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Date : 20150922


Dossier : T-2605-14

Référence : 2015 CF 1098

Montréal (Québec), le 22 septembre 2015

En présence de monsieur le juge Martineau

ENTRE :

REGIS JOSEPH NICOLAS CHARLEBOIS

demandeur

et

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire recherchant l’annulation de la décision du ministre des Transports [Ministre] de révoquer l’habilitation de sécurité du présent demandeur.

[2]               La décision contestée a été rendue sous l’autorité présumée de l’article 4.8 de la Loi sur l’aéronautique, LRC 1985, c A-2) [Loi], lequel prévoit :

4.8. Le ministre peut, pour l’application de la présente loi, accorder, refuser, suspendre ou annuler une habilitation de sécurité.

4.8. The Minister may, for the purposes of this Act, grant or refuse to grant a security clearance to any person or suspend or cancel a security clearance.

 

[3]               Le demandeur est technicien prévol mécanique. Dans le cadre de son travail à l’aéroport de Mirabel, il a accès à des zones règlementées. Il travaille pour la compagnie L-3 MAS depuis le 25 septembre 1997 et s’est vu octroyer une habilitation de sécurité valable au cours des onze dernières années. Le 29 novembre 2013, le demandeur a soumis une demande de renouvellement de son habilitation de sécurité. Des vérifications ont été effectuées auprès du Service canadien du renseignement de sécurité et de la Gendarmerie royale du Canada [GRC].

[4]               Par lettre du 2 juin 2014, le demandeur a été avisé par Transports Canada de la teneur des informations recueillies par les autorités policières soulevant certaines préoccupations quant aux liens du demandeur avec des personnes liées avec un groupe de motards criminalisé. En particulier, la lettre fait état de trois incidents d’intérêt :

•     Le 1er février 2011, trois sujets qui voyageaient à bord du véhicule du demandeur se sont rendus et ont accédé à un logement à Mont-Laurier où il y avait trafic de stupéfiants. Les policiers de la Sûreté du Québec ont saisi une somme de $1,350 d’un des sujets, mais aucun des sujets n’avait de stupéfiant en sa possession. Le demandeur n’était pas présent;

         Le 5 avril 2013, un policier de la sûreté municipale de Blainville a intercepté le véhicule du demandeur pour une infraction au code de la sécurité routière. Le demandeur était l’un des trois passagers;

•     Le 15 avril 2013, deux (sinon trois) sujets d’intérêt ont été identifiés par un policier de la Sûreté du Québec à Mont-Laurier alors qu’ils quittaient un restaurant à bord du véhicule du demandeur, qui n’était pas présent. Les sujets possèdent des antécédents criminels, y compris des associations avec le groupe des Hells Angels.

[5]               Le demandeur a été invité à faire part de ses commentaires et à fournir toute explication utile concernant ces informations. Dans une lettre du 16 juin 2014, son avocate a précisé que le demandeur avait, à quelques reprises, prêté son véhicule à son ancienne voisine. Elle écrit :

il semblerait que M. Charlebois ait laissé son véhicule en possession de Mme Lopez à chaque date que vous mentionnez dans votre lettre du 6 juin. Il nous a assuré qu’il était au travail lors de tous les incidents, incluant celui du 5 avril 2013. Il lui est d’ailleurs possible de vous fournir des preuves documentaires à cet effet advenant que vous les exigiez.

L’avocate indique aussi que le demandeur ignorait que la voisine en question était de quelque façon que ce soit associée au milieu criminel, et qu’il cesserait toute communication avec elle. Ces explications n’ont pas satisfait le Ministre (ou son délégué), d’où la présente demande de contrôle judiciaire.

[6]               Dans un premier temps, le demandeur fait valoir qu’il est en droit de savoir ce qu’il devait prouver et qu’on doit lui accorder une véritable possibilité de faire valoir son point de vue. Il souligne que, bien qu’il ait été informé des préoccupations soulevées par des vérifications effectuées auprès de la GRC, le Ministre ne lui a pas donné une véritable possibilité de réfuter les renseignements défavorables. Il reproche au Ministre de n’avoir accordé aucune crédibilité à la réponse de son avocate, alors qu’une norme d’équité procédurale plus exigeante s’applique en cas de non-renouvellement d’une habilitation de sécurité déjà existante (Lorenzen c Canada (Transport), 2014 CF 273 (CanLII) au para 19 [Lorenzen]; DiMartino c Canada (Ministre des Transports), 2005 CF 635 (CanLII) aux paras 22, 23, 24 et 33). Enfin, le demandeur dit avoir offert à Transports Canada de leur fournir une preuve de sa présence au travail le 5 avril 2013, sans que l’on ait donné suite à cette offre.

[7]               De son côté, le défendeur reconnaît qu’en cas de révocation ou de non-renouvellement d’une habilitation de sécurité, l’équité procédurale exige que le demandeur soit informé des préoccupations du Ministre et qu’il ait la possibilité de faire valoir son point de vue. Or, la possibilité de faire des représentations écrites satisfait aux exigences d’équité procédurale, y compris pour des décisions d’annulation d’une habilitation de sécurité déjà accordée (Lorenzen, au para 51; Rivet c Canada (Procureur général), 2007 CF 1175 (CanLII) au para 25). En l’espèce, le défendeur souligne que le demandeur a été informé des motifs pour lesquels son dossier était révisé. Le défendeur constate que la lettre de Transports Canada contenait des détails précis provenant du rapport reçu de la GRC, y compris les dates et les lieux des trois incidents cités. Le défendeur souligne qu’il incombait au demandeur de répondre d’une manière permettant de dissiper les doutes entretenus par les forces policières au sujet des associations du demandeur des personnes du crime organisé.

[8]               S’agissant du respect des principes d’équité procédurale, la norme de contrôle applicable est celle de la décision correcte (Russo c Canada (Transport, de l’Infrastructure et des Collectivités), 2011 CF 764 (CanLII) au para 22; Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12 (CanLII) au para 43). Il n’y a eu aucune violation à l’équité procédurale en l’espèce. Le demandeur a été informé des trois incidents qui préoccupaient Transports Canada. Des détails précis (lieux, dates, sujets identifiés et nature des soupçons de liens) ont été fournis dans la lettre de Transports Canada. Le demandeur a été invité à fournir ses explications ou de l’information additionnelle à ce sujet. De fait, le demandeur a fait valoir son point de vue, tandis que le Ministre n’avait aucune obligation d’inviter le demandeur à soumettre des représentations supplémentaires.

[9]               Dans un deuxième temps, le demandeur prétend qu’il a répondu à chacune des préoccupations exprimées dans la lettre du 2 juin 2014, et par conséquent, que la décision ministérielle est autrement déraisonnable. Le défendeur fait valoir au contraire que le décideur est doté d’une grande marge de discrétion en vertu de l’article 4.8 de la Loi, qu’il peut tenir compte de tout élément qu’il considère pertinent (Fontaine c Canada (Transports), 2007 CF 1160 (CanLII) au para 78), et qu’il revient exclusivement au Ministre de décider quel poids accorder aux différents éléments de la preuve devant lui.

[10]           Il incombait au demandeur de dissiper les doutes du délégué du Ministre – ce qu’il n’a pas fait à la satisfaction de ce dernier. Le demandeur conteste la conclusion du Ministre, qui est essentiellement d’ordre factuel. Or, la décision contestée m’apparaît raisonnable, de sorte que la présente demande doit échouer (Sylvester c Canada (Procureur général), 2013 CF 904 (CanLII) [Sylvester] au para 10; Clue c Canada (Procureur général), 2011 FC 323 (CanLII) au para 14). Il n’est pas contesté que l’automobile du demandeur a été utilisée par des sujets identifiés à un groupe de motards criminalisés (Hell’s Angels).

[11]           Rappelons que selon la preuve non contredite au dossier, le demandeur travaille à l’aéroport Mirabel, soit à un endroit représentant en intérêt certain pour le crime organisé. Le Ministre doit s’assurer que ces lieux ne servent pas à des activités d’organisations criminelles. La Politique sur le programme d’habilitation de sécurité en matière de transports [Politique] prévoit d’ailleurs :

Objectif

L'objectif de ce Programme est de prévenir l'entrée non contrôlée dans les zones réglementées d'un aéroport énuméré de toute personne :

1.   mêlée ou soupçonnée d'être mêlée à des activités relatives à une menace ou à des actes de violence graves commis contre les personnes ou les biens;

2.   membre ou soupçonnée d'être membre d'une organisation connue ou soupçonnée d'être mêlée à des activités de menace ou à des actes de violence graves commis contre les personnes ou les biens;

3.   soupçonnée d'être étroitement associée à une personne :

•     mêlée aux activités citées à l'alinéa (a);

•     membre d'une organisation citée à l'alinéa (b);

•     membre d'une organisation citée au paragraphe (e) ci-après.

4.   que le ministre croit, en s'appuyant sur les probabilités, être sujette ou susceptible d'être incitée à :

•     commettre un acte d'intervention illicite visant l'aviation civile;

         aider ou inciter toute autre personne à commettre un acte d'intervention illicite visant l'aviation civile.

5.   mêlée à une organisation criminelle ou soupçonnée d'être ou d'avoir été membre de celle-ci ou d'avoir pris part à des activités d'organisations criminelles, telles que définies aux paragraphes 467.1(1) et 467.11(1) du Code criminel du Canada;

6.   membre d'un groupe terroriste, tel que défini à l'article 83.01(1)(a) du Code criminel du Canada.

Le Programme est en place afin de déterminer si une personne présente un risque à la sûreté de l'aviation.

[12]           Comme précisé par le juge Russell dans l’affaire Lorenzen (para 31) :

La sécurité aérienne revêt une importance capitale et l’accès aux zones réglementées est un privilège et non un droit. Dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire, le ministre doit se guider sur la politique du PHST [Politique], qui n’exige pas la preuve qu’un acte illicite a été perpétré ou l’existence d’antécédents ou la croyance que l’intéressé commettra un acte quelconque. Elle exige simplement qu’eu égard aux circonstances, le ministre ait un motif raisonnable de croire, selon la prépondérance des probabilités, qu’une personne est sujette ou peut être incitée à commettre un acte.

[13]           En l’espèce, les raisons de la décision contestée sont claires et intelligibles. En l’absence de preuves objectives venant corroborer les dires du demandeur qu’il avait prêté son véhicule à une voisine ou qu’il était au travail, le décideur pouvait raisonnablement conclure que les explications du demandeur n’étaient pas suffisantes pour écarter les inférences tirées du rapport de la GRC. Il est clair que la décision contestée s’appuie sur la preuve au dossier, y compris les renseignements décrits dans la lettre du 2 juin 2014, la déclaration écrite fournie par l’avocate du demandeur (du 16 juin 2014), la recommandation de l’Organisme consultatif d’examen d’habilitation de sécurité en matière de transport et la Politique. Or, les trois incidents décrits dans la lettre du 2 juin 2014 sont de nature à soulever des préoccupations sérieuses au sujet du jugement, de la fiabilité et de la confiance du demandeur. Par conséquent, il n’était pas déraisonnable de considérer qu’à la lumière des informations présentées dans le rapport de la GRC, il y avait des raisons de croire, selon la prépondérance des probabilités, que le demandeur « [est] sujet ou susceptible d’être incité à commettre un acte d’intervention illicite visant l’aviation civile ou à aider ou encourager une personne à commettre un tel acte. »

[14]           Puisqu’aucune erreur révisable n’a été commise par le Ministre ou son délégué, la présente demande de contrôle judiciaire sera rejetée avec frais.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire du demandeur soit rejetée avec frais.

« Luc Martineau »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-2605-14

 

INTITULÉ :

REGIS JOSEPH NICOLAS CHARLEBOIS c PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal, Quebec

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 9 SEPTEMBRE 2015

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE MARTINEAU

 

DATE DES MOTIFS :

LE 22 septembre 2015

 

COMPARUTIONS :

Me Marie-Philippe Lavoie

 

Pour le demandeur

 

Me Michelle Kellam

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Me Marie-Philippe Lavoie

Avocate

Montréal (Québec)

 

Pour le demandeur

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

 

Pour le défendeur

 

 

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