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Date : 20151007


Dossier : IMM-7865-14

Référence : 2015 CF 1150

[traduction française certifiée, non révisée]

Ottawa (Ontario), le 7 octobre 2015

En présence de monsieur le juge Barnes

ENTRE :

V.S.

 

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               La demanderesse conteste la décision rendue le 10 novembre 2014 quant à sa demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire, par laquelle sa demande de dispense au titre de l’article 25 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (la LIPR) a été rejetée.

[2]               La demanderesse est citoyenne du Cameroun. Elle est entrée au Canada à titre de visiteur en 2009 et a demandé l’asile. Sa demande d’asile a été accueillie en 2010, mais son statut de réfugiée a plus tard été révoqué pour cause de fausses déclarations. Il ressort du dossier qu’un examen des risques avant renvoi a été demandé à la fin de l’année 2013 et que la demande d’examen a été rejetée le 23 mai 2014. Le dossier dont je dispose ne comporte pas de copie de la décision rendue, et je ne peux pas déterminer la nature du risque allégué par la demanderesse, ni la raison pour laquelle la demande d’examen a été rejetée.

[3]               La demanderesse a présenté sa demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire le 11 août 2014. Elle a demandé une dispense au motif de son établissement au Canada et compte tenu du fait qu’elle a donné naissance à une fille en 2014. Elle a aussi fait valoir qu’elle serait confrontée à des difficultés du fait de son orientation sexuelle, car elle est lesbienne.

[4]               La demanderesse a soulevé de nombreuses questions concernant l’analyse de la preuve effectuée par la décideuse et elle allègue que la décision était déraisonnable. La norme de contrôle applicable à ce genre de question est, bien entendu, celle de la décision raisonnable. Il n’est pas nécessaire que je me penche sur toutes les questions soulevées lors des débats, parce que la décision soulève une question qui est déterminante.

[5]               La question déterminante dans la présente demande a trait à l’analyse par l’agente de la preuve relative aux difficultés se rapportant à l’allégation selon laquelle la demanderesse est lesbienne. Le passage de la décision de l’agente portant sur la question de l’orientation sexuelle est reproduit ci‑dessous :

[traduction]

L’avocat dit que [la demanderesse] est lesbienne et qu’elle entretient une relation avec une femme ici au Canada. Une lettre de [S.A.] a été incluse dans les observations faisant état de sa relation avec la demanderesse. [S.A.] soutient qu’elle souhaite que [la demanderesse] et sa fille demeurent au Canada. Je souligne que, bien que [S.A.] allègue qu’elle a rencontré [la demanderesse] en 2011, peu d’éléments de preuve documentaire ont été présentés concernant leur relation, comme des photos du couple ensemble, des photos dans lesquelles elles célèbrent des fêtes ensemble ou des photos où on les voit lors de sorties avec des amis. Bien que je reconnaisse que [la demanderesse] est lesbienne, j’estime qu’on m’a présenté peu de renseignements quant au fait que [la demanderesse] a révélé son orientation sexuelle. Par exemple, [la demanderesse] n’a pas fourni de renseignements donnant à penser qu’elle fait partie de groupes de militants ou qu’elle a des liens avec les GLBT à Toronto. Je souligne également que [la demanderesse] n’a pas offert de témoignage personnel décrivant sa relation avec [S.A.] ou sa situation personnelle en tant que lesbienne.

Selon mes recherches sur le Cameroun, l’homosexualité est illégale et les relations sexuelles entre partenaires consentants de même sexe sont punissables d’une peine d’emprisonnement de six mois à cinq ans et d’amendes. Dans le rapport sur les droits de la personne de 2013 du Département d’État des États‑Unis, il est en outre allégué que les GLBT ont particulièrement été ciblés et font souvent l’objet de stigmatisation sociale. Compte tenu des conclusions que j’ai tirées, je reconnais que les conditions ne sont pas idéales pour les GLBT. Cependant, je souligne également que, dans le rapport, il est déclaré que, malgré les points de vue actuels sur homosexualité, les militants en matière de droits de la personne et les organismes dans le domaine de la santé ont continué de défendre les GLBT.

L’avocat soutient que, si elle retournait au Cameroun, [la demanderesse] serait exposée à un risque [sic] en raison du fait que la collectivité sait que [la demanderesse] est lesbienne. Je souligne qu’une lettre d’appui de [S.S.] a été incluse dans les observations. Dans la lettre, il est déclaré que les demi-sœurs de la demanderesse ont fait courir des rumeurs au sujet de l’orientation sexuelle de [la demanderesse] au moyen d’une source fiable à l’étranger et que la famille a été ridiculisée en conséquence. Aucun détail n’a été fourni concernant l’identité de cette source. Je souligne que deux autres lettres ont été présentées pour la demande de [la demanderesse] par un membre de la famille [(E.S.)] et le conseiller juridique de la famille au Cameroun. Je souligne que, bien qu’[E.S.] mentionne qu’elle est un membre de la famille et que c’est elle qui prend principalement soin de la mère de la demanderesse, elle ne donne pas de renseignements au sujet de l’orientation sexuelle de [la demanderesse], elle ne mentionne pas qu’elle est au courant de son orientation sexuelle et elle ne mentionne rien au sujet du fait que la famille a été ridiculisée en conséquence.

Je conviens que [la demanderesse] est lesbienne, mais j’estime que peu d’éléments de preuve ont été présentés pour prouver que [la demanderesse] a déjà eu une relation avant une personne du même sexe avant [S.A.], au Cameroun ou dans tout autre pays où elle a résidé. On m’a présenté peu de renseignements démontrant que [la demanderesse] a exprimé ouvertement son orientation sexuelle au Canada ou qu’elle le ferait à son retour au Cameroun.

Pour ce motif, je conclus que, mis à part la lettre de [S.A.] susmentionnée, on ne m’a pas fourni d’éléments de preuve à l’appui établissant, selon la prépondérance des probabilités, que [sic] la demanderesse sera [sic] confrontée à des difficultés en raison de son orientation sexuelle si elle retourne au Cameroun. J’ai examiné l’ensemble de la preuve qui m’a été présentée et je conclus que sa valeur probante est insuffisante pour établir qu’il est vraisemblablement connu que la demanderesse est homosexuelle/lesbienne ou qu’elle serait perçue comme telle par les gens au Cameroun. Bien que j’aie tenu compte des conditions au Cameroun pour les personnes soupçonnées d’être homosexuelles, je n’estime pas que la demanderesse subira directement un préjudice du fait de ces conditions en raison de sa situation personnelle. Je ne suis pas convaincue que la situation de la demanderesse est telle qu’elle sera confrontée à des difficultés inhabituelles, injustifiées ou excessives du fait de son orientation sexuelle réelle ou perçue.

[Non souligné dans l’original.] [Noms supprimés.]

[6]               Il ressort clairement des motifs de l’agente que celle‑ci reconnaissait que la demanderesse était lesbienne et qu’elle avait vraisemblablement des rapports sexuels avec une femme. L’agente a aussi reconnu que le Cameroun est un endroit hostile pour les gais, lesbiennes, bisexuels et transgenres (GLBT). Tout cela découle d’un rapport du 2013 du Département d’État des États‑Unis (dossier certifié du tribunal, aux pages 198 à 200), qui énonce les faits troublants suivants :

[traduction]

Les relations sexuelles entre partenaires consentants de même sexe sont illégales et sont punissables d’une peine d’emprisonnement de six mois à cinq ans et d’une amende allant de 20 000 à 200 000 FCFA (41 $ à 410 $). Les autorités ont activement appliqué la loi et ont arrêté, jugé, emprisonné et battu des GLBT présumés au cours de l’année. Les forces de sécurité auraient particulièrement ciblé des GLBT présumés et auraient collaboré avec des groupes de justiciers pour les prendre au piège et les arrêter. Des rapports crédibles révèlent que jusqu’à 200 personnes pourraient avoir été incarcérées au pays relativement à des accusations de relations sexuelles entre personnes de même sexe.

Des GLBT font régulièrement l’objet de stigmatisation sociale et d’actes de violence populaire qui entraînent parfois leur mort.

En juillet, par exemple, Eric Ohena Lembembe – journaliste, militant pour les GLBT et directeur administratif de la Fondation camerounaise pour la lutte contre le sida – a été trouvé mort par strangulation à son domicile à Yaoundé. M. Lembembe avait été attaché, battu et brûlé avec un fer. Des membres de la société civile et des organismes de défense des droits de la personne ont prétendu de façon crédible que le meurtre était lié au militantisme de M. Lembembe et à son orientation sexuelle, une prétention que le ministre de la communication a publiquement mise en doute dans les jours qui ont suivi la perpétration de ce crime. L’enquête officielle sur le décès de M. Lembembe a manqué de professionnalisme du début à la fin, et, à la fin de l’année, aucun suspect n’avait été identifié.

En juillet, une foule dans le village de Muyuka, région du Sud‑Ouest, a lapidé Henry Mbah, qui était supposément gai. M. Mbah aurait été tué après que sa femme l’eut surpris alors qu’il avait des rapports intimes avec un autre homme, Elvis Atabong. Bien qu’il semble qu’il n’ait pas été blessé, M. Atabong aurait été sauvé de la foule par des agents de police, qui l’ont rapidement arrêté. On ne connaît pas l’état du dossier de M. Atabong ni de toute enquête sur le meurtre de M. Mbah.

Aussi en juillet, Joseph Omgbwa a été condamné à deux ans de prison pour avoir eu des relations sexuelles avec une personne de même sexe, ainsi que Nicolas Ntamack, qui a été condamné à un an de prison relativement aux mêmes accusations. Les peines de M. Omgbwa et de M. Ntamack ont été prononcées après que M. Omgbwa eut été arrêté alors qu’il essayait de vendre un DVD renfermant de la pornographie homosexuelle dans ce qui semblait être un achat par un agent d’infiltration de la police. M. Ntamack a été arrêté peu de temps après lorsqu’il essayait de rendre visite à M. Omgbwa au poste de police.

Le Rassemblement de la jeunesse camerounaise a organisé des brigades anti‑homosexuelles tout au long de l’année pour essayer de trouver et de harceler des GLBT dans des boîtes de nuit. En août, le Rassemblement a organisé une marche publique pour demander avec insistance au gouvernement de prendre des mesures de répression de l’homosexualité plus musclées.

Des personnes soupçonnées d’être des GLBT ont reçu des menaces anonymes par téléphone, par message texte et par courriel. Les GLBT qui se sont adressés aux autorités pour obtenir des services ou qui ont sollicité leur protection ont régulièrement essayé des refus, fait l’objet d’extorsion ou été arrêtés. Les organismes de défense des GLBT ont aussi été ciblés. En juillet, des incendiaires ont mis le feu au centre Accès de l’organisation non gouvernementale Alternatives Cameroun à Douala, ce qui a causé des dommages importants aux dossiers de test de dépistage du VIH et de consultation du centre. Les forces policières ont conclu qu’il s’agissait d’un incendie criminel, mais aucun suspect n’a été identifié.

Au cours de son premier discours public en août, Jean Mbaraga, l’administrateur de l’Archidiocèse catholique de Yaoundé nouvellement nommé et l’archevêque d’Ebolowa, a condamné l’homosexualité en la qualifiant de pratique étrangère et a demandé aux Africains de « résister à ce qui détruira leur culture et leur famille ».

Malgré l’environnement, divers organismes dans le domaine des droits de la personne et de la santé ont continué à plaider la cause les GLBT en défendant les GLBT faisant l’objet de poursuites, en faisant la promotion d’initiatives de lutte contre le VIH et le sida et en travaillant en vue de changer les lois interdisant les relations sexuelles entre partenaires consentants de même sexe.

[7]               Une réponse à une demande d’information de 2014 de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié est tout aussi troublante. Il est énoncé, entre autres choses, que le [traduction] « Cameroun poursuit en justice les personnes qui ont des relations sexuelles consensuelles avec des personnes de même sexe plus vigoureusement que presque tous les autres pays [...] bien souvent sur le fondement de peu ou pas d’éléments de preuve concrets » (dossier certifié du tribunal, à la page 215). Le même rapport décrit la torture, l’isolement cellulaire et les traitements dégradants dont ces personnes font l’objet de la part des agents de police et des responsables des prisons, dont des examens rectaux injustifiés.

[8]               Le résumé de cet élément de preuve par l’agente était superficiel et réduisait nettement l’importance de celui‑ci. Étonnamment, l’agente a pris soin de mentionner le travail de défense que les organisations non gouvernementales continuent d’effectuer, comme si cela atténuait en quelque sorte les cas signalés de violation des droits de la personne, qui sont monnaie courante au Cameroun.

[9]               Le manque de sensibilité dont a fait preuve l’agente en ce qui concerne la question de l’orientation sexuelle est en outre confirmé par l’assertion que la demanderesse pourrait éviter d’être confrontée à des difficultés au Cameroun si elle cachait son identité sexuelle.

[10]           Étant donné les conséquences qu’entrainerait la découverte de son identité sexuelle, il est bien évident que la demanderesse prendrait des mesures pour cacher son identité sexuelle au Cameroun. Il serait imprudent qu’elle agisse autrement. Pour paraphraser légèrement ce que lord Rodger a dit dans l’arrêt HT (Cameroun) c Secretary of State for the Home Department, [2010] UKSC 31, au paragraphe 59 [traduction] « à moins qu’elle ait l’intention de joindre les rangs des martyres homosexuels, en présence d’une véritable menace de persécution, la demanderesse n’aurait pas vraiment d’autre choix que de faire preuve de discrétion ».

[11]           Contrairement à ce que pense l’agente, la capacité de la demanderesse de garder son identité sexuelle secrète au Cameroun n’est pas la conclusion de l’examen des difficultés qu’il convient de faire. Il fallait aussi évaluer les difficultés liées à la suppression de l’identité sexuelle de la demanderesse. Dans le cas du Cameroun, où les conséquences de la découverte de l’identité sexuelle seraient probablement lourdes, la prudence commanderait que la personne vive dans le célibat, et toute marque d’affection envers un partenaire de même sexe serait certainement interdite. Les conséquences associées au fait de mener une vie « discrète » et l’ampleur des comportements à changer lorsque l’on vit dans la crainte que ce qui est caché soit révélé ont été judicieusement décrites par lord Rodger dans l’arrêt HT (Cameroun), précité, aux paragraphes suivants :

[traduction]

75.       À mon avis, la démarche adoptée par la Cour d’appel n’est pas valable. Je laisse de côté le raisonnement que j’ai suivi jusqu’à maintenant, et aussi le point évident que le critère de la Cour d’appel semble exiger que la demanderesse établisse une forme de persécution secondaire découlant de ses propres actions en réponse à la persécution principale. Selon moi, la principale objection pouvant être formulée relativement à la démarche adoptée par la Cour d’appel est que son point de départ est inacceptable : cela suppose qu’au moins certaines demandes d’asile peuvent être rejetées sur le fondement que le demandeur particulier pourrait juger qu’il est raisonnablement tolérable de faire preuve de discrétion et de dissimuler son identité sexuelle pour éviter de subir un grave préjudice.

76.       La Refugee Status Appeals Authority de la Nouvelle‑Zélande a fait remarquer, dans Re GJ, [1998] (1995) INLR 387, 420, que « [l’]orientation sexuelle est soit une caractéristique innée ou immuable, soit une caractéristique si essentielle à l’identité ou à la dignité humaine qu’elle ne devrait pas avoir à changer » (en gras dans l’original). Ainsi, à partir de cette prémisse, la Convention offre une protection aux gais et aux lesbiennes – ainsi que, d’ailleurs, aux bisexuels et à tous les autres qui figurent sur ce large éventail de comportements sexuels – parce qu’ils ont le droit de ne pas avoir à craindre d’être persécutés, comme leurs homologues hétérosexuels. Personne ne partirait du principe qu’un homme hétérosexuel ou une femme hétérosexuelle pourrait juger qu’il est raisonnablement tolérable de dissimuler son identité sexuelle indéfiniment pour éviter d’être victime de persécution. Personne ne partirait du principe qu’un homme ou une femme pourrait juger qu’il est raisonnablement tolérable de dissimuler sa propre race indéfiniment pour éviter d’être victime de persécution. Une telle hypothèse au sujet des gais et des lesbiennes est tout aussi inacceptable. Fait plus important encore, elle est inacceptable du fait qu’elle n’est pas compatible avec l’objet sous‑jacent de la Convention, étant donné qu’elle exige que le demandeur nie ou cache la caractéristique innée qui constitue le fondement de son allégation de persécution : Atta Fosu c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 1135, au paragraphe 17, juge Zinn.

77.       Au niveau le plus fondamental, si un demandeur devait mener une vie discrète, il devrait dans les faits éviter toute marque d’affection envers un autre homme qui irait au‑delà des comportements acceptables de la part d’un homme hétérosexuel. Il devrait faire preuve de prudence dans les amitiés qu’il nouerait, les cercles d’amis dans lesquels il évoluerait et les endroits où il fréquenterait des gens. Il devrait constamment se retenir dans un aspect de la vie où des émotions intenses et où l’attirance physique sont en jeu, alors qu’un homme hétérosexuel pourrait agir de manière spontanée, voire impulsive. Non seulement il ne pourrait pas se permettre les légers flirts qui sont un des agréments de la vie hétérosexuelle, mais il devrait bien réfléchir avant de révéler qu’il est attiré par un autre homme. De même, les petites marques d’affection qui sont tenues pour acquises entre les hommes et les femmes pourraient être dangereuses. Bref, sa capacité de trouver le bonheur dans une relation sexuelle serait grandement réduite. Il est inacceptable de tenir pour acquis que tout homme gai est censé juger que ces restrictions quant à sa vie et à son bonheur sont même raisonnablement tolérables.

[12]           Compte tenu des circonstances de l’espèce, l’agente a commis une erreur en supposant que les difficultés (c.‑à‑d., les risques) auxquelles la demanderesse serait confrontée pourraient facilement être gérées par la suppression de son identité sexuelle. Un tel point de vue est tout simplement insensible et faux. Le fait d’obliger, sur le plan légal, les GLBT à faire preuve de discrétion remonte à l’époque où, contrairement aux couples hétérosexuels, les couples GLBT étaient censés dissimuler leur affection. Ce genre de façon de penser n’est pas approprié dans un examen fondé sur des considérations d’ordre humanitaire.

[13]           Dans les affaires qui concernent des demandeurs d’asile, le risque est bien entendu examiné sous l’angle de la persécution, et les demandes fondées sur des considérations d’ordre humanitaire reposent sur une évaluation des difficultés. Cependant, il ne s’agit pas d’une distinction importante qui permet au décideur en matière de considérations d’ordre humanitaire de ne simplement pas tenir compte des conséquences qu’emportent en pratique le fait d’avoir à garder secrète son identité sexuelle toute sa vie. Aux fins de la présente affaire, j’adopte l’opinion que le juge Russel Zinn a exprimée dans la décision Fosu c Canada, 2008 CF 1135, au paragraphe 17, [2008] A.C.F. n1418 :

[17]      De plus, la commissaire a commis une erreur en donnant à penser que le demandeur serait en sécurité à Accra tant qu’il ferait preuve de « discr[étion] » et elle semble avoir présumé qu’il serait prêt à faire cela, ce que rien ne prouvait, ou qu’il serait capable de garder secrète son orientation sexuelle dans une ville aussi grande. Je ne peux pas accepter que la décision de la commissaire est raisonnable alors que sa conclusion exige que le demandeur nie ou cache la caractéristique innée qui constitue le fondement de son allégation de persécution : voir, par exemple, la décision Sadeghi‑Pari c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 282, au paragraphe 29. La commissaire croyait manifestement que la discrimination dont le défendeur ferait l’objet n’équivalait pas à de la persécution, mais il semble également qu’elle a évalué le danger à la lumière des conditions qu’elle lui imposait – des conditions qui ne sont ni raisonnables ni acceptables.

[14]           L’avocat du ministre m’a prié d’examiner la question dans le contexte de l’ensemble de la décision, ce qu’il convient de faire, bien entendu. Il y a certainement des aspects de la décision qui semblent bien fondés. Cependant, l’erreur commise par l’agente était très importante pour ce qui est de l’examen des difficultés, et, comme lord Hope dans l’arrêt HT (Cameroun), précité, je ne suis pas convaincu que la décision aurait été la même si l’agente avait procédé de la bonne façon.

[15]           Il est donc nécessaire d’annuler la décision de l’agente et de renvoyer l’affaire à un autre décideur pour nouvel examen sur le fond.

[16]           Aucune partie n’a proposé une question à certifier et aucune question de portée générale n’est soulevée en l’espèce.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande est accueillie et que l’affaire est renvoyée à un autre décideur pour qu’il rende une nouvelle décision sur le fond.

« R.L. Barnes »

Juge

Traduction certifiée conforme

M.-C. Gervais


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-7865-14

 

INTITULÉ :

V.S.

c

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

le 3 septembre 2015

JUDGEMENT ET MOTIFS :

le juge BARNES

 

DATE du jugement et des motifs :

le 7 OCTOBRE 2015

 

COMPARUTIONS :

Solomon Orjiwuru

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Alexis Singer

PoUr LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Solomon Orjiwuru

Avocat

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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