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Date : 20150908


Dossier : IMM-8477-14

Référence : 2015 CF 1054

Ottawa (Ontario), le 8 septembre 2015

En présence de monsieur le juge LeBlanc

ENTRE :

JULIO CÉSAR VICTORIA GOMEZ

demandeur

et

MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défenderesse

ORDONNANCE ET MOTIFS

I.                   Introduction

[1]               Le demandeur (ou M. Gomez) conteste le rejet de la demande de résidence permanente qu’il a présentée au défendeur, à partir du Canada, sur la base de motifs d’ordre humanitaire, comme le permet l’article 25 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, ch. 27 [la Loi].

[2]               La présente affaire a ceci de particulier : depuis le rejet de sa demande de résidence permanente, prononcé le 31 octobre 2014, le demandeur a fait l’objet d’une mesure de renvoi et il a conséquemment quitté le Canada le 14 janvier 2015.  Son procureur plaide que l’affaire n’est pas pour autant devenue académique puisque, insiste-t-il, M. Gomez étant sur le coup d’une interdiction de territoire, la présente affaire, si elle devait être accueillie, pourrait avoir pour effet de lever, en tout ou en partie, et ce, dans l’intérêt supérieur de son enfant mineur, qui est né et réside toujours au Canada, la période durant laquelle, en raison de ladite interdiction, il ne peut présenter une nouvelle demande de résidence permanente.  Le défendeur n’a pas fait de représentations particulières sur ce point.

[3]               Je suis satisfait que l’issue de la présente demande de contrôle judiciaire pourrait avoir des conséquences sur les droits des parties, même si le demandeur n’est plus au Canada, et qu’il y a donc lieu de statuer sur ladite demande (Borowski c. Canada (Procureur général) [1989] 1 RCS 342).

II.                Contexte

[4]               M. Gomez est citoyen mexicain.  Il est arrivé au Canada en juillet 2008 et il a présenté une demande d’asile, laquelle lui a été refusée en mai 2012.  Le 23 octobre 2013, la Cour rejetait, sur le fond, la demande de contrôle judiciaire instituée par le demandeur à l’encontre de cette décision (Gomez c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 1070).  Entre temps, M. Gomez faisait la connaissance de Mme Yoidel Florian, qui a, au Canada, le statut de résidente permanente.  Une union de fait s’en est suivie et de cette union est née, le 25 novembre 2013, Samara, une petite fille (Samara Minerva Victoria Florian).

[5]               Le 13 mai 2014, le demandeur déposait auprès du défendeur sa demande de résidence permanente pour motifs d’ordre humanitaire.  Il y alléguait que ses circonstances personnelles étaient telles qu’il subirait des difficultés inhabituelles et injustifiées ou démesurées s’il était tenu de présenter sa demande de résidence permanente de l’extérieur du Canada, principalement en raison de son degré d’établissement au Canada et du fait qu’il ne serait pas dans l’intérêt supérieur de sa fille qu’il en soit séparé.  Par ailleurs, quelques jours plus tôt, il avait plaidé coupable à l’infraction, prévue à l’alinéa 253(1)b) du Code criminel, de conduite avec faculté affaiblie.  Du fait de ce plaidoyer de culpabilité et suivant ce que prévoit l’alinéa 36(2)(a) de la Loi, il réclamait aussi, dans sa demande de résidence permanente, d’être dispensé de la possible interdiction de territoire dont il était menacé, laquelle est devenue effective quelques jours après le dépôt de ladite demande.

[6]               Rappelant le caractère exceptionnel d’une demande formulée aux termes de l’article 25 de la Loi, le défendeur, par l’entremise d’une agente d’immigration, a conclu que les motifs invoqués par le demandeur au soutien de sa demande de résidence permanente n’étaient pas suffisants pour justifier une dispense aux règles habituelles fixées par la Loi voulant que ce type de demandes soit fait depuis l’étranger.  De façon plus particulière, quant au critère relatif à l’intérêt supérieur de l’enfant, le défendeur a noté :

  1. Que la conjointe de M. Gomez était résidente permanente au Canada et qu’elle disposait d’un statut légal;
  2. Qu’il était donc raisonnable de penser qu’elle serait en mesure de voyager avec l’enfant qui est canadien;
  3. Que M. Gomez n’avait pas démontré que sa conjointe et mère de l’enfant ne serait pas en mesure de prendre soin de l’enfant et de veiller à son bien-être émotionnel, social, physique et économique;
  4. Qu’il n’avait pas démontré non plus qu’il contribuait financièrement aux besoins de l’enfant ni de quelle façon, et dans quelle mesure précisément, il s’impliquait dans sa vie et en prenait soin;
  5. Qu’il n’avait pas davantage démontré si, et dans quelle mesure, le cas échéant, le bien-être l’enfant serait compromis advenant son retour au Mexique;
  6. Qu’à cet égard, la lettre provenant d’une travailleuse sociale, indiquant que la séparation forcée du couple serait dévastatrice pour le couple et l’enfant, demeurait vague et générale, n’expliquait pas si d’autres évaluations avaient été effectuées et ne suffisait pas à démontrer, par conséquent, qu’un éventuel retour du demandeur dans son pays d’origine aurait des impacts négatifs pour l’enfant; et
  7. Que M. Gomez était aussi le père d’un jeune garçon de 16 ans resté au Mexique lorsqu’il a quitté ce pays pour le Canada et qu’il n’avait pas expliqué les raisons pour lesquelles sa présence au Canada auprès de son enfant canadien serait plus importante que sa présence auprès de son enfant mexicain.

[7]               Le défendeur en a conclu que bien que l’intérêt supérieur de l’enfant soit un facteur important dans l’analyse d’une demande présentée aux termes de l’article 25 de la Loi, ce facteur, dans les circonstances de la présente affaire, ne pouvait justifier une dispense aux règles habituelles applicables aux demandes de résidence permanente.

[8]               M. Gomez reproche essentiellement deux choses au défendeur, toutes deux en lien avec son analyse du critère de l’intérêt supérieur de l’enfant.  D’une part, il lui reproche de ne pas avoir accordé suffisamment de poids à la lettre de la travailleuse sociale.  D’autre part, il soutient que le défendeur a omis de considérer sa demande en lien avec l’interdiction de territoire dont il fait l’objet, laquelle fait en sorte qu’il ne pourra, si elle est maintenue, présenter avant plusieurs années une nouvelle demande de résidence permanente.

III.             Analyse

[9]               Il s’agit ici de déterminer si le défendeur, en décidant comme il l’a fait sur ces deux points, a erré d’une manière qui, aux termes de l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, justifie l’intervention de la Cour.

[10]           Comme la Cour d’appel fédérale l’a rappelé encore récemment dans l’affaire Kanthasamy c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2014 CAF 113, le paragraphe 25(1) de la Loi est une disposition d’exception en ce sens qu’une demande faite aux termes de cette disposition se veut essentiellement, pour reprendre les termes de l’arrêt Chieu c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CSC 3, [2002] 1 RCS 84, « un plaidoyer auprès de l’exécutif en vue d’obtenir un traitement spécial qui n’est même pas explicitement envisagé par la Loi » (Kanthasamy, au para 40; Chieu, au para 64).

[11]           La Cour d’appel fédérale a aussi rappelé que cette Cour a, à maintes reprises, interprété le paragraphe 25(1) comme obligeant le demandeur à prouver que le fait de devoir présenter sa demande de résidence permanente de l’étranger, comme la Loi l’exige normalement, lui ferait subir personnellement des difficultés inhabituelles et injustifiées ou excessives, c'est-à-dire des difficultés plus lourdes que les conséquences inhérentes au fait de quitter le Canada et de présenter sa demande d’immigration par les voies normales (Kanthasamy, au para 41).

[12]           Sur ce point, elle a noté qu’en recourant au critère des « difficultés inhabituelles et injustifiées ou excessives », la Cour s’en est généralement remis à l’interprétation qu’en donne Citoyenneté et Immigration Canada dans son Guide opérationnel, lequel, au  chapitre IP 5, traite des demandes faites sous le régime du paragraphe 25(1) de la Loi (Kanthasamy, au para 43).  Les portions pertinentes dudit chapitre, qui s’intitule « Demande présentée par des immigrants au Canada pour des motifs d’ordre humanitaire », se lisent comme suit :

5.10. Évaluation des difficultés

L’évaluation des difficultés dans le cadre d’une demande CH permet au décideur de CIC de déterminer si des considérations d’ordre humanitaire justifient l’octroi de la dispense demandée.

Le critère des « difficultés inhabituelles et injustifiées ou démesurées » [a] été adopté par la Cour fédérale dans ses décisions fondées sur le paragraphe 25(1) de la LIPR, ce qui signifie que ces termes sont plus que de simples lignes directrices. [Renvoi omis.]

Dans nombre de cas, le critère des difficultés sera lié à l’obligation d’obtenir un visa de résident permanent avant de venir au Canada (L11). Autrement dit, le demandeur ferait-il face à des difficultés s’il devait quitter le Canada pour faire sa demande à l’étranger.

L’étranger peut toutefois demander une dispense d’autres exigences de la Loi et du Règlement. Dans ce cas, le critère consiste à déterminer si le refus de la dispense risque d’entraîner des difficultés pour le demandeur.

Lorsqu’on détermine les difficultés auxquelles un demandeur fait face, il faut examiner les considérations d’ordre humanitaire globalement plutôt que séparément. En d’autres mots, les difficultés sont évaluées en soupesant l’ensemble des considérations d’ordre humanitaire invoquées par le demandeur. Les difficultés doivent être inhabituelles et injustifiées ou démesurées, tel qu’il est décrit ci-dessous :

Difficultés inhabituelles et injustifiées

Difficultés démesurées

        Les difficultés auxquelles le demandeur fait face (s’il n’obtient pas la dispense demandée) doivent être inhabituelles dans la plupart des cas.

Autrement dit, il s’agit de difficultés non envisagées dans la Loi ou le Règlement, et

        Les difficultés auxquelles le demandeur fait face (s’il n’obtient pas la dispense demandée) doivent être injustifiées dans la plupart des cas, le résultat de circonstances indépendantes de sa volonté.

Il peut aussi exister des considérations d’ordre humanitaire suffisantes dans des cas où les difficultés occasionnées par le refus de la dispense ne seraient pas considérées comme « inhabituelles et injustifiées », mais auraient un impact déraisonnable sur le demandeur en raison de sa situation personnelle.

 

5.11. Facteurs à prendre en considération dans l’évaluation des difficultés

Le L25(1) prévoit la possibilité de soustraire le demandeur à l’obligation d’obtenir un visa de résident permanent à l’étranger, à l’obligation d’appartenir à une catégorie et/ou à une interdiction de territoire s’il est justifié de le faire pour des considérations d’ordre humanitaire.

L’agent doit évaluer les difficultés auxquelles le demandeur ferait face s’il n’obtenait pas la dispense demandée.

Le demandeur peut fonder sa demande CH sur plusieurs facteurs, notamment

- son établissement au Canada;

- ses liens avec le Canada;

- l’intérêt supérieur de tout enfant touché par sa demande;

- des facteurs dans son pays d’origine (entre autres, incapacité d’obtenir des soins médicaux, discrimination n’équivalant pas à de la persécution, harcèlement ou autres difficultés non visées aux L96 et L97;

- des facteurs relatifs à la santé;

- des facteurs relatifs à la violence familiale;

- les conséquences de la séparation des membres de la famille;

- l’incapacité à quitter le Canada ayant conduit à l’établissement; et/ou

- tout autre facteur pertinent invoqué par le demandeur n’étant pas visé aux L96 et L97.

[13]           La Cour d’appel fédérale a avalisé l’approche suivie par la Cour tout en prenant bien soin de préciser que si les facteurs mentionnés à la section 5.11 du Guide opérationnel, lequel n’a pas force de loi, constituaient une énumération raisonnable du type d’éléments dont doit tenir compte le défendeur lorsqu’il examine une demande fondée sur le paragraphe 25(1) de la Loi, ils ne devaient toutefois pas être interprétés comme constituant une liste exhaustive (Kanthasamy, aux paras 50-51).

[14]           Il y a lieu de préciser à cet égard que l’intérêt supérieur de tout enfant touché par la demande pour motif d’ordre humanitaire est un facteur dont la prise en compte est expressément exigée par le législateur.  Il est de jurisprudence constante que l’intérêt supérieur de l’enfant, bien qu’il ne soit pas déterminant en soi, est un facteur important dans l’appréciation d’une demande présentée en vertu du paragraphe 25(1) de la Loi (Legault c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) 2002 CAF 125; Kisana c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) 2009 CAF 189).  L’agent d’immigration qui statue sur une demande fondée sur cette disposition doit ainsi être « réceptif, attentif et sensible » à l’intérêt des enfants touchés par la demande (Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] 2 RCS 817, au para 75).  Il est aussi de jurisprudence constante que le critère des difficultés « inhabituelles et injustifiées ou excessives » n’est pas celui qui convient pour évaluer le facteur de l’intérêt supérieur de l’enfant (Hawthorne c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CAF 475; Shchegolevich c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 527; (Shchegolevich); Mangru c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 779; Sinniah c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 1285; Williams c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 166; Sun c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 206; E.B. c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 110; Monje c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 116).

[15]           En l’espèce, je suis d’avis que le défendeur a effectivement omis de considérer la demande de dispense liée à l’interdiction de territoire, à tout le moins à titre de facteur aux fins de l’évaluation du critère de l’intérêt supérieur de l’enfant, et que cela, en soi, suffit pour annuler la décision et renvoyer l’affaire à un autre agent d’immigration pour qu’il soit statué de nouveau sur la demande de résidence permanente du demandeur pour motif d’ordre humanitaire.

[16]           Suivant le Guide opérationnel, un agent d’immigration, agissant pour le compte du défendeur, doit évaluer les difficultés auxquelles le demandeur ferait face s’il n’obtenait pas la dispense demandée.  Le paragraphe 25(1) de la Loi identifie expressément comme circonstance pouvant donner ouverture à l’exercice du pouvoir discrétionnaire qui y est prévu, le fait que l’étranger qui y a recours fait l’objet d’une interdiction de territoire.  Le Guide opérationnel, en retour, prévoit la possibilité de soustraire l’étranger « à l’obligation d’appartenir à une catégorie et/ou à une interdiction de territoire s’il est justifié de le faire pour des considérations d’ordre humanitaire ».

[17]           Ici, comme seul élément d’analyse lié à l’interdiction de territoire dont M. Gomez fait l’objet, le défendeur s’est limité à exprimer l’avis que ce dernier n’avait pas démontré respecter les lois du Canada.  Nulle part dans la décision ne retrouve-t-on de discussion sur l’a-propos de faire droit à la demande de dispense liée à cette mesure, particulièrement dans le contexte de l’intérêt supérieur de la petite fille du demandeur étant donné que cette mesure a pour effet de retarder considérablement le moment où celui-ci pourra refaire une demande de résidence permanente et, donc, de prolonger la période de séparation du père et de l’enfant.  On n’y retrouve, à cet égard, aucune analyse, même superficielle, des circonstances de la déclaration de culpabilité à l’origine de l’interdiction de territoire, notamment la nature de l’infraction en cause, la peine infligée et le caractère isolé de l’incident, dans la perspective de soustraire M. Gomez à l’interdiction de territoire, eu égard à l’ensemble des circonstances à l’appui de la demande pour motifs d’ordre humanitaire.  La décision est aussi dépourvue de toute discussion sur les effets de cette mesure sur l’intérêt de l’enfant.

[18]           Pourtant, cette demande de dispense était clairement identifiée dans la demande pour motifs d’ordre humanitaire produite par M. Gomez.  Il ne fait donc aucun doute dans mon esprit que l’interdiction de territoire se devait d’être analysée par le défendeur lorsque la question de l’intérêt supérieur de l’enfant a été considérée. C’est précisément ce que la Cour a conclu dans l’affaire Malekzai c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2004 CF 1099, 256 FTR 199 :

[60]  Je suis convaincu que l'agente chargée d'examiner la demande fondée sur des motifs d'ordre humanitaire n'a pas pris en compte la possibilité que le demandeur soit interdit de territoire lorsqu'elle a examiné l'intérêt supérieur de son enfant née au Canada. Je souhaite établir clairement que je ne dis pas que l'agente chargée d'examiner la demande fondée sur des motifs d'ordre humanitaire aurait dû rendre une décision à l'égard de la question de l'interdiction de territoire du demandeur au Canada étant donné qu'il n'appartient pas aux agents chargés d'examiner des demandes fondées sur des motifs d'ordre humanitaire de rendre une décision à cet égard. L'agente chargée d'examiner la demande fondée sur des motifs d'ordre humanitaire aurait dû cependant prendre en compte, à titre de facteur, la possibilité que le demandeur soit interdit de territoire lorsqu'elle a examiné l'intérêt supérieur de l'enfant, en particulier étant donné que l'article 15 du Règlement sur l'immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227, prévoit que les conclusions de fait tirées par la Commission à l'égard des crimes de guerre sont probantes à l'égard des décisions subséquentes touchant l'interdiction de territoire.

[19]           Dans l’affaire Rogers c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2009 CF 26, 339 FTR 191, le juge de Montigny, maintenant juge à la Cour d’appel fédérale, a jugé que l’agent d’immigration saisi de la demande faite en vertu du paragraphe 25(1) de la Loi dans cette affaire, avait entravé l’exercice de son pouvoir discrétionnaire en omettant de considérer, de sa propre initiative par surcroît, s’il y avait matière à accorder une dispense d’interdiction de territoire (Rogers, au para 42).  En outre, le juge de Montigny a souligné que même en supposant que l’agent avait considéré la question, rien dans sa décision ne permettait de déterminer sur quelle base il n’y avait pas lieu d’accorder la dispense (Rogers, aux paras 48-49).

[20]           En l’espèce, ce questionnement, dans la perspective de l’intérêt supérieur de l’enfant, est inexistant et rien dans la décision ne permet d’inférer que le défendeur s’est effectivement penché sur la question.

[21]           Je sais que la norme de contrôle en cette matière est celle de la décision raisonnable (Rogers, aux paras 16-17).  Cette norme invite la Cour à faire preuve d’une retenue considérable envers les décisions d’agents d’immigration compte tenu de la nature factuelle de l’analyse qu’ils sont appelés à mener, du rôle d’exception du paragraphe 25(1) de la Loi au sein du régime législatif, du fait que le décideur est le Ministre, et de la large discrétion accordée par le libellé de la Loi (Baker, précité au para 62; Kanthasamy, précité au para 33).  Ainsi, la Cour n’interviendra que si la décision contestée ne possède pas les attributs de la justification, de la transparence ou de l'intelligibilité et n’appartient pas aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190, au para 47).

[22]           En l’espèce, par son silence sur un élément pourtant crucial de la demande de résidence permanente pour motifs d’ordre humanitaire, la décision du défendeur ne possède pas, à mon avis, les attributs de la justification, de la transparence ou de l'intelligibilité.  Il y a donc lieu d’intervenir et d’annuler, sur cette base, la décision du défendeur.  Vu le caractère décisif de ma conclusion eu égard au traitement de la question de l’interdiction de territoire par le défendeur, il ne sera pas nécessaire de déterminer si celui-ci a accordé suffisamment de poids à la lettre de la travailleuse sociale produite par M. Gomez au soutien de sa demande de résidence permanente.

[23]           La présente demande de contrôle judiciaire est donc accueillie.

[24]           Le procureur du demandeur a sollicité, à l’audience, la certification d’une question pour la Cour d’appel fédérale, si je devais rejeter sa demande de contrôle judiciaire.  Il jugeait que le critère d’analyse du facteur de l’intérêt supérieur de l’enfant, prescrit par le paragraphe 25(1) de la Loi, méritait d’être précisé à la lumière de jugements récents de cette Cour dans les affaires Etienne c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 937, et Akyol c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 1252, toutes deux décidées par le juge Donald J. Rennie, maintenant juge à la Cour d’appel fédérale.  Or, comme ladite demande a été accueillie, il n’y a pas lieu de se prononcer sur l’à-propos de certifier une question en l’espèce.  À tout événement, j’estime que ces deux jugements sont conformes à l’état du droit sur cette question, tel qu’il a été façonné par la Cour suprême du Canada dans Baker, précité, et par les jugements subséquents de la Cour d’appel fédérale dans Legault et Hawthorne, précités, et plus récemment, dans Kinasa c (Citoyenneté et Immigration), 2009 CAF 189.


ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE que :

1.      La demande de contrôle judiciaire est accueillie;

2.      L’affaire est renvoyée à un(e) autre agent(e) d’immigration pour qu’il/elle statue de nouveau sur celle-ci;

3.      Aucune question n’est certifiée.

« René LeBlanc »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-8477-14

INTITULÉ :

JULIO CÉSAR VICTORIA GOMEZ c MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (Québec)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 28 mai 2015

ORDONNANCE ET MOTIFS :

LE JUGE LEBLANC

DATE DES MOTIFS :

LE 8 septembre 2015

COMPARUTIONS :

Me Felipe Morales

Pour le demandeuR

Me Margarita Tzavelakos

Pour la défenderesse

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Colby, Monet, Demers, Delage & Crevier L.L.P.

Avocat(e)s

Montréal (Québec)

Pour le demandeur

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

Pour la défenderesse

 

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