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Date : 20150902


Dossier : IMM‑695‑15

Référence : 2015 CF 1037

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 2 septembre 2015

En présence de monsieur le juge Shore

ENTRE :

AHMED, ZAKA UD DIN

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   Aperçu

[1]               La Cour d’appel fédérale a déclaré que, pour que l’établissement d’une erreur de droit suffise à entraîner l’annulation d’une décision administrative, l’erreur en question doit être déterminante de l’issue au regard de la décision. La Section d’appel des réfugiés [SAR] n’est pas tenue de faire preuve de retenue à l’égard de la Section de la protection des réfugiés [SPR], hormis en ce qui concerne les questions de crédibilité, où la SPR aura eu l’occasion, à titre de tribunal de première instance, d’entendre le témoignage, de poser des questions à cet égard et de démontrer qu’il y a eu examen de la preuve. Par conséquent, si la SAR démontre elle‑même qu’elle a examiné rigoureusement les conclusions de la SPR quant à la crédibilité, son analyse sera considérée comme celle d’un décideur indépendant, comme l’a clairement indiqué la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Carter c Canada (Ministre du Développement social), 2006 CAF 172, au paragraphe 7 [Carter].

II.                Introduction

[2]               Le demandeur conteste une décision rendue le 28 janvier 2015 par la SAR, en application du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [LIPR], par laquelle son appel a été rejeté et la décision de la SPR selon laquelle il n’est ni un réfugié au sens de la Convention ni une personne à protéger a été confirmée.

III.             Contexte

[3]               Le demandeur est un citoyen du Pakistan né le 24 septembre 1984. Il allègue les faits suivants.

[4]               En juin 2013, le demandeur a signalé à la police qu’une voiture qu’il réparait dans son atelier présentait différents numéros de série et avait probablement été volée. Après avoir repris le véhicule, les « propriétaires » ont été arrêtés par la police à un barrage routier. Les policiers ont trouvé une veste d’explosifs et une grenade dans la voiture.

[5]               Les « propriétaires » du véhicule ont réussi à s’enfuir, mais les policiers ont demandé au demandeur d’identifier la voiture.

[6]               Environ une semaine plus tard, le demandeur a reçu un appel de menaces des Talibans qui l’accusaient d’avoir signalé la voiture aux policiers. Le demandeur est retourné voir les policiers et a été informé que les Talibans comptaient des informateurs au sein du corps policier.

[7]               Suivant les conseils des policiers, le demandeur s’est caché dans la ville de Gojra pendant quelques mois.

[8]               À son retour en décembre 2013, deux motocyclistes se sont approchés de sa voiture et ont tiré sur lui alors qu’il retournait chez lui après un repas au restaurant. Le demandeur a accéléré et s’est enfui.

[9]               Le demandeur a signalé l’incident aux policiers, mais personne n’a été arrêté.

[10]           Le demandeur est allé se cacher chez un ami à Lahore. Pendant qu’il séjournait à cet endroit, il a reçu un appel de menaces des Talibans, malgré le fait qu’il avait changé son numéro de téléphone cellulaire.

[11]           Le demandeur a décidé de quitter le Pakistan. Avec l’aide d’un agent, il a obtenu un passeport en mai 2014 et s’est rendu au Canada.

[12]           La SPR a instruit la demande déposée par le demandeur le 16 septembre 2014 et l’a rejetée le 23 septembre 2014. La SPR a conclu que le demandeur n’avait pas établi, selon la prépondérance des probabilités, qu’il avait été pris pour cible par les Talibans.

[13]           Un appel a été interjeté devant la SAR le 21 octobre 2014. Cette dernière a rejeté l’appel le 28 janvier 2015.

IV.             Décision contestée

[14]           Dans ses motifs, suivant la décision de la Cour fédérale Huruglica c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2014 CF 799, la SAR a d’abord affirmé que son rôle consistait à examiner tous les aspects de la décision de la SPR en vue d’évaluer de façon indépendante la demande d’asile du demandeur, en faisant preuve de déférence à l’égard de la SPR uniquement en ce qui a trait aux points sur lesquels le tribunal d’instance inférieure jouit d’un avantage particulier pour tirer une conclusion, comme c’est le cas notamment pour les questions de crédibilité.

[15]           Deuxièmement, la SAR a évalué l’admissibilité de la preuve fournie par le demandeur dans le cadre de l’appel, conformément au paragraphe 110(4) de la LIPR.

[16]           Après avoir appliqué les facteurs énoncés dans l’arrêt Raza c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2007] ACF 1632 [Raza], la SAR a conclu que, même si la preuve présentée par le demandeur satisfait à l’exigence légale énoncée au paragraphe 110(4) et que le demandeur y a eu accès après que la SPR a rendu sa décision, cette preuve ne peut être admise du fait qu’elle ne remplit pas le critère de la crédibilité énoncé dans l’arrêt Raza, précité. 

[17]           Troisièmement, la SAR a traité de l’argument du demandeur qui demande la tenue d’une audience, aux termes du paragraphe 110(6) de la LIPR. La SAR a conclu qu’il n’était pas justifié de tenir une audience puisqu’elle avait jugé irrecevables les éléments de preuve présentés par le demandeur, aux termes du paragraphe 110(3) de la LIPR.

[18]           Quatrièmement, la SAR a établi que la crédibilité constituait la question déterminante dans le cadre de l’appel et a passé en revue les décisions et conclusions de la SPR relatives à la preuve et au témoignage du demandeur devant la SPR.

[19]           La SAR a conclu ce qui suit, après avoir tenu compte des observations du demandeur :

[54]      La SAR a examiné et évalué les conclusions en matière de crédibilité tirées par le tribunal au sujet de l’incident de décembre 2013 dont l’appelant dit avoir été victime. La SAR estime qu’il revenait au tribunal de décider s’il fallait tenir compte ou non de la preuve documentaire soumise par l’appelant, en fixant ses propres conditions. La SAR souscrit à la conclusion du tribunal selon laquelle l’information dans les journaux ne concorde pas avec les renseignements dans le premier rapport d’information. La SAR estime aussi que le tribunal était libre de tirer une conclusion défavorable à cet égard. La SAR souscrit aussi à la conclusion du tribunal à l’égard du premier rapport d’information, qu’il s’agisse de l’original ou de la copie, compte tenu des incohérences susmentionnées, qui ont été relevées dans les trois articles de journaux présentés par l’appelant, et de l’information dans la preuve documentaire sur le pays selon laquelle des documents frauduleux sont disponibles au Pakistan.

[56]      La SAR a examiné la preuve concernant l’incident de décembre 2013, et souscrit à la conclusion du tribunal selon laquelle l’incohérence entre le témoignage de l’appelant et l’exposé circonstancié se trouvait au cœur d’une allégation cruciale de la demande d’asile, et n’avait pas été expliquée convenablement par l’appelant. La SAR a estimé qu’il revenait au tribunal de décider s’il fallait tirer une conclusion défavorable et conclure que l’appelant ne s’était pas fait tirer dessus par des motocyclistes en décembre 2013.

(Décision de la SAR, dossier certifié du tribunal, aux paragraphes 54 et 56)

V.                Dispositions législatives

[20]           Les dispositions suivantes s’appliquent à la détermination du statut de réfugié :

Définition de « réfugié »

Convention refugee

96. A qualité de réfugié au sens de la Convention — le réfugié — la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

96. A Convention refugee is a person who, by reason of a well‑founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or

b) soit, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.

(b) not having a country of nationality, is outside the country of their former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, unwilling to return to that country.

Personne à protéger

Person in need of protection

97. (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

97. (1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au sens de l’article premier de la Convention contre la torture;

(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning of Article 1 of the Convention Against Torture; or

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :

(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

      (i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

      (i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,

      (ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas,

      (ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,

      (iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes — sauf celles infligées au mépris des normes internationales — et inhérents à celles‑ci ou occasionnés par elles,

      (iii) the risk is not inherent or incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards, and

      (iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.

      (iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care.

(2) A également qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et fait partie d’une catégorie de personnes auxquelles est reconnu par règlement le besoin de protection.

(2) A person in Canada who is a member of a class of persons prescribed by the regulations as being in need of protection is also a person in need of protection.

[21]           Les dispositions législatives suivantes s’appliquent à l’évaluation de l’appel interjeté devant la SAR :

Appel

Appeal

110. (1) Sous réserve des paragraphes (1.1) et (2), la personne en cause et le ministre peuvent, conformément aux règles de la Commission, porter en appel — relativement à une question de droit, de fait ou mixte — auprès de la Section d’appel des réfugiés la décision de la Section de la protection des réfugiés accordant ou rejetant la demande d’asile.

110. (1) Subject to subsections (1.1) and (2), a person or the Minister may appeal, in accordance with the rules of the Board, on a question of law, of fact or of mixed law and fact, to the Refugee Appeal Division against a decision of the Refugee Protection Division to allow or reject the person’s claim for refugee protection.

Fonctionnement

Procedure

(3) Sous réserve des paragraphes (3.1), (4) et (6), la section procède sans tenir d’audience en se fondant sur le dossier de la Section de la protection des réfugiés, mais peut recevoir des éléments de preuve documentaire et des observations écrites du ministre et de la personne en cause ainsi que, s’agissant d’une affaire tenue devant un tribunal constitué de trois commissaires, des observations écrites du représentant ou mandataire du Haut‑Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés et de toute autre personne visée par les règles de la Commission.

(3) Subject to subsections (3.1), (4) and (6), the Refugee Appeal Division must proceed without a hearing, on the basis of the record of the proceedings of the Refugee Protection Division, and may accept documentary evidence and written submissions from the Minister and the person who is the subject of the appeal and, in the case of a matter that is conducted before a panel of three members, written submissions from a representative or agent of the United Nations High Commissioner for Refugees and any other person described in the rules of the Board.

Éléments de preuve admissibles

Evidence that may be presented

(4) Dans le cadre de l’appel, la personne en cause ne peut présenter que des éléments de preuve survenus depuis le rejet de sa demande ou qui n’étaient alors pas normalement accessibles ou, s’ils l’étaient, qu’elle n’aurait pas normalement présentés, dans les circonstances, au moment du rejet.

(4) On appeal, the person who is the subject of the appeal may present only evidence that arose after the rejection of their claim or that was not reasonably available, or that the person could not reasonably have been expected in the circumstances to have presented, at the time of the rejection.

Audience

Hearing

(6) La section peut tenir une audience si elle estime qu’il existe des éléments de preuve documentaire visés au paragraphe (3) qui, à la fois :

(6) The Refugee Appeal Division may hold a hearing if, in its opinion, there is documentary evidence referred to in subsection (3)

a) soulèvent une question importante en ce qui concerne la crédibilité de la personne en cause;

(a) that raises a serious issue with respect to the credibility of the person who is the subject of the appeal;

b) sont essentiels pour la prise de la décision relative à la demande d’asile;

(b) that is central to the decision with respect to the refugee protection claim; and

c) à supposer qu’ils soient admis, justifieraient que la demande d’asile soit accordée ou refusée, selon le cas.

(c) that, if accepted, would justify allowing or rejecting the refugee protection claim.

Décision

Decision

111. (1) La Section d’appel des réfugiés confirme la décision attaquée, casse la décision et y substitue la décision qui aurait dû être rendue ou renvoie, conformément à ses instructions, l’affaire à la Section de la protection des réfugiés.

111. (1) After considering the appeal, the Refugee Appeal Division shall make one of the following decisions:

(a) confirm the determination of the Refugee Protection Division;

(b) set aside the determination and substitute a determination that, in its opinion, should have been made; or

(c) refer the matter to the Refugee Protection Division for re‑determination, giving the directions to the Refugee Protection Division that it considers appropriate

VI.             Questions à trancher

[22]           La demande de contrôle judiciaire soulève les questions suivantes :

a)      La SAR a‑t‑elle commis une erreur en rejetant la preuve présentée par le demandeur dans le cadre de l’appel? Plus précisément, la SAR a‑t‑elle commis une erreur en appliquant le paragraphe 110(4) de la LIPR?

b)      La décision de la SAR de rejeter l’appel était‑elle raisonnable?

VII.          Analyse

[23]           La Cour reconnaît le caractère raisonnable de la décision de la SAR. La crédibilité dans le contexte de l’affaire a été considérablement mise en doute par le demandeur au regard de la preuve au dossier. Le corps des motifs est constitué d’environ vingt‑cinq paragraphes dans lesquels la SAR analyse clairement l’ensemble de la preuve présentée par le demandeur et dont disposait la SPR et examine chacun des facteurs considérés par la SPR du point de vue de la crédibilité.

[24]           Lors d’une audience, la SAR n’instruit pas une affaire de novo. Elle ne peut pas entendre le même témoignage de nouveau; elle doit se contenter d’analyser le travail effectué par la SPR. La SPR, en tant que juge des faits, a eu l’occasion d’entendre le demandeur et les témoins. C’est elle qui est le mieux placée pour évaluer la preuve (voir Canada (Procureur général) c Hunter, 2013 CAF 12).

[25]           La SAR a effectivement réalisé une analyse indépendante. Elle a évalué les conclusions quant à la crédibilité de façon rigoureuse. Ses motifs et son analyse indépendante le démontrent (voir Carter, précité).

VIII.       Conclusion

[26]           Pour l’ensemble des motifs qui précèdent, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.


JUGEMENT

LA COUR rejette la demande de contrôle judiciaire. Il n’y a aucune question grave de portée générale à certifier.

« Michel M.J. Shore »

Juge

Traduction certifiée conforme

Stéphanie Pagé, traductrice


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑695‑15

 

INTITULÉ :

AHMED, ZAKA UD DIN c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (QuÉbec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 27 AOÛT 2015

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE SHORE

 

DATE DES MOTIFS :

Le 2 SEPTEMBRE 2015

 

COMPARUTIONS :

Jean‑François Bertrand

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Suzanne Trudel

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Bertrand, Deslauriers

Montréal (Québec)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

Montréal (Québec)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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