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Date : 20150925


Dossier : IMM-7863-14

Référence : 2015 CF 1115

Ottawa (Ontario), le 25 septembre 2015

En présence de monsieur le juge Shore

ENTRE :

ASSITAN KEITA

partie demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

partie défenderesse

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Au préalable

[1]  Les tribunaux jouissent d’une présomption à l’effet qu’ils sont impartiaux, ce faisant, toute allégation de partialité doit être appuyée par des preuves concrètes et ne peut être soulevée à la légère (Panov c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2015 CF 716 au para 20 [Panov]; Arthur c Canada (Procureur Général), 2001 CAF 223, [2001] ACF 1091 au para 8 [Arthur]). C’est dans l’arrêt Committee for Justice and Liberty c Canada (Office national de l’énergie), [1978] 1 RCS 369 [Committee for Justice and Liberty], que la Cour Suprême a défini le critère applicable pour déterminer s’il y avait crainte partialité :

[40]  [L]a crainte de partialité doit être raisonnable et le fait d'une personne sensée et raisonnable qui se poserait elle-même la question et prendrait les renseignements nécessaires à ce sujet. [C]e critère consiste à se demander "à quelle conclusion en arriverait une personne bien renseignée qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et pratique.

Committee for Justice and Liberty, ci-dessus au para 40.

[2]  L’identité du demandeur d’asile est primordiale à toute demande d’asile et le défaut du demandeur d’établir, à la satisfaction de la Section de la protection des réfugiés [SPR], son identité permet donc à la SPR de tirer une conclusion défavorable quant à la crédibilité de ce dernier (Matingou-Testie c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2012 CF 389 au para 2 [Matingou-Testie]; article 106 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [LIPR]).

II.  Introduction

[3]  Il s’agit d’une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire en vertu du paragraphe 72(1) de la LIPR à l’encontre d’une décision de la SPR de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié [CISR], datée du 15 mai 2014, concluant que la demanderesse n’a pas la qualité de réfugiée ni celle de personne à protéger aux termes des articles 96 et 97 de la LIPR.

III.  Faits

[4]  La demanderesse, Assitan Keita, est une citoyenne du Mali, âgée de 21 ans, originaire du village de Sinzani. Sa famille est malinké, un groupe caste de la dynastie des Masseren.

[5]  Selon la demanderesse, son père a une emprise importante sur ses filles. Alors que la demanderesse n’avait que sept ans, son père l’a promise en mariage à un homme âgé qui avait déjà deux femmes comme épouses.

[6]  Alors qu’elle avait 13 ans, la demanderesse est tombée amoureuse d’un garçon d’origine griot, une caste inférieure au malinké. Lorsque son père a été mis au fait de cette relation, la demanderesse aurait été battue par son père à plusieurs reprises.

[7]  Afin de faciliter le mariage de la demanderesse avec l’homme âgé, la demanderesse ainsi que son père sont allés au Poste de police à Batala afin d’obtenir une Carte nationale d’identité pour la demanderesse.

[8]  La mère de la demanderesse, voulant aider sa fille à fuir le Mali, a fait une demande de visa au nom de la demanderesse en présentant de faux documents (billets d’avion, passeport et demande de fréquentation). La demanderesse a fui le Mali avec de faux documents le 2 avril 2012 et est arrivée au Canada le 3 avril 2012. Une demande d’asile a été déposée le 3 juin 2012.

IV.  Décision

[9]  La décision faisant l’objet de révision judiciaire est celle de la SPR, datée du 15 mai 2014, pour laquelle la SPR a refusé de reconnaître la demanderesse comme étant réfugiée ou personne à protéger aux termes des articles 96 et 97 de la LIPR, suite au fait que la SPR n’était pas satisfaite de l’identité de la demanderesse.

[10]  Lors de l’audience, la demanderesse a reconnu que le visa qu’elle avait obtenu ainsi que les billets d’avion présentés pour faire sa demande d’asile étaient des faux; par contre elle a témoigné sous serment que sa Carte nationale d’identité ainsi que son passeport – qui a été saisi par les services d’immigration lorsqu’elle a fait sa demande d’asile au Canada (Mémoire du demandeur, para 17) – sont authentiques. Seule sa Carte nationale d’identité a été présentée à l’audience afin de confirmer son identité.

[11]  Lors de l’audience, la SPR a soulevé plusieurs irrégularités quant à la Carte nationale d’identité : la date de délivrance avait été corrigée à la main; l’empreinte digitale de la demanderesse était manquante; et la demanderesse était décrite comme étant le « fils de ». La SPR n’a pas été satisfaite des justifications données par la demanderesse lors de l’audience à l’effet que l’empreinte digitale ne soit pas requise pour les mineurs et qu’il soit fréquent que des erreurs soient commises au Mali. N’étant pas satisfaite de l’identité de la demanderesse, la SPR n’a pas examiné le reste de la demande d’asile de la demanderesse.

V.  Points en litige

[12]  La Cour considère que la demande soulève les questions suivantes :

  • 1) Est-ce que la décision de la SPR à l’effet que la demanderesse n’ait pas prouvé son identité, selon la prépondérance des probabilités, est raisonnable?

  • 2) Est-ce que le commissaire de la SPR a manqué à son devoir d’impartialité?

VI.  Provisions législatives

[13]  Les dispositions législatives de la LIPR et des Règles de la Section de la protection des réfugiés, DORS/2012-256 [Règles] suivantes s’appliquent :

Définition de « réfugié »

Convention refugee

96. A qualité de réfugié au sens de la Convention — le réfugié — la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

96. A Convention refugee is a person who, by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or

b) soit, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.

(b) not having a country of nationality, is outside the country of their former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, unwilling to return to that country.

Personne à protéger

Person in need of protection

97. (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

97. (1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au sens de l’article premier de la Convention contre la torture;

(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning of Article 1 of the Convention Against Torture; or

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :

(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

  (i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

  (i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,

  (ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas,

  (ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,

  (iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes — sauf celles infligées au mépris des normes internationales — et inhérents à celles-ci ou occasionnés par elles,

  (iii) the risk is not inherent or incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards, and

  (iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.

  (iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care.

(2) A également qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et fait partie d’une catégorie de personnes auxquelles est reconnu par règlement le besoin de protection.

(2) A person in Canada who is a member of a class of persons prescribed by the regulations as being in need of protection is also a person in need of protection.

Crédibilité

Credibility

106. La Section de la protection des réfugiés prend en compte, s’agissant de crédibilité, le fait que, n’étant pas muni de papiers d’identité acceptables, le demandeur ne peut raisonnablement en justifier la raison et n’a pas pris les mesures voulues pour s’en procurer.

106. The Refugee Protection Division must take into account, with respect to the credibility of a claimant, whether the claimant possesses acceptable documentation establishing identity, and if not, whether they have provided a reasonable explanation for the lack of documentation or have taken reasonable steps to obtain the documentation.

Documents

Documents

11. Le demandeur d’asile transmet des documents acceptables qui permettent d’établir son identité et les autres éléments de sa demande d’asile. S’il ne peut le faire, il en donne la raison et indique quelles mesures il a prises pour se procurer de tels documents.

11. The claimant must provide acceptable documents establishing their identity and other elements of the claim. A claimant who does not provide acceptable documents must explain why they did not provide the documents and what steps they took to obtain them.

VII.  Position des parties

[14]  D’une part, la demanderesse argumente que la décision du commissaire à l’effet que la demanderesse n’ait pas été en mesure d’établir son identité est déraisonnable, sans fondement et arbitraire. Notamment, la demanderesse soutient que lors de son témoignage devant la SPR, elle avait donné des explications quant aux irrégularités soulevées par la SPR sur la Carte nationale d’identité. De plus, elle avait déclaré sous serment que la Carte nationale d’identité était authentique; et, elle a décrit les circonstances dans lesquelles elle avait obtenu la Carte nationale d’identité. La demanderesse argumente également que la SPR a ignoré d’autres documents fournis lors de l’audience et n’a pas tenu compte d’autres éléments de preuve soulevés lors du témoignage de cette dernière.

[15]  Subsidiairement, la demanderesse argumente que le commissaire de la SPR a mis en doute son impartialité en demandant à l’avocate de la demanderesse de prononcer à haute voix son « objection » lorsqu’elle a fait une intervention. Le commissaire a rejeté toutes les interventions de cette dernière; et, a rendu sa décision oralement immédiatement après que l’avocate de la demanderesse ait fait ses représentations. La demanderesse soutient que le commissaire doit avoir une conduite irréprochable et empreinte d’objectivité, ainsi qu’être courtois et poli (Hernandez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2010 CF 179 au para 44 [Hernandez]; Guemarche c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2004 CF 870). Selon la demanderesse, le commissaire a déjà fait l’objet de contrôle judiciaire dans la décision Saint-Eustache c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2012 CF 511 [Saint-Eustache]. Bien que la jurisprudence reconnaisse que les allégations de partialité doivent être soulevées à la première occasion, la demanderesse soutient que dans Munoz c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2012 CF 227, la Cour avait tout de même accordé le contrôle judiciaire pour motif de partialité.

[16]  D’autre part, le défendeur soutient que la question de l’identité est un élément fondamental à une demande d’asile et que si la SPR n’est pas convaincue, selon la prépondérance des probabilités, de l’identité de la demanderesse, il s’agit d’une lacune fatale pour le succès de la demande d’asile (Bhuiyan c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2003 CFPI 290 au para 10; Najam c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2004 CF 425 au para 16). Le défendeur soutient que la SPR possède selon sa juridiction une grande latitude quant à l’appréciation de la valeur probante des preuves concernant l’identité des demandeurs (Yogeswaran c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2001 CFPI 48; Yogorajah c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2002 CFPI 1318). Le défendeur énonce qu’étant donné les insuffisances matérielles remettant en cause la valeur probante de la Carte nationale d’identité, et le fait qu’aucune autre pièce d’identité digne de foi n’ait été présentée par la demanderesse, la décision du commissaire était raisonnable.

[17]  Quant à la question de la partialité, le défendeur allègue que de telles allégations doivent être appuyées par de la preuve sérieuse et étoffée (Arthur, ci-dessus aux pp 349-350). Le défendeur allègue donc que les allégations de la demanderesse ne sont pas supportées par la preuve; mais plutôt ne consistent qu’en de simples impressions et que le commissaire n’a fait que des remarques à l’avocate de la demanderesse sur la tenue et le bon déroulement de l’audience. La jurisprudence de cette Cour confirme clairement que la SPR peut rendre sa décision à l’audience si des délibérations supplémentaires ne sont pas nécessaires (Eslami c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] ACF No. 1007 (CF), confirmé en appel dans [2001] ACF No. 117 (CAF); Stapleton c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2006 CF 1320 au para 30 [Stapleton]).

VIII.  Norme de contrôle

[18]  Les questions d’identité et de crédibilité sont des questions de fait devant être révisées selon la norme de la décision raisonnable (Selvarasu v Canada (Citizenship and Immigration), 2015 FC 849; Diallo c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2014 CF 471; Aguebor c Canada (Ministre de l’Emploi et de l'Immigration), (1993), 160 NR 315 (CAF)). La décision de la SPR est raisonnable si elle est justifiable, transparente et intelligible et si la décision appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190 au para 47).

[19]  Autrement, la jurisprudence est constante à l’effet que des allégations de partialité d’un commissaire soulèvent des questions d’équité procédurale devant être traitées selon la norme de la décision correcte (Panov, ci-dessus; Saint-Eustache, ci-dessus).

IX.  Analyse

[20]  Il s’agit d’une révision judiciaire d’une décision prise par le même commissaire.

A.  Identité de Madame Keita

[21]  Le demandeur d’asile a le fardeau de démontrer, selon la prépondérance des probabilités, son identité en présentant les documents acceptables confirmant son identité (article 11 des Règles; Su c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2012 CF 743; Malambu c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2015 CF 763). L’identité du demandeur d’asile est primordiale à toute demande d’asile et le défaut du demandeur d’établir, à la satisfaction de la SPR, son identité permet donc à la SPR de tirer une conclusion défavorable quant à la crédibilité de ce dernier (Matingou-Testie, ci-dessus au para 2; article 106 de la LIPR). Lorsqu’elle tire des conclusions quant à l’identité du demandeur d’asile, la SPR doit tenir compte de l’ensemble de la preuve pertinente dont elle dispose concernant l’identité du demandeur (Yang c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2009 CF 681 au para 6). Il importe de rappeler que la question de l’identité du demandeur d’asile est au cœur même de l’expertise de la SPR, ce faisant, la Cour doit agir avec circonspection quant aux conclusions d’identité du demandeur d’asile de cette dernière (Toure c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2014 CF 1189 aux para 31-32; Rahal c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2012 CF 319 au para 48).

[22]  À l’audience, la demanderesse a avoué que seule la Carte nationale d’identité était authentique et que tous les autres documents au dossier étaient des faux.

[23]  Dès le début de l’audience, le commissaire a émis des doutes quant à la Carte nationale d’identité et a clairement énoncé les raisons pour lesquelles il croyait que la Carte nationale d’identité était falsifiée :

Et l’original de votre carte d’identité, ici on pourra constater la date de délivrance de la carte nationale d’identité a été modifiée, surchargée, d’une part. D’autre part, on se rend compte que votre vraie photo d’identité qui y figure a été agrafée pour (inaudible). Et enfin, cette carte d’identité est délivrée, signée par le commandant – commandant d’une brigade de recherche. On vous déclare comme étant fils de, au lieu de fille de; on vous déclare étant N-É au lieu de N-É-E.

(Rapport d’audience d’Assitan Keita, MB2-03291, 15 mai 2014 à la p 6)

[24]  Par la suite, le commissaire a interrogé la demanderesse pour chaque irrégularité afin de lui permettre de s’expliquer entièrement. Le commissaire a demandé à la demanderesse si elle avait d’autres documents qui pouvaient permettre de démontrer son identité, puisqu’il n’en était toujours pas convaincu. La demanderesse n’a pu fournir d’autres documents, avouant que seule la Carte nationale d’identité était authentique. La SPR n’a pas pris en considération le passeport de la demanderesse puisque la Carte nationale d’identité a servi pour obtenir ce passeport.

[25]  La décision de la SPR à l’effet que la demanderesse n’a pu établir son identité à la satisfaction de la SPR est donc raisonnable puisque la SPR a pris en considération l’ensemble de la preuve présentée lors de l’audience, le témoignage de la demanderesse ainsi que les explications fournies par cette dernière.

B.  Partialité du commissaire

[26]  Les tribunaux jouissent d’une présomption à l’effet qu’ils sont impartiaux, ce faisant, toute allégation de partialité doit être appuyée par des preuves concrètes et ne peut être soulevée à la légère (Panov, ci-dessus au para 20; Arthur, ci-dessus au para 8). C’est dans l’arrêt Committee for Justice and Liberty, ci-dessus au para 40, que la Cour Suprême a défini le critère applicable pour déterminer s’il y avait crainte de partialité :

[40]  [L]a crainte de partialité doit être raisonnable et le fait d'une personne sensée et raisonnable qui se poserait elle-même la question et prendrait les renseignements nécessaires à ce sujet. [C]e critère consiste à se demander "à quelle conclusion en arriverait une personne bien renseignée qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et pratique.

[27]  Rappelons que la personne qui allègue la crainte de partialité n’a qu’à démontrer selon la prépondérance des probabilités qu’il y a apparence de partialité (Panov, ci-dessus au para 19; Cipak c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2014 CF 453 au para 33). Cependant, lorsqu’une personne allègue l’apparence de partialité d’un commissaire, cette personne doit soulever cette crainte sans délai afin de permettre au décideur de se récuser, si nécessaire. Un défaut de se conformer à ce critère entraînera généralement une renonciation implicite au droit d’invoquer la partialité dans des instances ultérieures (Andrade c Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2015 CF 1007 au para 25; Jerome c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2011 CF 1419 au para 18 [Jerome].

[28]  Un cas très semblable au cas en l’espèce, où le demandeur soutenait l’apparence de partialité, a été rejeté puisque le demandeur n’avait pas soulevé l’argument de partialité à la première occasion (voir Jerome, ci-dessus au para 18). Néanmoins, la Cour va tout de même procéder à l’analyse de la partialité.

[29]  Le commissaire de la SPR joue un rôle prépondérant dans le système canadien d’octroi d’asile. Étant donné ce rôle prépondérant « la conduite des commissaires doit en tout temps être irréprochable et empreinte d’objectivité, d’autant plus qu’en pratique, c’est le plus souvent la seule occasion où les demandeurs d’asile auront la chance d’être entendus en personne » (Hernandez, ci-dessus au para 44).

[30]  Lors de l’audience devant la SPR, l’avocate de la demanderesse et le commissaire ont eu des échanges qui n’étaient pas toujours empreints d’harmonie (voir notamment les pp 19-22, 31-32, 51-53 et 55-56 du Rapport d’audience). Dans sa décision, le commissaire a fait des remarques spécifiquement envers le comportement de la demanderesse.

[7]  Le tribunal a invité le conseil de la demandeure à faire ses observations en fin d’audience. Toutes ses observations, au lieu de porter sur les éléments objectifs tirés de l’analyse de ce dossier, ont consisté à rappeler au commissaire qu’il n’était pas qualifié à analyser des documents, qu’il n’avait pas d’expertise judiciaire et qu’il n’était qu’un simple commissaire.

(Décision de la SPR, datée du 15 mai 2014, au para 7)

[31]  Suite aux circonstances et faits qui découlent du dossier, le commissaire a eu un comportement approprié et empreint d’objectivité envers la demanderesse. Son comportement envers la demanderesse était convenable. À la lecture du Rapport d’audience, le commissaire a d’abord demandé au conseil de soulever ses objections selon la forme prévue par la déontologie régissant la profession, auquel cas, le conseil a répondu à deux reprises « c’est la première fois qu’un commissaire me demande ça » (Rapport d’audience, p 21). De plus, le conseil a interrompu à plusieurs reprises le commissaire. Ensuite, lorsque le commissaire a refusé à deux reprises les objections du conseil de la demanderesse, cette dernière a ri de la décision du commissaire pour ensuite répondre « Quelle surprise » (Rapport d’audience, p 32). Par après, le conseil de la demanderesse a rappelé au commissaire lors de l’audience « vous n’avez aucune connaissance judiciaire » (Rapport d’audience, p 52). Finalement, lorsque le commissaire a rendu sa décision et énoncé que le conseil de la demanderesse avait eu des commentaires qui démontraient son « peu de considération qu’elle a à l’égard de la CISR », cette dernière a répondu que ce n’est pas envers la « CISR, monsieur; c’est vous » (Rapport d’audience, p 55).

[32]  Le comportement du commissaire de la SPR n’était pas de nature à faire naître une apparence de partialité. Cette Cour reconnait que bien qu’un commissaire n’ait pas un comportement idéal dans certaines circonstances, cela ne signifie pas qu’il était partial :

[19]  Je reconnais que la transcription montre qu'il y a eu des échanges incisifs entre le conseil du demandeur et la commissaire. Toutefois, ces échanges particuliers n'ont pas eu lieu entre la commissaire et le demandeur et ils se sont déroulés alors que l'audience était bien avancée. En aucun temps la commissaire n'a posé une question inappropriée au demandeur ou ne lui a fait une remarque négative. Compte tenu des échanges entre le conseil et la commissaire, je ne doute pas que toutes les personnes présentes dans la pièce aient été mal à l'aise. Toutefois, le fait que le demandeur puisse s'être senti mal à l'aise - ou même intimidé - ne signifie pas que la commissaire était partiale.

[22]  De plus, une personne bien renseignée comprendrait probablement que le conseil du demandeur doit être tenu en partie responsable des problèmes survenus au cours de l'audience. À au moins deux reprises avant la conférence qui a eu lieu au milieu de l'audience, la commissaire a demandé au conseil d'être plus respectueux : d'abord, après qu'il eut refusé d'arrêter de poser les mêmes questions comme la commissaire le lui demandait, puis après qu'il eut interrompu la commissaire alors que celle-ci tentait d'éclaircir un aspect de la preuve du demandeur (voir le DCT, aux pages 330 et 331, 346 et 347). La commissaire a clairement laissé la frustration que lui inspirait le conseil se refléter dans son langage corporel, son ton de voix et certaines de ses remarques, mais sa conduite, bien qu'elle ait peut-être été immodérée et regrettable, n'est pas de nature à faire naître une crainte raisonnable de partialité. [Je souligne.]

(Ramirez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2012 CF 809)

[33]  Quant à l’argument de la demanderesse à l’effet que le décideur avait préjugé avant même d’entendre la cause, ce dernier est sans fondement. Dans la mesure où le commissaire a pris en considération les allégations et la preuve au dossier, « la courte durée du délibéré d’un décideur [n’établit pas], en soi, que ce dernier était préjugé avant même d’entendre la preuve et les arguments de l’une ou l’autre des parties » (Blanco c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2010 CF 280 au para 11; Stapleton, ci-dessus au para 30).

X.  Conclusion

[34]  La Cour conclut que la décision de la SPR est raisonnable. Conséquemment, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire soit rejetée. Il n’y a aucune question d’importance à certifier.

« Michel M.J. Shore »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-7863-14

 

INTITULÉ :

ASSITAN KEITA c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 17 septembre 2015

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE SHORE

 

DATE DES MOTIFS :

LE 25 septembre 2015

 

COMPARUTIONS :

Stéphanie Valois

 

Pour la partie demanderesse

 

Lyne Prince

 

Pour la partie défenderesse

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Me Stéphanie Valois

Montréal (Québec)

 

Pour la partie demanderesse

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

 

Pour la partie défenderesse

 

 

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