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Date : 20150615


Dossier : IMM‑4847‑14

Référence : 2015 CF 750

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 15 juin 2015

En présence de monsieur le juge Brown

ENTRE :

AGNES MAGYAR

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   Aperçu

[1]               La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire au titre du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (LIPR), de la décision de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (SPR), datée du 13 mai 2014, par laquelle la SPR avait conclu que la demanderesse n’avait pas qualité de réfugiée au sens de la Convention ni celle de personne à protéger.

[2]               Comme la demanderesse a été renvoyée du Canada, la Cour ayant refusé d’accorder un sursis, le défendeur a présenté une requête en rejet en raison du caractère théorique de l’affaire, requête qui est également tranchée par les présents motifs. J’estime que la présente demande n’est pas théorique et, par conséquent, la requête du défendeur est rejetée.

[3]               La demande est accueillie, et l’affaire est renvoyée à un tribunal différemment constitué de la SPR pour qu’il rende une nouvelle décision.

II.                Faits

[4]               La demanderesse est une citoyenne de la Hongrie âgée de 38 ans. Elle prétend qu’elle craint son ex‑conjoint de fait (conjoint) en raison des violences qu’il avait commencé à lui infliger après qu’elle lui eut révélé qu’elle était d’ascendance rom.

[5]               Elle prétend aussi que son conjoint est policier et que, pour cette raison, elle n’a pas pu obtenir l’aide de la police en Hongrie.

[6]               Elle affirme que, en mai 2012, peu après qu’elle eut dit à son conjoint qu’elle était enceinte et qu’elle eut refusé d’avorter, celui‑ci lui a donné des coups de pied jusqu’à ce qu’elle s’effondre sans connaissance, après quoi elle s’est rendue à l’hôpital et a fait une fausse‑couche. Elle a prétendu à l’hôpital qu’elle était tombée d’une échelle.

[7]               Lorsqu’elle a constaté qu’elle était à nouveau enceinte, trois mois plus tard, elle a quitté son conjoint et est allée vivre chez ses parents, après quoi celui‑ci a abattu son chien en face de sa maison. De plus, ses collègues policiers ont fait monter chacun de ses parents à bord de véhicules de patrouille alors qu’ils marchaient dans la rue pour les relâcher peu après. Plus tard dans l’année, le conjoint de la demanderesse qui était à bord d’un véhicule de patrouille s’est arrêté à côté d’elle alors qu’elle marchait dans la rue dans sa ville natale, et l’a frappée. Elle a porté plainte à la police. Elle n’a pas présenté à la SPR le rapport de police concernant cette plainte.

[8]               Quelques mois plus tard, alors que la demanderesse était dans la rue, son conjoint est sorti d’une voiture de patrouille et l’a frappée avec une telle force qu’elle est tombée en bas d’un escalier de six marches. Elle a passé une nuit à l’hôpital, puis y a été réadmise au début de janvier parce qu’elle n’allait pas bien. Elle a fait une deuxième fausse‑couche. Elle a présenté à la SPR un rapport médical relatif à la seconde visite à l’hôpital, selon lequel elle avait fait une fausse‑couche et avait été hospitalisée pendant une semaine.

[9]               Elle prétend que, à ce deuxième séjour, elle a raconté au médecin ce qui s’était passé, et que celui‑ci avait appelé la police. La police est venue et a pris la déposition de la demanderesse, mais, avant de partir, l’un des policiers présents, que la demanderesse a reconnu comme étant un ami de son conjoint, lui a dit qu’elle ne devrait pas inventer des histoires sur son conjoint. Peu après sa seconde fausse‑couche, la demanderesse est devenue dépressive et a tenté de se suicider.

[10]           En février 2013, la police a mis fin à l’enquête se rapportant à la plainte qu’elle avait déposée à la fin de 2012 parce que le conjoint avait un alibi et deux témoins. Le document a déposé en preuve devant la SPR (décision de la police).

[11]           Le même mois, la demanderesse a déménagé à Budapest, a résidé dans un refuge pour femmes, s’est trouvé un emploi dans un orphelinat et a commencé à consulter un psychiatre. Toutefois, son conjoint l’a trouvée à Budapest six mois plus tard et l’a battue au point où elle a encore dû aller à l’hôpital. La demanderesse n’était pas en mesure de parler à la police lorsque celle‑ci s’est présentée à l’hôpital, mais s’est rendue au poste de police après et a fait une déposition (rapport de la police de Budapest). Ce rapport et un rapport médical relatif à l’incident ont été déposés en preuve devant la SPR.

[12]           C’est alors que ses parents ont pris des dispositions pour qu’elle parte pour le Canada. Depuis son arrivée au Canada, elle a reçu trois courriels de menaces de son conjoint, qu’elle a produits devant la SPR.

III.             Décision visée par le contrôle

[13]           La SPR a conclu que la demanderesse n’avait pas qualité de réfugiée au sens de la Convention ni celle de personne à protéger, et que les questions déterminantes en l’espèce étaient la crédibilité et la protection de l’État.

[14]           La SPR a fourni les motifs suivants à l’égard de ses conclusions défavorables quant à la crédibilité :

a)                  il est invraisemblable que le conjoint de la demanderesse ignore que celle‑ci était d’origine rom jusqu’à ce qu’elle le lui dise, et que ses collègues anti‑Rom l’ignorent aussi;

b)                  la demanderesse n’a pas pu séjourner pendant huit mois dans un refuge pour femmes, étant donné qu’il est bien connu que la demande pour ce service est élevée;

c)                  la décision de la police n’a reçu aucun poids au motif qu’il était plus probable que le contraire qu’elle ait été fabriquée de toutes pièces pour les raisons qui suivent : (i) il n’était pas vraisemblable qu’un lieutenant‑colonel fasse référence à un accusé en utilisant le terme « contrevenant »; et (ii) la chronologie illogique (de la date la plus tardive à la plus rapprochée, au lieu du contraire) soulève des doutes. La SPR a souligné que d’après des renseignements relatifs au pays, les documents frauduleux sont répandus en Hongrie;

d)                 la demanderesse n’a pas fourni les éléments de preuve suivants :

                                            i.                        des preuves que son conjoint existait ou qu’il était son conjoint de fait, à l’exception de son propre témoignage, d’une lettre de son père et de la décision de la police, éléments que la SPR considérait comme suspects;

                                          ii.                        des preuves que son conjoint était policier, à l’exception de la lettre de son père, des courriels de menaces, du rapport de la police de Budapest et de la décision de la police. Toutefois, il est impossible de conférer beaucoup de poids à une lettre d’un père aimant; il est impossible de dire qui a envoyé les courriels de menaces, il n’y a eu aucune suite au rapport de la police de Budapest étant donné que la demanderesse n’a pas assuré le suivi à cet égard; et la décision de la police mentionnait seulement que son conjoint était fonctionnaire, et uniquement dans la partie portant sur les allégations. À l’appui de sa conclusion selon laquelle le conjoint de la demanderesse n’était pas policier, la SPR a souligné que : les rapports médicaux ne renvoient pas à l’agresseur présumé; la demanderesse ne connaissait pas le grade de son conjoint ni le type de fonctions qu’il exerçait; elle n’a pas fourni copie de la plainte qui a donné lieu à la décision de la police; et il était invraisemblable que son conjoint ait mis six mois pour la trouver à Budapest s’il était policier. La SPR a précisé que le défaut de la demanderesse d’établir que son conjoint était policier minait son allégation de crainte fondée;

                                        iii.                        le rapport psychiatrique établi en Hongrie;

                                        iv.                        les documents médicaux relatifs à sa première fausse‑couche;

e)                  les documents n’étaient pas des originaux et ne correspondaient pas chronologiquement à l’événement ou à l’incident qu’ils étaient censés corroborer;

f)                   la demanderesse a affirmé qu’elle avait rencontré son conjoint en mai 2011, tandis que le rapport psychiatrique précise que la rencontre avait eu lieu en 2008;

g)                  elle a modifié son exposé circonstancié au sujet de sa première visite à l’hôpital après l’agression, à la fin de 2012, en remplaçant l’expression [traduction« j’ai dit » au médecin ce qui était arrivé, par [traduction« je n’ai pas dit » au médecin ce qui était arrivé;

h)                  elle a attendu un mois après l’agression pour quitter Budapest. La SPR n’a pas accepté l’explication selon laquelle elle devait économiser de l’argent pour partir.

IV.             Caractère théorique

[15]           Le défendeur soutient que la demande doit être rejetée parce qu’elle est théorique du fait que la demanderesse a été renvoyée dans son pays de nationalité. Je ne suis pas d’accord, pour les motifs qui suivent.

[16]           En ce qui concerne la première partie du critère général relatif au caractère théorique énoncé dans Borowski c Canada (Procureur général), [1989] 1 RCS 342, il reste dans la présente demande un litige actuel entre les parties.

[17]           Contrairement aux affaires auxquelles renvoie le défendeur, dans lesquelles la Cour a conclu que le contrôle judiciaire d’un examen des risques avant renvoi (ERAR) était théorique parce qu’une décision favorable n’aurait à ce stade aucun effet tangible, concret ou pratique étant donné qu’un ERAR vise à apprécier le risque du « renvoi » en soi, y compris la décision de la Cour d’appel dans Solis Perez c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CAF 171, la présente affaire a trait au contrôle judiciaire d’une demande d’asile présentée au titre de l’article 96 de la LIPR. L’examen d’une demande présentée au titre de l’article 96 pourrait toujours déboucher sur l’attribution de droits peu importe si le demandeur a été renvoyé (Molnar c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 345, au paragraphe 24 [Molnar]; Magusic et al c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (22 juillet 2014) Ottawa, IMM‑7124‑13 (CF) [Magusic]). Comme le juge en chef Crampton l’a écrit dans Escobar Rosa c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 1234 [Rosa] :

35        Lors du contrôle judiciaire d’une décision défavorable rendue à l’issue d’un ERAR, il serait peu utile de renvoyer l’affaire à un autre agent d’ERAR pour nouvelle décision parce que le demandeur ne se trouverait plus « au Canada », comme l’exigent ces dispositions. Dans ce contexte, il devient vite apparent que le contrôle judiciaire serait sans objet (Solis Perez, précité).

 36       Ce n’est toutefois pas le cas du contrôle judiciaire d’une décision défavorable rendue par la SPR au titre de l’article 96. L’article 96 n’exige pas expressément que le demandeur d’asile se trouve encore au Canada au moment du réexamen. En l’absence d’énoncé clair dans la LIPR à l’effet du contraire, je rejette la thèse du défendeur selon laquelle la SPR n’a pas compétence pour réexaminer une demande au titre de l’article 96 quand le demandeur a déjà été renvoyé du Canada en bonne et due forme, même si la Cour détermine que la SPR a commis une erreur susceptible de contrôle en rejetant la demande. En effet, certains précédents de la Cour indiquent le contraire (Freitas c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999], 2 CF 432, au paragraphe 29; Magusic c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), (IMM-7124-13) 22 juillet 2014 (non publiée), aux paragraphes 10 et 11 [Magusic]; voir également Thamotharampillai, c Canada (Solliciteur général), 2005 CF 756, au paragraphe 16).

[18]            De plus, le juge en chef Crampton a soutenu que le fait d’exclure pour les demandeurs d’asile l’accès à toute mesure de réparation à la suite d’une décision défavorable et déraisonnable de la SPR serait incompatible avec les objectifs de la LIPR et l’intention du législateur :

38        Selon la thèse adoptée par le défendeur, toute possibilité de réparation serait écartée pour les demandeurs d’asile légitimes qui ont été renvoyés du Canada après une décision défavorable de la SPR qui était déraisonnable ou autrement entachée d’un vice fatal. À mon avis, une telle issue serait incompatible avec certains des objets énoncés au paragraphe 3(2) de la LIPR, dont les suivants :

−           faire bénéficier ceux qui fuient la persécution d’une procédure équitable (alinéa 3(2)c));

−           offrir l’asile à ceux qui sont en mesure de démontrer qu’ils ont la qualité de réfugié au sens de la Convention, aux termes de l’article 96 (alinéa 3(2)d));

−           mettre en place une procédure équitable et efficace qui soit respectueuse, d’une part, de l’intégrité du processus canadien d’asile et, d’autre part, des droits et des libertés fondamentales reconnus à tout être humain (alinéa 3(2)e)).

 39       Le fait qu’une mesure de renvoi prenne effet après une décision défavorable rendue par la SPR et à l’expiration du délai prévu au paragraphe 110(2.1) si un appel devant la SAR n’est pas formé ou s’il ne peut l’être ne signifie pas nécessairement que le législateur avait l’intention d’empêcher la SPR d’entendre une demande qui lui est renvoyée pour nouvelle décision après l’exécution de la mesure de renvoi du Canada à l’encontre du demandeur. La même chose s’applique au fait que, aux termes du paragraphe 48(2), les personnes visées par une mesure de renvoi exécutoire doivent immédiatement quitter le Canada, la mesure devant être exécutée dès que possible. Ces dispositions supposent notamment que la SPR n’a pas commis d’erreur susceptible de contrôle en rendant la décision qui a rendu exécutoire la mesure de renvoi conditionnelle.

[19]            En l’espèce, la SPR a refusé le statut de réfugiée à la demanderesse. En dépit du fait que la LIPR ne confère pas à la demanderesse un sursis automatique au renvoi lorsqu’elle demande l’autorisation de présenter une demande de contrôle judiciaire étant donné qu’elle est originaire d’un pays d’origine désigné, celle-ci n’en perd pas pour autant le droit de solliciter le contrôle judiciaire de la décision de la SPR avant ou après le renvoi. Elle a sollicité l’autorisation conformément à ce droit, et l’autorisation lui a été accordée. En dépit du fait qu’elle a été renvoyée dans son pays avant que ne soit tranchée sa demande de contrôle judiciaire, le résultat de la demande n’est pas purement théorique parce que, si sa demande de contrôle judiciaire était accueillie, la SPR devra revoir sa décision et pourrait faire droit à sa demande d’asile.

[20]           Je souscris aux conclusions du juge Fothergill dans l’arrêt Molnar, qui fait l’objet d’un appel. Ce faisant, je fais mienne sa réticence à conclure que la décision du juge en chef dans la décision Rosa a pour effet de faire perdre au demandeur d’asile débouté son droit de contester la décision de la SPR s’il est renvoyé dans son pays contre son gré et qu’il demande le contrôle judiciaire à partir de son pays de nationalité. Dans l’arrêt Rosa, le demandeur était à l’extérieur de son pays de nationalité, et l’affaire a été tranchée sans que soit approfondie la question.

[21]           Je souligne aussi que, quand il a présenté le projet de loi C‑31 devant le Comité permanent de la citoyenneté et de l’immigration, le ministre a affirmé que les demandeurs d’asile de pays d’origine désignés, même s’ils ne pourraient tirer parti d’un sursis automatique à l’égard de la mesure de renvoi, « pourront toujours demander à la Cour fédérale d’examiner le rejet de leur demande » (Chambre des communes, Comité permanent de la Citoyenneté et de l’Immigration, 41e Législature, 1re session, CIMM‑31 (le 26 avril 2012) à la page 2 (président : David Tilson)). Lorsque les dispositions législatives ne sont pas claires, il convient de consulter les débats parlementaires (Canada 3000 Inc., Re; Inter‑Canadien (1991) Inc. (Syndic de), 2006 CSC 24, au paragraphe 57). J’estime que l’affirmation du ministre, des plus catégoriques, suppose que le demandeur d’asile conserve le droit de s’adresser à la Cour même s’il a été renvoyé dans son pays. Cela peut conférer au demandeur des droits au titre de l’article 96 et aussi au titre de l’article 97 de la LIPR.

[22]           Le juge Manson a confirmé dans l’arrêt Magusic que Freitas c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 CF 432 (1re inst.) [Freitas], dans lequel le juge Gibson avait affirmé qu’une décision contestée de la SPR n’est pas théorique à la suite du renvoi du demandeur du Canada, est toujours valide en droit. Je souscris à leurs conclusions.

[23]           Je souligne aussi que, si le demandeur a l’obligation d’être au Canada, la Cour dans l’arrêt Freitas a ordonné le retour du demandeur au Canada.

[24]           J’ajouterai que, en rejetant la requête en sursis de la demanderesse, le juge LeBlanc a supposé, aux fins du sursis, qu’une question importante était en jeu et a tranché l’affaire en fonction du principe voulant que le fait de permettre le renvoi ne causerait pas de tort irréparable. À mon avis, il n’est pas logique que la Cour estime que le renvoi d’un demandeur ne ne causerait pas de tort irréparable, puis que celui‑ci a perdu son droit de faire examiner la décision de la SPR parce qu’il a été renvoyé dans son pays. La conclusion de la Cour selon laquelle la demanderesse ne subirait pas de tort irréparable si elle était renvoyée dans son pays m’oblige à conclure, à tout le moins, que sa demande de contrôle judiciaire est toujours active et devrait être examinée.

[25]           Toutefois, même si j’ai tort, et que la question est devenue théorique au moment du renvoi de la demanderesse, je souscris aux conclusions du juge Gibson dans l’arrêt Freitas et du  juge Fothergill dans l’arrêt Molnar quand ils soutiennent qu’il s’agit d’un cas approprié où la Cour peut exercer son pouvoir discrétionnaire d’apprécier le bien-fondé de la question, et je me fonde sur leurs motifs pour ce faire.

V.                Questions en litige

[26]           Les questions en litige en l’espèce sont les suivantes :

A.                Les conclusions de la SPR quant à la crédibilité sont‑elles raisonnables;

B.                 La SPR a‑t‑elle commis une erreur en omettant d’apprécier le caractère adéquat de la protection de l’État en Hongrie?

VI.             Norme de contrôle

[27]           Les conclusions de la SPR quant à la crédibilité et la protection de l’État sont susceptibles de contrôle selon la norme de la décision raisonnable (Rusznyak c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 255, au paragraphe 23). La Cour suprême du Canada a précisé ce que doit faire un tribunal de révision appliquant la norme de la décision raisonnable dans Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47, selon lequel :

La cour de révision se demande dès lors si la décision et sa justification possèdent les attributs de la raisonnabilité.  Le caractère raisonnable tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

VII.          Observations de la demanderesse

[28]           La demanderesse affirme que les préoccupations quant à la crédibilité soulevées par la SPR ont rendu la décision de celle‑ci déraisonnable et que la SPR a omis d’apprécier la protection de l’État. Elle a présenté de nombreux documents corroborants personnels, mais il semble que seule une liste prédéterminée de documents convaincrait la SPR de la véracité de sa demande d’asile.

[29]           De plus, la SPR a de façon déraisonnable rejeté les documents corroborants présentés par la demanderesse, dont une lettre de ses parents, la décision de la police, le rapport de la police de Budapest, des rapports médicaux, une lettre d’un refuge pour femmes à Budapest, des courriels de menaces de son conjoint, un rapport psychiatrique et une lettre du Centre d’aide aux victimes d’agressions sexuelles et de violence conjugale du Women’s College Hospital (hôpital universitaire pour femmes).

VIII.       Observatlions du défendeur

[30]           Le défendeur soutient que, malgré le fait que la demanderesse ne souscrit pas aux conclusions de la SPR et a fourni des explications et proposé d’autres conclusions que la SPR aurait pu tirer, elle n’a pas démontré que la moindre conclusion de la SPR soit abusive ou arbitraire ou ne corresponde pas aux éléments de preuve.

[31]           Il est loisible à la SPR, à titre de principal juge des faits, de rejeter même les éléments de preuve non contredits qui ne concordent pas avec les probabilités propres à l’affaire dans son ensemble et de tirer des conclusions défavorables quant à la crédibilité en fonction de la vraisemblance, du bon sens et de la rationalité d’un récit.

[32]           La demanderesse n’a pas pu établir l’identité de son agent de persécution allégué, que ce soit à titre de son conjoint de fait ou de policier. Il était loisible à la SPR d’exiger des éléments de preuve corroborants (Ortiz-Juarez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 288, au paragraphe 7) et de souligner que la demanderesse n’avait pas fourni des documents originaux (Règles de la Section de la protection des réfugiés, DORS/2012‑256, paragraphe 42(1) (Règles de la SPR)).

IX.             Analyse

A.                Les conclusions de la SPR quant à la crédibilité sont‑elles raisonnables?

[33]           Les motifs rendus par la SPR soulèvent la question de savoir s’il lui était loisible de conclure que la demanderesse n’était pas crédible en raison de l’absence de certains éléments de preuve corroborants.

[34]           Il est reconnu que le témoignage d’un demandeur d’asile bénéficie de la présomption de véracité sauf s’il existe une raison de douter de sa véracité (Maldonado c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1980] 2 CF 302 (CA), au paragraphe 5 [Maldonado]). Par conséquent, il n’existe pas d’obligation générale de corroboration. Il est par conséquent erroné de tirer une conclusion quant à la crédibilité en fonction de la seule absence d’éléments de preuve corroborants (Ndjavera c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 452, au paragraphe 6).

[35]           Toutefois, il est aussi bien établi, et j’en conviens, qu’il incombe au demandeur d’asile d’établir les éléments de sa demande d’asile (Règles de la SPR, article 11; Ismaili c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 84, aux paragraphes 32 à 34 [Ismaili]).

[36]           Selon la jurisprudence, même si la SPR peut ne pas tirer d’inférences défavorables du seul fait qu’un demandeur d’asile n’a pas fourni de documents extrinsèques corroborant sa demande d’asile, lorsqu’il existe des raisons valides de douter de sa crédibilité, la SPR peut légitimement prendre en compte le fait que le demandeur d’asile n’a pas fourni de tels documents pour tirer sa conclusion quant à la crédibilité si elle n’accepte pas l’explication du demandeur quant à la raison pour laquelle il n’a pas fourni les documents (Ismaili, aux paragraphes 36 à 56). La juge Tremblay‑Lamer a expliqué clairement ce principe dans Dundar c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 452 [Dundar] en ces termes :

21        Dans la décision Amarapala c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 12, [2004] A.C.F. no 62 (QL), au paragraphe 10, le juge Kelen a abordé cette question lorsqu’il a fait valoir ce qui suit :

Il est bien établi qu'un tribunal ne peut tirer de conclusions négatives du seul fait qu'un demandeur d'asile n'a pas transmis de documents extrinsèques pour corroborer sa demande. Cependant, lorsqu'un tribunal a des motifs valables de douter de la crédibilité d'un demandeur, le fait que celui-ci n'ait pas transmis de documents corroborants est un facteur dont il peut à bon droit tenir compte s'il n'accepte pas l'explication du demandeur quant à la raison pour laquelle il n'a pas transmis ces documents.

22        Je suis d’accord avec le juge Kelen quant à son approche en matière de preuve corroborante. Lorsqu’il existe des motifs valables de douter la crédibilité d’un demandeur, la Commission peut tirer des conclusions défavorables quant à sa crédibilité s’il ne présente pas de documents corroborants. Cependant, à mon avis, ces conclusions peuvent seulement être tirées lorsque le demandeur n’a également pas été en mesure d’expliquer pourquoi il n’a pas fourni de documents corroborants.

[37]           Par conséquent, la première question qui se pose est celle de savoir s’il existait une raison valable de douter de la crédibilité de la demanderesse. Le cas échéant, il était loisible à la SPR de tirer une inférence défavorable du défaut de la demanderesse de produire certains éléments de preuve corroborants. Toutefois, en dépit du fait que la SPR a fourni deux raisons pour douter de la crédibilité de la demanderesse avant d’examiner l’absence de certains éléments de preuve corroborants, j’estime que ni l’un ni l’autre ne suffit pour permettre à la SPR de tirer des inférences défavorables de l’absence de certains éléments de preuve corroborants.

[38]           La première conclusion, selon laquelle il n’était pas vraisemblable que le conjoint de la demanderesse et ses collègues anti‑Roms n’étaient pas au courant de l’origine rom de la demanderesse, ne tenait pas compte des éléments de preuve produits par la demanderesse selon lesquels ses parents et elle avaient la peau claire et qu’elle n’était pas prise à partie par des éléments  racistes en public. Elle ne tenait pas non plus compte de l’information figurant dans le rapport psychiatrique selon laquelle la demanderesse a affirmé qu’on lui avait dit quand elle était jeune de ne pas parler de son origine ethnique. Cette conclusion d’invraisemblance n’est pas fondée sur les éléments de preuve ni sur l’expertise particulière de la SPR, et elle ne représente pas non plus une conclusion tirée dans le cas le plus évident, comme il est énoncé dans Valtchev c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CFPI 776, au paragraphe 7. De plus, lorsqu’elle tire une conclusion défavorable quant à la crédibilité fondée sur une conclusion d’invraisemblance, la SPR doit clairement énoncer les raisons pour lesquelles les éléments de preuve ne correspondent pas à ce quoi l’on s’attendrait raisonnablement dans les circonstances particulières d’un demandeur (Isakova c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 149, au paragraphe 11). Je conclus que cette conclusion a été tirée sans qu’aient été examinées les circonstances particulières de la demanderesse et contrairement aux éléments de preuve dont disposait la SPR. Elle était donc déraisonnable.

[39]           La seconde conclusion, selon laquelle il n’était pas possible que la demanderesse ait pu séjourner dans un refuge pour femmes à Budapest pendant huit mois, était de nature spéculative et contredisait les éléments de preuve documentaire. La conclusion ne tenait pas compte de la lettre du refuge pour femmes corroborant le fait que la demanderesse y avait passé huit mois. Elle ne tenait pas compte non plus des éléments de preuve objectifs relatifs aux conditions dans le pays, soit la Réponse à une demande d’information du gouvernement HUN103981.EF (RDI), selon laquelle les personnes comme la demanderesse peuvent résider dans un refuge jusqu’à 18 mois dans certains cas. En dépit du fait que le défendeur souligne, à juste titre, que les éléments de preuve documentaire montrent que les places sont limitées dans les centres d’aide aux victimes à l’échelle du pays, et que les refuges familiaux « administrés par les comtés » peuvent accueillir des victimes de violence conjugale pendant seulement quelques mois, ces éléments de preuve n’étayent pas la conclusion de la SPR selon laquelle il n’était pas « possible » que la demanderesse ait été résidente d’un refuge pour femmes pendant huit mois. La RDI affirme exactement le contraire, comme la lettre du refuge et le témoignage de la demanderesse. En tirant cette conclusion, la SPR n’a pas examiné la question de savoir si le refuge en question était administré par le comté. De plus, elle a conclu qu’une femme victime de violence ne pouvait habituellement passer que quelques « semaines » dans un refuge, ce qui contredit les éléments de preuve relatifs aux refuges administrés par les comtés. La question ne relève pas de l’expertise spécialisée de la SPR et ne repose pas sur les éléments de preuve, et la conclusion contredit les éléments de preuve. Il ne s’agit pas non plus du cas le plus évident ni d’une conclusion reposant sur le bon sens ou la rationalité. Par conséquent, la conclusion est déraisonnable.

[40]           Étant donné les problèmes posés par ces deux conclusions, je conclus que la SPR n’avait pas de motifs valables pour douter de la crédibilité de la demanderesse avant de lui reprocher l’absence d’éléments de preuve corroborants. Par conséquent, la SPR a agi de façon déraisonnable en tirant des inférences défavorables du défaut de la demanderesse de produire certains éléments de preuve corroborants, ce qui contrevient aux arrêts Maldonado et Dundar.

[41]           Même si la SPR avait des raisons valables de douter de la crédibilité de la demanderesse, la deuxième question qui se poserait serait celle de savoir si elle a apprécié les explications fournies par la demanderesse pour ne pas avoir produit des éléments de preuve corroborants à l’égard de certains éléments de sa demande d’asile. Comme il a été mentionné plus haut, la SPR peut tirer une inférence défavorable du fait qu’un demandeur d’asile n’a pas produit des éléments de preuve corroborants lorsqu’elle n’accepte pas les explications qu’il a fournies pour ne pas avoir produit les documents (Amarapala c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 12, au paragraphe 10). Cela suppose que la SPR examine les explications fournies. En l’espèce, la demanderesse a exposé les raisons pour lesquelles elle n’avait pas pu obtenir et fournir un rapport de son psychiatre en Hongrie. Elle a exposé les raisons pour lesquelles elle n’avait pas pu fournir les originaux de ses documents. Elle fourni des explications, comme son père, dans sa lettre, expliquait qu’il n’avait pas pu obtenir l’évaluation psychiatrique et certains des documents médicaux parce que ses demandes avaient souvent été refusées à cause de préoccupations liées à la protection des renseignements personnels. Toutefois, la SPR n’a ni mentionné ni évalué les explications. Les motifs de la SPR montre clairement que l’absence d’éléments de preuve corroborants a mené directement à sa conclusion défavorable quant à la crédibilité, de sorte qu’il m’est impossible de conclure qu’il s’agit simplement d’une question de caractère adéquat des motifs, qui peut être corrigée par l’arrêt Newfoundland Labrador Nurses’ Union c Terre‑Neuve‑et‑Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62.

[42]           Dans les circonstances, la SPR a commis une erreur en fondant ses conclusions quant à la crédibilité sur l’absence de certains éléments de preuve corroborants. Cette erreur suffit pour annuler la conclusion globale quant à la crédibilité parce qu’il n’est pas possible d’affirmer que, sans cette erreur, la SPR aurait tiré la même conclusion quant à la crédibilité globale.

[43]           Sans s’appuyer sur l’absence d’éléments de preuve corroborants, la SPR a peu d’éléments parce que ses autres préoccupations quant à la crédibilité sont mineures. Quoi qu’il en soit, j’estime que ces conclusions posaient aussi un certain nombre de problèmes.

[44]           Par exemple, la SPR a, de façon déraisonnable, rejeté une grande partie des éléments de preuve corroborants que la demanderesse avait fournis pour établir que son conjoint était policier ainsi que d’autres éléments de sa demande d’asile. Elle a conféré peu de poids à la lettre de son père au seul motif qu’il est un père « aimant », lorsqu’il est bien établi en droit qu’il est erroné de conférer peu de poids à des éléments de preuve simplement parce qu’ils proviennent d’un parent (Cruz Ugalde c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2011 CF 458, aux paragraphes 26 à 28). La SPR a conclu qu’il était plus vraisemblable que le contraire que la décision de la police ait été fabriquée de toutes pièces étant donné qu’elle mentionnait l’accusé comme étant le « contrevenant » et présentait une chronologie illogique puisque les dates inscrites allaient de décembre 2012 à septembre 2012. J’estime que cela constitue une analyse inéquitable et microscopique. L’utilisation de l’expression « contrevenant » et non pas « accusé » dans un document de police provenant de l’étranger et ayant été traduit ne suffit pas pour contester la crédibilité de la demanderesse. De plus, la question de la date pourrait facilement aussi être le résultat d’une erreur de la part du policier ayant rédigé la décision. Par conséquent, il ne faut pas utiliser cette erreur pour entacher la crédibilité de la victime. La SPR a rejeté le rapport de la police de Budapest au motif qu’il s’agissait simplement d’une déposition faite par la demanderesse sans conclusion de la part de la police et que la demanderesse n’avait pas assuré le suivi. Toutefois, peu importe l’issue de la plainte, le document apporte la preuve que la demanderesse a porté plainte auprès de la police. En rejetant l’élément de preuve figurant au dossier au motif que d’autres éléments de preuve n’ont pas été produits ou auraient été jugés préférables, la SPR impose à la demanderesse une norme de preuve déraisonnable. La SPR a mis l’accent sur les mauvais éléments. Elle aurait dû prendre en compte le rapport de la police de Budapest dans le contexte de la question de savoir si l’agression avait bien eu lieu, et non pas le rejeter du simple fait que la demanderesse n’avait pas produit les rapports qu’elle aurait voulus (Navaratnam c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 244, au paragraphe 9).

[45]           De plus, la SPR a fondé sa conclusion quant à la crédibilité sur des contradictions très mineures relevées dans les éléments de preuve de la demanderesse. Il n’y a aucun doute que la SPR peut apprécier la question de la crédibilité à partir du début,  mais les erreurs en question sont mineures et faciles à expliquer. La SPR est allée trop en profondeur.

[46]           Premièrement, la SPR a souligné que, même si la demanderesse avait affirmé qu’elle avait rencontré son conjoint en mai 2011, le rapport du psychiatre indiquait qu’elle l’avait connu en 2008. La SPR n’a pas donné à la demanderesse l’occasion d’expliquer cette contradiction, laquelle aurait pu être facilement et est des plus vraisemblablement une simple erreur de la part du psychiatre qui a rédigé le rapport (Portillo Romero c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 1452, aux paragraphes 102 et103; Awolaja c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 1240, aux paragraphes 45 à 55). Ainsi, la SPR a commis une erreur en considérant cet élément comme étant « important » en ce qui concerne la crédibilité de la demanderesse.

[47]           Deuxièmement, la SPR a tiré une inférence défavorable du fait que la demanderesse a modifié son exposé circonstancié au sujet de la première visite à l’hôpital après l’incident qui s’est produit à la fin de 2012, en remplaçant l’expression « j’ai dit » au médecin ce qui était arrivé par « je n’ai pas dit » au médecin ce qui était arrivé. Rien n’indique que la SPR ait apprécié – comme elle le devait – l’explication de la demanderesse selon laquelle elle n’avait pas remarqué l’erreur quand elle a révisé l’original de son exposé circonstancié avec le traducteur, et qu’elle n’avait peut‑être pas été assez attentive à cause de l’effet des médicaments qu’elle prend sur sa capacité de concentration. Il était loisible à la SPR de rejeter l’explication, mais pas de ne pas en tenir compte (Owusu‑Ansah c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1989] ACF no 442 (CA)).

[48]           La SPR a critiqué la demanderesse parce qu’elle ne connaissait pas le grade de son conjoint ni le type de fonctions qu’il exerçait. Ce faisant, la SPR a mal interprété les éléments de preuve. La demanderesse a affirmé dans sa plainte à la police, tel qu’elle a été notée dans le rapport de la police de Budapest, et dans son témoignage devant la SPR, que son conjoint était « major ». Donc, la conclusion selon laquelle elle ne connaissait pas le grade est contredite par les éléments de preuve. Elle savait et a affirmé qu’il était « major », qu’il travaillait dans un bureau, et qu’il avait des subordonnés. En dépit du fait que la SPR s’attendait clairement à ce que le conjoint de la demanderesse ait donné à celle-ci plus de précisions concernant son travail, la SPR ne peut pas critiquer la demanderesse pour le défaut de son conjoint de parler de son travail sans éléments de preuve à cet effet car nul ne peut prétendre qu’il soit invraisemblable que le conjoint ne parle pas de son travail. Étant donné le secret qui voile généralement le travail policier, que je connais d’office, une telle conclusion d’invraisemblance ne peut être retenue. À cet égard, je soulignerais aussi qu’à l’audience, la SPR a dit à la demanderesse et à sa conseil que la question du grade du conjoint n’était [traduction« pas essentielle ». Il est inéquitable que la SPR dise à une demandeure d’asile qu’une question n’est pas « essentielle », puis utilise ce même élément pour contester la crédibilité de la demanderesse.

[49]           De plus, la SPR a mis en doute les affirmations de la demanderesse au motif qu’il ne serait pas probable que son conjoint ait mis six mois pour la trouver à Budapest s’il était policier. Je souligne que cette conclusion a été tirée explicitement sur la foi des autres conclusions de la SPR quant à la crédibilité, comme les conclusions que j’ai examinées plus haut. La SPR a commis une erreur et aurait dû apprécier cette question séparément, parce qu’il s’agit d’un motif d’attaque à la fois nouveau et différent relativement à la crédibilité de la demanderesse. Quoi qu’il en soit, cette conclusion ne repose pas sur les éléments de preuve, ni sur la rationalité, ni sur le sens commun. La demanderesse a affirmé qu’elle s’efforçait d’être introuvable, notamment en utilisant les téléphones publics. La SPR, là encore, n’a pas pris en compte ses explications, ce qui rend la conclusion déraisonnable.

[50]           Enfin, la SPR a tiré une inférence défavorable du fait que la demanderesse soit restée à Budapest un mois après y avoir été agressée. En rejetant l’explication selon laquelle elle devait économiser de l’argent avant de pouvoir partir, la SPR n’a pas tenu compte de la lettre de son père qui corroborait son explication en précisant qu’ils n’étaient pas riches et qu’il était très difficile de réunir la moitié de l’argent pour le voyage, l’autre moitié devant être assumée par un parent vivant au Canada dont l’aide avait été sollicitée. La SPR a rejeté l’explication sans tenir compte des éléments de preuve au dossier contredisant sa conclusion, ce qui rend la conclusion déraisonnable.

[51]           Étant donné les erreurs que j’ai relevées à l’égard de la majorité des conclusions de la SPR, j’estime que la conclusion globale quant à la crédibilité est hasardeuse et déraisonnable. Toutefois, cette conclusion n’est pas déterminante parce que la SPR a aussi conclu que la demande d’asile de la demanderesse devait échouer en ce qui concerne la question de la protection de l’État.

B.                 La SPR a‑t‑elle commis une erreur en omettant d’apprécier la protection de l’État?

[52]           La SPR a affirmé au début de sa décision que la protection de l’État était une question déterminante et affirmé à la fin que ses motifs cumulatifs concernaient les questions de la crédibilité et de la protection de l’État. Toutefois, je n’ai pas trouvé la moindre analyse de la protection de l’État dans la décision de la SPR. Il se peut que les observations de la SPR relativement au fait que la demanderesse avait omis d’établir que son conjoint était un policier visaient à aborder la question de la protection de l’État. C’est loin d’être évident. De plus, à la suite de la conclusion de la SPR selon laquelle la demanderesse n’avait pas établi que son conjoint était policier, la SPR n’a pas apprécié la question de savoir si la demanderesse pourrait se réclamer de la protection de l’État à titre de femme d’origine rom, indépendamment de son affirmation selon laquelle son époux était policier. La SPR n’a pas analysé le caractère adéquat ni l’efficacité de la protection de l’État en Hongrie, pas plus que le critère qui s’applique ni la question de savoir où se situait la Hongrie sur l’échelle à cet égard. Étant donné qu’il m’est impossible d’établir comment la SPR a tiré sa conclusion sur la protection de l’État, je conclus que sa conclusion sur la protection de l’État n’est pas justifiée, transparente ni intelligible (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Balogh, 2014 CF 932; Canada (Citoyenneté et Immigration) c Bari, 2015 CF 656).

X.                Conclusion

[53]           La demande de contrôle judiciaire devrait être accueillie, et l’affaire devrait être renvoyée à un tribunal différemment constitué de la SPR pour qu’il rende une nouvelle décision.

[54]           Aucune partie n’a proposé de question à certifier, et aucune n’est soulevée.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est accueillie, l’affaire est renvoyée à un tribunal différemment constitué de la Section de la protection des réfugiés pour qu’il rende une nouvelle décision, aucune question n’est certifiée, et aucuns dépens ne sont adjugés.

« Henry S. Brown »

Juge

Traduction certifiée conforme

Line Niquet, trad. a.


COUR FÉDÉDRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑4847‑14

 

INTITULÉ :

AGNES MAGYAR c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 27 MAI 2015

 

JUGEMENT ET MOTIFs :

LE JUGE BROWN

 

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

LE 15 JUIN 2015

 

COMPARUTIONS :

Ronald Shacter

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Aleksandra Lipska

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Silcoff, Shacter

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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