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Date : 20150915


Dossier : IMM-7267-14

Référence : 2015 CF 1074

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Toronto (Ontario), le 15 septembre 2015

En présence de monsieur le juge O’Reilly

ENTRE :

DAVIS WILLIAM LEZAMA CERNA

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   Aperçu

[1]               En 2008, M. Davis William Lezama Cerna a obtenu l’asile au Canada en raison de sa crainte d’être persécuté au Pérou du fait de son orientation sexuelle. Il est devenu résident permanent du Canada l’année suivante.

[2]               Lorsque M. Cerna a demandé la citoyenneté canadienne en 2012, les fonctionnaires l’ont questionné sur ses nombreux voyages de retour au Pérou et son utilisation d’un passeport péruvien, qu’il avait renouvelé à deux reprises. Par la suite, le ministre a présenté une demande de constat de perte de l’asile de M. Cerna au motif qu’il s’était réclamé de nouveau de la protection du Pérou (en se fondant sur l’alinéa 108(1)a) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27, [la LIPR] – voir l’annexe pour les dispositions citées. Un tribunal de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a accueilli la demande du ministre.

[3]               M. Cerna soutient que la Commission a appliqué le mauvais critère pour déterminer s’il s’était réclamé de nouveau de la protection du pays dont il a la nationalité, et rendu une décision déraisonnable compte tenu de la preuve dont elle disposait. Il soutient en outre que la Commission a omis de tenir compte des répercussions de cette approche sur les droits que lui garantit l’article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés. Il me demande d’annuler la décision de la Commission et d’ordonner à un autre tribunal d’examiner de nouveau la demande du ministre.

[4]               À mon avis, la Commission a appliqué le bon critère mais est arrivée à une conclusion déraisonnable compte tenu de la preuve dont elle disposait. Je dois donc accueillir la présente demande de contrôle judiciaire. Il n’est pas nécessaire d’examiner les arguments fondés sur la Charte de M. Cerna.

[5]               Les deux questions suivantes se posent :

1.            La Commission a-t-elle appliqué le mauvais critère?

2.            La conclusion de la Commission était-elle déraisonnable?

II.                La décision de la Commission

[6]               La Commission a conclu que M. Cerna s’était réclamé de nouveau de la protection du Pérou. Le fait que M. Cerna ait renouvelé son passeport péruvien entraînait une présomption selon laquelle il s’était réclamé de nouveau de la protection du pays dont il a la nationalité, présomption que M. Cerna n’a pas réfuté.

[7]               M. Cerna a expliqué à la Commission qu’il avait renouvelé son passeport péruvien pour pouvoir continuer à utiliser son visa pour les États‑Unis, mais il n’a utilisé ce passeport que pour se rendre au Pérou. Les raisons de ses séjours variaient : rendre visite à ses parents, obtenir des documents scolaires et subir une chirurgie esthétique. La durée des séjours variait de deux à sept semaines.

[8]               La Commission a fait observer que les parents de M. Cerna ne dépendaient pas de lui pour leur soin et qu’il aurait pu essayer d’obtenir les documents scolaires dont il avait besoin depuis le Canada. La Commission a également souligné que M. Cerna avait obtenu l’asile en raison de sa crainte des gangs de rue qui sévissaient près de la résidence de ses parents, c’est‑à‑dire à l’endroit même où il était retourné lors de ses différents séjours au Pérou.

[9]               Compte tenu de cette preuve, la Commission a conclu que M. Cerna s’était réclamé de nouveau de la protection du Pérou et que, par conséquent, il avait perdu l’asile.

III.             Première question – La Commission a-t-elle appliqué le mauvais critère?

[10]           M. Cerna soutient que la Commission lui a imposé à tort le fardeau de réfuter la présomption selon laquelle il s’était réclamé de nouveau de la protection du pays dont il a la nationalité en se fondant sur le fait qu’il avait renouvelé son passeport péruvien. Il affirme que la présomption ne s’applique qu’à un seul des éléments du critère permettant de déterminer si une personne s’est réclamée de nouveau de la protection du pays dont elle a la nationalité.

[11]           Je ne vois aucune erreur dans l’approche de la Commission.

[12]           Le fait de s’être réclamé de nouveau de la protection du pays dont on a la nationalité comporte trois éléments : (1) le réfugié doit avoir agi volontairement; (2) le réfugié doit avoir eu l’intention de se réclamer de nouveau de la protection du pays dont il a la nationalité; et (3) le réfugié doit avoir effectivement obtenu cette protection (Nsende c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’immigration), 2008 CF 531, aux paragraphes 12 à 15; Cabrera Cadena c Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2012 CF 67, au paragraphe 22).

[13]           Le fait que le réfugié ait obtenu ou renouvelé un passeport délivré par le pays dont il a la nationalité crée une présomption réfutable selon laquelle le réfugié avait l’intention de se réclamer de nouveau de la protection de ce pays (Li c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2015 CF 459, au paragraphe 39). Si le réfugié se procure le passeport pour retourner dans son pays d’origine, comme l’a fait M. Cerna, alors il a aussi effectivement obtenu la protection de cet État. Dans ces circonstances, à moins que le réfugié n’ait réfuté la présomption d’intention, il ne reste qu’à déterminer s’il s’est procuré volontairement son passeport.

[14]           La Commission a conclu que M. Cerna n’avait pas réfuté la présomption d’intention. Il avait effectué plusieurs voyages au Pérou qui n’étaient pas absolument nécessaires et, pendant qu’il s’y trouvait, s’était effectivement réclamé de la protection du Pérou. En outre, M. Cerna s’était manifestement procuré volontairement son passeport péruvien. Il s’agissait donc surtout de savoir si M. Cerna avait eu l’intention de se réclamer de nouveau de la protection du Pérou, et la Commission a conclu que oui.

[15]           À mon avis, la Commission a appliqué correctement la présomption d’intention et s’est également penchée sur les autres volets du critère permettant de déterminer si une personne s’est réclamée de nouveau de la protection du pays dont elle a la nationalité. Je ne puis conclure que la Commission a appliqué le mauvais critère.

IV.             Deuxième question – La conclusion de la Commission était-elle déraisonnable?

[16]           Le ministre soutient que la décision de la Commission était raisonnable compte tenu de la preuve.

[17]           Je ne suis pas d’accord.

[18]           La Commission n’a pas tenu compte du témoignage de M. Cerna selon lequel il s’était rendu au Pérou uniquement parce qu’il croyait fermement jouir de la sécurité découlant du statut de résident permanent au Canada, et de la protection correspondante dont ce statut était assorti. En outre, il n’avait pas la moindre idée qu’il mettait son statut en péril en retournant au Pérou. Selon l’état du droit à l’époque de ses voyages, la perte du statut de réfugié n’avait aucune incidence sur la résidence permanente (pour une analyse des conséquences actuelles de la perte du statut de réfugié, voir Yuan c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2015 CF 923, aux paragraphes 6 à 11).

[19]           Plusieurs résidents permanents canadiens présument que leur statut leur permettrait d’obtenir une protection du Canada même lorsqu’ils se rendent dans leur pays d’origine. Le statut de résident permanent « commande une grande stabilité, une longévité et des droits connexes beaucoup plus importants que ceux d’un étranger » (Bermudez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2015 CF 639, au paragraphe 30, citant Hernandez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 429). Dans ces circonstances, la Commission doit tenir compte des intentions subjectives des réfugiés avant de conclure qu’ils se sont réclamés de la protection de leur pays d’origine.

[20]           À mon avis, la Commission aurait dû se demander si l’élément de preuve relatif à la compréhension subjective de M. Cerna quant aux avantages découlant de son statut de résident permanent réfutait la présomption selon laquelle il avait eu l’intention d’obtenir la protection du Pérou en se procurant un passeport péruvien. Sans cette analyse, la conclusion de la Commission quant à savoir s’il s’était réclamé de nouveau de la protection du pays dont il a la nationalité ne constitue pas une issue défendable au regard des faits et du droit.

V.                Conclusion et dispositif

[21]           La Commission n’a pas tenu compte d’un élément de preuve important quant au critère permettant de déterminer si une personne s’est réclamée de nouveau de la protection du pays dont elle a la nationalité. En l’absence d’une analyse de cet élément de preuve, la conclusion de la Commission selon laquelle M. Cerna s’était réclamé de nouveau de la protection de l’État péruvien était déraisonnable. Je dois donc accueillir la présente demande de contrôle judiciaire et ordonner à un autre tribunal de la Commission d’examiner de nouveau la demande de constat de perte d’asile du ministre. Aucune question de portée générale n’est soulevée.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que :

1.                  La demande de contrôle judiciaire est accueillie et l’affaire est renvoyée à un autre tribunal de la Commission pour nouvel examen.

2.                  Aucune question de portée générale n’est formulée.

« James W. O’Reilly »

Juge

Traduction certifiée conforme

Diane Provencher, trad. a.


Annexe

Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, ch 27

Immigration and Refugee Protection Act, SC 2001, c 27

Rejet

Rejection

108. (1) Est rejetée la demande d’asile et le demandeur n’a pas qualité de réfugié ou de personne à protéger dans tel des cas suivants :

108. (1) A claim for refugee protection shall be rejected, and a person is not a Convention refugee or a person in need of protection, in any of the following circumstances:

a) il se réclame de nouveau et volontairement de la protection du pays dont il a la nationalité;

(a) the person has voluntarily reavailed themself of the protection of their country of nationality;

Charte Canadienne des droits et libertés

Canadian Charter of Rights and Freedoms

Vie, liberté et sécurité

Life, liberty and security of person

7. Chacun a droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne; il ne peut être porté atteinte à ce droit qu’en conformité avec les principes de justice fondamentale.

7. Everyone has the right to life, liberty and security of the person and the right not to be deprived thereof except in accordance with the principles of fundamental justice.

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-7267-14

 

INTITULÉ :

DAVIS WILLIAM LEZAMA CERNA c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Vancouver (ColOMBIE-BRITANNIQUE)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 21 MAI 2015

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE O’REILLY

 

DATE DES MOTIFS :

LE 15 SEPTEMBRE 2015

 

COMPARUTIONS :

Craig Constantino

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Mark East

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Elgin, Cannon & Associates

Avocats

Vancouver (Colombie-Britannique)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Vancouver (Colombie-Britannique)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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