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Date : 20150924


Dossier : IMM-6379-14

Référence : 2015 CF 1110

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 24 septembre 2015

En présence de monsieur le juge O’Keefe

ENTRE :

MAHER DAWOUD et

ALI MOHAMMAD ALI DAWOUD

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

[1]               La Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission) a rejeté la demande d’asile des demandeurs. Ces derniers demandent à ce stade‑ci le contrôle judiciaire de cette décision, au titre du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la Loi).

[2]               Les demandeurs sollicitent une ordonnance annulant la décision défavorable et renvoyant l’affaire à un autre commissaire pour nouvelle décision.

I.                   Le contexte

[3]               Les demandeurs sont des Palestiniens qui résidaient en Cisjordanie. Ils étaient conjointement propriétaires d’une société nommée Kofi Net Everest, qui offrait des services Internet sans fil sécurisés à des fins de distribution auprès d’un ingénieur israélien nommé Ori Levy.

[4]               Les demandeurs ont rencontré M. Levy pour être payés et pour procéder à l’échange d’équipement dans une zone située entre la Palestine et Israël qui est adjacente à un poste de contrôle au nord de Qalqilya.

[5]               Le 3 février 2012, un véhicule s’est arrêté devant la société exploitée par les demandeurs; une personne en est alors sortie et a tiré un coup de feu en leur direction. Environ deux ou trois jours plus tard, les demandeurs ont trouvé des dépliants qui avaient été distribués autour d’une mosquée et qui les accusaient d’être des espions israéliens. Ils allèguent qu’ils ont été pris pour cible par un groupe militant nommé Cavaliers de la nuit.

[6]               Le 18 mai 2012, les demandeurs se sont rendus aux États‑Unis (les É.‑U.) au moyen de visas d’entrepreneurs. Ils ont communiqué avec un avocat canadien lors de leur séjour aux États‑Unis au sujet de l’obtention de la protection au Canada, parce qu’ils estimaient que les É.‑U. n’étaient pas un pays sécuritaire. Ils ont ensuite présenté une demande de visa canadien, mais cette demande a été rejetée.

[7]               Le 18 septembre 2012, les demandeurs sont entrés au Canada en traversant la frontière illégalement et ils ont présenté des demandes d’asile, dans lesquelles ils alléguaient qu’ils avaient été pris pour cible par un groupe militant en raison de leur lien avec M. Levy.

II.                La décision visée par la demande de contrôle judiciaire

[8]               Dans une décision datée du 14 août 2014, la Commission a rejeté la demande d’asile des demandeurs, en concluant qu’ils n’étaient pas des réfugiés au sens de la Convention ni des personnes à protéger au sens des articles 96 et 97 de la Loi.

[9]               La Commission a reconnu que les demandeurs d’asile étaient résidents de la Palestine et qu’ils y exploitaient une société informatique. Bien que la Commission ait fait remarquer que le témoignage des demandeurs était cohérent, elle a conclu que les éléments centraux de leur demande d’asile n’étaient pas crédibles. La Commission a appuyé sa conclusion sur les omissions et incompatibilités suivantes.

[10]           Tout d’abord, les demandeurs n’ont pas produit une preuve documentaire indépendante suffisante à propos du groupe militant Cavaliers de la nuit. La Commission a reconnu qu’il existe une présomption de véracité à l’égard de la déclaration solennelle d’un demandeur d’asile; cependant, elle a fait remarquer que la Cour d’appel fédérale, dans l’arrêt Adu c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1995] ACF no 114, 53 ACWS (3d) 158 (CAF) (Adu), a conclu que cette présomption peut être réfutée et qu’elle peut l’être par l’absence de preuves documentaires mentionnant un fait qu’on pourrait normalement s’attendre à y retrouver. En l’espèce, seule une page Facebook a été produite à l’appui, et les autres éléments de preuve documentaire ne renvoyaient pas à ce groupe militant.

[11]           Deuxièmement, les Formulaires de renseignements personnels (FRP) des demandeurs ne faisaient pas mention d’un certain nombre de détails clés du témoignage des demandeurs :

i.                    les appels reçus par le frère de Maher Dawoud sur son cellulaire, pour lui demander les allées et venues des demandeurs;

ii.                  la police palestinienne qui rend visite aux parents d’Ali Mohammed Ali Dawoud, pour leur poser des questions au sujet des allées et venues des demandeurs;

iii.                une consultation avec un aîné de la tribu (mokhtar), pour de l’assistance.

[12]           En l’espèce, les demandeurs ont expliqué qu’ils n’ont pas inclus ces renseignements dans les FRP, parce que personne ne leur avait posé ces questions. La Commission a conclu que cette explication n’était pas satisfaisante, étant donné que les instructions sur le FRP étaient sans équivoque quant au fait que tous les incidents et motifs qui ont conduit les demandeurs d’asile à demander l’asile doivent être inclus. La Commission a conclu, en s’appuyant sur la décision Castaneda c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 393, [2010] ACF no 437 (Castaneda), qu’il est raisonnable de tirer des inférences défavorables en matière de crédibilité en raison de l’absence de preuve corroborante et du manque d’explications crédibles et raisonnables quant à l’omission de produire cette preuve corroborante.

[13]           Troisièmement, la Commission a conclu que les demandeurs n’éprouvaient pas de crainte subjective, parce qu’ils avaient voyagé aux États‑Unis et qu’ils y étaient restés pendant quatre mois, mais qu’ils n’y avaient pas présenté de demande d’asile. Elle n’a pas souscrit à l’explication donnée par les demandeurs et elle a conclu que si les demandeurs s’étaient sauvés de leur pays parce qu’ils craignaient pour leur vie, il n’était pas raisonnable de leur part d’analyser les taux de criminalité aux États‑Unis et au Canada, deux pays très sécuritaires.

[14]           Quatrièmement, la Commission a fait remarquer que les demandeurs n’avaient pas produit de preuve corroborante, comme le prétendu rapport de police ou le dépliant distribué à la mosquée, et elle n’était pas convaincue par l’explication que les demandeurs ont donnée pour justifier l’omission de ces éléments de preuve.

[15]           Par conséquent, la Commission a rejeté les demandes d’asile des demandeurs.

III.             Les questions en litige

[16]           Les demandeurs soulèvent les questions en litige suivantes :

1.                  La Commission a‑t‑elle omis de dûment tenir compte de toute la preuve dont elle disposait lorsqu’elle a rejeté les demandes d’asile des demandeurs?

2.                  La Commission a‑t‑elle contrevenu à l’équité procédurale en fondant partiellement sa conclusion quant à la crédibilité des demandeurs sur l’absence de preuve se rapportant à l’agent de persécution, sans avoir préalablement avisé les demandeurs que la question serait en litige?

[17]           Le défendeur soulève la question suivante :

1.                  La décision était‑elle raisonnable?

2.                  Y a‑t‑il eu manquement à l’équité procédurale?

[18]           Je reformulerais les questions en litige de la manière suivante :

A.                Quelle est la norme de contrôle applicable?

B.                 La décision de la Commission était‑elle raisonnable?

C.                 La Commission a‑t‑elle contrevenu à l’équité procédurale?

IV.             Les observations écrites et le mémoire supplémentaire des demandeurs

[19]           Les demandeurs soutiennent que la première question en litige devrait être examinée selon la norme de la raisonnabilité (Lappen c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 434, [2008] ACF no 566, au paragraphe 13) et que la deuxième devrait l’être selon la norme de la décision correcte (Xiang c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 256, [2013] ACF no 281, au paragraphe 13).

[20]           Tout d’abord, les demandeurs soutiennent que la Commission a commis une erreur en n’effectuant pas une analyse distincte relativement à l’article 97. Ils prétendent que la Commission a omis de tenir compte de la preuve concernant l’interaction des demandeurs avec M. Levy. Elle n’a pas examiné la question de savoir si ces gestes seraient suffisants pour créer la perception qu’ils collaboraient avec les Israéliens. La Commission a omis de tenir compte de cet élément de preuve crédible. Ils prétendent qu’ils seraient considérés comme étant des [traduction« collaborateurs économiques ». Les demandeurs ont soutenu devant la Commission qu’ils seraient exposés à de la persécution fondée sur leur appartenance au groupe des « individus perçus comme des collaborateurs ». Ils ont produit des éléments de preuve sur le pays en appui à leur prétention. Cependant, la Commission a omis d’effectuer une analyse de la preuve après qu’elle eut reconnu l’existence de la relation de nature économique des demandeurs avec M. Levy. Il s’ensuit que, malgré les inférences défavorables en matière de crédibilité qui ont été dégagées par la Commission quant à d’autres aspects, elle a commis une erreur susceptible de contrôle.

[21]           Deuxièmement, les demandeurs font valoir que la conclusion de la Commission en ce qui concerne la crainte subjective était déraisonnable. Ils prétendent que le retard à présenter une demande d’asile ne devrait pas être un vice fatal à la demande en question lorsque le retard est appuyé par une explication raisonnable. En l’espèce, les demandeurs avaient un statut légal aux États-Unis et ils n’étaient pas dans une situation où ils devaient présenter une demande d’asile de toute urgence. De plus, le fait qu’ils veuillent chercher l’endroit le plus sécuritaire ou demander l’asile n’est pas invraisemblable. Les demandeurs soutiennent que, dans une situation où un demandeur d’asile n’a pas l’obligation de demander l’asile lorsqu’il est à l’extérieur du pays de persécution, du fait qu’il n’est pas exposé à la possibilité d’être contraint de retourner dans le pays en question, le fait de ne pas présenter une demande d’asile à la première occasion ne devrait pas être retenu contre lui (Abawaji c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1065, [2006] ACF no 1344, au paragraphe 16).

[22]           De plus, les demandeurs soutiennent que l’absence de crainte subjective n’aurait pas été pertinente dans le contexte d’un examen du risque au titre du paragraphe 97(1) de la Loi, examen dans le contexte duquel il faut établir si les demandeurs seraient perçus comme étant des collaborateurs d’Israël. En l’espèce, l’analyse devrait être prospective.

[23]           Troisièmement, les demandeurs soutiennent que la Commission a contrevenu à l’équité procédurale, parce que la case « agent de persécution » n’était pas cochée sur le formulaire de vérification. Ils prétendent que la Commission n’a pas identifié cette question comme étant en litige et qu’elle n’a pas soulevé cette préoccupation lors de l’instance. La Commission a uniquement posé la question de savoir s’il y avait d’autres éléments de preuve documentaire de nature indépendante. Les demandeurs prétendent que la Commission ne s’est pas acquittée de son obligation de leur donner avis que cet élément serait en litige à l’égard de leur demande d’asile (El-Bahisi c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] ACF no 2, 72 FTR 117, au paragraphe 6, (El-Bahisi), et Islas c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1994] ACF no 1901, 52 ACWS (3d) 393, au paragraphe 2 (Islas)). Ils soutiennent qu’il était déraisonnable de la part de la Commission de tenir pour acquis que chaque cellule, milice et faction seraient expressément désignée dans le cartable national de documentation (CND). Ils ont soulevé l’avertissement qui figure au début du CND, portant que le CND ne constitue pas et ne se veut pas un compte rendu exhaustif de la situation dans le pays visé.

[24]           En l’espèce, l’absence de mention dans la documentation sur le pays au sujet de l’agent de persécution est un élément essentiel à l’appui de l’inférence défavorable quant à la crédibilité qui a été tirée par la Commission. Par conséquent, la Commission a commis une erreur susceptible de contrôle. Les demandeurs font valoir « qu’une erreur déraisonnable occasionne une rupture du raisonnement et met en doute la Décision dans son ensemble » (Song c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 1321, 337 FTR 72, au paragraphe 52).

V.                Les observations écrites et le mémoire supplémentaire des défendeurs

[25]           Le défendeur soutient que la norme de contrôle applicable à l’examen effectué par la Commission à l’égard de la preuve et à la question de savoir si une analyse distincte était nécessaire en ce qui concerne l’article 97 est la norme de la raisonnabilité. La question relative à l’équité procédurale est examinée selon la norme de la décision correcte (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, [2009] 1 RCS 339, aux paragraphes 46, 59, 61 et 63 (Khosa), et Velez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 923, [2010] ACF no 1138, aux paragraphes 22 et 23 (Velez)).

[26]           Tout d’abord, le défendeur soutient que la décision de la Commission était raisonnable. Les inférences en matière de crédibilité sont « l’essentiel de la compétence de la Commission » (RKL c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CFPI 116, [2003] ACF no 162, au paragraphe 7 (RKL)). Bien que la Commission ait admis la preuve des demandeurs en ce qui concerne leur lien d’affaires avec M. Levy, elle n’a pas souscrit à leurs allégations en ce qui concerne le groupe militant et elle a tiré des inférences défavorables de leur omission de produire des documents à l’appui. Il s’agissait là des éléments centraux de la demande d’asile présentée par les demandeurs.

[27]           De plus, la Commission a agi raisonnablement en concluant que les demandeurs n’avaient pas de crainte subjective. En l’espèce, compte tenu de ses inférences défavorables en matière de la crédibilité, la Commission a examiné les circonstances et elle n’a pas accepté les explications données par les demandeurs pour expliquer leur attente de quatre mois avant de présenter une demande d’asile et leur défaut de présenter une demande d’asile aux É.‑U. Le défendeur prétend que les arguments des demandeurs en ce qui concerne le retard sont contradictoires. D’un côté, le motif donné par les demandeurs pour expliquer le retard était qu’ils estimaient que les É.‑U. n’étaient pas un pays sécuritaire, de sorte qu’ils voulaient présenter une demande d’asile au Canada; d’un autre côté, ils ont prétendu que leur retard était raisonnable, parce qu’ils étaient en sécurité aux É.‑U. De plus, le retard n’était que l’un des éléments ayant conduit aux inférences défavorables en matière de crédibilité qui avaient mené la Commission à sa conclusion selon laquelle les demandeurs n’avaient pas de crainte subjective.

[28]           Deuxièmement, le défendeur prétend qu’une analyse distincte relative à l’article 97 n’était pas nécessaire, parce que les conclusions en matière de crédibilité et les conclusions de fait qui avaient été tirées par la Commission permettaient à elles seules de trancher l’affaire. Il prétend que l’espèce est comparable à la décision Lopez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2014 CF 102, [2014] ACF no 123 (Lopez). Dans cette affaire, deux jeunes frères, qui avaient allégué être exposés à un risque de violence, ne s’étaient pas réclamé de la protection des É.‑U. La Cour a conclu qu’une analyse distincte relative à l’article 97 n’était pas nécessaire, parce que la preuve documentaire traitait uniquement du risque généralisé auquel étaient exposés certains jeunes hommes au Salvador, mais ne constituait pas une preuve objective et crédible d’un risque personnalisé auquel ils étaient exposés (aux paragraphes 41 à 46).

[29]           En l’espèce, les demandeurs ont établi qu’ils avaient une relation d’affaires avec M. Levy, mais ils n’ont pas réussi à établir qu’ils avaient déjà reçu quelque menace que ce soit ou qu’ils étaient exposés à un risque. Par conséquent, compte tenu de l’absence de preuve crédible portant que les demandeurs étaient perçus, par qui que ce soit, comme des collaborateurs, la Commission n’avait pas à effectuer une analyse distincte relative à l’article 97.

[30]           Troisièmement, le défendeur soutient que la Commission n’a pas contrevenu à l’équité procédurale. Il prétend que les conclusions de la Commission en ce qui concerne l’agent de persécution avaient trait à la crédibilité et à la crainte subjective, éléments qui étaient désignés dans le formulaire de vérification comme étant en litige. En l’espèce, la Commission a enjoint aux demandeurs de lui dire s’il y avait ou non davantage d’éléments de preuve corroborants en ce qui concerne les Cavaliers de la nuit au cours de l’audience. De plus, les demandeurs n’ont pas relevé quelque autre élément de preuve que ce soit qu’ils auraient produit dans l’éventualité où la question aurait été cochée sur le formulaire de vérification. Le défendeur prétend que, même avec une preuve supplémentaire indépendante, cela n’aurait pas eu d’incidence sur l’issue de la cause, parce que la Commission n’avait pas cru nombre d’éléments centraux de la demande d’asile des demandeurs. En l’espèce, les demandeurs demandent à la Cour de donner préséance à la forme plutôt qu’au fond. La crainte subjective et la crédibilité ont toutes les deux été cochées sur le formulaire de vérification et la discussion au sujet des Cavaliers de la nuit dans la décision portait principalement sur la question de la crédibilité de la crainte subjective des demandeurs à l’égard de ce groupe.

[31]           De plus, le défendeur prétend qu’il est possible d’effectuer une distinction entre les précédents El-Bahisi et Islas et la présente affaire. Dans ces deux cas, la Commission avait commis une erreur en se fondant sur le changement de la situation dans le pays d’origine des demandeurs d’asile, et ce, sans que la question soit soulevée à l’audience. Ce n’est pas le cas en l’espèce, parce que la Commission a demandé qu’on lui produise davantage de renseignements de nature documentaire au cours de l’audience et que les demandeurs ont omis de le faire.

[32]           Par conséquent, la décision de la Commission était raisonnable et elle ne contrevenait pas à l’équité procédurale.

VI.             Analyse et décision

A.                Question 1 : Quelle est la norme de contrôle applicable?

[33]           En ce qui concerne la norme de contrôle applicable à la décision de la Commission, je conviens avec les parties que c’est la norme de la raisonnabilité qui devrait s’appliquer. Les questions en litige concernant l’examen de la preuve par la Commission et la question de savoir si une analyse distincte relative à l’article 97 aurait dû être effectuée consistent en des questions de fait et des questions mixtes de fait et de droit. Elles appellent généralement l’application de la norme de la raisonnabilité (Velez, aux paragraphes 22 et 23). Cela signifie que je ne devrais pas intervenir si la décision est transparente, justifiable et intelligible et qu’elle appartient aux issues possibles acceptables (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190, au paragraphe 47). Comme l’a conclu la Cour suprême dans l’arrêt Khosa, aux paragraphes 59 et 61, la Cour qui procède selon la norme de contrôle de la raisonnabilité ne peut substituer ses propres conclusions qu’elle juge préférables et ne peut pas apprécier la preuve à nouveau.

[34]           En ce qui concerne la question en litige relative à l’équité procédurale, je conviens avec les parties que la norme de contrôle applicable est celle de la décision correcte. Cela signifie que je dois trancher la question de savoir si le processus adopté par le décideur répond au degré d’équité requis, et ce, dans toutes les circonstances (Khosa, au paragraphe 43).

B.                 Question 2 : La décision de la Commission était-elle raisonnable?

[35]           Je conclus que la décision de la Commission était raisonnable.

[36]           Tout d’abord, je conclus que les inférences tirées par la Commission en ce qui concerne la crédibilité étaient raisonnables.

[37]           Il est bien établi en droit que les inférences en matière de crédibilité sont « l’essentiel de la compétence de la Commission » (RKL, au paragraphe 7). En l’espèce, la Commission a conclu que les éléments centraux des demandes d’asile des demandeurs n’étaient pas crédibles, et ce, en se fondant sur les omissions et les incompatibilités. Elle n’était pas convaincue par l’explication donnée par les demandeurs à savoir pourquoi certains des éléments de preuve corroborants n’avaient pas été produits. Dans la décision Castaneda, la Cour avait conclu qu’il était raisonnable de tirer une inférence défavorable en matière de crédibilité en raison de l’absence de preuve corroborante et de l’absence d’explications raisonnables et crédibles pour expliquer l’omission de produire cette preuve.

[38]           En ce qui concerne le reste de l’argument des demandeurs, qui avait trait au CND et à l’agent de persécution, je suis d’avis que cela constitue un désaccord avec le poids qu’a attribué la Commission à la preuve documentaire. Il ne m’appartient pas de pondérer à nouveau la preuve lorsque je me prononce sur la raisonnabilité de la décision de la Commission. En l’espèce, je conclus que la Commission n’a pas agi de manière déraisonnable en préférant la preuve documentaire à la preuve tirée de Facebook produite par les demandeurs.

[39]           Dans l’arrêt Adu, la Cour d’appel fédérale a statué que la présomption de véracité de la preuve sous serment peut être réfutée par l’absence de preuves documentaires mentionnant un fait qu’on pourrait normalement s’attendre à y retrouver. Je conclus que la Commission a, à bon droit, conclu que le manque d’éléments de preuve documentaire corroborants au sujet de l’agent de persécution minait la crédibilité des demandeurs, puisqu’aucune mention n’était faite quant aux Cavaliers de la nuit. Par conséquent, les conclusions de la Commission quant à la crédibilité étaient raisonnables.

[40]           Deuxièmement, je conclus, compte tenu des inférences défavorables quant à la crédibilité, que la Commission n’a pas rendu une conclusion déraisonnable quant au fait que les demandeurs n’éprouvaient pas de crainte subjective.

[41]           Bien que le défaut de demander l’asile dans un autre pays n’est pas déterminant quant au manque de crainte subjective, il s’agit d’un facteur pertinent qui a aussi une incidence sur la crédibilité.

[42]           En l’espèce, la Commission n’était pas convaincue par la justification donnée par les demandeurs à savoir pourquoi ils avaient tardé à présenter leurs demandes d’asile. Selon son raisonnement, si les demandeurs se sauvaient parce qu’ils craignaient pour leur vie, ils n’auraient pas effectué une comparaison des taux de criminalité entre le Canada et les É.‑U. Il ne s’agissait pas là d’une analyse déraisonnable. De plus, le retard n’était que l’une des inférences défavorables en matière de crédibilité, lesquelles ont toutes contribué à la conclusion de la Commission selon laquelle les demandeurs n’avaient pas de crainte subjective. Il s’ensuit que la décision de la Commission relativement à l’absence de crainte subjective n’était pas déraisonnable.

[43]           Troisièmement, je conclus que la Commission n’a pas commis d’erreur en effectuant une analyse distincte quant à l’article 97.

[44]           Le défendeur invoque la décision Lopez, et j’y souscris. Dans cette affaire, madame la juge Catherine Kane a clairement conclu au paragraphe 46 que « les conclusions négatives tirées au sujet de la crédibilité sont suffisantes pour se passer d’une analyse fondée sur l’article 97 à moins qu’il n’existe des éléments de preuve indépendants et objectifs permettant de conclure que le demandeur serait exposé à un risque personnalisé ». Elle a expliqué au paragraphe 42 que la preuve documentaire étaye l’affirmation quant au risque généralisé, mais non quant au risque personnalisé, lequel est requis conformément au sous‑alinéa 97(1)b)(ii) de la Loi.

Les demandeurs se fondent sur des éléments de preuve documentaire suivant lesquels les jeunes Salvadoriens de sexe masculin vivant dans des quartiers contrôlés par les Maras sont exposés à des risques de violence de la part de gangs. Ces documents visent à démontrer le risque généralisé auquel sont exposés l’ensemble des jeunes Salvadoriens de sexe masculin dans les quartiers contrôlés par les Maras. Toutefois, c’est le risque personnalisé et non le risque généralisé qu’il convient d’analyser pour satisfaire aux exigences du sousalinéa 97(1)b)(ii) de la Loi.

[45]           Je conclus que la présente affaire est similaire aux faits dans la décision Lopez. En l’espèce, bien que les demandeurs aient produit des éléments de preuve sur la situation dans le pays à l’appui du fait qu’ils seraient exposés à un risque de persécution s’ils étaient perçus comme étant des collaborateurs économiques, cette preuve établissait l’existence d’un risque généralisé. Cependant, les demandeurs n’ont pas réussi à établir l’existence d’un risque personnalisé, parce que la preuve qu’ils ont produite quant à la fusillade et au contenu du dépliant n’a pas été acceptée.

[46]           En l’espèce, les demandeurs ont établi qu’ils avaient une relation d’affaires avec M. Levy; cependant, compte tenu des inférences défavorables de la Commission quant à la crédibilité, ils n’ont pas établi qu’ils avaient fait l’objet de quelque menace que ce soit ou qu’ils étaient exposés à quelque risque personnel. Il s’ensuit que je conclus que la Commission n’a pas commis d’erreur susceptible de contrôle en n’effectuant pas une analyse distincte quant à l’article 97.

C.                 Question 3 : La Commission a-t-elle contrevenu à l’équité procédurale?

[47]           Les demandeurs allèguent que la Commission a contrevenu à l’équité procédurale, parce que la case « agent de persécution » dans son formulaire de vérification n’était pas cochée. Le défendeur soutient que la prétention des demandeurs met l’accent sur la forme plutôt que sur le fond, parce que l’agent de persécution se rapportait aux questions relatives à la crédibilité et à la crainte subjective, lesquelles avaient été cochées comme étant en litige sur le formulaire de vérification.

[48]           Je souscris à la thèse du défendeur dans ce cas‑ci. Même si la Commission n’a pas coché la case « agent de persécution », elle a bel et bien soulevé la question de savoir s’il existait davantage d’éléments de preuve à l’appui concernant les Cavaliers de la nuit au cours de l’audience.

[49]           En ce qui a trait au fait que les demandeurs se fondent sur les décisions El-Bahisi et Islas, je conviens avec le défendeur qu’il est possible d’effectuer une distinction entre ces deux affaires et celle en l’espèce. Dans ces deux affaires, la Cour a conclu que la Commission avait contrevenu à l’équité procédurale, parce que sa décision reposait sur les changements de situation dans le pays d’origine des demandeurs d’asile, et ce, sans soulever cette question lors de l’audience. Cependant, dans la présente affaire, la Commission a demandé, au cours de l’audience, la production de renseignements documentaires supplémentaires concernant l’agent de persécution.

[50]           Selon moi, cette demande de renseignements, quoique succincte, fait en sorte que la Commission a respecté son obligation procédurale d’aviser les demandeurs. Par conséquent, je conclus que la Commission n’a pas contrevenu à l’équité procédurale.

[51]           Pour les motifs mentionnés ci‑dessus, je rejetterais la présente demande.

[52]           Aucune des parties n’a voulu soumettre une proposition de question grave de portée générale pour que je l’examine en vue de la certification.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

« John A. O’Keefe »

Juge

Traduction certifiée conforme

Maxime Deslippes


ANNEXE

Dispositions législatives pertinentes

Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27

72. (1) Le contrôle judiciaire par la Cour fédérale de toute mesure — décision, ordonnance, question ou affaire — prise dans le cadre de la présente loi est subordonné au dépôt d’une demande d’autorisation.

72. (1) Judicial review by the Federal Court with respect to any matter — a decision, determination or order made, a measure taken or a question raised — under this Act is commenced by making an application for leave to the Court.

96. A qualité de réfugié au sens de la Convention — le réfugié — la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

96. A Convention refugee is a person who, by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or

b) soit, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut, ni du fait de cette crainte, ne veut y retourner.

(b) not having a country of nationality, is outside the country of their former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, unwilling to return to that country.

97. (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

97. (1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au sens de l’article premier de la Convention contre la torture;

(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning of Article 1 of the Convention Against Torture; or

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :

(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

(i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,

(ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas,

(ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,

(iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes — sauf celles infligées au mépris des normes internationales — et inhérentes à celles-ci ou occasionnées par elles,

(iii) the risk is not inherent or incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards, and

(iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquate.

(iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care.

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-6379-14

 

INTITULÉ :

MAHER DAWOUD ET

ALI MOHAMMAD ALI DAWOUD c

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Vancouver (ColOmbiE-BRITANNIQUE)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 25 MarS 2015

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT :

lE JUGE O'KEEFE

 

DATE DES MOTIFS ET DU JUGEMENT :

LE 24 septembRe 2015

 

COMPARUTIONS :

Warren Puddicombe

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Darren McLeod

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Elgin, Cannon & Associates

Barristers and Solicitors

Vancouver (Colombie‑Britannique)

 

POUR LES DEMANDEURS

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Vancouver (Colombie‑Britannique)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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