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Date : 20151021


Dossier : IMM-1756-15

Référence : 2015 CF 1144

Ottawa (Ontario), le 21 octobre 2015

En présence de monsieur le juge Shore

ENTRE :

HANANE BOUAFIA

partie demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

partie défenderesse

JUGEMENT ET MOTIFS MODIFIÉS

I.                   Introduction

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [LIPR] à l’encontre d’une décision d’un agent d’immigration principal [agent] de Citoyenneté et Immigration Canada, datée du 23 mars 2015, rejetant la demande de résidence permanente pour considérations d’ordre humanitaire présentée par la demanderesse.

II.                Faits

[2]               La demanderesse, Hanane Bouafia, âgée de 43 ans, est citoyenne de l’Algérie. La demanderesse est détentrice d’un visa de visiteur pour entrées multiples qui lui a été émis en 2012. Ce visa expirera le 25 octobre 2015.

[3]               Son ex-époux, Hassene Belkhir (64 ans), et leurs trois enfants, Ayman Rayan Belkhir (11 ans), Ahmed Laid Amastan Belkhir (9 ans) et Khadidja El-Batoul Belkhir (6 ans), sont résidents permanents du Canada.

[4]               En juin 2009, alors qu’ils étaient encore mariés, la demanderesse et M. Belkhir ont obtenu un Certificat de sélection dans la catégorie des investisseurs. Par contre, suite à leur divorce en octobre 2009, la demanderesse a cessé de bénéficier de la procédure d’immigration pour laquelle M. Belkhir était le requérant principal. Dans le cadre de la procédure de divorce, la demanderesse a obtenu la garde de leurs trois enfants.

[5]               Le 27 juillet 2012, M. Belkhir ainsi que leurs deux fils sont devenus résidents permanents alors que leur fille a obtenu sa résidence permanente le 8 août 2012.

[6]               La demanderesse vit présentement dans la même résidence que son ancien époux et leurs enfants dans la province de Québec. Une demande de résidence permanente pour motifs d’ordre humanitaire a été déposée par la demanderesse le 25 novembre 2013. Dans le cadre de cette demande, la demanderesse a demandé une exemption à l’obligation de présenter la demande de résidence permanente à l’extérieur du Canada pour motifs d’ordre humanitaire.

[7]               À l’appui de sa demande d’exemption à l’obligation de présenter sa demande de résidence permanente à l’étranger, la demanderesse soutient qu’elle désire rester avec ses enfants, notamment sa fille de six ans. De plus, étant donné qu’elle a la garde légale des enfants, si elle doit déposer sa demande à l’extérieur du pays, elle devra emmener les enfants avec elle. Elle priverait alors les enfants des bénéfices d’être résidents permanents. M. Belkhir perdrait aussi son droit de visite des enfants à cause de la distance géographique qui les séparerait. Il est donc dans l’intérêt supérieur des enfants d’avoir accès à leur père et à leur mère.

[8]               L’agent a rejeté la demande de dispense pour circonstances d’ordre humanitaire. C’est cette décision qui fait l’objet du présent contrôle judiciaire.

III.             Décision contestée

[9]               L’agent a conclu que la demanderesse n’a pas démontré qu’un refus de dispense lui causerait des difficultés excessives, injustifiées ou démesurées si elle devait demander un visa de résidence permanente depuis l’extérieur du Canada. Pas plus que cela n’aurait une incidence considérable sur les enfants de la demanderesse.

[10]           L’agent note que la demanderesse n’a pas fourni assez de preuves pour démontrer que le visa de visiteur pour entrées multiples dont elle bénéficie n’est pas une option viable pour rester au Canada et être réunie avec sa famille pendant qu’elle fait sa demande de résidence permanente. En somme, l’agent conclut que la demanderesse n’a pas fourni suffisamment de preuves pour démontrer le type de difficultés auxquelles la demanderesse ferait face si elle était obligée de faire sa demande de résidence permanente de l’extérieur du Canada et que ces difficultés seraient inhabituelles et injustifiées ou démesurées. L’agent a rappelé que le maintien de liens familiaux n’est pas de nature exceptionnelle.

IV.             Point en litige

[11]           La Cour considère que la demande soulève la question suivante :

L’agent a-t-il erré dans son appréciation des conséquences sur la demanderesse et les enfants advenant le refus d’octroyer une dispense pour considérations d’ordre humanitaire?

V.                Provisions législatives

[12]           Les dispositions législatives de la LIPR suivantes s’appliquent :

Visa et documents

Application before entering Canada

11. (1) L’étranger doit, préalablement à son entrée au Canada, demander à l’agent les visa et autres documents requis par règlement. L’agent peut les délivrer sur preuve, à la suite d’un contrôle, que l’étranger n’est pas interdit de territoire et se conforme à la présente loi.

11. (1) A foreign national must, before entering Canada, apply to an officer for a visa or for any other document required by the regulations. The visa or document may be issued if, following an examination, the officer is satisfied that the foreign national is not inadmissible and meets the requirements of this Act.

Séjour pour motif d’ordre humanitaire à la demande de l’étranger

Humanitarian and compassionate considerations — request of foreign national

25. (1) Sous réserve du paragraphe (1.2), le ministre doit, sur demande d’un étranger se trouvant au Canada qui demande le statut de résident permanent et qui soit est interdit de territoire — sauf si c’est en raison d’un cas visé aux articles 34, 35 ou 37 —, soit ne se conforme pas à la présente loi, et peut, sur demande d’un étranger se trouvant hors du Canada — sauf s’il est interdit de territoire au titre des articles 34, 35 ou 37 — qui demande un visa de résident permanent, étudier le cas de cet étranger; il peut lui octroyer le statut de résident permanent ou lever tout ou partie des critères et obligations applicables, s’il estime que des considérations d’ordre humanitaire relatives à l’étranger le justifient, compte tenu de l’intérêt supérieur de l’enfant directement touché.

25. (1) Subject to subsection (1.2), the Minister must, on request of a foreign national in Canada who applies for permanent resident status and who is inadmissible — other than under section 34, 35 or 37 — or who does not meet the requirements of this Act, and may, on request of a foreign national outside Canada — other than a foreign national who is inadmissible under section 34, 35 or 37 — who applies for a permanent resident visa, examine the circumstances concerning the foreign national and may grant the foreign national permanent resident status or an exemption from any applicable criteria or obligations of this Act if the Minister is of the opinion that it is justified by humanitarian and compassionate considerations relating to the foreign national, taking into account the best interests of a child directly affected.

VI.             Position des parties

[13]           La demanderesse, se fiant principalement sur la décision Baker c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] 2 RCS 817 [Baker], soutient que la décision de l’agent n’était pas raisonnable puisque ce dernier n’a pas pris en considération le meilleur intérêt des enfants. L’agent n’a pas considéré que le refus de dispense en vertu du paragraphe 25(1) de la LIPR engendrerait des conséquences excessives et inhabituelles sur les enfants ainsi que des conséquences notoires et irréversibles sur ceux-ci.

[14]           De son côté, le défendeur soutient que la décision de l’agent est raisonnable. L’agent a pris en considération l’ensemble de la preuve, incluant le fait que la demanderesse est munie d’un visa de visiteur à entrées multiples. La demanderesse n’ayant pas rempli son fardeau de démontrer qu’il s’agit d’une situation exceptionnelle qui peut justifier l’octroi d’une dispense, la décision de l’agent était raisonnable.

VII.          Norme de contrôle

[15]           Les conclusions d’un agent quant à des considérations d’ordre humanitaire traitant de questions de faits et de faits et de droit doivent être révisées selon la norme de la décision raisonnable (Kanthasamy c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2014 CAF 113 [Kanthasamy]; Azziz c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2015 CF 850).

VIII.       Analyse

[16]           Le paragraphe 25(1) de la LIPR est une exception au paragraphe 11(1) de la LIPR et permet à un étranger de déroger à l’obligation de faire sa demande de résidence permanente de l’extérieur du Canada si des considérations humanitaires le justifient. Cette Cour a énoncé à plusieurs reprises que ce pouvoir discrétionnaire est une mesure exceptionnelle (Kanthasamy, ci-dessus au para 40; Lim c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2014 CF 28 au para 20; Legault c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2002 CAF 125). La personne qui demande cette exemption doit démontrer que le suivi du processus normalement prévu par la LIPR lui causerait des difficultés inhabituelles et injustifiées ou excessives :

[41]      La Cour fédérale a à maintes reprises interprété le paragraphe 25(1) comme obligeant le demandeur à prouver que l'application de ce que j'appellerais la règle normale lui ferait subir personnellement des difficultés inhabituelles et injustifiées ou excessives (voir p. ex., Singh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2009 CF 11). Les difficultés subies doivent être plus lourdes que les conséquences inhérentes au fait de quitter le Canada et de présenter sa demande d'immigration par les voies normales (Rizvi c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), 2009 CF 463).

(Kanthasamy, ci-dessus au para 41)

[17]           Dans son analyse de l’intérêt supérieur de l’enfant, un agent se doit d’être réceptif, attentif et sensible à l’intérêt des enfants et doit accorder un poids considérable à ce critère (Baker, ci-dessus au para 73). Toutefois, bien qu’un agent doive porter beaucoup d’attention à ce critère, il ne s’agit que d’un facteur parmi d’autres :

[U]n demandeur ne peut s'attendre à une réponse favorable à sa demande fondée sur des raisons d'ordre humanitaire simplement parce que l'intérêt supérieur de l'enfant milite en faveur de ce résultat. La plupart du temps, il est dans l'intérêt supérieur de l'enfant de résider avec ses parents au Canada, mais ce facteur n'est qu'un de ceux dont il y a lieu de tenir compte. Il n'appartient pas aux tribunaux de procéder à un nouvel examen du poids accordé aux différents facteurs par l'agent chargé de se prononcer sur les raisons d'ordre humanitaire. [Je souligne.]

(Kisana c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2009 CAF 189 au para 24)

[18]           En l’espèce, il appert de la décision de l’agent que ce dernier a porté beaucoup d’attention au critère de l’intérêt supérieur des enfants et a procédé à une analyse complète de la preuve soumise par la demanderesse. L’agent a notamment pris en considération que la demanderesse est munie d’un visa de visiteur pour entrées multiples. La Cour note aussi que la demanderesse n’a pas soulevé de raison particulière qui ferait en sorte que les enfants de la demanderesse aient des besoins particuliers nécessitant la présence continue de la demanderesse au Canada.

[19]           Ce faisant, l’agent a accordé un poids considérable à l’intérêt supérieur des enfants, mais a conclu, en prenant en considération la preuve au dossier, que le suivi de la procédure normale ne causerait pas des difficultés inhabituelles et injustifiées ou excessives.

IX.             Conclusion

[20]           Pour les motifs énoncés ci-dessus, la Cour conclut que la décision de l’agent est raisonnable. Conséquemment, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire soit rejetée. Il n’y a aucune question d’importance à certifier.

OBITER

La demande de résidence de l’extérieur du Canada éventuellement prévue par la demanderesse possède des antécédents positifs, comme facteurs en faveur de la demanderesse, suite aux plusieurs démarches antérieures déjà entreprises par la demanderesse devant les autorités fédérales et provinciales.

« Michel M.J. Shore »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-1756-15

 

INTITULÉ :

HANANE BOUAFIA c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 24 septembre 2015

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE SHORE

 

DATE DES MOTIFS :

LE 7 octobre 2015

 

DATE DES MOTIFS MODIFIÉS :

LE 21 OCTOBRE 2015

COMPARUTIONS :

Sabine Venturelli

 

Pour la partie demanderesse

 

Guillaume Bigaouette

 

Pour la partie défenderesse

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Sabine Venturelli, avocate

Montréal (Québec)

 

Pour la partie demanderesse

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

 

Pour la partie défenderesse

 

 

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