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Date : 20150828

Dossier : IMM-7782-14

Référence : 2015 CF 1026

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Toronto (Ontario), le 28 août 2015

En présence de monsieur le juge Diner

ENTRE :

MAREK HARVAN

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   Aperçu

[1]               La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire, déposée sous le régime du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la Loi], de la décision défavorable [décision] datée du 8 octobre 2014 par laquelle la Section de la protection des réfugiés [SPR] de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a conclu que le demandeur n’avait pas la qualité de réfugié au sens de la Convention ni celle de personne à protéger aux termes des articles 96 et 97 de la Loi.

II.                Contexte

[2]               Le demandeur, qui a agi pour son propre compte dans le cadre des actes de procédure, ne s’est pas présenté devant la Cour aux fins du contrôle judiciaire le 12 août 2015, bien que le greffe de la Cour et le défendeur aient tout mis en œuvre pour communiquer avec lui, n’ayant entre autres pas réussi à lui signifier des documents au cours des dernières semaines et des derniers mois.

[3]               De plus, aucun avocat ou autre représentant du demandeur n’a communiqué avec la Cour ou avec le défendeur dans les mois précédant l’audience, ni ne s’est présenté devant la Cour aux fins dudit contrôle judiciaire (dont la date était fixée depuis que la juge Mactavish avait rendu une ordonnance accueillant la demande d’autorisation et de contrôle judiciaire, le 14 mai 2015).

[4]               Le défendeur soutient que la présente demande est théorique parce que le demandeur a été renvoyé en République slovaque, selon l’affidavit de Gillian Dale, parajuriste au bureau du défendeur, au ministère de la Justice, à Toronto. L’affidavit expose les étapes qui ont mené au renvoi du demandeur en Slovaquie, le pays où le demandeur alléguait être persécuté. Dans sa décision du 8 octobre 2014, la SPR avait refusé de lui accorder le statut de réfugié en raison de préoccupations concernant i) la crédibilité et ii) la protection de l’État.

[5]               Le défendeur affirme que la présente demande est devenue théorique, car le demandeur ne peut désormais avoir la qualité de réfugié au sens de la Convention aux termes de l’article 96 de la Loi étant donné qu’il ne se trouve pas à l’extérieur du pays dont il a la nationalité. Aucun élément de preuve n’établit que le demandeur, renvoyé en République slovaque le 16 février 2015, a quitté son pays natal depuis son expulsion, survenue il y a plus de six mois.

[6]               En outre, le défendeur soutient que M. Harvan n’a pas la qualité de personne à protéger aux termes de l’article 97 de la Loi, parce que, selon cet article, a qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et qui serait, par son renvoi vers le pays dont elle a la nationalité, exposée soit au risque d’être soumise à la torture, soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités.

III.             Analyse

[7]               Le critère du caractère théorique comporte une analyse en deux temps. Dans un premier temps, il faut déterminer si la décision de la Cour aurait un effet pratique qui permettrait de résoudre un litige actuel entre les parties : la Cour se demande si les questions sont devenues purement théoriques et si le différend a disparu, auquel cas le débat est devenu théorique. Dans un deuxième temps, si le critère de la première étape est rempli, la Cour décide si elle doit – malgré le fait que l’affaire est théorique – exercer son pouvoir discrétionnaire d’entendre l’affaire. Dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire à la seconde étape, la Cour doit être guidée par les trois assises de la doctrine du caractère théorique :

                    i.            l’existence d’un débat contradictoire;

                  ii.            le souci d’économie des ressources judiciaires;

                iii.            la question de savoir si la Cour empiéterait sur la fonction législative plutôt que d’exercer sa fonction juridictionnelle au sein du gouvernement.

(Voir l’arrêt Borowski c Canada (Procureur général), [1989] 1 RCS 342, aux paragraphes 15 à 17, et 29 à 40 [Borowski].)

[8]               En ce qui concerne la première étape du critère énoncé dans l’arrêt Borowski, rien n’établit en l’espèce l’existence continue d’un différend concret et tangible entre les parties, parce que le demandeur ne se trouve plus au Canada pour faire valoir sa cause et que ni lui, ni aucun représentant n’a tenté de communiquer avec le défendeur ou avec la Cour pour exprimer une quelconque volonté de poursuivre l’affaire.

IV.             Jurisprudence applicable sur la question du caractère théorique

[9]               Le défendeur renvoie à l’arrêt rendu par la Cour d’appel fédérale [CAF] dans l’affaire Solis Perez c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CAF 171 [Solis Perez], où la CAF a statué que la demande de contrôle judiciaire d’une décision rendue par un agent d’ERAR est théorique une fois que le demandeur a été renvoyé du Canada (Solis Perez, au paragraphe 5).

[10]           Le juge en chef de la Cour a par la suite cité l’arrêt Solis Perez dans la décision qu’il a rendue dans l’affaire Rosa c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 1234 [Rosa], où il s’est exprimé ainsi :

[37]      À mon avis, la SPR a bel et bien compétence pour réexaminer une décision présentée initialement au titre de l’article 96 et conformément au paragraphe 99(3) dans de telles circonstances, pourvu que le demandeur se trouve à l’extérieur de tout pays dont il a la nationalité. Contrairement à ce qu’affirme le défendeur, il continue d’y avoir un « litige actuel » entourant la demande dans ces circonstances et, par conséquent, la demande de contrôle judiciaire de la décision initiale rendue par la SPR n’est pas théorique.

[...]

[42]      À mon avis, cet argument ne tient pas compte du fait que les personnes se trouvant dans la situation de M. Escobar Rosa ont présenté leur demande, conformément au paragraphe 99(3), alors qu’elles se trouvaient au Canada. Si une telle personne est capable de démontrer que la SPR a commis une erreur dans sa décision, elle a droit à ce que la même demande soit entendue par un tribunal différemment constitué de la SPR, pourvu qu’elle se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité, ou, si elle n’a pas de nationalité, hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, comme l’exigent les alinéas 96a) et b), respectivement.

[11]           Le juge en chef Crampton, se fondant sur les faits de l’affaire Rosa, a conclu que la demande n’était pas théorique et cité des précédents selon lesquels les décisions défavorables de la SPR ne devenaient pas théoriques après le renvoi (San Vincente Freitas c Canada (Citoyenneté et Immigration), [1999] 2 CF 432, au paragraphe 29; Magusic c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 823 [Magusic]; Thamotharampillai c Canada (Solliciteur général), 2005 CF 756, au paragraphe 16).

[12]           Je constate que, dans la décision Magusic, au paragraphe 4, la Cour avait refusé de rejeter la demande de contrôle judiciaire pour cause de caractère théorique et conclu que la réparation ne serait pas théorique, selon le premier volet du critère énoncé dans l’arrêt Borowski. C’est sur ce fondement que la demande de contrôle judiciaire a été instruite et rejetée ultérieurement.

[13]           Les faits de l’espèce sont différents de ceux de l’affaire Rosa et des autres affaires citées dans cette décision. Ils sont plutôt semblables à ceux exposés dans la décision Dogar c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), IMM-5719-13, 16 février 2015 [Dogar] (inédite), où la juge Heneghan a accueilli la requête en rejet de la demande de contrôle judiciaire pour cause de caractère théorique présentée par le défendeur. La juge Heneghan a estimé qu’il n’y avait plus de débat contradictoire entre les parties après que la demanderesse eut été expulsée vers le pays dont elle avait la nationalité. La juge Heneghan a conclu qu’en pareil cas, l’application de la Loi rend irrecevable la demande d’asile au Canada présentée par un demandeur à l’encontre du pays dont il a la nationalité.

[14]           Dans une autre affaire récente – Molnar c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 345, la requête en rejet pour cause de caractère théorique présentée par le ministre a été rejetée. Le juge Fothergill a certifié la question suivante, laquelle est actuellement en attente d’une audience devant la Cour d’appel fédérale : « La demande de contrôle judiciaire d’une décision rendue par la Section de la protection des réfugiés estelle théorique quand la personne visée par la décision a été renvoyée du Canada contre son gré, et, dans l’affirmative, la Cour devraitelle normalement refuser d’exercer son pouvoir discrétionnaire d’entendre la demande? »

[15]           Après avoir examiné la jurisprudence mentionnée ci‑dessus, je conclus, à l’instar de la juge Heneghan dans la décision Dogar, que la présente affaire est théorique à la première étape du critère énoncé dans l’arrêt Borowski : le différend a disparu. De plus, à la deuxième étape, il n’y a plus de débat contradictoire, d’après les circonstances factuelles spécifiques et particulières qui me sont exposées, à savoir que a) le demandeur ne se trouve plus au Canada et est revenu dans le pays dont il a la nationalité, et que b) chose plus importante encore, il n’a fait aucun effort en vue de poursuivre la présente demande ou toute autre procédure avant et après son renvoi, le 16 février 2015.

[16]           Les facteurs qui ont joué dans mon analyse comprennent les suivants :

                                  i.          les tentatives faites par le défendeur pour signifier des documents au demandeur ont été refusées;

                                ii.          la Cour n’a pas pu communiquer avec le demandeur depuis que le greffe de la Cour a, le 14 mai 2015, envoyé au demandeur l’ordonnance accueillant la demande de contrôle judiciaire par courrier recommandé, dont la livraison a été refusée le 20 mai 2015;

                              iii.          le défendeur et le greffe ont ensuite essayé en vain de communiquer avec le demandeur afin de préparer l’audience d’aujourd’hui. Notamment, une tentative a été faite en vue d’envoyer au demandeur, une fois encore par courrier recommandé, une instruction de la Cour que j’avais formulée le 10 août 2015 en réponse à la lettre du défendeur datée du 7 août 2015, et des tentatives ont été faites ensuite pour communiquer avec le demandeur par courriel et par téléphone, sans succès.

[17]           Sans doute, l’échec des tentatives faites pour communiquer avec le demandeur était attribuable, du moins en partie, au fait qu’il avait été renvoyé du Canada; toutefois, la Cour souligne que le demandeur n’a pas nommé de représentant pour poursuivre sa demande, ni n’a fourni d’adresse de réexpédition. Ces faits sont bien différents de ceux de l’affaire Molnar et de la jurisprudence mentionnée par le juge en chef dans la décision Rosa, précitée. Dans l’affaire Molnar, par exemple, la famille avait maintenu le débat contradictoire en nommant un représentant juridique qui a poursuivi le litige, malgré le renvoi des demandeurs dans leur pays d’origine (la Hongrie).

[18]           Enfin, je constate qu’aucune demande de sursis au renvoi de M. Harvan n’a été adressée à la Cour en l’espèce, contrairement à l’affaire Molnar, par exemple, où les demandeurs avaient tenté de faire reporter leur renvoi par l’Agence des services frontaliers du Canada [ASFC], pour ensuite présenter à la Cour une demande de sursis contestant la décision défavorable de l’ASFC.

V.                Conclusion

[19]           Rien n’établit que le demandeur ait tenté de poursuivre le litige concernant la présente affaire ou son renvoi. Il n’a pas communiqué avec la Cour ni avec son adversaire dans le litige, le défendeur, dans les six mois qui se sont écoulés depuis son renvoi du Canada. En outre, tous les efforts que la Cour et le défendeur ont déployés pour communiquer avec le demandeur pendant cette période ont été vains. Je conclus par conséquent que les deux volets du critère énoncé dans l’arrêt Borowski ont été remplis, en ce sens qu’il n’existe plus de litige actuel à l’étape 1, ni de débat contradictoire à l’étape 2.

[20]           Aucune question à certifier n’a été soulevée, et aucune ne le sera, bien que, comme la Cour l’a fait observer ci‑dessus, des directives sur cette question seront données par un tribunal supérieur quand la CAF se prononcera sur l’affaire Molnar, le cas échéant.


JUGEMENT

LA COUR ORDONNE :

1.      La présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

2.      Il n’y a pas de question à certifier.

3.      Aucuns dépens ne sont adjugés.

« Alan S. Diner »

Juge

Traduction certifiée conforme

Johanne Brassard, trad. a.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-7782-14

 

INTITULÉ :

MAREK HARVAN c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 12 AOÛT 2015

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE DINER

DATE DES MOTIFS :

LE 27 AOÛT 2015

COMPARUTIONS :

Non représenté

POUR Le demandeur

Nina Chandy

POUR Le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Non représenté

 

POUR Le demandeur

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR Le défendeur

 

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