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Date : 20151006


Dossier : IMM‑7286‑14

Référence : 2015 CF 1138

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 6 octobre 2015

En présence de monsieur le juge Southcott

ENTRE :

FU QIANG YU

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision en date du 2 octobre 2014 par laquelle la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié [la Commission] a refusé de reconnaître au demandeur la qualité de réfugié au sens de l’article 96 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2011, c 27 [la LIPR] ou celle de personne à protéger au sens de l’article 97 de la LIPR.

[2]               Pour les motifs qui suivent, la présente demande est accueillie.

I.                   Contexte

[3]               Le demandeur est un citoyen de la Chine. Il prétend qu’il est né au sein d’une famille catholique romaine et qu’il a été baptisé en 1989 à l’âge d’un an. Il a suivi neuf années d’enseignement scolaire en Chine et a étudié l’anglais au Canada pendant environ trois ans.

[4]               En mai 2010, le demandeur a recruté son ami Ming au sein de la maison‑église de ses parents en Chine. En septembre 2010, le demandeur et Ming ont créé leur propre maison‑église. Ils ont formé un groupe de jeunes et ils se rassemblaient chez Ming.

[5]               Le demandeur prétend que, le 19 juin 2011, le Bureau de la sécurité publique [le BSP] a effectué une descente lors d’un rassemblement tenu dans sa maison‑église. Il s’est enfui et s’est caché chez un ami de sa mère. Le 22 juin 2011, le demandeur a appris que des représentants du BSP s’étaient présentés chez lui, qu’ils le recherchaient et qu’ils avaient laissé à ses parents une citation à comparaître dans laquelle il était accusé d’agir comme chef d’une maison‑église illégale. Il a également appris que Ming et un autre membre de son église avaient été arrêtés le 19 juin 2011.

[6]               Le demandeur s’est enfui de la Chine le 1er août 2011 avec l’aide d’un passeur. Il s’est rendu au Japon et aux États‑Unis avant d’entrer au Canada le 15 août 2011. Il a demandé l’asile au Canada le 15 septembre 2011. Depuis qu’il s’est enfui de la Chine, le demandeur a appris que le BSP était toujours à sa recherche et que Ming et l’autre membre de son église étaient toujours détenus.

II.                La décision contestée

[7]               La question qui a joué un rôle déterminant dans la décision de la Commission est la crédibilité des prétentions du demandeur quant à son appartenance et à ses activités au sein d’organisations religieuses en Chine et au Canada et quant aux recherches effectuées par les agents du BSP en vue de le retrouver. La Commission a conclu que le demandeur n’était pas présentement recherché en vue d’être arrêté par le BSP du fait de ses activités religieuses et a estimé que, s’il devait retourner en Chine, il n’y avait pas de possibilité sérieuse qu’il soit persécuté. Voici un résumé des conclusions de la Commission.

A.                 Allégation concernant des sœurs se cachant chez le demandeur

[8]               La Commission a tiré une conclusion défavorable du fait que le demandeur ne s’était pas renseigné au sujet de la situation de trois religieuses qui auraient habité avec lui en Chine alors qu’il fuyait le BSP compte tenu du fait qu’il se serait retrouvé avec l’une d’entre elles au Canada.

B.                 Création de sa propre maison‑église

[9]               Dans son témoignage, le demandeur avait déclaré qu’il avait créé sa propre maison‑église à la suggestion d’un prêtre. Ce fait n’était pas mentionné dans l’exposé circonstancié de son Formulaire de renseignements personnels (FRP). La Commission a estimé que cette omission était importante compte tenu du fait que les présumés problèmes du demandeur découlaient de la création et des activités de son église.

C.                 Descente du BSP

[10]           La Commission a fait observer que, dans son exposé circonstancié et dans son témoignage, le demandeur avait donné peu de détails au sujet de la descente du BSP. La Commission a déclaré qu’il serait raisonnable de s’attendre à un compte rendu plus détaillé et réaliste de l’incident qui avait incité le demandeur à quitter son pays d’origine. Son omission et son incapacité de le faire minaient encore plus sa crédibilité.

D.                Visites du BSP au domicile du demandeur

[11]           La Commission a fait observer que les documents relatifs à la situation en Chine démontraient que la citation à comparaître – qui aurait été délivrée au demandeur – est le document sur la foi duquel le mandat ultérieur aurait été délivré. Bien que cette politique ne soit pas toujours appliquée, et bien qu’elle ait reconnu que la preuve documentaire était partagée, la Commission a estimé qu’il était raisonnable de penser qu’un mandat d’arrestation aurait été lancé contre le demandeur, vu ses allégations quant à l’intérêt que le BSP lui portait.

[12]           La Commission a également tiré une conclusion défavorable de l’absence de mandat et du fait que les membres de la famille du demandeur avaient pu continuer leur vie normalement, sans être inquiétés par le BSP, et ce, malgré le fait que le BSP s’intéressait au demandeur.

E.                 Documents à l’appui

[13]           Le demandeur n’a entrepris aucune démarche pour obtenir des documents visant à corroborer ses allégations quant à l’arrestation de Ming ou des autres membres. Il était conscient du fait que de tels documents étaient nécessaires étant donné que la Commission lui avait expressément demandé de les obtenir. Cette absence de pièces documentaires à l’appui mine la crédibilité du demandeur.

F.                 Récit de la descente et des arrestations

[14]           Le demandeur ignorait si la découverte de sa maison‑église et de son arrestation avait fait l’objet d’un rapport. Estimant qu’il aurait été raisonnable de s’attendre à ce que ces renseignements fassent l’objet d’un rapport, la Commission a tiré une conclusion défavorable du fait que le demandeur n’avait fait aucun effort pour tenter d’obtenir ces renseignements.

G.                Déplacement au Canada

[15]           Le demandeur a expliqué qu’il s’était rendu au Canada au moyen d’un passeport chinois obtenu irrégulièrement qui indiquait son vrai nom et d’un passeport japonais qui n’était pas authentique. À la question visant à savoir comment il avait pu quitter la Chine s’il était recherché par le BSP, le demandeur d’asile a expliqué que le passeur avait tout arrangé. La Commission, citant des éléments de preuve documentaire portant sur les départs de la Chine, a déclaré qu’il semblait peu probable que le demandeur aurait été en mesure de quitter la Chine sans être détecté, compte tenu du fait qu’il avait probablement utilisé un passeport chinois portant son véritable nom.

H.                Défaut de demander l’asile aux États‑Unis

[16]           Interrogé quant à savoir pourquoi il n’avait pas demandé l’asile aux États‑Unis, le demandeur a déclaré que le passeur lui avait dit que le système d’asile canadien était plus accueillant et respectueux envers les réfugiés. La Commission a déclaré qu’elle ne disposait d’aucun élément de preuve crédible permettant de penser que la demande d’asile du demandeur n’aurait pas été examinée attentivement si elle avait été présentée aux États‑Unis. La Commission a conclu que le défaut du demandeur de demander l’asile aux États‑Unis témoignait de son absence de crainte subjective.

I.                    Pratique religieuse au Canada

[17]           La Commission a accordé peu de poids à la lettre émanant de la Chinese Martyrs Catholic Church présentée à l’appui de la demande d’asile du demandeur. Rien dans cette lettre ne permettait de savoir comment son auteur était au courant des affirmations relatives aux antécédents religieux du demandeur et était en mesure de les confirmer. Compte tenu des autres conclusions tirées au sujet de la crédibilité, la Commission a estimé que le demandeur n’était pas un véritable membre de l’Église catholique, ou de toute autre église chrétienne, et qu’il était devenu membre d’une église canadienne uniquement pour appuyer une demande d’asile frauduleuse.

J.                   Lettres et citation à comparaître

[18]           La Commission n’a accordé aucune valeur aux lettres que le demandeur a produites pour attester ses activités religieuses en Chine ainsi qu’à la citation à comparaître qu’aurait délivrée le BSP. Compte tenu des réserves qu’elle avait exprimées au sujet de la crédibilité, la Commission a déclaré qu’elle n’était pas convaincue que les lettres et la citation à comparaître étaient authentiques et que les renseignements qu’elles contenaient étaient exacts. La Commission s’est fondée sur le jugement Gomez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 859 [Gomez] pour déclarer que la corroboration ne rend pas crédible une histoire qui ne l’est pas.

III.             Questions en litige et norme de contrôle

[19]           Le demandeur soumet les questions suivantes à l’examen de la Cour :

A.    La Commission a‑t‑elle commis une erreur de droit et s’est‑elle fondée sur des présumées incohérences banales de son témoignage en ce qui concerne la création de l’église‑maison du demandeur?

B.     La Commission a‑t‑elle commis une erreur en interprétant mal la preuve et en se livrant à un raisonnement spéculatif sur des aspects cruciaux de la demande d’asile du demandeur?

C.     La Commission a‑t‑elle mal interprété les documents à l’appui fournis par le demandeur?

D.    L’analyse que la Commission a faite de l’identité religieuse du demandeur était‑elle déraisonnable?

La norme de contrôle applicable à l’évaluation de la décision de l’agent est celle de la décision raisonnable (Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47). Cette norme s’applique également à l’examen des conclusions tirées au sujet de la crédibilité (Uygur c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration)), 2013 CF 752. J’estime que la question que la Cour est appelée à trancher en l’espèce est celle de savoir si la décision est raisonnable.

IV.             Arguments des parties

A.                 Thèse du demandeur

[20]           Le demandeur soutient que la Commission a commis une erreur de droit et s’est fondée sur de présumées incohérences banales qu’elle avait relevées dans son témoignage en ce qui concerne la création de sa maison‑église. La Commission a commis une erreur en concluant que la suggestion du prêtre constituait une « allégation importante ». Il s’agissait d’un détail insignifiant de la demande d’asile et une précision relative à son FRP qu’il avait donnée dans son témoignage.

[21]           Le demandeur soutient également que le témoignage qu’il a donné au sujet des religieuses n’était pas crucial en ce qui concerne sa demande d’asile. La Commission s’est livrée à une analyse spéculative en ce qui concerne la raison qui avait poussé les religieuses à revenir.

[22]           En ce qui concerne l’absence de mandat d’arrestation, le Cartable national de documentation dont disposait la Commission renfermait de nombreux exemples qui indiquaient que le BSP ne se conformait pas à la procédure criminelle chinoise et que les normes appliquées en ce qui concerne le maintien de l’ordre n’étaient pas du tout uniformes. Le demandeur fait valoir que la conclusion tirée par la Commission au sujet de la façon dont le BSP a traité sa famille reposait également sur des spéculations et n’était pas fondée sur la preuve.

[23]           Au sujet de ses hésitations à demander l’asile aux États‑Unis, le demandeur affirme qu’il était logique qu’il ne mette pas en doute les directives que lui avait données le passeur et qu’il présente sa demande d’asile dans un pays qui serait moins « indulgent » ou accommodant que le Canada, augmentant ainsi ses risques de devoir retourner en Chine.

[24]           Le demandeur soutient que la Commission a commis une erreur en n’accordant pas de poids aux documents à l’appui qu’il avait soumis en raison des conclusions qu’elle avait déjà tirées au sujet de sa crédibilité. La Commission avait l’obligation de tenir compte de la preuve indépendamment des conclusions qu’elle avait déjà tirées. Le demandeur signale également que les documents censés avoir été délivrés par une administration étrangère sont présumés faire preuve de leur contenu à moins qu’il y ait des raisons valables de les rejeter (Cao c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 694 [Cao], au paragraphe 15).

[25]           Le demandeur affirme que la conclusion défavorable tirée par la Commission au sujet de son omission d’obtenir des documents concernant son ami qui fréquentait la même église que lui était déraisonnable. Rien ne permet de penser que le demandeur était au courant de ces documents. De plus, le demandeur avait déjà fourni des documents corroborants, à savoir la citation à comparaître et les lettres attestant ses activités religieuses auxquels la Commission n’a accordé aucune valeur. La thèse du demandeur est qu’il est absurde de la part de la Commission d’attacher une telle importance à des documents corroborants qui n’ont pas été produits tout en n’accordant aucune valeur à des documents qui ont été produits.

[26]           Le demandeur soutient enfin que l’analyse que la Commission a faite de son identité religieuse était déraisonnable. La Commission avait l’obligation d’examiner les éléments de preuve présentés à l’appui de son argument qu’il était bel et bien un chrétien pratiquant au Canada et d’évaluer notamment ses connaissances en matière de christianisme, ses activités religieuses au Canada et son propre témoignage concernant l’authenticité de sa foi, indépendamment de la question de savoir s’il existait des éléments de preuve concernant la connaissance, par les autorités chinoises, des activités religieuses du demandeur au Canada.

B.                 Thèse du défendeur

[27]           Le défendeur cite les principes juridiques concernant l’appréciation de la crédibilité en insistant sur la déférence dont les tribunaux doivent faire preuve envers ce type de conclusion. Le défendeur affirme que l’existence de contradictions ou d’incohérences dans le témoignage d’un demandeur d’asile ou d’un témoin constitue un motif reconnu permettant de conclure à l’absence de crédibilité, en mentionnant qu’il est important que les éléments de preuve contenus dans le FRP soient cohérents avec le témoignage du demandeur d’asile pour qu’il puisse démontrer le minimum de fondement de sa demande d’asile.

[28]           Le défendeur soutient que les inférences et les conclusions de la Commission étaient raisonnables. Il résume chaque conclusion dans ses observations et explique pourquoi, à la lumière de la preuve, les conclusions de la Commission étaient raisonnables.

[29]           Le défendeur affirme également que la Commission a conclu de façon raisonnable que le défaut du demandeur de demander l’asile aux États‑Unis témoigne de son absence de crainte subjective.

[30]           Enfin, le défendeur affirme que la Commission a tenu compte de l’ensemble de la preuve. Il est de jurisprudence constante que le fait que le tribunal ne reprend pas chacun des éléments de preuve lorsqu’il rend sa décision n’implique pas nécessairement qu’il a n’a pas tenu compte d’éléments de preuve si l’examen de ses motifs permet de penser qu’il a effectivement tenu compte de l’ensemble de la preuve.

V.                Analyse

[31]           Le demandeur conteste la plupart des conclusions tirées par la Commission au sujet de la crédibilité. Toutefois, le sort de la présente demande dépend de la façon dont la Commission a traité la citation à comparaître que le BSP aurait délivrée au demandeur. J’estime que cet aspect constitue un élément essentiel de la décision de la Commission, étant donné qu’il concerne un élément de preuve objectif qui, s’il avait été reconnu comme authentique, était susceptible de corroborer la demande d’asile du demandeur et de conduire à une conclusion différente sur la crédibilité globale de sa demande.

[32]           L’évaluation que la Commission a faite de l’authenticité de la citation à comparaître ainsi que des lettres attestant les activités religieuses du demandeur en Chine se trouve dans un seul paragraphe de sa décision :

Je n’accorde aucun poids aux lettres que le demandeur d’asile a présentées pour attester des activités religieuses qu’il menait en Chine, ni à la citation à comparaître que le BSP aurait délivrée. Compte tenu des préoccupations quant à la crédibilité dont j’ai déjà fait état, je ne suis pas convaincu que les lettres et la citation à comparaître sont authentiques ni que l’information qu’elles contiennent est exacte. De surcroît, tel qu’il est mentionné dans la décision Gomez, une corroboration ne rend pas crédible une histoire qui ne l’est pas.

[33]           Je conclus qu’il était déraisonnable de la part de la Commission de rejeter l’authenticité de la citation à comparaître en se fondant uniquement sur les autres conclusions défavorables qu’elle avait tirées au sujet de la crédibilité des autres aspects de la demande d’asile du demandeur. Le demandeur invoque la présomption réfutable suivant laquelle les documents censés avoir été délivrés par une administration étrangère sont présumés faire preuve de leur contenu, à moins qu’il existe des raisons valables de les rejeter (Cao, au paragraphe 15). Le défendeur soutient que les autres conclusions défavorables tirées par la Commission au sujet de la crédibilité constituent des raisons valables de rejeter l’authenticité de la citation à comparaître. Toutefois, même sans bénéficier de la présomption sur laquelle le demandeur se fonde, la Commission avait l’obligation d’examiner l’authenticité de la citation à comparaître et ne pouvait l’écarter uniquement en se fondant sur ses autres conclusions en matière de crédibilité.

[34]           La Cour s’est déjà penchée, dans l’affaire Chen c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 311, sur le type d’analyse sur lequel la Commission s’était fondée pour tirer sa conclusion au sujet de la citation à comparaître. Une des conclusions qui étaient contestées dans cette affaire était celle de la Commission suivant laquelle une carte de visite carcérale, qui corroborait l’allégation du demandeur suivant laquelle une descente avait été effectuée chez lui, n’était pas authentique parce que la Commission avait conclu que cette descente n’avait pas eu lieu. La Cour, au paragraphe 20, a conclu que ce raisonnement n’était pas justifié :

[20]      La Commission ne peut tirer une conclusion relativement à la demande en se fondant sur certains éléments de preuve et rejeter le reste de la preuve parce qu’elle est incompatible avec cette conclusion. Avant de conclure qu’il n’y a pas eu de descente, la Commission doit se demander si la carte de visite de prison fournit la preuve d’une telle descente. Le raisonnement a été inversé. C’est la Cour d’appel de la Colombie‑Britannique, dans l’arrêt Faryna c Chorny, [1952] 2 DLR 354, qui décrit le mieux cette erreur quant à la méthode appliquée ou dans l’appréciation de la preuve :

[traduction] On ne peut évaluer la crédibilité d’un témoin intéressé, en particulier dans les cas de témoignages contradictoires, en se fondant exclusivement sur le point de savoir si son comportement personnel inspire la conviction qu’il dit la vérité. Il faut soumettre la version qu’il propose des faits à un examen raisonnable de sa compatibilité avec les probabilités afférentes à la situation considérée. Bref, le véritable critère applicable à la véracité de la version du témoin dans un tel cas doit être sa conformité à la prépondérance des probabilités qu’une personne pratique et bien informée estimerait d’emblée raisonnable dans le lieu et la situation en question. [...] En outre, il peut arriver qu’un témoin dise ce qu’il croit sincèrement être la vérité, mais se trompe en toute honnêteté. Le juge du fond qui dirait : « Je le crois parce que je suis convaincu de sa véracité » tirerait une conclusion fondée sur l’examen de la moitié seulement du problème. En vérité, il pourrait bien s’agir là d’une auto‑directive dangereuse.

[21]           La Commission n’a rien trouvé qui lui permettait de conclure au caractère frauduleux de la carte de visite, sinon que ce document était incompatible avec la conclusion qu’elle avait déjà tirée au sujet de la crédibilité.

[35]           Dans le cas qui nous occupe, la Commission a également commis une erreur en se fondant sur une analyse indépendante de la citation à comparaître pour conclure que la demande d’asile présentée par le demandeur n’était pas crédible et en s’appuyant sur ce fondement pour tirer sa conclusion au sujet de l’authenticité de la citation à comparaître. La Commission avait le droit de mettre en doute l’authenticité de la citation à comparaître, non sans cependant l’assujettir à une analyse indépendante.

[36]           Je ne crois pas que la conclusion de la Commission puisse se défendre en s’appuyant sur le jugement Gomez. Dans ce jugement, en affirmant que la corroboration ne rend pas crédible une histoire qui ne l’est pas, le juge Harrington examinait l’argument suivant lequel en rejetant une demande d’asile, le tribunal n’avait pas tenu compte d’une lettre du père du demandeur d’asile qui avait donné un témoignage qui corroborait certains aspects de l’histoire du demandeur d’asile. Toutefois, cette affaire se distingue de la présente espèce, dans laquelle le témoignage suivant lequel la preuve que la Commission n’a pas bien évaluée n’était pas celle d’un autre témoin, mais bien une preuve qui était censée être objective et qui émanait de l’État et qui portait sur des événements qui, selon ce que la Commission avait par ailleurs conclu, n’avaient pas eu lieu.

[37]           Le défendeur soutient qu’il convient d’examiner la décision de la Commission comme un tout au lieu d’examiner de façon isolée chacune des conclusions qu’elle a tirées au sujet de la crédibilité. Bien que je convienne qu’il s’agit là d’un principe général, j’estime que toute erreur commise au sujet du traitement de la citation à comparaître est suffisamment grave pour justifier à elle seule l’annulation de la décision de la Commission et son renvoi devant un tribunal différemment constitué pour qu’il rende une nouvelle décision. Il est donc inutile que j’examine les arguments invoqués par le demandeur en ce qui concerne les autres aspects des conclusions tirées par la Commission au sujet de la crédibilité et, comme les allégations formulées par le demandeur au sujet de la crédibilité seront examinées de nouveau par un nouveau tribunal, je ne tire aucune conclusion spécifique à ce sujet.

[38]           Les avocats des deux parties ont confirmé qu’aucune d’entre elles n’avait proposé aucune question grave de portée générale à certifier aux fins d’un appel.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la présente demande de contrôle judiciaire est accueillie et que l’affaire est renvoyée à la Commission pour qu’elle soit réexaminée par un tribunal différemment constitué. Aucune question n’est certifiée aux fins d’un appel.

« Richard F. Southcott »

Juge

Traduction certifiée conforme

Claude Leclerc, LL.B.

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑7286‑14

INTITULÉ :

FU QIANG YU c MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 21 SEPTEMBRE 2015

jugement et motifs :

le juge southcott

DATE DES MOTIFS :

LE 6 OCTOBRE 2015

COMPARUTIONS :

Jayson Thomas

POUR LE demandeur

Nina Chandy

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Jayson Thomas

Avocat

Toronto (Ontario)

POUR LE demandeur

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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