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Date : 20150910


Dossier : T‑2628‑14

Référence : 2015 CF 1057

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Montréal (Québec), le 10 septembre 2015

En présence de madame la juge St‑Louis

ENTRE :

GARY FORD

demandeur

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               M. Gary Ford, le demandeur sollicite le contrôle judiciaire de la décision du 20 août 2014 par laquelle Doug Fleming, directeur à l’Agence de revenu du Canada [ARC], représentant du ministre du Revenu national, a rejeté sa demande d’allègement fiscal de deuxième palier en application du paragraphe 152(4.2) de la Loi de l’impôt sur le revenu, LRC 1985, c 1 (5e suppl) [la Loi].

[2]               La demande est rejetée pour les motifs suivants.

[3]               À titre préliminaire, la Cour accède à la demande du défendeur portant que le nom du défendeur, initialement le ministre du Revenu national, soit changé pour celui du Procureur général du Canada, conformément aux pratiques courantes. L’intitulé a été modifié en conséquence.

I.                   Contexte

[4]               M. Ford est un citoyen canadien qui a déménagé aux États‑Unis pour des raisons professionnelles. Il est ensuite revenu au Canada pour emménager dans une maison qu’il a achetée à LaSalle (Ontario) en juin 2001.

[5]               Les faits, qui ont donné lieu à la décision d’août 2014, ont débuté le 17 décembre 2003, lorsque M. Ford a rempli des déclarations de revenus dans le cadre du Programme de divulgations volontaires pour les années d’imposition 2000, 2001 et 2002.

[6]               Dans ces déclarations, M. Ford a indiqué qu’il résidait en Ontario, au Canada, au cours de chacune de ces années d’imposition, et il n’a pas signalé de changement d’adresse. M. Ford a notamment réclamé des dépenses locatives importantes liées à son ancien bien locatif situé aux États‑Unis, qu’il a acheté le 4 mars 1998 et a vendu le 1er mars 2000 (paragraphe 15 de l’affidavit du demandeur), et ce, même s’il affirme avoir continué de toucher le produit de cette vente au cours des années d’imposition 2001 et 2002.

[7]               En janvier 2004, M. Ford a fait l’objet d’une cotisation par l’ARC pour les années 2000, 2001 et 2002, selon les renseignements fournis dans ses déclarations de revenus dans le cadre du Programme de divulgations volontaires.

[8]               Le 18 août 2004, l’ARC a demandé à M. Ford de fournir tous les documents à l’appui des pertes locatives réclamées dans chacune des années d’imposition et lui a accordé 90 jours pour répondre à cette demande.

[9]               Le 18 novembre 2004, M. Ford a demandé qu’un redressement soit apporté à sa déclaration de revenus de 2001 afin d’augmenter le montant des dépenses locatives qu’il avait réclamées initialement.

[10]           Le 19 avril 2005, l’ARC a établi une nouvelle cotisation pour le demandeur et a annulé les pénalités pour production tardive, au motif qu’il avait produit ses déclarations de revenus dans le cadre du Programme de divulgations volontaires.

[11]           En juin 2005, en raison du montant important des dépenses locatives réclamées, l’ARC a procédé à une vérification. Dans le cadre de ce processus, l’ARC a demandé des précisions et des pièces justificatives, mais elle n’a pas été en mesure de joindre M. Ford ou son représentant, M. Stevens.

[12]           Le 8 août 2005, l’ARC a envoyé à M. Ford une lettre dans laquelle on lui demandait de fournir des documents précis et de remplir un questionnaire sur la location.

[13]           Le 28 septembre 2005, n’ayant reçu aucune réponse, l’ARC a envoyé une autre lettre à M. Ford dans laquelle elle l’informait qu’elle refuserait la totalité des dépenses locatives et qu’elle établirait une nouvelle cotisation pour ses déclarations, s’il n’envoyait pas les informations requises dans un délai de 30 jours.

[14]           Le 9 janvier 2006, n’ayant reçu aucune information de la part de M. Ford ou de son représentant, l’ARC a établi de nouvelles cotisations pour les années d’imposition 2000, 2001 et 2002. Des dividendes imposables, des gains en capital et les dépenses locatives refusées ont été ajoutés à ses revenus.

[15]           M. Ford ne s’est pas opposé à ces nouvelles cotisations.

[16]           Le 16 avril 2007, M. Stevens a écrit à l’ARC au nom de M. Ford et a demandé qu’un redressement soit apporté. Pour la première fois, il a affirmé que M. Ford était un résident des États‑Unis jusqu’à juin 2001. Toutefois, pour étayer cette allégation, M. Stevens a uniquement fourni une note manuscrite de M. Ford, datée du 24 mars 2007, dans laquelle ce dernier indiquait notamment qu’il résidait au Canada depuis le 1er juin 2001. Aucun autre document n’a été fourni à l’ARC.

[17]           Dans des lettres datées du 15 octobre 2007 et du 25 mars 2008, l’ARC a de nouveau demandé des pièces justificatives; ni M. Ford ni M. Stevens n’ont fourni de réponses.

[18]           Le 6 mai 2008, l’ARC a donc refusé la demande de redressement.

[19]           Le 22 novembre 2010, M. Ford a soumis une demande d’allègement, aux termes du paragraphe 152(4.2) de la Loi, pour les années d’imposition 2000, 2001 et 2002. Cependant, il a encore une fois omis de fournir des pièces justificatives à l’appui de sa demande.

[20]           Le 19 mai 2011, l’ARC a de nouveau demandé à M. Ford de fournir les pièces justificatives requises. En fait, il s’agissait des mêmes documents que ceux demandés en 2005. L’ARC a accordé à M. Ford 30 jours pour se conformer à cette demande, mais il ne l’a pas fait.

[21]           Le 28 juin 2011, l’ARC a rejeté la demande d’allègement, aux termes du paragraphe 152(4.2) de la Loi, car le demandeur n’avait pas fourni les pièces justificatives requises. L’ARC l’a alors informé qu’il pourrait demander au directeur de son bureau des services fiscaux d’effectuer une révision.

[22]           Le 19 juin 2012, M. Ford a présenté une demande d’allègement de deuxième palier, aux termes du paragraphe 152(4.2) de la Loi. Pour la première fois, il a joint certains documents à sa demande, notamment le questionnaire de location rempli que l’ARC lui avait envoyé en 2005, les preuves de frais juridiques payés à deux avocats américains en 2002, et les relevés de paiements hypothécaires effectués en 2000, 2001 et 2002, même s’il avait déjà vendu le bien locatif à ce moment.

[23]           Le 20 août 2014, M. Fleming, agissant à titre de représentant du ministre, a rejeté sa demande d’allègement de deuxième palier. C’est cette décision qui est contestée en l’espèce.

II.                Question en litige

[24]           La Cour doit décider si le représentant du ministre a commis une erreur en exerçant son pouvoir discrétionnaire et en rejetant la demande d’allègement de deuxième niveau que M. Ford a soumise aux termes du paragraphe 152(4.2) de la Loi, dont le libellé reproduit en annexe.

III.             Norme de contrôle

[25]           La Cour partage l’avis des parties que la norme de contrôle applicable en l’espèce est celle de la décision raisonnable, vu la nature discrétionnaire des décisions rendues aux termes du paragraphe 152(4.2) de la Loi et la jurisprudence existante (Hoffman c Canada (Procureur général du Canada), 2010 CAF 310, au paragraphe 5; Canada (Procureur général du Canada) c Abraham, 2012 CAF 266, au paragraphe 33 [Abraham]).

[26]           Lorsqu’elle procède au contrôle d’une décision selon la norme de la décision raisonnable, la Cour s’intéresse « à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel » ainsi qu’« à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC, au paragraphe 47).

IV.             Décision faisant l’objet du contrôle

[27]           Dans sa décision du 20 août 2014, M. Fleming informe M. Ford que faire droit à sa demande d’allègement ne respecterait pas l’intention du législateur. Il renvoie en premier au paragraphe 8 de la circulaire d’information no IC07‑1 – Dispositions d’allègement pour les contribuables (circulaire IC07‑1), qui prévoit :

La législation donne à l’ARC la capacité d’administrer le régime de l’impôt sur le revenu de façon équitable et raisonnable en aidant les contribuables à régler des problèmes qui se présentent indépendamment de leur volonté et en permettant d’adopter une approche axée sur le bon sens dans le cas de personnes qui, en raison de problèmes personnels ou de circonstances indépendantes de leur volonté, n’ont pas pu satisfaire à une exigence législative aux fins de l’impôt sur le revenu.

[28]           M. Fleming précise également que M. Ford a indiqué qu’il résidait au Canada dans les déclarations de revenus produites en décembre 2003 dans le cadre du Programme de divulgations volontaires pour les années d’imposition 2000, 2001 et 2002. Il explique que la divulgation volontaire repose principalement sur le fait que le contribuable certifie que les renseignements fournis dans ces déclarations sont exacts et complets.

[29]           M. Fleming rappelle aussi à M. Ford que l’ARC a tenté de communiquer avec lui et son représentant à de nombreuses reprises, mais en vain. En raison des renseignements dont disposait l’ARC, la demande de redressement de M. Ford a été rejetée. Une nouvelle cotisation a été établie et certaines dépenses locatives ont été refusées. M. Fleming souligne que M. Ford avait soumis une demande d’allègement de premier palier le 22 novembre 2010, mais qu’il n’y a joint aucune pièce justificative. Encore une fois, l’ARC a tenté sans succès de communiquer avec M. Ford ou son représentant pour discuter de la question. Par conséquent, la demande a été rejetée. Dans ces conditions, accepter la demande d’allègement de deuxième palier irait à l’encontre de l’objet de la loi auquel on renvoie au paragraphe 8 de la circulaire d’information.

[30]           M. Fleming renvoie également au paragraphe 73 de la circulaire d’information, dans lequel on précise que les dispositions d’allègement pour les contribuables n’ont pas pour objet de remplacer les processus d’opposition et d’appel normaux, et que M. Ford n’a pas saisi l’occasion de contester la nouvelle cotisation. Dans sa demande d’allègement fiscal de deuxième palier, M. Ford conteste essentiellement le bien‑fondé de la nouvelle cotisation, ce que la Cour ne peut autoriser. M. Ford aurait dû contester la nouvelle cotisation selon le délai prévu dans la Loi.

V.                Observations des parties

A.                Observations du demandeur

[31]           M. Ford invoque deux arguments principaux. Premièrement, le représentant du ministre a commis une erreur en restreignant l’exercice de son pouvoir discrétionnaire. Deuxièmement, sa décision de rejeter la demande d’allègement était déraisonnable.

a)                  Le représentant du ministre a restreint l’exercice de son pouvoir discrétionnaire

[32]           M. Ford soutient que le représentant du ministre a indûment restreint son pouvoir discrétionnaire en assimilant le paragraphe 73 de la circulaire d’information à une règle de droit plutôt qu’à une directive, ce qui est contraire à l’esprit de la législation pertinente (White c Canada (Procureur général du Canada), 2011 CF 556, au paragraphe 66).

[33]           M. Ford affirme également que le paragraphe 152(4.2) de la Loi accorde au ministre de vastes pouvoirs qui l’habilite à accepter les demandes d’allègement soumises par les contribuables. Il soutient que les notes explicatives élaborées lors de l’adoption du paragraphe renforcent son interprétation de la disposition. Il attire notre attention sur l’arrêt Stemijon Investments Ltd c Canada (Procureur général du Canada), 2011 CAF 299 [Stemijon], de la Cour d’appel fédérale. Dans ce jugement, la Cour souligne au paragraphe 60 que les décideurs auxquels une loi confère un vaste pouvoir discrétionnaire « ne peuvent en entraver l’exercice en s’appuyant exclusivement sur une politique administrative », et au paragraphe 24 qu’une décision qui découle d’un pouvoir discrétionnaire limité est en soi déraisonnable. M. Ford affirme que la décision de M. Fleming était déraisonnable, car il a interprété le paragraphe 73 de la circulaire d’information comme étant une règle impérative.

[34]           De plus, M. Ford fait valoir que le paragraphe 73 ne comporte pas la recommandation de rejeter sa demande d’allègement. Le décideur a conclu à tort qu’il cherchait à faire établir de nouvelles cotisations sans avoir recours au processus d’appel normal. Pourtant, selon M. Ford, les questions pertinentes liées à sa demande d’allègement n’ont jamais été tranchées dans le cadre des nouvelles cotisations, puisque l’ARC n’avait pas les documents à sa disposition.

[35]           M. Ford affirme que, pour une raison qui lui est inconnue, M. Stevens n’a jamais envoyé ces documents au ministre en son nom. Il se rappelle que le ministre et ses représentants étaient disposés à recevoir les pièces justificatives par le passé, mais que, lorsque M. Ford a finalement soumis les documents dans le cadre de l’examen de sa demande d’allègement de deuxième palier, le ministre a refusé d’en tenir compte, estimant qu’il tentait de contourner le processus d’appel. M. Ford soutient que le ministre a agi de manière contradictoire, car il avait précédemment exercé pleinement son pouvoir discrétionnaire en indiquant qu’il était disposé à accepter les documents, mais quand ces documents lui ont été fournis, il a décidé de restreindre son pouvoir discrétionnaire en vertu d’une politique administrative.

b)                  La décision est déraisonnable

[36]           M. Ford conteste également le raisonnement de M. Fleming selon lequel le Programme de divulgations volontaires fait obstacle à l’allègement aux termes du paragraphe 152(4.2). Rien dans le libellé de la loi n’exclut l’application du paragraphe 152(4.2) aux années d’imposition qui ont fait l’objet d’une cotisation dans le cadre du Programme de divulgations volontaires. De plus, M. Ford allègue qu’il croyait que les renseignements contenus dans les divulgations volontaires étaient complets et exacts au moment où il les a produites, et qu’il a seulement relevé ces erreurs et omissions par la suite.

[37]           M. Ford reconnait que l’ARC a tenté en vain de communiquer avec lui pour obtenir les documents par le passé. Il indique qu’il ne sait pas pourquoi M. Stevens n’a jamais transmis les documents qu’il lui avait fournis à l’ARC. Il avance que ce problème s’est produit dans des circonstances indépendantes de sa volonté, et que, par conséquent, cette affaire est visée par la portée du paragraphe 8 de la circulaire d’information.

[38]           Enfin, M. Ford insiste sur le fait que l’approche contradictoire du ministre pour la réception de ses documents va à l’encontre du paragraphe 8 de la circulaire d’information qui exige l’adoption d’une approche axée sur le bon sens. De plus, il affirme que cette approche ne satisfait pas à la norme d’intelligibilité établie dans l’arrêt Dunsmuir, précité, au paragraphe 47.

B.                 Observations du défendeur

[39]           Le défendeur soutient que l’octroi d’un allègement aux termes du paragraphe 152(4.2) est discrétionnaire et doit être fondé sur des éléments de preuves. Il affirme aussi que le rejet de la demande d’allègement de M. Ford est raisonnable.

a)                  L’allègement discrétionnaire doit être fondé sur des éléments de preuve

[40]           Le défendeur soutient que pour qu’une demande d’allègement discrétionnaire soit accueillie aux termes du paragraphe 152(4.2) de la Loi, il faut prouver que le contribuable aurait eu droit à un remboursement s’il avait demandé des dépenses ou des déductions en temps opportun. Les éléments de preuve soumis par M. Ford ne sont pas concluants à ces deux égards : son allégation selon laquelle il était un résident des États‑Unis jusqu’en 2001 n’est pas étayée par la preuve et sa demande de demande de déductions des dépenses locatives ne fait pas état du contexte dans lequel ces dépenses ont été engagées.

[41]           Selon le défendeur, le paragraphe 8 de la circulaire d’information est conforme à l’objectif général des dispositions sur l’allègement de la Loi. Le paragraphe 152(4.2) n’a pas pour simple objet de permettre à un contribuable de contester une nouvelle cotisation à l’expiration du délai de 90 jours prévu au paragraphe 165(1) de la Loi, dont le libellé est reproduit en annexe. Ce paragraphe a été adopté afin que les contribuables puissent demander des déductions ou des remboursements dont ils n’avaient pas connaissance et qu’ils auraient pu obtenir à une date antérieure. Par conséquent, une demande d’allègement doit être étayée par une preuve selon laquelle ces déductions auraient été accordées si elles avaient été présentées à temps (Abraham, précité, au paragraphe 31). Cette demande doit être appuyée par tous les documents pertinents, à moins qu’il ne soit impossible pour le contribuable d’obtenir ces documents, auquel cas l’ARC versera un remboursement seulement si elle peut confirmer la validité de la demande en consultant ses propres dossiers (voir les paragraphes 81 à 83 de la circulaire d’information).

b)                  La décision est raisonnable

[42]           Le défendeur soutient que la décision contrôlée est raisonnable à la lumière de la preuve au dossier. M. Ford n’a présenté aucune preuve à l’appui de son allégation selon laquelle il était résident des États‑Unis jusqu’en juin 2001. Le défendeur indique qu’il aurait pu fournir des documents comme un visa de travail, des relevés d’emploi, des relevés de compte bancaire, un permis de conduire, des déclarations de revenus des États‑Unis ou tout autre document pertinent.

[43]           De plus, le défendeur affirme qu’il n’y a aucune preuve au soutien de l’allégation de M. Ford selon laquelle il a vendu son bien locatif au cours de l’année d’imposition 2001. Il n’a pas soumis de contrats de vente ou des factures pour les frais de location ou de réparation. Les relevés de compte bancaire qu’il a fournis démontraient seulement qu’il avait effectué des paiements hypothécaires en 2000, 2001 et 2002, sans plus de détails.

[44]           Le défendeur affirme que M. Ford n’a pas démontré qu’il aurait pu obtenir les déductions demandées s’il les avait demandées à une date antérieure. Comme pour toutes ses autres demandes soumises au ministre, sa demande d’allègement de deuxième palier n’était pas étayée par des éléments de preuve. L’indifférence persistante de M. Ford envers l’administration fiscale et son omission d’étayer les dépenses réclamées sont des facteurs pertinents qui influent sur l’exercice du pouvoir discrétionnaire du ministre.

[45]           Le défendeur conteste l’allégation de M. Ford selon laquelle il n’avait pas accès aux documents pertinents avant l’été 2011. Quoi qu’il en soit, le défendeur affirme que cet argument a été présenté la première fois dans sa demande de contrôle judiciaire et il est donc inadmissible (Société Canadienne des Auteurs, Compositeurs et Éditeurs de Musique c Canadian Assn. of Internet Providers, 2001 CAF 4 [Société Canadienne des Auteurs], au paragraphe 12).

[46]           Le défendeur conclut que la décision est raisonnable compte tenu de la faiblesse de la preuve présentée par M. Ford, des objectifs généraux des dispositions portant sur l’allègement et de la politique administrative énoncée dans la circulaire d’information. Le représentant du ministre n’a pas restreint son pouvoir discrétionnaire ni tenu compte de facteurs non pertinents. Sa décision ne doit pas être modifiée.

VI.             Analyse

[47]           M. Fleming, agissant à titre de représentant du ministre, a fondé le rejet de la demande de M. Ford sur trois motifs. Premièrement, il a indiqué que la demande n’était pas visée par la portée du paragraphe 8 de la circulaire d’information, dont l’objectif est d’aider les contribuables à régler des difficultés attribuables à des problèmes personnels ou des circonstances indépendantes de leur volonté. Deuxièmement, il a rappelé que M. Ford avait de façon répétée omis de fournir les pièces justificatives dans le cadre de différentes demandes et en réponse aux demandes de l’ARC; cet argument est lié au premier point. Troisièmement, il a précisé que la demande visait à contourner les processus d’opposition et d’appel normaux, en contravention du paragraphe 73 de la circulaire d’information.

[48]           Comme l’a énoncé la juge Sharlow au paragraphe 2 de l’arrêt Lanno c Canada (Agence des Douanes et du Revenu), 2005 CAF 153, le paragraphe 152(4.2) de la Loi « fait partie d’un régime législatif connu sous le nom de “dispositions d’équité”, qui confère aux autorités fiscales le pouvoir discrétionnaire d’accorder dispense de l’application de certaines dispositions de la Loi de l’impôt sur le revenu ».

[49]           Le paragraphe 152(4.2) de la Loi autorise le ministre à exercer son pouvoir discrétionnaire d’accorder un allègement au contribuable, au‑delà des délais stricts liés à l’établissement de nouvelles cotisations. En raison de la nature discrétionnaire de cet allègement, il ne peut être revendiqué de droit. Dans le jugement Abraham, précité, aux paragraphes 9, 27 et 31, le juge Stratas de la Cour d’appel fédérale décrit la nature et l’application de la disposition, et il est utile de reproduire ces passages :

[9]       Le paragraphe 152(4.2) de la Loi de l’impôt sur le revenu fait partie des dispositions d’allègement pour les contribuables prévues par la Loi. Comme il ressort du texte de ce paragraphe, reproduit ci‑dessous, le ministre a le pouvoir discrétionnaire d’établir une nouvelle cotisation à l’égard d’un particulier après l’expiration de la période normale de nouvelle cotisation pour une année si le particulier demande une nouvelle cotisation afin de réduire l’impôt à payer ou d’obtenir un remboursement d’impôt pour l’année en cause. Lorsque le ministre exerce ce pouvoir discrétionnaire en faveur du contribuable, ce dernier est soustrait à l’exigence habituelle voulant qu’une demande de nouvelle cotisation ne puisse être présentée que dans un délai donné.

[...]

[27]     Il faut se rappeler que, selon le paragraphe 152(8) de la Loi de l’impôt sur le revenu, la cotisation est définitive et exécutoire en l’absence d’une nouvelle cotisation établie par suite d’une opposition formulée en temps opportun ou d’un appel tranché en faveur du contribuable. Le contribuable pourrait ultérieurement découvrir que la cotisation est erronée, mais il sera trop tard – il n’a aucunement le droit d’exiger que l’erreur soit corrigée. Il dispose plutôt du recours offert au paragraphe 152(4.2) de la Loi de l’impôt sur le revenu, lequel prévoit non pas un droit à une nouvelle cotisation, mais bien la possibilité de présenter une demande visant l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire. Le paragraphe 152(4.2) n’oblige en rien le ministre à exercer son pouvoir discrétionnaire en faveur du contribuable dans les cas où ce dernier aurait droit à un avantage fiscal s’il le revendiquait au cours de la période normale de nouvelle cotisation. Pour reprendre les termes utilisés par la Cour dans l’arrêt Lanno c. Canada (Agence des Douanes et du Revenu), 2005 CAF 153, au paragraphe 6, « [l]’octroi d’une dispense est une mesure discrétionnaire et ne peut être revendiqué de droit ».

[...]

[31]     Envisagé ainsi, le paragraphe 152(4.2) de la Loi de l’impôt sur le revenu s’apparente à n’importe quelle autre disposition qui confère un vaste pouvoir discrétionnaire à un décideur, c’est‑à‑dire un pouvoir discrétionnaire fondé sur des éléments juridiques et factuels. Dans l’affaire qui nous occupe, le ministre (ou la représentante en l’espèce) doit, selon les termes employés au paragraphe 71 de la circulaire d’information IC07‑1, Dispositions d’allègement pour les contribuables, « être convainc[u] qu’un tel remboursement ou une telle réduction aurait été accordé si la déclaration ou la demande avait été produite ou présentée à temps » – il s’agit de l’aspect du pouvoir discrétionnaire ayant un certain caractère juridique – et il peut tenir compte de certains autres facteurs, dont bon nombre sont également énumérés dans la circulaire d’information.

[Non souligné dans l’original]

[50]           Le défendeur soutient que la demande de M. Ford a été rejetée principalement parce que ce dernier n’avait pas présenté suffisamment d’éléments de preuve pour l’étayer, bien que M. Fleming n’en ait pas explicitement fait mention. En fait, M. Fleming a mentionné que M. Ford avait omis de fournir des pièces justificatives dans ses demandes précédentes, mais il n’a pas expressément commenté les éléments de preuve que M. Ford avait inclus dans sa demande d’allègement discrétionnaire de deuxième palier. Dans le cadre d’un contrôle judiciaire, la Cour ne peut tenir compte des justifications fournies par l’avocat après les faits au Procureur général (Stemijon, précité, au paragraphe 41), et elle limitera son analyse au raisonnement exposé dans la décision contrôlée.

[51]           En ce qui concerne l’argument de M. Ford selon lequel le représentant du ministre a restreint l’exercice de son pouvoir discrétionnaire en limitant son analyse à la circulaire d’information, je tiens à souligner que la règle interdisant de restreindre le pouvoir discrétionnaire n’a pas pour effet d’empêcher une personne d’utiliser une politique administrative. La Cour d’appel fédérale fait la distinction entre l’utilisation admissible et non admissible de ces politiques dans l’arrêt Stemijon, précité, aux paragraphes 59 et 60 :

[59]     Les énoncés de politique jouent un rôle utile et important dans l’administration (Thamotharem c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CAF 198, [2008] 1 R.C.F. 385). À titre d’exemple, en encourageant l’application de principes uniformes dans les décisions, les énoncés de politique permettent aux personnes susceptibles de faire l’objet de décisions administratives de comprendre la façon dont les pouvoirs discrétionnaires peuvent être exercés. Ainsi, ils peuvent mieux planifier leurs affaires.

[60]     Cependant, comme cela a été expliqué aux paragraphes 20 à 25 ci‑dessus, les décideurs auxquels une loi confère un vaste pouvoir discrétionnaire ne peuvent en entraver l’exercice en s’appuyant exclusivement sur une politique administrative (Thamotharem, précité, au paragraphe 59; Maple Lodge Farms, précité, à la page 6; Dunsmuir, précité (tel qu’expliqué au paragraphe 24)). Une politique administrative n’est pas une loi. Elle ne peut restreindre le pouvoir discrétionnaire que la loi confère à un décideur. Elle ne peut pas modifier la loi du législateur. Une politique peut aider ou guider l’exercice du pouvoir discrétionnaire en vertu d’une loi, mais elle ne peut dicter de façon obligatoire comment ce pouvoir discrétionnaire s’exerce.

[Non souligné dans l’original]

[52]           De plus, au paragraphe 6 du jugement Lanno, la Cour d’appel fédérale a accepté que les décisions prises aux termes du paragraphe 152(4.2) « combin[ent] la détermination de faits et un examen de la politique d’administration fiscale, et parfois des questions de droit » [non souligné dans l’original]. Il n’est pas controversé que le décideur se tourne vers les politiques administratives dans ce contexte.

[53]           À mon avis, M. Fleming n’a pas restreint son pouvoir discrétionnaire lorsqu’il a renvoyé au paragraphe 8 de la circulaire d’information. Il s’est plutôt fondé sur cette politique pour orienter l’exercice de son pouvoir discrétionnaire. Le paragraphe 8 n’énonce pas une règle absolue pour la prise de décisions à l’égard des demandes d’allègement de contribuables. Au contraire, elle prescrit aux décideurs d’exercer leur pouvoir discrétionnaire afin d’aider les contribuables qui font face à des situations découlant « de problèmes personnels » ou « de circonstances indépendantes de leur volonté ». Il s’agit de catégories larges et imprécises qui permettent au décideur d’examiner les faits propres à chaque demande. Un décideur, qui oriente l’exercice de son pouvoir discrétionnaire selon cette politique, ne commet pas une erreur susceptible de contrôle.

[54]           Je suis convaincue qu’il était raisonnable de la part de M. Fleming de conclure que les problèmes fiscaux de M. Ford n’étaient pas causés par son infortune ou une faute qui ne lui était pas imputable. M. Ford n’a jamais expliqué pourquoi il a déclaré résider au Canada pour les années d’imposition 2000, 2001 et 2002 dans ses divulgations volontaires.

[55]           M. Fleming a aussi soulevé l’omission de M. Ford de fournir les pièces justificatives par le passé, malgré les nombreuses demandes de l’ARC. Je répète que cette omission n’a pas fait l’objet d’explications dans la demande de M. Ford. Par conséquent, je suis convaincue qu’il était raisonnable de la part de M. Fleming de conclure que les problèmes de M. Ford n’étaient pas causés par son infortune ou par des circonstances indépendantes de sa volonté.

[56]           Dans le cadre du présent contrôle judiciaire, M. Ford explique qu’il ne savait pas que son représentant, M. Stevens, avait dissimulé des informations à l’ARC ni la raison pour laquelle il avait agi ainsi, laissant entendre que ce problème était indépendant de sa volonté. Toutefois, cet argument n’a jamais été présenté au représentant du ministre, bien que sa demande d’allègement de deuxième palier ait été soumise par un avocat qui n’est pas associé à M. Stevens. Je ne peux tenir compte de cette explication, car dans le cadre d’un contrôle judiciaire, le rôle de la Cour est de déterminer si le décideur a rendu une décision raisonnable à la lumière des faits et des arguments qui lui ont été présentés. Le contrôle judiciaire ne permet pas la soumission de nouveaux éléments de preuve ou arguments en vue de juger l’affaire de novo (Société Canadienne des Auteurs, précité, au paragraphe 12; voir aussi Gitxsan Treaty Society c Hospital Employees’ Union, [2000] 1 CF 135, [1999] ACF No 1192 (CAF), au paragraphe 15).

[57]           M. Ford a réclamé les dépenses locatives dès le départ et il ne s’agit pas d’un cas où la demande n’avait pas été présentée. Il s’agit plutôt d’une situation où il n’a pas présenté de documents pour étayer ses demandes et il ne s’est pas conformé aux nombreuses demandes de documents de l’ARC. De plus, il a présenté des demandes de redressement qui sont également demeurées non étayées, bien que l’ARC ait demandé à maintes reprises la prestation de pièces justificatives.

[58]           La question de sa résidence alléguée aux États‑Unis jusqu’en 2001 a été présentée la première fois en avril 2007, et elle a été examinée dans le cadre de la demande de redressement. Toutefois, elle est demeurée non étayée, et il était par conséquent raisonnable pour le représentant du ministre de rejeter la demande d’allègement.

[59]           M. Ford a ultimement inclus quelques documents et éléments d’information à l’appui de sa demande d’allègement de deuxième palier, mais il a omis de fournir l’essentiel des renseignements demandés, ainsi que la nature des dépenses et le contexte dans lequel elles ont été engagées.

[60]           Par conséquent, je suis convaincue que la demande d’allègement de deuxième palier de M. Ford constitue une opposition ou un appel de la nouvelle cotisation de l’ARC, ce qui est contraire à l’objet du paragraphe 73 de la circulaire d’information, et que la décision du représentant du ministre était raisonnable, car elle appartient aux issues possibles et acceptables au regard des faits et du droit.

[61]           Pour ces motifs, l’intervention de la Cour n’est pas justifiée.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.
  2. Les dépens sont adjugés au défendeur.
  3. Le ministre du Revenu national doit être remplacé par le procureur général du Canada dans l’intitulé.

« Martine St‑Louis »

Juge

Traduction certifiée conforme

Elise Colas


Annexe

152. (4.2) Malgré les paragraphes (4), (4.1) et (5), pour déterminer, à un moment donné après la fin de la période normale de nouvelle cotisation applicable à un contribuable – particulier (sauf une fiducie) ou succession assujettie à l’imposition à taux progressifs – pour une année d’imposition, le remboursement auquel le contribuable a droit à ce moment pour l’année ou la réduction d’un montant payable par le contribuable pour l’année en vertu de la présente partie, le ministre peut, si le contribuable demande pareille détermination au plus tard le jour qui suit de dix années civiles la fin de cette année d’imposition, à la fois :

a) établir de nouvelles cotisations concernant l’impôt, les intérêts ou les pénalités payables par le contribuable pour l’année en vertu de la présente partie;

b) déterminer de nouveau l’impôt qui est réputé, par les paragraphes 120(2) ou (2.2), 122.5(3), 122.51(2), 122.7(2) ou (3), 122.8(2) ou (3), 127.1(1), 127.41(3), ou 210.2(3) ou (4), avoir été payé au titre de l’impôt payable par le contribuable en vertu de la présente partie pour l’année ou qui est réputé, par le paragraphe 122.61(1), être un paiement en trop au titre des sommes dont le contribuable est redevable en vertu de la présente partie pour l’année.

152. (4.2) Notwithstanding subsections (4), (4.1) and (5), for the purpose of determining – at any time after the end of the normal reassessment period, of a taxpayer who is an individual (other than a trust) or a graduated rate estate, in respect of a taxation year – the amount of any refund to which the taxpayer is entitled at that time for the year, or a reduction of an amount payable under this Part by the taxpayer for the year, the Minister may, if the taxpayer makes an application for that determination on or before the day that is 10 calendar years after the end of that taxation year,

(a) reassess tax, interest or penalties payable under this Part by the taxpayer in respect of that year; and

(b) redetermine the amount, if any, deemed by subsection 120(2) or (2.2), 122.5(3), 122.51(2), 122.7(2) or (3), 122.8(2) or (3), 127.1(1), 127.41(3) or 210.2(3) or (4) to be paid on account of the taxpayer’s tax payable under this Part for the year or deemed by subsection 122.61(1) to be an overpayment on account of the taxpayer’s liability under this Part for the year.

165. (1) Le contribuable qui s’oppose à une cotisation prévue par la présente partie peut signifier au ministre, par écrit, un avis d’opposition exposant les motifs de son opposition et tous les faits pertinents, dans les délais suivants :

a) s’il s’agit d’une cotisation, pour une année d’imposition, relative à un contribuable qui est un particulier (sauf une fiducie) ou une succession assujettie à l’imposition à taux progressifs pour l’année, au plus tard au dernier en date des jours suivants :

(i) le jour qui tombe un an après la date d’échéance de production qui est applicable au contribuable pour l’année,

(ii) le quatre‑vingt‑dixième jour suivant la date d’envoi de l’avis de cotisation;

b) dans les autres cas, au plus tard le quatre‑vingt‑dixième jour suivant la date d’envoi de l’avis de cotisation.

165. (1) A taxpayer who objects to an assessment under this Part may serve on the Minister a notice of objection, in writing, setting out the reasons for the objection and all relevant facts,

(a) if the assessment is in respect of the taxpayer for a taxation year and the taxpayer is an individual (other than a trust) or a graduated rate estate for the year, on or before the later of

(i) the day that is one year after the taxpayer’s filing‑due date for the year, and

(ii) the day that is 90 days after the day of sending of the notice of assessment; and

(b) in any other case, on or before the day that is 90 days after the day of sending of the notice of assessment.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


 

DOSSIER :

T‑2628‑14

 

INTITULÉ :

GARY FORD c. LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

LIEU DE L’AUDIENCE :

MONTRÉAL (QUÉBEC)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 13 JUILLET 2015

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE ST‑LOUIS

DATE DES MOTIFS :

LE 10 SEPTEMBRE 2015

ONT COMPARU :

David M. Piccolo

POUR LE DEMANDEUR

Ian Demers

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

TaxChambers LLP

Toronto (Ontario)

POUR LE DEMANDEUR

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

Montréal (Québec)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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