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Date : 20150917


Dossier : IMM‑8486‑14

Référence : 2015 CF 1084

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 17 septembre 2015

En présence de madame la juge Mactavish

ENTRE :

MARIA DEL ROSARIO NAVARRO LOPEZ ET SES ENFANTS À CHARGE,

BRIAN RODRIGUEZ NAVARRO

MARCO DAVID ORTIZ

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               Maria del Rosario Navarro Lopez et ses deux enfants ont demandé l’asile au Canada. Ils soutiennent craindre l’ancien conjoint de Mme Navarro aux mains de qui cette dernière a longtemps été victime de violence physique et psychologique lorsque la famille habitait aux États‑Unis. Bien que la Commission ait accepté le fait que Mme Navarro a été victime de violence conjugale, elle a rejeté la demande de cette dernière parce qu’elle n’a pas établi qu’il existe plus qu’une simple possibilité qu’elle soit exposée à une menace à sa vie au Guatemala, son pays de citoyenneté. La Commission a également conclu que les deux enfants pourraient se prévaloir d’une protection de l’État adéquate aux États‑Unis, pays dont ils sont citoyens.

[2]               La conclusion de la Commission quant aux enfants de Mme Navarro n’a pas été contestée. Toutefois, Mme Navarro soutient qu’en rejetant sa demande d’asile, la Commission a commis une erreur, d’une part dans son évaluation du risque prospectif, et d’autre part, du fait qu’elle n’a pas effectué une analyse de la protection de l’État.

[3]               J’ai conclu que l’évaluation qu’a faite la Commission du risque prospectif auquel Mme Navarro serait exposée est raisonnable. Étant donné qu’elle a conclu que Mme Navarro n’était pas exposée à plus qu’une simple possibilité de persécution au Guatemala, la Commission n’était pas tenue d’évaluer ensuite la protection offerte par l’État aux victimes de violence conjugale dans ce pays. Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

I.                   Contexte

[4]               Mme Navarro est arrivée aux États‑Unis en 2003, où elle s’est installée sans statut juridique. Elle a ensuite entamé une relation conjugale avec Luis Melvin Rodriguez, citoyen de la République dominicaine, qui vivait également aux États‑Unis sans statut. Le couple a entretenu une relation pendant environ huit ans et a eu un enfant ensemble au cours de cette période. Mme Navarro a un deuxième enfant issu d’une relation antérieure.

[5]               La relation entre Mme Navarro et M. Rodriguez était empreinte de violence conjugale. Mme Navarro a été victime de violence physique, sexuelle, verbale et psychologique aux mains de M. Rodriguez qui a menacé de la tuer à plusieurs reprises. La police s’est souvent présentée au domicile du couple. Des accusations criminelles ont été portées et des ordonnances de non‑communication ont été prononcées. Mme Navarro a dû, à l’occasion, recevoir des soins médicaux en raison de ses blessures.

[6]               Mme Navarro s’est séparée de M. Rodriguez en mai 2012. Elle a déclaré que M. Rodriguez avait continué de les poursuivre elle et ses enfants après la séparation, et qu’il avait été violent physiquement à son endroit à une occasion au cours d’une période où le couple avait repris brièvement sa relation. Durant cette période, M. Rodriguez a encore menacé Mme Navarro en lui disant qu’il la tuerait lui‑même ou demanderait à un ami de le faire à sa place. Mme Navarro a ajouté que M. Rodriguez lui avait également dit qu’il la retrouverait au Guatemala et la tuerait si elle y retournait.

[7]               Le couple s’est séparé de nouveau, et Mme Navarro a déclaré que son dernier contact avec M. Rodriguez remontait au mois d’août 2013. Un an plus tard, Mme Navarro et ses enfants sont venus au Canada et y ont demandé l’asile.

II.                Analyse

[8]               La Commission a accepté le témoignage de Mme Navarro. Elle a conclu que la relation qu’entretenait Mme Navarro avec M. Rodriguez se caractérisait par des années de violence conjugale. La Commission a également estimé que Mme Navarro a véritablement peur de M. Rodriguez. Toutefois, la Commission n’était pas convaincue qu’il y avait plus qu’une simple possibilité que M. Rodriguez tente de retrouver Mme Navarro au Guatemala.

[9]               Selon la Commission, Mme Navarro est, de façon générale, crédible. La Commission a toutefois conclu que Mme Navarro avait tenté d’embellir son témoignage dans lequel elle explique comment M. Rodriguez pourrait la retrouver au Guatemala. C’est à l’audience relative à sa demande d’asile que Mme Navarro a affirmé pour la première fois que M. Rodriguez s’était rendu à son foyer familial à elle au Guatemala en 2006 et qu’il saurait donc où la trouver si elle retournait dans ce pays.

[10]           Étant donné que la demande d’asile de Mme Navarro reposait entièrement sur son allégation selon laquelle M. Rodriguez tenterait de la retrouver au Guatemala, il était raisonnable que la Commission soit préoccupée par le fait que Mme Navarro n’a pas mentionné la visite de M. Rodriguez au Guatemala en 2006 (et le fait qu’il a ainsi appris où se trouvait le foyer familial au Guatemala) au port d’entrée ou dans son formulaire Fondement de la demande d’asile.

[11]           Lors de l’audience relative à sa demande d’asile qui a eu lieu en novembre 2014, Mme Navarro a déclaré qu’elle n’avait pas eu de contact personnel avec M. Rodriguez depuis août 2013 et qu’elle ignorait où il se trouvait. Elle a toutefois affirmé avoir appris, à la mi‑septembre 2014, que M. Rodriguez quittait la République dominicaine pour retourner aux États‑Unis et qu’il avait l’intention de faire un arrêt au Guatemala en chemin. Mme Navarro a ajouté que M. Rodriguez avait appelé sa mère à elle en septembre 2014 pour lui dire qu’il était au Guatemala et qu’il cherchait Mme Navarro. Au cours de cet appel, M. Rodriguez a menacé Mme Navarro et ses enfants et a dit à la mère de Mme Navarro qu’il savait comment la trouver.

[12]           La Commission a raisonnablement conclu que cet élément de preuve n’établissait pas que M. Rodriguez se trouvait effectivement au Guatemala lorsqu’il a fait cet appel. En effet, comme l’a souligné la Commission, l’appel aurait pu provenir de n’importe où. M. Rodriguez croyait vraisemblablement que Mme Navarro se trouvait chez sa mère en septembre 2014. Or, rien n’indique qu’il se soit effectivement rendu au domicile de cette dernière au cours de la période où il était apparemment au Guatemala. Rien ne porte à croire non plus que M. Rodriguez a été vu au Guatemala à cette époque, et le rapport de police produit par Mme Navarro à l’appui de sa demande d’asile ne fait qu’indiquer que M. Rodriguez avait informé la mère de Mme Navarro qu’il se trouvait au Guatemala : ce rapport ne fournit aucune preuve indépendante de ce fait.

[13]           De plus, la Commission ne disposait d’aucun élément de preuve selon lequel M. Rodriguez se trouvait au Guatemala au moment de l’audience ni qu’il s’y rendra un jour. Par ailleurs, comme l’a souligné la Commission, bien que Mme Navarro ait déclaré que M. Rodriguez avait menacé d’utiliser ses contacts contre elle, rien n’indique qu’il avait déjà procédé ainsi.

[14]           Après avoir tenu compte de tous ces facteurs, la Commission a conclu que le risque que posait M. Rodriguez relevait de la conjecture et que Mme Navarro n’avait pas établi qu’elle était exposée à un risque de préjudice à l’avenir aux mains de M. Rodriguez au Guatemala. La Commission pouvait raisonnablement tirer cette conclusion au vu du dossier dont elle disposait.

[15]           Cela ne signifie pas que les demandeurs qui sollicitent l’asile au motif qu’ils sont victimes de violence conjugale doivent nécessairement fournir la preuve du lieu où se trouve leur agresseur pour établir le fait qu’ils sont exposés à une sérieuse possibilité de persécution. Ils doivent toutefois fournir des éléments de preuve qui ne relèvent pas de la conjecture démontrant qu’ils sont exposés à plus qu’une simple possibilité de persécution dans leur pays de citoyenneté. La Commission a jugé que Mme Navarro ne s’était pas acquittée de cette obligation en l’espèce, et j’estime que cette conclusion est raisonnable.

[16]           La Commission a appliqué le bon critère juridique en ce qui concerne la persécution, et Mme Navarro n’a fait état d’aucun élément de preuve qui aurait été mal interprété par la Commission ou dont cette dernière n’aurait pas tenu compte. Essentiellement, elle demande plutôt à la Cour de soupeser de nouveau la preuve dont disposait la Commission et de tirer une conclusion différente à la lumière de cette preuve. Il ne s’agit pas là du rôle de la Cour dans le cadre de l’examen d’une demande de contrôle judiciaire.

[17]           Mme Navarro conteste également le fait que la Commission n’a pas évalué le degré de protection qu’offre l’État aux victimes de violence conjugale au Guatemala.

[18]           La Commission a reconnu que la violence conjugale envers les femmes constitue un problème grave au Guatemala. Cependant, la demande de Mme Navarro est fondée sur sa crainte d’une personne en particulier, à savoir M. Rodriguez, et non sur une crainte généralisée des conditions réservées aux femmes au Guatemala. Comme la Commission a conclu que Mme Navarro n’avait pas établi qu’il existait plus qu’une simple possibilité que M. Rodriguez tente de la retrouver au Guatemala, elle n’était pas tenue d’évaluer ensuite si la demanderesse aurait accès à une protection adéquate de la part de l’État dans ce pays.

III.             Conclusion

[19]           Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire est rejetée. Je conviens avec les parties que la présente affaire repose sur des faits qui lui sont propres et ne soulève aucune question à certifier.


JUGEMENT

LA COUR rejette la demande de contrôle judiciaire.

« Anne L. Mactavish »

Juge

Traduction certifiée conforme

Stéphanie Pagé, traductrice


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑8486‑14

 

INTITULÉ :

MARIA DEL ROSARIO NAVARRO LOPEZ ET SES ENFANTS À CHARGE, BRIAN RODRIGUEZ NAVARRO MARCO DAVID ORTIZ c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 10 SeptembrE 2015

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT :

LA JUGE MACTAVISH

 

DATE DES MOTIFS :

LE 17 SeptembrE 2015

 

COMPARUTIONS :

Richard Wazana

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Meva Motwani

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

WazanaLaw

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

 

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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