêcher ou exclure l’application d’aucun autre.

[50]      Notre Constitution a une architecture interne, ce que notre Cour à la majorité, dans SEFPO c. Ontario (Procureur général), [1987] 2 R.C.S. 2, à la p. 57, a appelé une « structure constitutionnelle fondamentale ». Chaque élément individuel de la Constitution est lié aux autres et doit être interprété en fonction de l’ensemble de sa structure. Dans le récent Renvoi relatif aux juges de la Cour provinciale, nous avons souligné que certains grands principes imprègnent la Constitution et lui donnent vie. Dans le Renvoi relatif aux droits linguistiques au Manitoba, précité, à la p. 750, nous avons dit de la primauté du droit que ce « principe est nettement implicite de par la nature même d’une constitution ». On peut dire la même chose des trois autres principes constitutionnels analysés ici.

[51]      Bien que ces principes sous‑jacents ne soient pas expressément inclus dans la Constitution, en vertu d’une disposition écrite, sauf pour certains par une allusion indirecte dans le préambule de la Loi constitutionnelle de 1867, il serait impossible de concevoir notre structure constitutionnelle sans eux. Ces principes ont dicté des aspects majeurs de l’architecture même de la Constitution et en sont la force vitale.

[52]      Ces principes guident l’interprétation du texte et la définition des sphères de compétence, la portée des droits et obligations ainsi que le rôle de nos institutions politiques. Fait tout aussi important, le respect de ces principes est indispensable au processus permanent d’évolution et de développement de notre Constitution, cet [traduction] « arbre vivant » selon la célèbre description de l’arrêt Edwards c. Attorney‑General for Canada, [1930] A.C. 124 (C.P.), à la p. 136. Notre Cour a indiqué dans New‑Brunswick Broadcasting Co. c. Nouvelle‑Écosse (Président de l’Assemblée législative), [1993] 1 R.C.S. 319, que les Canadiens reconnaissent depuis longtemps l’existence et l’importance des principes constitutionnels non écrits de notre système de gouvernement.

[53]      Étant donné l’existence de ces principes constitutionnels sous‑jacents, de quelle façon notre Cour peut‑elle les utiliser? Dans le Renvoi relatif aux juges de la Cour provinciale, précité, aux par. 93 et 104, nous avons apporté la réserve que la reconnaissance de ces principes constitutionnels (l’opinion majoritaire parle de « principes structurels » et décrit l’un d’eux, l’indépendance de la magistrature, comme une norme non écrite) n’est pas une invitation à négliger le texte écrit de la Constitution. Bien au contraire, nous avons réaffirmé qu’il existe des raisons impératives d’insister sur la primauté de notre Constitution écrite. Une constitution écrite favorise la certitude et la prévisibilité juridiques, et fournit les fondements et la pierre de touche du contrôle judiciaire en matière constitutionnelle. Nous avons toutefois signalé dans le Renvoi relatif aux juges de la Cour provinciale que le préambule de la Loi constitutionnelle de 1867 avait pour effet d’incorporer par renvoi certains principes constitutionnels, proposition affirmée auparavant par l’arrêt Fraser c. Commission des relations de travail dans la Fonction publique, [1985] 2 R.C.S. 455, aux pp. 462 et 463. Dans le Renvoi relatif aux juges de la Cour provinciale, au par. 104, nous avons statué que le préambule « invite les tribunaux à transformer ces principes en prémisses d’une thèse constitutionnelle qui amène à combler les vides des dispositions expresses du texte constitutionnel ».

[54]      Des principes constitutionnels sous‑jacents peuvent, dans certaines circonstances, donner lieu à des obligations juridiques substantielles (ils ont « plein effet juridique » selon les termes du Renvoi relatif au rapatriement, précité, à la p. 845) qui posent des limites substantielles à l’action gouvernementale. Ces principes peuvent donner naissance à des obligations très abstraites et générales, ou à des obligations plus spécifiques et précises. Les principes ne sont pas simplement descriptifs; ils sont aussi investis d’une force normative puissante et lient à la fois les tribunaux et les gouvernements. « En d’autres termes », comme l’affirme notre Cour dans le Renvoi relatif aux droits linguistiques au Manitoba, « dans les décisions constitutionnelles, la Cour peut tenir compte des postulats non écrits qui constituent le fondement même de la Constitution du Canada » (p. 752). Ce sont ces principes constitutionnels sous‑jacents que nous allons analyser maintenant.

[...]

[61]      La démocratie est une valeur fondamentale de notre culture juridique et politique. Quoiqu’il ait à la fois un aspect institutionnel et un aspect individuel, le principe démocratique a été invoqué dans le présent renvoi au sens de suprématie de la volonté souveraine d’un peuple, potentiellement exprimée dans ce cas par les Québécois en faveur d’une sécession unilatérale. Il est utile d’étudier brièvement ces divers aspects du principe démocratique.

[62]      Le principe de la démocratie a toujours inspiré l’aménagement de notre structure constitutionnelle, et demeure aujourd’hui une considération interprétative essentielle. Dans notre arrêt SEFPO c. Ontario, précité, à la p. 57, les juges de la majorité ont confirmé que « la structure fondamentale de notre Constitution établie par la Loi constitutionnelle de 1867 envisage l’existence de certaines institutions politiques dont des corps législatifs librement élus aux niveaux fédéral et provincial ». Il ressort d’une série plus ancienne de décisions émanant de notre Cour, notamment Switzman c. Elbling, [1957] R.C.S. 285, Saumur c. City of Quebec, [1953] 2 R.C.S. 299, Boucher c. The King, [1951] R.C.S. 265, et Reference re Alberta Statutes, [1938] R.C.S. 100, que, pour bien comprendre le principe de la démocratie, il faut l’envisager comme l’assise que les rédacteurs de notre Constitution et, après eux, nos représentants élus en vertu de celle‑ci ont toujours prise comme allant de soi. C’est peut‑être pour cette raison que ce principe n’est pas mentionné expressément dans le texte même de la Loi constitutionnelle de 1867. Cela aurait sans doute paru inutile, voire même saugrenu, aux rédacteurs. Comme l’explique le Renvoi relatif aux juges de la Cour provinciale, précité, au par. 100, il est évident que notre Constitution établit au Canada un régime de démocratie constitutionnelle. Cela démontre l’importance des principes constitutionnels sous‑jacents qui ne sont décrits expressément nulle part dans nos textes constitutionnels. Le caractère représentatif et démocratique de nos institutions politiques était tout simplement tenu pour acquis.

[63]      Par démocratie, on entend communément un système politique soumis à la règle de la majorité. Il est essentiel de bien comprendre ce que cela signifie. L’évolution de notre tradition démocratique remonte à la Magna Carta (1215) et même avant, à travers le long combat pour la suprématie parlementaire dont le point culminant a été le Bill of Rights anglais de 1689, puis l’émergence d’institutions politiques représentatives pendant la période coloniale, le développement de la responsabilité gouvernementale au XIXsiècle et, finalement, l’avènement de la Confédération elle‑même en 1867. « [L]e modèle canadien », selon les juges majoritaires dans le Renvoi relatif aux circonscriptions électorales provinciales (Sask.), [1991] 2 R.C.S. 158, à la p. 186, est « une démocratie en évolution qui se dirige par étapes inégales vers l’objectif du suffrage universel et d’une représentation plus effective ». Depuis la Confédération, les efforts pour étendre la participation dans notre système politique à ceux qui en étaient injustement privés – notamment les femmes, les minorités et les peuples autochtones – se poursuivent avec un certain succès jusqu’à ce jour.

[64]      La démocratie ne vise pas simplement les mécanismes gouvernementaux. Bien au contraire, comme l’indique Switzman c. Elbling, précité, à la p. 306, la démocratie est fondamentalement liée à des objectifs essentiels dont, tout particulièrement, la promotion de l’autonomie gouvernementale. La démocratie respecte les identités culturelles et collectives : Renvoi relatif aux circonscriptions électorales provinciales, à la p. 188. Autrement dit, un peuple souverain exerce son droit à l’autonomie gouvernementale à travers le processus démocratique. Dans l’arrêt R. c. Oakes, [1986] 1 R.C.S. 103, notre Cour, qui examinait la portée et l’objet de la Charte, a énoncé certaines valeurs inhérentes à la notion de démocratie (à la p. 136) :

Les tribunaux doivent être guidés par des valeurs et des principes essentiels à une société libre et démocratique, lesquels comprennent, selon moi, le respect de la dignité inhérente de l’être humain, la promotion de la justice et de l’égalité sociales, l’acceptation d’une grande diversité de croyances, le respect de chaque culture et de chaque groupe et la foi dans les institutions sociales et politiques qui favorisent la participation des particuliers et des groupes dans la société.

[65]      En termes institutionnels, la démocratie signifie que chacune des assemblées législatives provinciales et le Parlement fédéral sont élus au suffrage populaire. Selon New Brunswick Broadcasting, précité, à la p. 387, ces assemblées législatives sont des « élément[s] essentiel[s] du système de gouvernement représentatif ». Au niveau individuel, le droit de vote aux élections à la Chambre des communes et aux assemblées législatives provinciales, ainsi que le droit d’être candidat à ces élections, sont garantis à « [t]out citoyen canadien » en vertu de l’art. 3 de la Charte. La démocratie, dans la jurisprudence de notre Cour, signifie le mode de fonctionnement d’un gouvernement représentatif et responsable et le droit des citoyens de participer au processus politique en tant qu’électeurs (Renvoi relatif aux circonscriptions électorales provinciales, précité), et en tant que candidats (Harvey c. Nouveau‑Brunswick (Procureur général), [1996] 2 R.C.S. 876). En outre, l’art. 4 de la Charte a pour effet d’obliger la Chambre des communes et les assemblées législatives provinciales à tenir régulièrement des élections et de permettre aux citoyens d’élire des représentants aux diverses institutions politiques. Le principe démocratique est énoncé de façon particulièrement claire puisque l’art. 4 n’est pas sujet à l’exercice du pouvoir dérogatoire de l’art. 33.

[Non souligné dans l’original.]

[63]           Ainsi, bien que M. Orr ait raison de dire que la démocratie est un principe sous‑jacent de la Constitution, la question est de savoir, comme la défenderesse l’a reconnu, si cela équivaut à une garantie constitutionnelle que les membres de la PNPT peuvent se porter candidat à une fonction élective au sein du conseil. À mon avis, M. Orr ne cite aucune source à l’appui de cette conclusion.

[64]           De plus, s’agissant de la thèse de M. Orr, il importe de se rappeler que la Cour suprême a expressément déclaré dans le Renvoi relatif à la sécession du Québec que le droit de voter aux élections à la Chambre des communes et aux assemblées législatives provinciales, ainsi que le droit d’être candidat « à ces élections », sont garantis par l’article 3 de la Charte (au paragraphe 65). La Cour suprême a aussi reconnu dans cet arrêt la primauté de la Constitution écrite (au paragraphe 54).

[65]           L’article 3 de la Charte prévoit ce qui suit :

3. Tout citoyen canadien a le droit de vote et est éligible aux élections législatives fédérales ou provinciales.

[66]           Il a été déterminé que, compte tenu du rôle central et fondamental de l’article 3 de la Charte, il était particulièrement indiqué de donner une interprétation libérale et téléologique du droit en cause, dont l’importance se dénote par le fait qu’il échappe à l’application de l’article 33 (clause de dérogation) (Frank c Canada (Attorney General), 2014 ONSC 907 [Frank], au paragraphe 65; Sauvé, aux paragraphes 11 et 33 à 35). En outre, l’objet de l’article 3 de la Charte est d’accorder à chaque citoyen canadien le droit de jouer un rôle significatif dans le choix des représentants élus (Frank, au paragraphe 92).

[67]           Or, contrairement à ce qu’affirme M. Orr, et tel que la défenderesse l’a souligné, la Cour suprême du Canada a bel et bien traité de l’article 3 de la Charte dans l’arrêt Baier, qui sera examiné plus en détail plus loin. Elle l’a fait de manière brève mais claire (au paragraphe 39) :

Le droit de voter et celui de se porter candidat sont expressément protégés à l’art. 3 de la Charte, mais seulement pour les élections législatives fédérales ou provinciales. L’intervenante Public School Boards’ Association of Alberta soutient que les conseils scolaires ont, en tant qu’institutions publiques locales, un statut constitutionnel au [traduction] « sens conventionnel ou quasi‑constitutionnel ». Il n’appartient cependant pas à notre Cour de créer des droits constitutionnels à l’égard d’un troisième ordre de gouvernement lorsque, interprété contextuellement, le texte de la Constitution ne le fait pas.

[Non souligné dans l’original.]

[68]           Dans ses motifs concordants, le juge Rothstein s’est exprimé comme suit quant à l’observation du juge Lebel :

[...] Si je comprends bien cet argument, comme les droits démocratiques constitutionnalisés à l’art. 3 de la Charte ne s’appliquent qu’aux élections législatives fédérales et provinciales, la Charte ne protège pas de droit de participer à d’autres élections.

(au paragraphe 56)

[69]           C’est dans l’arrêt Haig que la Cour suprême a limité l’application de l’article 3 aux élections législatives fédérales et provinciales, alors que la juge L’Heureux‑Dubé a déclaré que l’article 3 était clair et non ambigu, c.‑à‑d. que sa portée se limitait aux élections de députés provinciaux et fédéraux. Cette interprétation a été adoptée dans la décision Crow c Bande de Blood, qui portait sur une élection au sein d’une bande.

[70]           Il convient aussi de noter que, dans l’arrêt Taypotat, le demandeur cherchait à faire invalider certaines dispositions de la loi électorale d’une Première Nation selon lesquelles tout candidat à une élection au sein de la bande doit avoir un niveau minimum de scolarité. La Cour d’appel fédérale a rejeté la demande du demandeur fondée sur l’article 3, s’appuyant sur l’arrêt Baier pour conclure que la portée de l’article 3 se limitait aux élections de députés provinciaux et fédéraux, et elle a déclaré ce qui suit :

[27]      Les moyens que tire l’appelant de l’article 3 de la Charte peuvent aussi être facilement rejetés. Selon cette disposition, « [t]out citoyen canadien a le droit de vote et est éligible aux élections législatives fédérales et provinciales » (« Every citizen of Canada has the right to vote in an election of members of the House of Commons or of a legislative assembly and to be qualified or membership therein. »)

[28]      Dans l’arrêt Haig c. Canada, [1993] 2 R.C.S. 995 à la page 1033, la Cour suprême du Canada a observé que « [l]e texte de l’art. 3 est clair et non ambigu, et n’y est garanti que le droit de voter aux élections législatives fédérales et provinciales. » L’appelant soutient néanmoins que l’article 3 vise aussi les élections et les structures de gouvernance des Premières nations puisque ces structures devraient être réputées équivalentes aux assemblées législatives provinciales compte tenu du droit inhérent des peuples autochtones à l’autonomie gouvernementale. Cette thèse ne saurait toutefois être retenue compte tenu de l’arrêt Baier c. Alberta, 2007 CSC 31, [2007] 2 R.C.S. 673, où le juge Rothstein, s’exprimant au nom de la majorité, a observé ce qui suit, au paragraphe 39 :

Le droit de voter et celui de se porter candidat sont expressément protégés à l’art. 3 de la Charte, mais seulement pour les élections législatives fédérales ou provinciales. L’intervenante Public School Boards’ Association of Alberta soutient que les conseils scolaires ont, en tant qu’institutions publiques locales, un statut constitutionnel au [traduction] « sens conventionnel ou quasi constitutionnel ». Il n’appartient cependant pas à notre Cour de créer des droits constitutionnels à l’égard d’un troisième ordre de gouvernement lorsque, interprété contextuellement, le texte de la Constitution ne le fait pas.

[29]      En outre, si l’article 3 de la Charte visait les élections des Premières nations, il s’ensuivrait en toute logique que des citoyens canadiens non autochtones auraient le droit de participer à ces élections. Ce résultat mettrait en échec l’objet même de l’autonomie gouvernementale autochtone. Je conclus que les moyens de l’appelant tirés de l’article 3 de la Charte ne sont pas fondés.

[71]           La Cour suprême a finalement infirmé le jugement de la Cour d’appel fédérale (Première Nation de Kahkewistahaw c Taypotat, 2015 CSC 30), mais pour d’autres motifs.

[72]           Compte tenu de cette jurisprudence cohérente, j’estime que l’arbitre n’a pas eu tort de conclure que l’article 3 de la Charte ne s’appliquait pas à une élection au sein de la PNPT et, par conséquent, que l’alinéa 9.3c) n’était pas inconstitutionnel parce qu’il n’est pas incompatible avec l’article 3. De plus, même si la Cour suprême a conclu dans le Renvoi relatif à la sécession du Québec que le préambule de la Constitution invitait les tribunaux à se tourner vers les principes sous‑jacents non écrits, y compris celui de la démocratie, pour combler les vides des dispositions expresses du texte constitutionnel, il ressort aussi de cette jurisprudence que, dans l’affaire qui nous occupe, le recours à une telle analyse n’est pas nécessaire. Pour reprendre les termes de la Cour suprême, l’article 3 est clair et non ambigu, et il n’appartient pas à la Cour de créer des droits constitutionnels à l’égard d’un troisième ordre de gouvernement lorsque, interprété contextuellement, le texte de la Constitution ne le fait pas.

[73]           J’ajouterai que bien des décisions citées par M. Orr ne semblent pas être pertinentes ni traiter de situations semblables à celle de l’espèce. M. Orr renvoie aux paragraphes 138 à 144 de l’arrêt Tsilhqot’in, par exemple, pour faire valoir que, même si le texte de l’article 3 ne mentionne que les élections législatives fédérales ou provinciales, cette question n’était pas au centre des préoccupations des rédacteurs de la Charte. Toutefois, ces paragraphes traitent principalement du principe de l’exclusivité des compétences et de ses liens avec l’article 35 de la Charte. M. Orr renvoie par ailleurs à la décision Thompson, au paragraphe 8, pour soutenir que le Règlement électoral doit respecter le droit constitutionnel à la démocratie, qui comprend les droits énoncés à l’article 3 de la Charte, tout en étant de plus large portée; toutefois, ni le paragraphe mentionné ni la décision elle‑même n’étayent pareil argument.

[74]           M. Orr soutient également que l’alinéa 9.3c) du Règlement électoral contrevient au principe de la primauté du droit, et constitue un abus de pouvoir et une mesure arbitraire, puisqu’il vise à priver les membres de la PNPT d’un recours contre le gouvernement de la Première Nation et fait obstacle à la candidature des personnes qui exercent de tels recours, et que cela ne peut pas être protégé par l’article premier de la Charte.

[75]           Encore une fois, s’il est vrai qu’on décrit les principes du constitutionnalisme et de la primauté du droit dans le Renvoi relatif à la sécession du Québec, il n’est pas dit dans cet arrêt, comme M. Orr semble le laisser entendre, que le principe de la primauté du droit permet aux citoyens de poursuivre le gouvernement pour rupture de contrat. Le principe de la primauté du droit exige plutôt, entre autres choses, que les actes de gouvernement soient conformes au droit, dont la Constitution.

[76]           Le protonotaire Smart a conclu, et l’arbitre a souscrit à cette conclusion, qu’on ne pouvait pas dégager comme principe général des décisions citées par M. Orr, Amax Potash, Air Canada et Kingstreet, que les gouvernements canadiens ne peuvent pas adopter de lois les protégeant des actions en justice de leurs citoyens, ni qu’il découle de la Constitution ou de la Charte un droit fondamental à l’exercice de recours contre les gouvernements. M. Orr cite de nouveau ces décisions dans le cadre du contrôle judiciaire de la décision de l’arbitre, au soutien du même argument. Dans l’arrêt Amax Potash, toutefois, la Cour suprême du Canada a conclu, en réponse à une question constitutionnelle, que le paragraphe 5(7) de The Proceedings Against the Crown Act, RSS 1965, c 87, était ultra vires de la législation de la Saskatchewan dans la mesure où il visait à empêcher le recouvrement d’impôts payés en vertu d’une loi ou de dispositions législatives qui outrepassaient la compétence législative de la Législature de cette province. Cet arrêt n’étaye pas le principe avancé par M. Orr, non plus que les arrêts Air Canada ou Kingstreet, qui tous deux portaient également sur le recouvrement et la conservation d’impôts en vertu d’une loi ultra vires.

[77]           L’arbitre n’a pas non plus souscrit à l’interprétation de M. Orr quant à l’objet de l’alinéa 9.3c), concluant pour sa part que la disposition visait à garantir que le chef et les conseillers de la PNPT puissent s’acquitter pleinement et correctement des obligations imposées par le Règlement électoral, ce qui était le fait d’un gouvernement responsable.

[78]           Des éléments de preuve présentés à l’arbitre étayaient son interprétation, tout particulièrement l’affidavit de M. Alook, souscrit le 11 juillet 2014 et faisant état de ce qui suit :

[traduction]

8. La Première Nation de Peerless First Nation a inclus l’alinéa 9.3c) dans son Règlement électoral coutumier pour s’assurer qu’aucun membre d’un conseil de gestion déjà restreint, en s’acquittant de ses obligations de conseiller, ne soit placé en situation manifeste de conflit d’intérêts.

[79]           L’article 3.5 du Règlement électoral dispose que le chef et les conseillers doivent s’acquitter des obligations énoncées à l’annexe B, en respectant les lignes directrices sur les conflits d’intérêts énoncées à l’annexe C. Entre autres obligations mentionnées à l’annexe B, les conseillers doivent s’assurer que les affaires financières de la Première Nation soient gérées de manière responsable et transparente, en ayant toujours à l’esprit l’intérêt à long terme de la Première Nation; élaborer et mettre en œuvre des structures, des règlements et des politiques assurant la gestion et le contrôle financiers adéquats de la totalité des fonds et actifs; établir et présenter un budget annuel. L’annexe C prévoit que les conseillers ne peuvent, directement ou indirectement, exercer aucune activité personnelle ou commerciale entrant en concurrence ou en conflit avec les intérêts de la PNPT, ou compromettant leur aptitude à servir ces intérêts. Les conseillers doivent traiter les membres de la PNPT de manière équitable et impartiale, en s’abstenant de tout favoritisme, préjugé ou parti pris dans la prise de décisions qui ont une incidence sur leurs droits ou leurs intérêts. Les conseillers ne peuvent prendre aucune décision ni user de leurs fonctions ou pouvoirs en vue d’obtenir des avantages exceptionnels pour eux‑mêmes ou des membres de leur famille immédiate. Ils ne doivent pas non plus utiliser ou communiquer de l’information obtenue dans l’exercice de leurs fonctions en vue d’en tirer un avantage personnel, ou de conférer un avantage ou de causer un préjudice à toute autre personne.

[80]           À mon avis, l’arbitre n’a pas conclu erronément que la condition d’admissibilité imposée ne constituait pas un abus de pouvoir, ni ne contrevenait à la primauté du droit. Le protonotaire Smart a fait observer, et l’arbitre y a fait allusion, que la jurisprudence citée par M. Orr n’appuyait pas l’idée qu’il existe un droit garanti constitutionnellement à l’exercice de recours judiciaires contre le gouvernement. En outre, il était raisonnable pour l’arbitre d’interpréter le Règlement électoral comme n’ayant pas pour objet de priver les membres de la PNPT d’un recours contre leur gouvernement. Il lui était aussi loisible de conclure que la condition d’admissibilité prévue à l’alinéa 9.3c) visait plutôt à garantir que le chef et les conseillers de la PNPT puissent s’acquitter pleinement et correctement de leurs obligations, et que cela était le fait d’un gouvernement responsable. Il lui était également loisible de conclure que l’imposition de la condition d’admissibilité n’était pas un abus de pouvoir, particulièrement dans un cas comme celui de l’espèce, où l’importante action en justice de M. Orr contre la PNPT constituait un conflit d’intérêts préexistant, et compte tenu des obligations liées au rôle de chef ou de conseiller qui sont décrites à l’annexe B du Règlement électoral. L’affidavit de M. Alook étayait également une telle conclusion. Le caractère raisonnable tient à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47). L’interprétation donnée à l’alinéa 9.3c) par l’arbitre étant raisonnable, il n’y a pas lieu pour la Cour d’intervenir.

[81]           L’arbitre a aussi conclu que, même s’il avait tort au sujet de la constitutionnalité de l’alinéa 9.3c), cette disposition était sauvegardée par l’article premier de la Charte. Il a recouru au critère de l’arrêt Oakes pour arriver à cette conclusion à l’égard du paragraphe 15(1), ainsi que des alinéas 2b) et 2d) et de l’article 3, de la Charte.

[82]           Selon le critère de l’arrêt Oakes, la loi doit respecter quatre conditions pour que la restriction qu’elle impose puisse se justifier, en tant que limite raisonnable, dans une société libre et démocratique :

        i.            objectif suffisamment important – la loi doit viser un objectif suffisamment important pour que la restriction à un droit garanti par la Charte soit justifiée;

      ii.            lien rationnel – la loi doit avoir un lien rationnel avec l’objectif;

    iii.            atteinte minimale – la loi ne doit pas restreindre le droit plus qu’il n’est raisonnablement nécessaire de le faire pour atteindre l’objectif visé;

    iv.            effet proportionnel – la loi ne doit pas avoir un grave effet disproportionné sur les personnes à qui elle s’applique.

[83]           M. Orr soutient, quant à l’analyse fondée sur l’article premier, que la PNPT n’a présenté aucune preuve relative à l’objet de l’alinéa 9.3c) et n’a donc pas établi, comme il lui incombait, que cette disposition avait un objet ou un objectif constitutionnellement valable. Toutefois, comme je l’ai mentionné, M. Alook a présenté sur ce point un témoignage par affidavit, dans lequel il décrivait l’objectif de la disposition contestée. L’arbitre a ainsi conclu que l’objectif de l’alinéa 9.3c) était urgent et réel, puisqu’il s’agissait d’éviter d’importants conflits d’intérêts pouvant empêcher des membres dirigeants de s’acquitter des obligations que la loi leur impose.

[84]           M. Orr soutient aussi qu’il n’existe aucun lien rationnel entre la négation du droit démocratique de se porter candidat à une élection de la PNPT et l’existence de l’action civile intentée contre elle. À mon avis, toutefois, l’arbitre n’a pas eu tort de conclure qu’il y avait un lien rationnel entre l’objectif visé par l’alinéa 9.3c) et le moyen utilisé pour le réaliser. En effet, l’interdiction de se porter candidat vise à faire en sorte que les électeurs qui poursuivent la PNPT ne puissent accéder à un poste et s’en servir pour obtenir de l’information préjudiciable à la Première Nation, et que les personnes en fonction soient en mesure de s’acquitter de leurs obligations. À mon avis, l’un des aspects les plus importants, sinon l’aspect le plus important, du rôle de conseiller a trait à la bonne gestion financière de la PNPT. Il semble évident qu’un membre poursuivant la PNPT pour une somme importante serait dans une situation de conflit d’intérêts manifeste et préexistant. Ainsi, bien que l’annexe C permette de comprendre ce qui constitue un conflit d’intérêts pour les conseillers en poste, l’alinéa 9.3c) sert à empêcher les personnes étant déjà dans une situation connue et manifeste de conflit d’accéder à cette fonction. De même manière, les électeurs travaillant pour la PNPT ou pour une entreprise relevant de la PNPT ne pourraient pas se porter candidats (alinéas 9.3b) et d)) lors d’une élection.

[85]           L’arbitre n’a pas non plus conclu erronément, selon moi, que l’atteinte portée par l’alinéa 9.3c) était minimale, puisqu’un électeur ne pouvant plus se porter candidat conserve le droit de voter et l’aptitude à faire pression de manière légitime sur les conseillers. Je souscris à cette conclusion, tout en ajoutant qu’une fois la poursuite en justice réglée, l’intéressé pourra de nouveau se porter candidat. L’arbitre n’a pas non plus conclu erronément que l’alinéa 9.3c) sert à réaliser l’objectif visé et que son effet est proportionné puisqu’une fois le litige réglé, l’électeur peut de nouveau se porter candidat.

[86]           Renvoyant à l’arrêt Sauvé, M. Orr fait valoir que, si l’on ne peut pas empêcher les prisonniers de voter parce que le prix à payer au regard de nos valeurs démocratiques fondamentales serait trop élevé, on ne doit pas le priver du droit de se porter candidat parce qu’il a intenté contre la PNPT une action en rupture de contrat. J’estime toutefois que M. Orr ne peut pas invoquer l’arrêt Sauvé au soutien, par analogie, de sa thèse. Dans cet arrêt, la Cour suprême du Canada s’est penchée sur le droit de voter, garanti par l’article 3 de la Charte, d’un prisonnier, et a conclu que la disposition supprimant ce droit ne satisfaisait pas au critère du lien rationnel du test de l’arrêt Oakes. Dans la présente affaire, il est question de l’aptitude d’un électeur à se porter candidat à une élection au sein d’une bande, qui n’est pas garantie par l’article 3 de la Charte, et il est satisfait au critère du lien rationnel. L’arrêt Figueroa c Canada (Procureur général), 2003 CSC 37, aussi invoqué par M. Orr, n’étaye pas davantage sa thèse. Le critère de l’arrêt Oakes doit être appliqué en fonction du contexte propre à l’affaire à l’examen.

[87]           L’arbitre n’a pas commis d’erreur, selon moi, en concluant que l’alinéa 9.3c) du Règlement électoral n’était pas incompatible avec les droits garantis à M. Orr par l’article 3 de la Charte, ni en jugeant de manière subsidiaire qu’en tout état de cause, toute incompatibilité éventuelle serait justifiée aux fins de l’article premier. Enfin, je ne souscris pas à l’argument de M. Orr quant à l’existence du droit distinct garanti constitutionnellement – sur le fondement du principe sous‑jacent de démocratie – de se porter candidat à une élection du conseil de bande, et je ne crois pas non plus que l’alinéa 9.3c) constitue un abus de pouvoir ou contrevient à la primauté du droit.

Question 3 – L’arbitre a‑t‑il refusé erronément à M. Houle de présenter d’autres témoins?

Thèse de M. Houle

[88]           M. Houle fait valoir que l’arbitre a, à son égard, appliqué strictement les exigences du Règlement électoral, mais qu’il n’a pas agi ainsi en examinant les violations alléguées de ce règlement par la PNPT. L’arbitre a conclu que ces violations consistaient en des pratiques électorales [traduction] « imparfaites » sur lesquelles il était possible de fermer les yeux. M. Houle fait toutefois valoir qu’un tribunal d’appel en matière d’élections doit agir conformément aux règles de l’équité procédurale (Sparvier c Bande indienne Cowessess no 73, [1993] 3 CF 142 [Sparvier]).

[89]           M. Houle soutient, plus précisément, que le délai de cinq jours accordé pour déposer un avis d’appel est exagérément court, particulièrement lorsqu’on a affaire à une manœuvre électorale frauduleuse. M. Houle soutient aussi que l’arbitre a eu tort de conclure qu’il n’avait pas le pouvoir d’admettre des témoins additionnels. M. Houle affirme que l’arbitre a manqué à son obligation d’équité procédurale en ne précisant pas la procédure à suivre pour garantir l’équité et l’égalité, tel que le requiert l’alinéa 16.5f) du Règlement électoral, lorsqu’il a décidé qu’il ne pouvait pas entendre d’autres témoins, y compris M. Houle, s’exprimer sur les actes allégués de corruption, en l’absence des Trindle qui n’étaient pas disponibles. M. Houle estime que l’arbitre aurait dû admettre la preuve par ouï‑dire offerte puisqu’il était satisfait, dans les circonstances, au critère d’admissibilité (R c Smith, [1992] 2 RCS 915, aux pages 932 à 934 [Smith]).

Thèse de la défenderesse

[90]           La défenderesse soutient que l’arbitre a interprété raisonnablement et correctement les articles 16.1, 16.2, 16.5, 16.6 et 16.7 du Règlement électoral comme ne l’autorisant pas à admettre à l’audience des témoins additionnels ou de nouvelles allégations, non plus qu’une preuve par ouï‑dire, et que l’arbitre n’a pas manqué aux règles d’équité procédurale ou de justice naturelle. Quant à la décision Sparvier citée par les demandeurs, la défenderesse souligne que les exigences de justice naturelle les plus fondamentales sont la nécessité d’un avis, la possibilité de répondre et l’impartialité du tribunal, et que l’arbitre a respecté chacune de ces exigences. La défenderesse soutient que, compte tenu du régime relatif aux élections et à la gouvernance établi par le Règlement électoral, rien de plus n’avait à être fait.

[91]           La défenderesse soutient qu’il découle du libellé impératif de l’article 16.2, des pouvoirs spécifiques de l’arbitre conférés par les articles 16.5 et 16.8 et de la restriction expresse de ces pouvoirs aux articles 16.5 et 16.8 du Règlement électoral que l’arbitre ne disposait pas du pouvoir, directement ou indirectement, de prolonger le délai prévu de cinq jours (Kehewin Cree Nation c Mulvey, 2013 ABCA 294 aux paragraphes 4, 9, 10 et 11).

[92]           La défenderesse ajoute que la preuve par ouï‑dire proposée ne s’inscrivait pas dans les paramètres fixés dans l’arrêt Smith pour l’admissibilité d’une telle preuve, puisque les volets de la nécessité et de la fiabilité du critère n’étaient pas respectés. Il était donc raisonnable et correct pour l’arbitre de ne pas entendre la preuve par ouï‑dire de M. Houle.

Analyse

[93]           Les dispositions suivantes du Règlement électoral sont utiles pour l’examen de la question :

[traduction]

16.2 Avis d’appel

a) L’appelant transmet au fonctionnaire électoral un avis d’appel écrit et signé où sont exposés les moyens d’appel; il joint pour remise au fonctionnaire électoral un dépôt en argent ou un chèque certifié payable à l’ordre de la PNPT de cent dollars (100 $). L’avis d’appel précise :

[...]

(iv) le nom de tous les témoins que l’appelant entend convoquer, ou une déclaration d’intention de l’appelant de ne pas convoquer de témoins, et

b) L’avis d’appel doit être transmis au fonctionnaire électoral, en la forme prescrite, dans les cinq (5) jours suivant le jour du scrutin.

[...]

d) Le fonctionnaire électoral rejette et renvoie tout document d’appel qui

(i) n’est pas reçu dans les 5 jours suivant l’élection par acclamation, l’élection, l’élection partielle ou le second tour de l’élection, selon le cas;

(ii) n’est pas accompagné des droits de dépôt prescrits;

(iii) ne renferme pas tous les renseignements exigés à l’alinéa 16.2a).

[...]

16.5 Pouvoirs de l’arbitre des appels en matière d’élections

L’arbitre des appels en matière d’élections dispose des pouvoirs suivants :

a) fixer la date, l’heure et le lieu de l’audience d’appel;

b) décider si l’audience d’appel est ouverte aux membres, et qui peut ou ne peut pas assister à l’audience;

c) trancher les questions de droit et les points soulevés à l’audience d’appel;

d) statuer sur toute objection soulevée à l’audience d’appel;

e) ordonner la production de documents importants et pertinents aux fins de l’appel;

f) établir la procédure à suivre pour garantir l’équité et l’égalité aux parties à l’audience;

g) établir le mode d’admission de la preuve;

h) l’arbitre n’est pas lié par les règles de preuve et il a le pouvoir de décider de l’admissibilité, de la pertinence et de la valeur de tout élément de preuve.

16.6 Absence de pouvoirs

L’arbitre des appels en matière d’élections ne dispose pas des pouvoirs suivants :

a) assigner un témoin ou contraindre toute personne à témoigner à une audience d’appel, le fonctionnaire électoral étant toutefois un témoin contraignable;

b) ordonner toute mesure de redressement non expressément autorisée par le présent règlement.

16.7 Le présent règlement énonce tous les pouvoirs dont dispose l’arbitre des appels en matière d’élections, et ni la Arbitration Act de l’Alberta, ni la Loi sur l’arbitrage commercial du Canada, ni toute autre loi semblable, ne s’appliquent à l’arbitre des appels en matière d’élections ou à toute audience d’appel tenue sous le régime du présent règlement.

[94]           Dans Sparvier, le juge Rothstein, alors juge de la Cour, a conclu que les principes de justice naturelle et d’équité procédurale s’appliquaient aux élections au sein des bandes :

[57]      Bien que j’accepte l’importance d’un processus autonome pour l’élection des gouvernements de bandes, j’estime que des normes minimales de justice naturelle ou d’équité procédurale doivent être respectées. Je reconnais pleinement que les tribunaux doivent éviter de s’immiscer dans le mouvement politique des peuples autochtones en vue d’acquérir plus d’autonomie. Cependant, les membres des bandes sont des individus qui, à mon sens, ont le droit à ce que les tribunaux suivent une procédure équitable dans les instances qui les concernent. Dans la mesure où cette Cour a compétence, les principes de la justice naturelle et de l’équité procédurale doivent être appliqués.

[95]           Tel que la défenderesse l’a souligné, le juge Rothstein a ensuite déclaré (aux paragraphes 61 à 63) que, pour un tribunal d’appel saisi d’une question concernant une élection de bande, les exigences fondamentales étaient l’impartialité du tribunal, la nécessité d’un avis et la possibilité de répondre (voir également Polson c Première nation de Long Point, 2007 CF 983, au paragraphe 47).

[96]           La Cour suprême du Canada a déclaré dans l’arrêt Baker c Canada, [1999] 2 RCS 817, que le contenu de l’obligation d’équité procédurale est tributaire du contexte particulier de chaque cas (au paragraphe 21). La Cour d’appel fédérale a par ailleurs déclaré, dans l’arrêt Meeches c Meeches, 2013 CAF 177 [Meeches], renvoyant à Mavi c Canada (Procureur général), 2011 CSC 30 (au paragraphe 38), qu’il s’agit de se demander dans chaque cas « ce que l’obligation de respecter l’équité dans la procédure peut raisonnablement exiger des autorités en tant que droit précis en matière de procédure dans un contexte législatif et administratif donné ».

[97]           En l’espèce, l’arbitre a estimé que le Règlement électoral constituait un code complet énonçant les exigences à respecter pour qu’un avis d’appel soit valide, comme la mention par l’appelant des moyens invoqués, des faits importants à l’appui et du nom de ses témoins. L’arbitre a conclu qu’il n’avait pas le pouvoir, une fois expiré le délai relatif à l’avis d’appel, d’admettre des témoins additionnels au soutien de la cause de M. Houle. Il déclare dans sa décision qu’il a statué dans le même sens lorsqu’à l’audience, le 18 décembre 2014, M. Houle a demandé à témoigner et à présenter une preuve par ouï‑dire relativement aux actes de corruption allégués, alors qu’il n’était pas inscrit sur la liste des témoins et n’avait pas fourni avant l’audience une « déclaration anticipée ». L’arbitre n’a pas autorisé M. Houle à témoigner [traduction] « par souci d’équité envers la défenderesse et en reconnaissance du fait que, si cette preuve par ouï‑dire était entendue, le poids à lui accorder serait minime ».

[98]           Quant à l’argument de M. Houle concernant le délai d’appel exagérément court de 5 jours, il convient de noter qu’il s’agit là du délai prévu à l’alinéa 16.2b) du Règlement électoral, adopté par la PNPT, et non d’un délai imposé par l’arbitre. M. Houle n’a pas contesté la validité de cette disposition. En outre, le Règlement électoral exige que le fonctionnaire électoral rejette tout document d’appel non reçu dans ce délai (sous‑alinéa 16.5d)(i)), et l’arbitre n’a pas le pouvoir d’ordonner une mesure de redressement que le Règlement électoral n’autorise pas expressément (alinéa 16.6b)). J’estime, par conséquent, que l’arbitre n’avait pas le pouvoir de modifier le délai d’appel.

[99]           M. Houle renvoie à l’obligation d’équité procédurale de donner un avis suffisant au sens de la décision Sparvier, ce qui, à mon avis, est peu utile ou pertinent en l’espèce. Le juge Rothstein, alors juge de la Cour, a déclaré ce qui suit dans Sparvier :

[82]      La Cowessess Indian Reserve Elections Act est silencieuse sur la question de l’avis, et la jurisprudence ne précise pas, en fonction d’un nombre d’heures ou de jours, ce que constitue ou non un avis suffisant. Dans chaque cas, le caractère suffisant de l’avis doit être apprécié à la lumière des faits. Manifestement, un délai d’avis de moins de douze heures est très court. Un délai d’avis si court soulève un certain nombre d’inquiétudes: a) les intéressés risquent de ne pas être disponibles; b) il n’y a pratiquement pas de temps pour enquêter sur les faits qui se rapportent à l’objet de l’appel; c) il est déraisonnable de s’attendre à ce que les participants organisent et préparent leurs observations de façon adéquate. Aucune preuve au dossier n’indique que le tribunal était contraint d’entendre l’appel après un si bref délai d’avis.

[100]       Dans la présente affaire, contrairement à l’affaire Sparvier, le Règlement électoral n’est pas silencieux. Le Règlement électoral prévoit bien clairement un délai d’appel de 5 jours. En outre, le respect de ce délai est obligatoire, et l’arbitre ne disposait d’aucun autre pouvoir que ceux mentionnés, qui ne comprenaient pas celui de prolonger le délai d’appel prévu.

[101]       M. Houle fait aussi valoir que l’alinéa 16.5f) du Règlement électoral imposait à l’arbitre d’établir la procédure à suivre pour garantir l’équité et l’égalité, et que l’arbitre ne l’a pas fait, manquant de ce fait à son obligation d’équité procédurale. À mon avis, la preuve au dossier n’étaye pas cette affirmation.

[102]       L’article 16.5 énonce les pouvoirs de l’arbitre. L’arbitre peut notamment statuer sur toute objection (alinéa 16.5d)), établir la procédure à suivre pour garantir l’équité et l’égalité aux parties à l’audience (alinéa 16.5f)) et établir le mode d’admission de la preuve (alinéa 16.5g)). L’arbitre n’est pas lié par les règles de preuve et il a le pouvoir de décider de l’admissibilité, de la pertinence et de la valeur de tout élément de preuve. Le Règlement électoral exige également que le nom de tout témoin figure dans l’avis d’appel, et que le fonctionnaire électoral rejette tout avis qui ne renferme pas cette information.

[103]       En ce qui concerne l’allégation d’actes de corruption, seuls Hilda et Joseph Trindle étaient désignés comme témoins dans l’avis d’appel. À l’audience, M. Houle a demandé à témoigner quant à ce que les Trindle, absents, auraient pu dire s’ils avaient comparu comme témoins. Donc, si la question de l’avis suffisant était en jeu, c’était au détriment des parties intimées, et non pas de M. Houle. À l’audience, tous les avocats se sont exprimés sur la question. Selon la transcription de l’audience, l’arbitre a reconnu qu’il était saisi d’une question mettant en cause [traduction] « l’équité et l’égalité » et [traduction] « la nécessité d’un avis ». L’arbitre a aussi déclaré qu’il ne pouvait pas apprécier le témoignage de M. Houle, [traduction] « puisque le poids à lui accorder, s’il en est, serait selon moi gravement compromis ».

[104]       Cela étant, j’estime que l’arbitre a bel et bien pris en considération le pouvoir dont il disposait de décider de l’admissibilité de la preuve, et ce, en fonction des exigences en matière d’avis prévues par le Règlement électoral et de l’obligation d’équité et d’égalité, et qu’il a exercé ce pouvoir. En outre, l’arbitre a mentionné expressément le poids restreint, s’il en était, qu’il aurait accordé au témoignage de M. Houle s’il l’avait jugé admissible. Il faut faire montre d’une grande retenue à l’égard des décisions procédurales d’un tribunal qui a le pouvoir de contrôler sa propre procédure (Conseil des Canadiens avec déficiences c VIA Rail Canada Inc, 2007 CSC 15, au paragraphe 231).

[105]       Pour résumer, j’estime que l’arbitre a interprété et appliqué le Règlement électoral de manière raisonnable lorsqu’il s’est agi d’admettre de nouveaux témoins, une fois expiré le délai prévu pour l’avis d’appel, ou d’autoriser M. Houle à témoigner et à présenter une preuve par ouï‑dire. En outre, il ressort du libellé clair du Règlement électoral et des motifs de l’arbitre que ce dernier n’a pas manqué à son obligation d’équité procédurale découlant des dispositions pertinentes.

[106]       Je ferai aussi remarquer que, pour qu’une preuve par ouï‑dire soit admissible, tel qu’il est énoncé dans l’arrêt Smith, deux éléments doivent être établis : la nécessité et la fiabilité. M. Houle a dit s’inquiéter du fait que les Trindle, les prétendus témoins des actes de corruption reprochés, ne seraient pas disponibles pour témoigner. Le seul élément de preuve au dossier concernant le motif de la non‑disponibilité des Trindle est l’affidavit souscrit par M. Houle, le 13 janvier 2015, au soutien de la présente demande de contrôle judiciaire. M. Houle affirme dans cet affidavit que sa tante, Hilda Trindle, lui a dit que M. Alook leur avait promis, à elle et à son époux, qu’ils obtiendraient une maison s’ils votaient pour lui. Il déclare aussi que les Trindle parlent uniquement le cri, et qu’il est difficile pour Mme Trindle, qui a besoin d’un fauteuil roulant, de se déplacer. Toutefois, le simple fait que la tante et l’oncle de M. Houle parlent uniquement le cri, et que la tante soit confinée à un fauteuil roulant, n’explique pas pourquoi ces derniers n’étaient pas disponibles pour témoigner au sujet du prétendu acte de corruption. Rien n’indique que les services d’un interprète ne pouvaient pas être retenus, ni qu’aucun moyen de transport n’était disponible. En l’absence de preuve expliquant pourquoi les Trindle n’étaient pas disponibles, il n’est pas satisfait à l’élément nécessité du critère d’admissibilité de la preuve par ouï‑dire. De plus, aucune preuve n’a été présentée non plus pour établir la fiabilité de la preuve par ouï‑dire proposée par M. Houle. Ainsi, bien que l’arbitre ne soit pas lié par les règles de preuve, j’estime qu’il n’a pas eu tort de ne pas admettre une telle preuve par ouï‑dire. De même, l’arbitre avait aussi le pouvoir de décider du poids à accorder aux éléments de preuve, et j’estime qu’il n’a pas conclu erronément qu’en tout état de cause, il aurait accordé un poids minimal à la preuve par ouï‑dire. Enfin, je ferai remarquer que l’article 16.13 du Règlement électoral restreint le contrôle judiciaire aux questions de droit et de justice naturelle, et que cette clause privative crée une présomption de déférence à l’égard de l’arbitre quant à son appréciation de la preuve par l’arbitre et à ses conclusions de fait (Société d’énergie de la Baie James c Noël, 2001 CSC 39, aux paragraphes 68 et 69).

[107]       Quoi qu’il en soit, il faut se garder, selon la jurisprudence, de donner à un code électoral une interprétation extensive ayant pour effet de conférer des pouvoirs qu’il ne confère pas expressément. Dans la décision Jackson c Nation des Piikani, 2008 CF 130, la question était de savoir si la directrice générale des élections pouvait conclure qu’un individu ne pouvait se porter candidat pour un motif qui n’était pas énoncé dans le code électoral de bande de la Première Nation, mais qui était conforme aux valeurs traditionnelles de celle‑ci. On demandait à la Cour d’interpréter largement le code pour y inclure un tel motif, en raison de son préambule qui, soutenait‑on, devait être considéré comme un principe prédominant; la Cour a toutefois refusé de le faire.

[108]       De même, dans l’arrêt Fort McKay, la Cour d’appel fédérale a refusé d’inclure, par interprétation large, un pouvoir inhérent :

[17]      Même si une coutume ou un pouvoir inhérent existent, ils peuvent être écartés par les termes exprès de la loi : Lafond c. Première Nation crie du lac Muskeg, 2008 CF 726, 330 F.T.R. 60. En l’espèce, selon moi, même en supposant qu’une coutume ou un pouvoir inhérent existent, pour les motifs exposés ci‑dessus, le code électoral prévaut sur ceux‑ci.

[18]      Le code électoral contient des dispositions rédigées avec soin et précision et avec force détails qui prévoient à quel moment et de quelle manière les conseillers peuvent être destitués ou suspendus. Il serait étonnant qu’on puisse contourner aussi facilement une réglementation aussi exigeante en invoquant un pouvoir inhérent général, non défini, comme l’affirment le chef et le conseil.

[109]       Compte tenu du libellé clair du Règlement électoral, notamment de ses dispositions strictes sur les pouvoirs de l’arbitre, et du fait que M. Houle ne conteste pas la validité de l’alinéa 16.2b), j’estime que l’arbitre a interprété et appliqué le Règlement électoral de manière raisonnable, et qu’il n’a pas commis d’erreur ni manqué à l’équité procédurale en n’autorisant pas M. Houle à présenter d’autres témoins ou une preuve par ouï‑dire.

[110]       De plus, comme nous le verrons, et contrairement à ce que soutient M. Houle, l’arbitre n’a pas fait abstraction des violations du Règlement électoral, et il n’a pas imposé à M. Houle une norme différente et plus sévère de conformité à ses exigences. En fait, l’arbitre a reconnu l’existence des violations, mais a conclu aux termes de l’alinéa 16.8b) qu’elles n’avaient pas influé de façon importante sur le résultat de l’élection.

Question 4 – L’arbitre a‑t‑il conclu erronément que les pratiques électorales contraires au Règlement électoral n’avaient pas influé de façon importante sur le résultat?

Thèse de M. Houle

[111]       M. Houle soutient que l’arbitre a conclu à tort que l’absence du fonctionnaire électoral adjoint était regrettable, mais non fatale. Le Règlement électoral exigeait que le fonctionnaire électoral ou le fonctionnaire électoral adjoint appose ses initiales sur chaque bulletin de vote, de sorte que tous les bulletins déposés pendant les deux heures environ qu’a duré cette absence auraient dû être considérés comme nuls. Dans un tel cas, le nombre de bulletins nuls aurait dépassé l’écart entre les suffrages exprimés pour M. Alook et pour M. Houle, ce qui aurait influé de façon importante sur le résultat de l’élection.

[112]       M. Houle soutient aussi qu’il n’était pas loisible à l’arbitre de conclure que Linda Noskiye était présente pour aider les fonctionnaires électoraux de Trout Lake à identifier les électeurs, étant donné que le Règlement électoral exigeait que les électeurs quittent le bureau de scrutin après avoir voté. De plus, Linda Noskiye a prêté assistance à un électeur sans remplir le formulaire prescrit, ce qui entraîne la nullité d’un bulletin; au moins trois électeurs ont demandé l’aide d’un interprète, sans qu’aient été remplis les formulaires exigés à l’alinéa 11.5b) et au sous‑alinéa 11.6a)(ii), ce qui entraîne la nullité des bulletins concernés; en violation de l’article 12.1, Linda Noskiye a pris part au dépouillement des bulletins; le dépouillement au bureau de scrutin de Peerless Lake des bulletins du bureau de Trout Lake enfreignait l’article 12.1; enfin, le fonctionnaire électoral adjoint n’a pas consigné le nombre de bulletins correspondant à chaque bureau de scrutin, en violation de l’alinéa 11.7k). Toutes ces irrégularités ont influé indûment et directement sur le déroulement du scrutin, en contravention de l’alinéa 16.1f). M. Houle soutient que la preuve d’une irrégularité peut suffire en elle‑même à écarter un vote (Opitz, au paragraphe 43). En l’espèce, l’élection s’est déroulée de façon si irrégulière qu’elle n’était pas conforme au droit des élections et qu’elle doit être annulée (Yukon (Chief Electoral Officer) c Nelson, 2014 YKSC 26 [Yukon]). M. Houle soutient donc que l’arbitre a conclu à tort que les violations commises n’avaient pas influé sur le résultat de l’élection.

Thèse de la défenderesse

[113]       La défenderesse soutient pour sa part que l’arbitre a interprété et appliqué raisonnablement et correctement l’alinéa 16.8b) à l’ensemble des irrégularités électorales et violations du Règlement électoral alléguées dans l’avis d’appel.

[114]       La défenderesse estime que l’arbitre a conclu de manière raisonnable que trois des allégations d’irrégularité et de violation du Règlement électoral avaient été établies, mais que celles‑ci n’avaient pas influé de façon importante sur le résultat de l’élection. L’alinéa 16.8b) exige de l’arbitre qu’il se borne à se demander si l’un ou l’autre des moyens d’appel établis –notamment tout moyen d’appel lié à une [traduction] « manœuvre électorale frauduleuse » ou à une « falsification de rapport en matière d’élections », ou tout autre moyen pouvant être invoqué en vertu de l’article 16.1, – a influé sur l’élection de façon importante. Si, considérés individuellement ou ensemble, les moyens d’appel établis n’ont pas influé de façon importante sur le résultat de l’élection, il ne faut pas invalider ce résultat. En adoptant le critère de [traduction] « l’influence importante » à l’égard de tous les moyens d’appel établis, soutient la défenderesse, la PNPT a suivi en fait la règle de la common law selon laquelle une élection est présumée valide et « [...] le scrutin n’est considéré comme entaché de vices que s’il est démontré que les irrégularités étaient telles que, selon la prépondérance des probabilités, le résultat des élections aurait pu être différent » (Beamish; Meeches), cela étant déterminé par le « critère du nombre magique » (Optiz, au paragraphe 71). Compte tenu du régime établi à l’article 16.8, du « critère du nombre magique » et de la marge de victoire de 44 voix, il était raisonnable et correct pour l’arbitre de rejeter l’appel de M. Houle.

[115]       La défenderesse fait également valoir qu’en réalité, M. Houle demande à la Cour de conclure que l’arbitre aurait dû faire abstraction du libellé clair de l’alinéa 16.8b), et convoquer une nouvelle élection, même si aucun des moyens d’appel établis n’avait influé sur le résultat de l’élection. La défenderesse affirme que cela aurait constitué une erreur de droit.

Analyse

[116]       Le fardeau de la preuve incombe à la partie qui demande l’annulation d’une élection (Opitz, au paragraphe 52).

[117]       Dans l’arrêt Flookes c Shrake, [1989] 100 AR 98 (Cour du Banc de la Reine de l’Alberta) [Flookes], une partie avait soulevé divers cas d’irrégularité et de non‑conformité à la législation provinciale sur les élections. La Cour du Banc de la Reine de l’Alberta a statué, en fonction de cette législation, que [traduction] « l’élection ne sera pas déclarée nulle s’il est démontré, à la satisfaction de la cour, qu’elle s’est déroulée dans le respect de la Loi, et que l’irrégularité, le manquement, la non‑conformité ou l’erreur en cause n’a pas influé de façon importante sur le résultat de l’élection » (paragraphe 48). Elle a aussi statué que toute violation de la loi ou tout défaut de s’y conformer n’entraînait pas l’invalidation d’une élection, établissant à ce titre une distinction entre les dispositions impératives et les dispositions directives. Reconnaissant que des irrégularités étaient susceptibles de se produire dans toute élection tenue dans les grands centres urbains, la Cour du Banc de la Reine a déclaré que la question était de savoir si les erreurs ou irrégularités étaient telles qu’elles avaient influé sur le résultat de l’élection ou causé une grave injustice.

[118]       La Cour suprême du Canada a par la suite confirmé la décision Flookes dans l’arrêt Opitz, où elle a énoncé le critère applicable dans de telles situations :

[71]      Jusqu’à maintenant, les tribunaux ont utilisé exclusivement le critère du « nombre magique » énoncé dans O’Brien (p. 93) pour trancher les requêtes en contestation d’élection. Selon ce critère, il faut annuler l’élection si le nombre de votes rejetés égale ou dépasse la majorité du vainqueur (Blanchard, p. 320).

[72]      Le critère du « nombre magique » est simple. Toutefois, par sa nature, il favorise le requérant. Il suppose que tous les votes rejetés étaient pour le candidat élu, ce qui est en fait très peu probable. Aucun autre critère n’a cependant été élaboré. En l’espèce, on n’a présenté aucun élément de preuve à l’appui d’une quelconque formule statistique qui serait fiable et qui ne compromettrait pas le caractère confidentiel du scrutin.

[73]      Nous aurons donc recours au critère du nombre magique pour les besoins de la présente requête. L’élection doit être annulée si le nombre de votes rejetés est égal ou supérieur à la majorité du candidat élu. Par contre, nous n’écartons pas la possibilité qu’un tribunal adopte à l’avenir une méthode plus réaliste pour trancher les requêtes en contestation d’élection.

[74]      Voici comment il faut procéder pour déterminer s’il y a eu « irrégularité [. . .] ayant influé sur le résultat de l’élection ». Il incombe au requérant de démontrer le non‑respect d’une mesure de contrôle procédurale visant à établir le droit de voter d’un électeur. C’est ce en quoi consiste une « irrégularité ». Le requérant doit ensuite démontrer que l’irrégularité a « influé sur le résultat » de l’élection parce qu’une personne a voté sans en avoir le droit. Pour décider si l’irrégularité a influé sur le résultat, le juge saisi de la requête peut tenir compte de toute preuve au dossier susceptible d’établir soit que la personne en question avait effectivement le droit de voter en dépit de l’irrégularité, soit qu’elle ne l’avait pas.

[75]      Si une « irrégularité [. . .] ayant influé sur le résultat de l’élection » est établie, le tribunal peut annuler l’élection. Dans l’exercice de ce pouvoir discrétionnaire, il serait déraisonnable que le tribunal n’annule pas l’élection s’il est convaincu que le rejet de certains bulletins de vote laisse planer un doute sur l’identité du vainqueur. Pour les besoins de la présente requête, nous utiliserons le test du « nombre magique » pour statuer sur ce point.

(voir aussi Meeches, aux paragraphes 63 et 700.)

[119]       M. Houle renvoie à la décision Yukon pour affirmer qu’au Canada, le droit demeure tel qu’il a été énoncé dans Ta’an Kwäch’än Council (Re), 2006 YKSC 62, aux paragraphes 17 à 20, et consiste dans le principe de common law, résumé dans Beamish par une citation tirée de Morgan c Simpson, [1974] 3 All ER 722, selon lequel si une élection s’est déroulée de façon si irrégulière que, fondamentalement, elle n’était pas conforme au droit des élections, cette élection est viciée, peu importe que les irrégularités aient influé ou non sur son résultat.

[120]       Il convient toutefois de noter que, dans l’affaire Yukon, aucune disposition législative ou réglementaire ne prévoyait la procédure à suivre en cas d’irrégularité électorale. C’est pourquoi la cour devait tenir compte des principes de common law invoqués. Toutefois, la cour a ensuite conclu que, pour déterminer si l’irrégularité avait influé sur le résultat de l’élection de façon importante, il lui fallait recourir au critère du nombre magique, ce qu’elle a fait. Bien que la cour ait jugé que seuls deux bulletins étaient invalides, parce qu’ils n’avaient pas été enregistrés selon les dispositions de la loi électorale, ces deux bulletins correspondaient à la marge de victoire du candidat considéré élu, et ainsi, l’élection devait être annulée en fonction du critère du nombre magique. On a aussi recouru à ce critère dans les décisions Beamish et Meeches.

[121]       Dans la présente affaire, contrairement à l’affaire Yukon, l’alinéa 16.8b) du Règlement électoral prévoit explicitement que, même si certains moyens d’appel sont valables, le résultat de l’élection doit être confirmé, à moins que l’infraction commise n’ait influé sur ce résultat de façon importante. Autrement dit, le Règlement électoral reprend la règle énoncée par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Optiz :

[traduction]

16.8 Dans les cinq (5) jours suivant la clôture de l’audience, l’arbitre des appels en matière d’élections statue sans délai de l’une ou l’autre des manières suivantes :

a)         [...]

b)         faire droit aux moyens d’appel, sans toutefois invalider le résultat de l’élection, si l’infraction n’a pas influé sur ce résultat de façon importante;

[...]

[122]       L’arbitre a fait état de l’article 16.8 dans ses motifs, et il l’a interprété comme lui demandant de se poser deux questions puis, en fonction des réponses données, de prendre l’une des trois décisions possibles. La première question était de savoir si la preuve établissait l’existence d’un moyen d’appel énoncé dans l’avis d’appel. L’arbitre a confirmé l’existence de trois cas, selon lui, où le processus électoral s’était déroulé de manière imparfaite et irrégulière, sans qu’il s’agisse toutefois manœuvres électorales frauduleuses. Il s’est ensuite demandé si au moins un de ces trois cas avait influé de façon importante sur le résultat de l’élection. L’arbitre a conclu qu’un seul bulletin avait pu être compté incorrectement, que M. Alook avait obtenu 44 voix de plus que M. Houle pour le poste de chef et qu’aucune des trois irrégularités n’avait influé de façon importante sur le résultat de l’élection. Ainsi, selon moi, l’arbitre n’a pas commis d’erreur dans l’approche qu’il a adoptée pour déterminer si les irrégularités commises avaient influé de façon importante sur le résultat de l’élection.

[123]       Par ailleurs, même si trois électeurs avaient requis des services d’interprétation sans que les formulaires prescrits n’aient été remplis, cela n’aurait pas influé de façon importante sur la marge de voix séparant M. Houle et du candidat vainqueur. Je ne souscris pas à l’argument de M. Houle concernant l’invalidité de plus de 60 bulletins parce que le fonctionnaire électoral adjoint s’est absenté du bureau de scrutin pendant environ deux heures et n’a donc pas pu apposer ses initiales sur ces bulletins. Je ferai premièrement remarquer qu’en vertu de l’alinéa 11.7b), il faut tout d’abord que le fonctionnaire électoral appose ses initiales sur tout bulletin remis à un électeur. Après avoir coché son bulletin, l’électeur doit ensuite le plier pour masquer le nom des candidats ainsi que sa propre marque et laisser apparaître les initiales du fonctionnaire électoral (alinéa 11.7h)). Le fonctionnaire électoral doit ensuite vérifier les initiales apposées sur le bulletin avant de déposer celui‑ci dans la boîte de scrutin. Toutefois, le sous‑alinéa 12.2a)(i) prévoit qu’il faut considérer comme nul tout bulletin qui ne porte pas les initiales du fonctionnaire électoral ou du greffier de scrutin. Cela laisse entendre que le greffier de scrutin peut aussi apposer ses initiales sur un bulletin.

[124]       L’arbitre a souligné que le Règlement électoral ne prévoyait la nomination que d’un fonctionnaire électoral, sans faire mention d’un fonctionnaire électoral adjoint. Or, il y avait dans la présente affaire deux bureaux de scrutin. L’arbitre a donc interprété le Règlement électoral comme autorisant les greffiers de scrutin à assurer le bon déroulement du processus électoral quand le fonctionnaire électoral, forcément, comme en l’espèce, ne serait pas disponible. L’absence du fonctionnaire électoral adjoint, par conséquent, n’était pas fatale. Selon moi, cette interprétation n’était pas déraisonnable d’autant plus que d’autres dispositions du Règlement électoral autorisent aussi le greffier de scrutin à s’acquitter de semblables responsabilités. Par exemple, soit le fonctionnaire électoral, soit le greffier de scrutin : consigne le nombre total de bulletins (alinéa 11.7k)); peut interdire à une personne de voter en certaines circonstances précises (alinéa 11.8a)); fait observer l’ordre dans le bureau de scrutin (alinéa 11.9a)); à la fermeture des bureaux de scrutin, ouvre les boîtes de scrutin et compte et consigne le nombre de voix exprimées en faveur de chaque candidat. Il convient aussi de noter que les greffiers de scrutin sont nommés par le fonctionnaire électoral conformément à l’annexe A du Règlement électoral, [traduction] « Obligations du fonctionnaire électoral », qui précise également que le fonctionnaire électoral doit superviser les élections et veiller à ce qu’elles se déroulent en conformité avec le Règlement électoral.

[125]       Dans sa déclaration solennelle, M. Oostendorp, le fonctionnaire électoral, déclare d’ailleurs ce qui suit :

[traduction]

16. On me dit que le fait que Earl Laboucan soit venu au bureau de scrutin de Peerless Lake et m’ait remis un paquet de bulletins bleus pourrait constituer un problème. Je lui avais téléphoné vers 16 h 30, et demandé s’il y avait des bulletins bleus en surplus au bureau de scrutin de Trout Lake. Il est arrivé quelque 15 minutes après mon appel, m’a remis le paquet de bulletins bleus en me disant qu’il y en avait 75, puis il est retourné au bureau de Trout Lake. Pendant son absence du bureau de scrutin de Trout Lake, l’une ou l’autre greffière de scrutin de Trout Lake a apposé en premier lieu ses initiales sur tous les bulletins utilisés pour voter.

[126]       Ainsi, selon moi, il était raisonnable pour l’arbitre d’interpréter le Règlement électoral comme autorisant les greffières de scrutin à superviser le processus électoral dans les circonstances.

[127]       Enfin, je ferai remarquer que l’arbitre a traité dans sa décision de toutes les allégations formulées par M. Houle ainsi que de la preuve s’y rapportant. L’appréciation de la preuve par l’arbitre a été raisonnable, de même que ses conclusions de fait tirées sur le fondement de cette preuve. De plus, il ressort clairement du dossier et des motifs de l’arbitre qu’il ne s’agissait pas en l’espèce d’une élection dont le déroulement général a été irrégulier. Enfin, s’il y a eu diverses irrégularités, comme l’a reconnu l’arbitre, et si dans trois cas le processus électoral s’est déroulé imparfaitement, cela n’a pas influé de façon importante sur le résultat de l’élection.

Question 5 – L’arbitre a‑t‑il eu tort de condamner M. Houle aux dépens?

Thèse de M. Houle

[128]       M. Houle soutient que les dispositions relatives aux dépens de l’article 16.11 du Règlement électoral ne sont pas applicables en l’espèce. Même si l’arbitre n’a pas annulé l’élection, il a conclu que M. Houle avait fait valoir des moyens d’appel valables, puisque des violations du Règlement électoral avaient été commises. M. Houle soutient qu’un appel ne peut pas être dénué de fondement au point de constituer un abus de procédure, si l’arbitre fait droit à l’appel et conclut que l’on a contrevenu au Règlement électoral.

Thèse de la défenderesse

[129]       La défenderesse soutient qu’il était raisonnable pour l’arbitre d’exercer son pouvoir de condamner M. Houle aux dépens. Si l’on interprète l’article 16.11 à la lumière des principes de common law entérinés à l’alinéa 16.8b), soutient la défenderesse, il faut manifestement se garder d’examiner le dossier d’élection en vue d’y trouver des erreurs administratives techniques, et, par analogie, il faut considérer qu’une partie a gain de cause sur le fond en appel en fonction de l’établissement d’un moyen d’appel pouvant influer de façon importante, ou non, sur le résultat de l’élection (Regina c Cronin, [1875] OJ no 22). La défenderesse soutient aussi que, pour qu’il y ait procédure abusive, il n’est pas nécessaire qu’une partie se soit conduite de manière blâmable en intentant la procédure contestée par la suite (R c Keyowski, [1988] 1 RCS 657, à la page 659 [R c Keyowski]). En l’espèce, aucune personne raisonnable ayant lu le Règlement électoral et l’avis d’appel n’aurait pu penser que les moyens d’appel invoqués auraient pu influer de façon importante sur le résultat de l’élection. Par conséquent, l’adjudication des dépens par l’arbitre d’accorder est raisonnable.

Analyse

[130]       L’arbitre a condamné M. Houle à la moitié des dépens de l’appel, se fondant pour ce faire sur l’article suivant du Règlement électoral :

[traduction]

16.11 Malgré l’article 16.10 qui précède, si l’arbitre des appels en matière d’élections juge qu’un appel est dénué de fondement au point de constituer un abus de la procédure d’appel, il peut ordonner à l’appelant de payer la totalité ou une partie des dépens de l’appel, y compris les honoraires et débours de l’arbitre, ou les dépens des candidats concernés, ou les deux à la fois.

[131]       L’arbitre a conclu qu’aucune des trois violations du processus électoral, qui constituaient selon lui des moyens d’appel valables, n’aurait pu influer de façon importante sur le résultat de l’élection – une majorité de 44 voix pour le candidat vainqueur au poste de chef –, l’appel était essentiellement infondé, et il a condamné M. Houle à la moitié des dépens de l’appel.

[132]       À mon avis, il n’était pas raisonnable pour l’arbitre de faire droit à l’appel de M. Houle, puis de le condamner aux dépens parce que son appel était pour l’essentiel non fondé. Compte tenu de ses conclusions, et en vertu de l’alinéa 16.8b) du Règlement électoral, l’arbitre devait faire droit aux moyens d’appel, tout en maintenant le résultat de l’élection, puisque les infractions commises n’avaient pas influé de façon importante sur l’issue de l’élection, et c’est ce que l’arbitre a fait. L’arbitre ne s’est toutefois pas demandé si l’appel était dénué de fondement au point de constituer un abus de procédure. Le fait même que l’arbitre y ait fait droit laisse entendre que l’appel de M. Houle avait un certain fondement.

[133]       M. Houle fait valoir qu’on définit l’abus de procédure comme suit dans le Black’s Law Dictionary : [traduction] « Le recours abusif et délictuel d’un processus judiciaire légitime en vue d’obtenir un résultat qui, soit est illicite, soit dépasse la portée du processus ». En droit administratif, l’abus de procédure peut consister en un délai inacceptable (Blencoe c Colombie‑Britannique (Human Rights Commission), 2000 CSC 44), une attaque indirecte ou la remise en cause répétée des mêmes questions (Coombs c Canada (Procureur général), 2014 CF 232, confirmée dans Coombs c Canada (Procureur général), 2014 CAF 222; Toronto (Ville) c. S.C.F.P., section locale 79, 2003 CSC 63), de simples allégations dans un acte de procédure non étayées par des faits pertinents (AstraZeneca Canada Inc c Novopharm Ltd, 2010 CAF 112) et des actes de procédure ne contenant ni l’exposé des faits substantiels ni les précisions nécessaires (Baird c R, 2006 CF 205, confirmée dans 2007 CAF 48). En l’espèce, le processus électoral était entaché d’irrégularités et l’arbitre a conclu qu’il y avait eu trois violations du Règlement électoral. J’estime donc que l’appel n’était pas dénué de fondement au point de constituer un abus de procédure, selon le critère établi en jurisprudence.

[134]       De même, je ne souscris pas à l’analogie faite par la défenderesse quant au bien‑fondé de l’affaire en contexte criminel – soit au regard de la culpabilité ou de l’innocence quant à l’infraction reprochée –, en vue de déterminer si un moyen d’appel établi pourrait influer de façon importante sur le résultat de l’appel. L’article 16.11 ne fait pas mention du résultat de l’appel, et l’alinéa 16.8b) semble reconnaître qu’une partie peut valablement former un appel, même s’il n’a pas influé de façon importante sur le résultat. Je ne crois pas non plus utile dans notre affaire le renvoi fait par la défenderesse à l’arrêt R c Keyowski.

[135]       Enfin, je ne suis pas d’accord pour dire qu’aucune personne raisonnable ayant lu l’avis d’appel aurait pu penser que les moyens d’appel invoqués, considérés individuellement ou ensemble, auraient pu influer de façon importante sur le résultat. L’avis d’appel faisait état, entre autres choses, de manœuvres électorales frauduleuses qui, si elles étaient établies, pouvaient influer de cette façon sur le résultat.

[136]       Pour ces motifs, je conclus que l’adjudication des dépens par l’arbitre n’est pas raisonnable.


JUGEMENT

LA COUR STATUE :

1.      La demande de contrôle judiciaire est rejetée et la décision de l’arbitre est confirmée, sauf quant à l’ordonnance relative aux frais.

2.      La décision de l’arbitre de condamner M. Houle aux frais est annulée.

3.      Compte tenu du résultat partagé, aucuns dépens ne sont adjugés dans le cadre du présent contrôle judiciaire.

« Cecily Y. Strickland »

Juge

Traduction certifiée conforme

Édith Malo, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T‑32‑15

 

INTITULÉ :

ANDREW ORR ET PAUL HOULE c PREMIÈRE NATION DE PEERLESS

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Edmonton (Alberta)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 14 JUILLET 2015

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE STRICKLAND

 

DATE :

LE 8 SEPTEMBRE 2015

 

COMPARUTIONS :

Priscilla Kennedy

 

POUR LES DEMANDEURS

 

David C. Rolf, c.r.

 

POUR LA DÉFENDERESSE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Davis LLP

Edmonton (Alberta)

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Parlee McLaws LLP

Avocats

Edmonton (Alberta)

 

POUR LA DÉFENDERESSE

 

 

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