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Date : 20150522


Dossier : IMM‑5198‑13

Référence : 2015 CF 668

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 22 mai 2015

En présence de monsieur le juge O’Keefe

ENTRE :

GOPYNATH THEVATHASAN

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

[1]               La demande d’asile du demandeur a été rejetée par la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission). Le demandeur sollicite maintenant le contrôle judiciaire de cette décision, en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la Loi).

[2]               Le demandeur sollicite une ordonnance annulant la décision défavorable et renvoyant l’affaire à un autre commissaire de la Commission pour que celui‑ci rende une nouvelle décision.

I.                   Le contexte

[3]        Le demandeur est un Tamoul âgé de 28 ans qui est né à Tellippalai et qui a grandi à Jaffna, au Sri Lanka. Il dit craindre d’être persécuté par l’armée, le Parti démocratique populaire de l’Eelam (PDPE) et des Tigres de libération de l’Eelam tamoul (TLET), s’il est renvoyé au Sri Lanka. Il allègue avoir eu affaire aux autorités sri‑lankaises à quatre occasions.

[4]        Le père du demandeur a cédé aux demandes d’extorsion des TLET afin de protéger le demandeur, qui est son fils unique. Les TLET ont tenté de rallier le demandeur à leur cause lorsqu’il a commencé à fréquenter l’école. Alors qu’il était au collège à Jaffna, le demandeur a été détenu à un [traduction] « certain nombre » d’occasions; chaque fois, il a été remis en liberté contre paiement.

[5]        En 2003, l’armée l’a arrêté, a vérifié le contenu de son sac d’école, l’a interrogé, l’a détenu pendant 20 minutes, puis l’a remis en liberté lorsque le directeur de son école est arrivé.

[6]        En mai 2008, lors d’une attaque à la bombe, le demandeur, qui était dans les environs à ce moment‑là, a été arrêté, interrogé, détenu pendant quatre heures, et battu par des soldats. Le demandeur a subi des blessures au dos en raison de coups de crosse de fusil. Les soldats l’ont remis en liberté à la condition qu’il leur transmette tout nouveau renseignement venant à sa connaissance relativement aux TLET.

[7]        En novembre 2009, le demandeur a été arrêté par l’armée, et il a été emmené dans un camp, où il a subi un [traduction] « interrogatoire musclé ». Il a ensuite été remis en liberté après 15 heures et a été averti que, s’il était à nouveau soupçonné de quelque chose, il serait arrêté et détenu pendant une période indéfinie.

[8]        Le 15 janvier 2010, le demandeur et trois de ses amis ont été emmenés dans un camp du PDPE, où ils ont été détenus pendant deux jours. La mère du demandeur a payé les 25 000 roupies exigées pour sa remise en liberté. Le demandeur a subi des blessures pour lesquelles il n’a pas sollicité de soins.

[9]        Par la suite, les parents du demandeur l’ont envoyé à Colombo et ont engagé un agent qui l’a aidé à quitter le Sri Lanka.

[10]           Le 20 mars 2010, le demandeur a quitté le Sri Lanka muni d’un passeport cubain. Il a transité par Dubaï, Moscou, La Havane, le Mexique et les États‑Unis. Le 24 août 2010, il est arrivé au Canada et, le même jour, il a présenté une demande d’asile.

II.                La décision faisant l’objet du contrôle

[11]           La décision défavorable de la Commission a été rendue le 17 juillet 2013. La Commission a statué que le demandeur n’avait ni la qualité de réfugié au sens de la Convention ni celle de personne à protéger.

[12]           Selon la Commission, la question déterminante était la crédibilité. La Commission a décidé que, selon la prépondérance des probabilités, le demandeur ne craignait pas avec raison de retourner au Sri Lanka, parce que si l’armée ou le PDPE avaient voulu lui faire du mal ou le tuer, ils avaient eu beaucoup d’occasions de le faire.

[13]           La Commission a d’abord examiné les éléments de preuve documentaire, et elle a relevé que les personnes soupçonnées d’association avec les TLET étaient habituellement mises à l’écart et envoyées dans des centres de détention spéciaux. En l’espèce, les quatre fois où le demandeur a eu affaire aux autorités, il n’a jamais été envoyé dans un centre de détention spécial. Chaque fois, il a été remis en liberté. Cela a amené la Commission à conclure que le demandeur n’avait pas été considéré comme étant un membre des TLET.

[14]           Ensuite, la Commission a conclu que le demandeur a été victime d’extorsion. Elle a conclu que, selon la prépondérance des probabilités, le demandeur risquait d’être victime d’actes d’extorsion de l’après‑guerre par des groupes paramilitaires. Toutefois, les éléments de preuve documentaire portent à croire que ces extorsions de l’après‑guerre ne sont plus commises dans le contexte de la guerre, mais sont plutôt le fait de groupes paramilitaires cherchant à obtenir des fonds.

[15]           La Commission a cité de nombreuses décisions de la Cour fédérale statuant que les victimes de crimes, de corruption (Leon c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1995] ACF no 1253, 58 ACWS (3d) 289) ou de vendettas (Marincas c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] ACF no 1254) ne parviennent habituellement pas à établir l’existence d’un lien entre leur crainte d’être persécutés et l’un des motifs énumérés dans la définition de réfugié au sens de la Convention. En l’espèce, la crainte du demandeur d’être victime de crimes à l’avenir ne correspond pas à une crainte de persécution liée « à la race, à l’ethnicité, à la religion, aux opinions politiques ni à aucun autre motif prévu dans la Convention ».

[16]           La Commission a noté en outre que, durant la guerre, les règlements relatifs aux déplacements au Sri Lanka étaient « rigidement appliqué[s] » et que les Tamouls qui se rendaient à Colombo étaient ciblés et étroitement surveillés. Pourtant, le demandeur avait pu se rendre à Colombo avec sa tante après la guerre, puis passer trois points de contrôle avec un agent, avec assez de facilité. Par conséquent, étant donné la surveillance accrue des Tamouls qui se déplaçaient à l’intérieur du Sri Lanka après la guerre, le demandeur n’aurait pas pu se rendre à Colombo et quitter cette ville si le gouvernement le soupçonnait d’être un membre ou un sympathisant des TLET.

[17]           Ensuite, la Commission a examiné la question du changement de la situation dans le pays, ce qui est une question de fait qui n’est pas assujettie à un critère juridique distinct (voir Yusuf c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1995] 1 CF 629, [1995] ACF no 35). Selon les documents sur la situation dans le pays, d’anciens enfants‑soldats associés aux TLET et certains détenus adultes qui n’étaient plus réputés présenter un danger avaient été libérés de centres de réadaptation entre le début de janvier 2010 et mai 2010. La Commission a noté que la situation, pour le reste de la population tamoule, s’était améliorée. De plus, le Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) a changé d’avis en raison de cette amélioration de la situation dans le pays et a déclaré que les Tamouls du nord ne devaient plus être présumés admissibles au statut de réfugié. Le HCR a recommandé qu’une protection continue d’être accordée aux personnes ayant les profils suivants : « personnes soupçonnées d’être liées aux TLET, les journalistes et autres professionnels des médias, les militants de la société civile et les défenseurs des droits de la personne, les femmes et les enfants ayant certains profils et les personnes homosexuelles, bisexuelles ou transgenres ». La Commission a conclu que, selon la prépondérance des probabilités, le demandeur n’est pas perçu comme ayant des liens avec les TLET et son profil ne correspond pas à celui d’une [traduction] « personne soupçonnée d’avoir des liens avec les TLET ».

[18]           Par conséquent, la Commission a conclu qu’il n’y avait pas de possibilité sérieuse que le demandeur soit persécuté à son retour au Sri Lanka et que sa crainte n’était pas fondée.

III.             Les questions en litige

[19]           Le demandeur me demande d’examiner une question litigieuse : la Commission a‑t‑elle commis une erreur de droit lorsqu’elle a conclu que le demandeur ne craignait pas avec raison d’être persécuté au Sri Lanka du fait de sa race?

[20]           Le défendeur soulève une question litigieuse en réponse : le demandeur n’a pas démontré que la décision de la Commission était déraisonnable.

[21]           Selon la Cour, il y a deux questions en litige :

A.              Quelle est la norme de contrôle?

B.               La décision de la Commission était‑elle raisonnable au titre de l’article 96 de la Loi?

IV.             Les observations écrites du demandeur

[22]           Le demandeur soutient que la norme de contrôle applicable à la décision visée par la présente demande est celle de la décision raisonnable, conformément à l’arrêt Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] ACS no 9, au paragraphe 47 (Dunsmuir).

[23]           Premièrement, le demandeur soutient que la décision de la Commission est déraisonnable parce qu’elle manque de transparence et d’intelligibilité. Bien que la décision défavorable de la Commission soit fondée sur la crédibilité, la Commission a omis de motiver sa conclusion selon laquelle le témoignage du demandeur n’était pas véridique ou manquait de crédibilité. Le demandeur soutient que la Cour fédérale a régulièrement affirmé que les conclusions défavorables concernant la crédibilité doivent être exposées en des termes clairs et explicites et la Commission doit exposer des motifs clairs et impérieux au soutien de sa conclusion de défaut de crédibilité (voir l’arrêt Wilanowski c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] ACF no 371, 154 NR 205 (CAF)). Le demandeur invoque les décisions Rayappu c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (24 octobre 2012), IMM‑8712‑11 (CF), aux paragraphes 2 et 7 (Rayappu) et Sinnathamby c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (21 janvier 2013), IMM‑3828‑12, aux paragraphes 3 et 4 (Sinnathamby) à l’appui de cette prétention. Il soutient que la présente affaire ne peut pas être distinguée de l’affaire Rayappu.

[24]           Deuxièmement, le demandeur soutient que la Commission a commis une erreur de droit en ne tenant pas compte de certains éléments de preuve, lorsqu’elle a conclu que le demandeur ne craignait pas avec raison d’être persécuté. Il était pris pour cible parce qu’il était Tamoul et parce que ses agents de persécution croyaient qu’il aidait les TLET. Il s’agit de motifs liés au fait de sa race et de ses opinions politiques perçues. Le demandeur soutient que la Commission a eu tort de rejeter ses allégations comme étant de simples menaces d’extorsion sans lien à sa race et à ses opinions politiques perçues. Le demandeur invoque les décisions suivantes, qui, selon lui, sont semblables à l’espèce.

[25]           Au paragraphe 12 de la décision Mohan c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 847, [2011] ACF no 1061 (Mohan), la Cour a statué que la Commission avait commis une erreur lorsqu’elle n’a pas analysé adéquatement le rôle de l’origine ethnique des demandeurs. De même, dans la décision SBG c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 648, [2011] ACF no 826 (SBG), la Cour a annulé la décision de la Commission et a conclu que la Commission avait omis de tenir compte du fait que les demandeurs étaient peut‑être ciblés en raison de « motifs mixtes », soit leur richesse et leur origine ethnique. Au paragraphe 6 de la décision Sinnathamby, la Cour a conclu que « [l]e fait que l’armée gouvernementale et ses alliés paramilitaires participent à des activités de détention et d’extorsion, en toute impunité, semble‑t‑il, peut constituer une preuve de persécution contre un groupe ethnique, à savoir les Tamouls du nord du Sri Lanka ».

[26]           Le demandeur renvoie au cartable national de documentation, à la page 3 d’un rapport du Groupe international de crises (International Crisis Group) daté du 18 juillet 2011, à l’appui de sa prétention selon laquelle les ministres du nouveau gouvernement encouragent les exécutions extrajudiciaires, les enlèvements et les extorsions de civils tamouls. Le demandeur soutient qu’il est pris pour cible aux fins d’extorsion parce qu’il est un Tamoul et que la Commission a commis une erreur en concluant, sur le fondement de cet élément de preuve qu’elle a accepté, que le demandeur ne craignait pas avec raison d’être persécuté du fait de sa race.

[27]           Troisièmement, le demandeur soutient que cette erreur n’est pas évitée au moyen du débat de la Commission relativement à l’évolution de la situation dans le pays.

V.                Les observations écrites du défendeur

[28]           Le défendeur soutient que la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable et que la Cour doit faire preuve de retenue (Dunsmuir, aux paragraphes 47, 48 et 53).

[29]           Premièrement, le défendeur soutient que le demandeur n’a pas de lien à l’un des motifs prévus par la Convention. Il soutient que, selon les décisions récentes de la Cour, bien que les éléments de preuve relatifs à la situation dans le pays montrent que les paramilitaires sri‑lankais prennent pour cible des individus aux fins d’extorsion, cela n’établit pas de lien à la définition énoncée dans la Convention (voir les paragraphes 9, 16 et 18 de la décision Nageem c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 867, [2012] ACF no 933; les paragraphes 128 à 132 de la décision Kuruparan c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 745, [2012] ACF no 796; le paragraphe 19 de la décision Marthandan c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 628, [2012] ACF no 624).

[30]           Le défendeur soutient que l’extrait cité par le demandeur, selon lequel le PDPE prend ses victimes pour cibles en fonction de leur origine ethnique, a été choisi à dessein. Il soutient que les renseignements auxquels il est fait référence dans le chapitre souligné par le demandeur, et qui est intitulé [traduction] « Composer avec le passé », ne révèlent pas que le PDPE prend ses victimes pour cibles en fonction de leur origine ethnique tamoule.

[31]           Le défendeur soutient que l’argument du demandeur visant l’analyse des éléments de preuve documentaire faite par la Commission et l’appréciation que la Commission a faite de la question de savoir si le demandeur était en danger en tant que tamoul revient à demander à la Cour qu’elle soupèse à nouveau les éléments de preuve, alors que tel n’est pas le rôle de la Cour (voir la décision Jiang c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 635, [2008] ACF no 808, au paragraphe 15).

[32]           Deuxièmement, le défendeur soutient que les notions de crédibilité et de crainte subjective s’entrelacent. II avance que, pour évaluer une crainte subjective, il faut répondre à la question suivante : est-ce que je crois les allégations du demandeur, et donc sa crainte découlant de ces allégations? Cette question comporte deux volets : 1) est‑ce que je crois les allégations du demandeur selon lesquelles le PDPE et le gouvernement sri‑lankais le persécuteront en raison de son profil? 2) est‑ce que je crois que le demandeur craint une telle issue? Le défendeur soutient que si une réponse négative est donnée à la première question, alors une réponse négative doit aussi être donnée à la deuxième question (voir la décision Jimenez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 727, [2010] ACF no 879, au paragraphe 4).

[33]           Le défendeur relève que le demandeur n’a pas contesté les conclusions sous‑jacentes tirées par la Commission, notamment quant à savoir si le demandeur est pris pour cible ou non à des fins de détention, ou si la Commission a cru les prétentions du demandeur. Le défendeur soutient que les conclusions défavorables concernant la crédibilité qui n’ont pas été contestées sont déterminantes en soi, et que le défaut de prouver que ces conclusions étaient déraisonnables suffit à entraîner le rejet de la présente demande (voir la décision Cienfuegos c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 1262, [2009] ACF no 1591, aux paragraphes 25 et 26 (Cienfuegos)).

[34]           Troisièmement, le défendeur soutient que le demandeur n’a pas contesté la conclusion subsidiaire de la Commission selon laquelle la situation dans le pays avait changée de telle sorte qu’elle a conclu que la protection de l’État était adéquate (voir la décision Bolanos c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 513, [2012] ACF no 543, au paragraphe 77).

VI.             Les observations additionnelles du demandeur

[35]           Le demandeur soutient que ses arguments ne sont pas fondés sur une demande de soupeser à nouveau les éléments de preuve, mais plutôt sur le caractère déraisonnable et contraire aux éléments de preuve de la conclusion de la Commission, du fait de sa race et de ses opinions politiques perçues. De plus, dans sa décision, la Commission n’a tiré aucune conclusion factuelle selon laquelle les éléments de preuve présentés par le demandeur n’étaient pas fiables. Une affirmation selon laquelle la Commission ne croit pas que le demandeur craint avec raison d’être persécuté ne constitue pas une conclusion défavorable concernant la crédibilité.

[36]           En ce qui concerne l’argument du défendeur relatif à la protection de l’État, la Commission a seulement relevé le changement de la situation au Sri Lanka depuis la fin de la guerre; elle n’a pas énoncé de conclusion concernant la protection de l’État.

VII.          Les observations additionnelles du défendeur

[37]           En ce qui concerne la question du changement de la situation dans le pays, le défendeur soutient qu’il était raisonnable que la Commission relève que le HCR recommande que la qualité de réfugié au sens de la Convention soit reconnue à toutes les personnes ayant le profil de l’un des groupes à risque, et que le demandeur n’appartenait pas à ces groupes. Cela indique que la crainte objective du demandeur était minée.

[38]           Le défendeur soutient que, pour pouvoir conclure à l’existence d’une crainte avec raison, le demandeur d’asile doit satisfaire aux deux exigences du critère à deux volets, il doit démontrer qu’il a une crainte subjective et une crainte objective d’être persécuté (voir l’arrêt Sellan c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CAF 381 [2008] ACF no 1685, au paragraphe 3 (Sellan)).

VIII.       Analyse et décision

A.                Première question – Quelle est la norme de contrôle?

[39]           En ce qui concerne le caractère raisonnable de la décision de la Commission, le demandeur et le défendeur soutiennent que la norme de contrôle est celle de la décision raisonnable. Je suis d’accord.

[40]           En l’espèce, la question soumise au contrôle judiciaire est une question mixte de faits et de droit. Aux termes du paragraphe 53 de l’arrêt Dunsmuir, il a été établi que la norme de la décision raisonnable s’applique « lorsque le droit et les faits s’entrelacent et ne peuvent aisément être dissociés » (voir aussi le paragraphe 4 de l’arrêt Aguebor c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] ACF no 732, 160 NR 315; les paragraphes 22 à 40 de la décision Rahal c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 319, [2012] ACF no 369). Il s’ensuit que la Cour ne devrait pas intervenir si la décision est transparente, justifiable et intelligible et qu’elle appartient aux issues acceptables (voir l’arrêt Dunsmuir, au paragraphe 47; l’arrêt Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, [2009] 1 RCS 339, au paragraphe 59). Comme la Cour suprême l’a affirmé aux paragraphes 59 et 61 de l’arrêt Khosa, une cour de révision qui effectue le contrôle selon la norme de la décision raisonnable ne peut pas substituer la solution qu’elle juge elle‑même préférable à celle qui a été retenue, et elle ne peut pas soupeser à nouveau les éléments de preuve.

B.                 Deuxième question – La décision de la Commission était‑elle raisonnable au titre de l’article 96 de la Loi?

[41]           Le réfugié au sens de la Convention est défini comme suit à l’article 96 de la Loi :

96. A qualité de réfugié au sens de la Convention — le réfugié — la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

96. A Convention refugee is a person who, by reason of a well‑founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or

[42]           La Cour examinera d’abord la conclusion de la Commission concernant la crédibilité, et ensuite l’analyse de la Commission au titre de l’article 96.

[43]           Premièrement, le demandeur conteste la conclusion de la Commission concernant la crédibilité. En l’espèce, la Cour souscrit à l’avis du demandeur pour qui la conclusion de la Commission concernant la crédibilité manque de transparence.

[44]           La Commission a commencé l’exposé de son analyse par l’affirmation selon laquelle la question déterminante était celle de la crédibilité, mais elle n’a tiré expressément aucune inférence défavorable des observations ou des éléments de preuve présentés par le demandeur. Bien que la Commission n’évoque expressément aucun fait au soutien de sa conclusion concernant la crédibilité, en soi cela ne rendrait pas déraisonnable l’ensemble de la décision. Il appert que les parties suivantes de la décision donnent un fondement rationnel à une conclusion défavorable quant à l’existence d’une crainte subjective, ce qui explique pourquoi la Commission a conclu à un manque de crédibilité.

[45]           Deuxièmement, le demandeur conteste l’analyse que la Commission a faite de la situation du demandeur et des motifs prévus par la Convention. À cet égard, la Cour est d’avis que l’analyse de la Commission est raisonnable.

[46]           La question de savoir s’il existe ou non une possibilité sérieuse que le demandeur soit persécuté en raison de liens avec les TLET est une question de fait qui est tranchée en fonction de l’appréciation des éléments de preuve (Rayappu, aux paragraphes 5 et 6).

[47]           Je ne suis pas d’accord avec le demandeur lorsqu’il évoque les décisions Mohan et SBG à l’appui de ses prétentions. Dans la décision Mohan, la Cour a infirmé une décision de la Section de la protection des réfugiés, parce que la Commission avait omis d’expliquer pourquoi « la criminalité dont ils [les demandeurs] étaient victimes n’était pas attribuable à leur appartenance à ce groupe particulier » (Mohan, au paragraphe 12). Dans la décision SBG, la Cour a fait droit à la demande de contrôle judiciaire, parce que la Commission n’avait pas examiné adéquatement les motifs raciaux à l’origine de vols. Tel n’est toutefois pas le cas en l’espèce.

[48]           En l’espèce, dans son analyse du profil du demandeur, la Commission a examiné divers éléments de preuve. Elle a notamment examiné les circonstances entourant les quatre fois où le demandeur avait été détenu, la capacité du demandeur à se déplacer dans le pays sans difficultés, plusieurs éléments de preuve documentaire relatifs à la situation dans le pays, les lignes directrices du HCR et le changement de la situation au Sri Lanka. La Cour est d’avis que l’analyse de la Commission concernant la détention du demandeur et sa capacité à se déplacer dans le pays sans difficulté équivalent à une absence de crainte subjective.

[49]           En outre, bien que la Commission ait conclu que le demandeur risquait d’être exposé à des tentatives d’extorsion de l’après‑guerre, elle a conclu que la crainte du demandeur d’être victime d’un crime éventuel n’était pas « liée à la race, à l’ethnicité, à la religion, aux opinions politiques ni à aucun autre motif prévu dans la Convention ». En l’espèce, la Commission a examiné non seulement le risque que le demandeur soit victime d’extorsion, mais également la question de savoir si la crainte du demandeur à cet égard était liée à l’un des motifs prévus par la Convention, notamment la race et les opinions politiques qui pouvaient être déduites de liens avec les TLET, si de tels liens étaient établis. Selon la Cour, il s’agit d’une décision valable quant à la crainte objective du demandeur.

[50]           Pour qu’une conclusion favorable quant à l’existence de la crainte avec raison puisse être tirée, le demandeur d’asile doit satisfaire aux deux exigences du critère à deux volets, il doit démontrer l’existence d’une crainte subjective et d’une crainte objective de persécution (arrêt Sellan, aux paragraphes 2 à 4).

2.         Le juge a aussi certifié une question, en l’occurrence : lorsqu’il existe une preuve objective pertinente susceptible d’étayer une demande de protection et que la Section de la protection des réfugiés estime que la preuve subjective présentée par le demandeur n’est pas crédible, sauf en ce qui concerne l’identité, la Section de la protection des réfugiés doit‑elle apprécier cette preuve objective au regard de l’article 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés?

3.         À notre avis, il faut répondre à cette question de la façon suivante : lorsque la Commission tire une conclusion générale selon laquelle le demandeur manque de crédibilité, cette conclusion suffit pour rejeter la demande, à moins que le dossier ne comporte une preuve documentaire indépendante et crédible permettant d’étayer une décision favorable au demandeur. C’est au demandeur qu’il incombe de démontrer que cette preuve existe.

4.         Ce qui nous amène à la question de savoir s’il y avait au dossier présenté à la Commission une preuve permettant d’étayer une décision favorable à l’intimée. À notre avis, il est clair que cette preuve n’était pas au dossier. Nous sommes convaincus que si le juge avait examiné le dossier, comme il était tenu de le faire, il en serait sans aucun doute arrivé à la même conclusion. Dans ces circonstances, il serait inutile de renvoyer l’affaire à la Commission.

[Non souligné dans l’original.]

[51]           En l’espèce, des liens non corroborés avec les TLET, en l’absence d’éléments de preuve documentaire indépendants à l’appui, mineraient la crainte objective du demandeur, même à la lumière d’une conclusion quant à la crédibilité qui est dépourvue de références factuelles explicites. En l’espèce, après avoir tiré une conclusion générale de manque de crédibilité qui avait trait à la crainte subjective, la Commission a conclu que la crainte du demandeur n’était pas fondée, puis elle a relevé que les éléments de preuve documentaire n’étayaient pas l’existence d’une crainte objective. Le raisonnement de la Commission aurait pu être plus clair, mais la Cour comprend tout de même les motifs de sa décision.

[52]           Enfin, la Cour est du même avis que le demandeur lorsqu’il déclare que simplement parce que la Commission a examiné le changement de la situation, cela ne veut pas dire qu’elle a mené une analyse distincte de la protection de l’État. Toutefois, cela n’a pas d’incidence sur le caractère raisonnable de la décision.

[53]           Par conséquent, la Cour conclut que l’analyse de la Commission au titre de l’article 96 était dans l’ensemble raisonnable.

[54]           Pour les motifs susmentionnés, la Cour rejetterait la présente demande.

[55]           Aucune des parties n’a souhaité soumettre de question grave de portée générale aux fins de certification.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

« John A. O’Keefe »

Juge

Traduction certifiée conforme

L. Endale


ANNEXE

Dispositions légales visées

Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27

72. (1) Le contrôle judiciaire par la Cour fédérale de toute mesure — décision, ordonnance, question ou affaire — prise dans le cadre de la présente loi est subordonné au dépôt d’une demande d’autorisation.

72. (1) Judicial review by the Federal Court with respect to any matter — a decision, determination or order made, a measure taken or a question raised — under this Act is commenced by making an application for leave to the Court.

[…]

[…]

96. A qualité de réfugié au sens de la Convention — le réfugié — la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

96. A Convention refugee is a person who, by reason of a well‑founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or

b) soit, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.

(b) not having a country of nationality, is outside the country of their former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, unwilling to return to that country.

97. (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

97. (1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au sens de l’article premier de la Convention contre la torture;

(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning of Article 1 of the Convention Against Torture; or

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :

(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

(i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,

(ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas,

(ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,

(iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes — sauf celles infligées au mépris des normes internationales — et inhérents à celles‑ci ou occasionnés par elles,

(iii) the risk is not inherent or incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards, and

(iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.

(iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care.

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑5198‑13

 

INTITULÉ :

GOPYNATH THEVATHASAN 

c

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 25 NOVEMBRE 2014

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT :

LE JUGE O’KEEFE

 

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

LE 22 MAI 2015

 

COMPARUTIONS :

Paul VanderVennen

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Nicholas Dodokin

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

VanderVennen Lehrer

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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