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Date : 20150928


Dossier : T-2191-14

Référence : 2015 CF 1121

Montréal (Québec), le 28 septembre 2015

En présence de madame la juge St-Louis

ENTRE :

THIERNO CISSÉ

demandeur

et

SA MAJESTÉ LA REINE

défenderesse

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Introduction

[1]  Monsieur Thierno Cissé, le demandeur, intente une action en dommages à l’encontre de Sa Majesté la Reine, la défenderesse, alléguant que les préposés du ministère de la Citoyenneté et Immigration Canada [CIC] ont commis une faute en refusant de lui émettre le permis de travail ouvert qu’il a demandé. M. Cissé allègue avoir subi des dommages en lien avec ce refus et réclame à ce titre la somme de 15 millions de dollars.

[2]  La Cour conclut que M. Cissé n’a établi ni l’existence d’une faute de la part de la défenderesse, ni de dommages découlant d’une possible faute.

[3]  Lors de l’audience, M. Cissé a témoigné pour son propre compte tandis que madame Ruth Anne Weisman, spécialiste de programme sénior au sein de CIC a témoigné pour la défenderesse.

[4]  La Cour reprendra d’abord les allégations de chacune des parties et la preuve qu’elles ont déposée au soutien de ces allégations et examinera ensuite si M. Cissé s’est acquitté de son fardeau de preuve.

II.  Allégations des parties

[5]  Au printemps 2008, M. Cissé, citoyen du Sénégal, et la compagnie DMR Conseil, une division de Fujitsu Conseil (Canada) inc. [DMR Conseil] concluent un contrat d’emploi qui prévoit, notamment, que M. Cissé occupera le poste de conseiller en livraison de systèmes et qu’il entrera en fonction au Canada le 15 mai 2008, tel qu’il appert de la copie dudit contrat déposée par M. Cissé au titre de la pièce P-1.

[6]  M. Cissé témoigne à l’effet qu’il obtient d’abord un certificat d’acceptation du Québec [CAQ] sous l’égide du Programme des travailleurs des technologies de l’information et qu’il présente ensuite sa demande de visa de résident temporaire [VRT] et de permis de travail auprès des autorités d’immigration du Canada à Dakar au Sénégal. Le délai pour le traitement de cette demande s’avère plus long que celui annoncé de 45 jours pour ce genre de demande et, en janvier 2015, il obtient de DMR Conseil une confirmation que sa nouvelle date de début d’emploi sera plutôt le 19 janvier 2009 (pièce P-3). Le 22 décembre 2008, les autorités canadiennes émettent à M. Cissé le VRT et la lettre d’approbation de sa demande de permis de travail, permis qu’il recevra à son arrivée au Canada.

[7]  Le 29 janvier 2009, DMR Conseil informe M. Cissé par courriel que son contrat de travail est annulé, copie de ce courriel est déposée au titre de la pièce P-4. Lors de son témoignage, M. Cissé a confirmé qu’il était à Paris au moment de recevoir cette nouvelle, mais qu’il a alors néanmoins choisi de voyager au Canada.

[8]  Le 1er février 2009, M. Cissé arrive donc au Canada et reçoit un permis de travail valide jusqu’au 5 mai 2011, dont la copie est déposée à titre de pièce P-2. Ce permis de travail autorise M. Cissé à travailler exclusivement pour DMR Conseil au poste proposé et il confirme qu’il ne peut donc pas travailler pour un autre employeur que celui nommé sur son permis de travail sans obtenir au préalable un nouveau permis de travail, ce qui restreint considérablement ses options.

[9]  En octobre 2010, M. Cissé dépose une demande de permis de travail ouvert au Centre des traitements des demandes de CIC-Vegreville afin d’être autorisé à travailler pour un autre employeur que celui nommé sur le permis de travail qu’il détient. Lors de l’audience, M. Cissé indique avoir appuyé cette demande sur les dispositions de l’article 208 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 [RIPR], reproduit en annexe. À ce sujet et en réponse à une question de la Cour, il confirme ne pas être ou avoir été titulaire d’un permis de séjour pour résident.

[10]  Vers le mois de février 2011, M. Cissé contacte le télécentre de CIC pour obtenir des nouvelles de sa demande et apprend alors qu’elle a été refusée le 10 janvier 2011. Il indique au préposé ne pas avoir reçu la lettre énonçant ce refus et il confirme son adresse pour un nouvel envoi. Bref, M. Cissé confirme avoir finalement reçu la lettre de refus au mois de mars 2011, lettre qui indique que sa demande de permis de travail est refusée puisqu’aucune nouvelle étude d’impact sur le marché du travail favorable n’avait au préalable été émise. Copie de cette lettre est déposée sous la cote P-6.

[11]  M. Cissé allègue avoir contacté de nouveau le télécentre de CIC et qu’un préposé lui aurait indiqué qu’il n’existe aucun recours pour contester ce refus.

[12]  M. Cissé témoigne à l’effet qu’il continue à chercher du travail suite au refus, qu’il demeure au Canada après l’expiration de son permis de travail en mai 2011 et que le 24 février 2012, il revendique le statut de réfugié dans le but d’obtenir un permis de travail ouvert. En septembre 2013, lors de l’audience de sa demande de statut de réfugié par la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié, M. Cissé reçoit des documents, dont un qu’il affirme être à l’origine du refus de CIC de lui émettre le permis de travail ouvert demandé en octobre 2010.

[13]  Selon M. Cissé, ce document, un extrait des notes informatiques CAIPS de CIC (pièce P‑9) confirmerait que DMR Conseil a transmis des informations erronées à CIC, qui les aurait ensuite utilisées pour lui refuser le permis de travail ouvert qu’il sollicitait en octobre 2010. La phrase sur laquelle M. Cissé appuie ses prétentions se lit ainsi : « La date initiale de son entre(sic) en fonction chez DMR tait(sic) le 15 mai 2008 ».

[14]  M. Cissé soutient qu’il satisfaisait les exigences de l’article 208 du RIPR précité pour recevoir un tel permis de travail, mais que les préposés de CIC le lui ont refusé sans justification, sur la base des informations contenues à la pièce P-9 précitée, commettant ainsi une faute.

[15]  La défenderesse a appelé Mme Ruth Anne Weisman, comme témoin. En substance, Mme Weisman a déposé en preuve des copies d’extrait du dossier informatisé de M. Cissé confirmant des informations telles les dates et le type des demandes présentées par M. Cissé. Elle a confirmé que M. Cissé a présenté une demande de permis de travail ouvert et que cette demande a été refusée par CIC parce qu’il ne satisfaisait pas aux critères du RIPR. Elle confirme que M. Cissé n’est pas titulaire d’un permis de séjour temporaire, qu’il a présenté une demande de statut de réfugié en mars 2012 et qu’il a ensuite reçu trois (3) permis de travail ouverts, soit un en 2012, un en 2013 et un en 2014.

III.  Questions en litige

[16]  La Cour doit déterminer si M. Cissé a établi (1) l’existence d’une faute de nature à engager la responsabilité civile de la défenderesse, (2) les dommages qu’il déclare avoir subis et (3) que les dommages établis ont été causés par la faute de la défenderesse.


IV.  Position des parties

A.  Position de M. Cissé

[17]  M. Cissé soutient que la défenderesse a commis une faute en refusant sa demande de permis de travail ouvert. Il soulève particulièrement trois arguments.

[18]  M. Cissé soutient premièrement que la défenderesse aurait dû lui accorder un permis de travail ouvert lorsqu’il en a fait la demande en octobre 2010 puisque d’une part, il pouvait demander un permis de travail au Canada et que d’autre part, il satisfaisait aux exigences prévues à l’article 208 du RIPR pour son émission. À cet égard, M. Cissé soutient que le fait de détenir un permis de travail et un VRT au moment de sa demande de permis de travail ouvert l’exemptait de l’exigence de détenir un permis de séjour temporaire. Ainsi, CIC a fondé son refus sur des renseignements personnels erronés que DMR Conseil lui a fournis par le biais de l’information contenue à la pièce P-9.

[19]  M. Cissé soutient deuxièmement que la défenderesse l’a erronément informé qu’il n’existait aucun recours possible à l’encontre du refus de sa demande du permis de travail ouvert.

[20]  Troisièmement, M. Cissé soutient que la défenderesse a délibérément violé ses droits fondamentaux en envoyant la lettre du refus de la demande de permis de travail ouvert à la mauvaise adresse, lui causant ainsi une angoisse morale éprouvante.

[21]  M. Cissé a tenté de soulever des arguments relatifs à la Charte canadienne des droits et libertés, à la Charte des droits et libertés de la personne du Québec et au Code des droits de la personne de l’Ontario, mais puisque les procédures pour soulever de tels arguments n’ont pas été respectées, la défenderesse s’est objectée. Ayant pris cette objection sous réserve, je l’accueille pour les motifs invoqués par la défenderesse.

B.  Position de la défenderesse

[22]  La défenderesse soutient de façon générale que ses préposés n’ont commis aucune faute dans le refus de la demande de permis de travail ouvert présentée par M. Cissé en 2010, que le préjudice allégué par ce dernier ne lui est pas imputable et qu’au surplus, M. Cissé n’a présenté aucune preuve d’un quelconque dommage.

[23]  La défenderesse soutient que M. Cissé n’a aucun droit acquis à l’obtention d’un permis de travail ouvert, qu’il s’agit au contraire d’un privilège et qu’il devait, pour obtenir un permis de travail ouvert, démontrer à la satisfaction d’un agent d’immigration, qu’il satisfaisait aux exigences règlementaires, ceci conformément à ce qui est prévu à l’article 11 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [ Loi], ce qu’il n’a pas fait.

[24]  La défenderesse soutient que M. Cissé a choisi de venir au Canada en sachant qu’il n’avait plus d’emploi et qu’il lui appartenait de se renseigner sur ses droits suite au refus de sa demande de permis de travail ouvert.


V.  Analyse

[25]  M. Cissé s’appuie sur l’article 199 du RIPR pour soutenir qu’il pouvait présenter une demande pour un nouveau permis de travail au Centre de traitement des demandes de CIC-Vegreville au mois d’octobre 2010 puisqu’il était alors titulaire d’un permis de travail. La Cour est d’accord avec cette affirmation.

[26]  M. Cissé s’appuie ensuite sur l’article 208 du RIPR pour soutenir qu’il aurait dû recevoir le permis de travail ouvert qu’il a demandé en octobre 2010 et que la défenderesse a commis une faute en ne l’émettant pas. La Cour ne peut souscrire à cette position.

[27]  L’article 208 est situé dans la Partie 11 du RIPR qui traite des travailleurs, plus précisément, dans la section 3, celle liée à la délivrance du permis de travail, et il porte le titre « motifs humanitaires ».

[28]  L’article 208b) du RIPR prévoit qu’ « un permis de travail peut être délivré à un étranger au Canada […] si celui-ci ne peut subvenir à ses besoins autrement qu’en travaillant [s’il] est titulaire, aux termes du paragraphe 24(1) de la Loi, d’un permis de séjour temporaire qui est valide pour au moins six mois » [nos soulignements].

[29]  Or, la preuve révèle que M. Cissé ne détenait pas un permis de séjour temporaire au moment de cette demande de permis de travail ouvert en octobre 2010, mais qu’il détenait alors un permis de travail et un VRT.

[30]  Il ne se qualifiait donc pas pour l’émission d’un permis de travail ouvert sous l’égide de l’article 208 du RIPR.

[31]  De plus, bien que M. Cissé n’ait pas invoqué l’article 206 du RIPR lors de l’audience, ses actes de procédures peuvent supposer qu’il l’invoque aussi pour soutenir son droit à l’émission du permis de travail ouvert demandé en octobre 2010. Or, il est clair que M. Cissé n’était alors pas visé par l’article 206 du RIPR puisqu’il n’avait alors pas encore déposé de demande de statut de réfugié. Il a d’ailleurs obtenu des permis de travail ouverts sous cet article après le dépôt de sa demande de statut de réfugié.

[32]  Ainsi, la Cour est satisfaite que M. Cissé ne satisfaisait pas aux exigences règlementaires qui lui auraient permis d’obtenir un permis de travail ouvert en octobre 2010 et que les préposés de CIC n’ont commis aucune faute en le lui refusant. Ainsi, aucune faute n’a été commise par la défenderesse de nature à engager sa responsabilité civile.

[33]  Au surplus, M. Cissé n’a présenté aucune preuve en lien avec les dommages qu’il allègue avoir subis.

 


JUGEMENT

LA COUR STATUE que l’action est rejetée avec dépens en faveur de la défenderesse.

« Martine St-Louis »

Juge


ANNEXE

Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227

208. Un permis de travail peut être délivré à l’étranger au Canada en vertu de l’article 200 si celui-ci ne peut subvenir à ses besoins autrement qu’en travaillant et si, selon le cas :

a) l’étranger est titulaire d’un permis d’études et est temporairement dépourvu de ressources en raison de circonstances indépendantes de sa volonté et de celle de toute personne dont il dépend pour le soutien financier nécessaire à l’achèvement de ses études;

b) il est titulaire, aux termes du paragraphe 24(1) de la Loi, d’un permis de séjour temporaire qui est valide pour au moins six mois.

Immigration and Refugee Protection Regulations, SOR/2002-227

208. A work permit may be issued under section 200 to a foreign national in Canada who cannot support themself without working, if the foreign national

(a) holds a study permit and has become temporarily destitute through circumstances beyond their control and beyond the control of any person on whom that person is dependent for the financial support to complete their term of study; or

(b) holds a temporary resident permit issued under subsection 24(1) of the Act that is valid for at least six months.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-2191-14

INTITULÉ :

THIERNO CISSÉ c SA MAJESTÉ LA REINE

LIEU DE L’AUDIENCE :

Ottawa (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 15 septembre 2015

JUGEMENT ET MOTIFS:

LA JUGE ST-LOUIS

DATE DES MOTIFS :

LE 28 septembre 2015

COMPARUTIONS :

Thierno Cissé

pour le demandeur

(POUR SON PROPRE COMPTE)

Émilie Tremblay

pour lA défendeRESSE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

pour lA défendeRESSE

 

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