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Date : 20151020


Dossier : T ‑697‑15

Référence : 2015 CF 1182

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Toronto (Ontario), le 20 octobre 2015

En présence de madame la juge Mactavish

ENTRE :

SPRUCE HOLLOW HEAVY HAUL LTD.

demanderesse

et

SHANNON KNEZACKY MADILL

défenderesse

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               La Cour est saisie d’une deuxième demande de contrôle judiciaire d’une procédure engagée aux termes du Code du travail canadien concernant le congédiement de Shannon Knezacky par Spruce Hollow Heavy Haul Ltd.

[2]               En 2013, un arbitre a jugé que Spruce Hollow n’avait pas établi qu’elle avait un motif valable pour congédier Mme Knezacky. Cette décision a été confirmée par la Cour dans le cadre d’un contrôle judiciaire.

[3]               L’arbitre a par la suite déterminé qu’étant donné que Spruce Hollow avait reconnu sa responsabilité, elle avait par le fait même renoncé à tout droit de soutenir que les dispositions en matière de congédiement injuste du Code ne devraient pas s’appliquer à Mme Knezacky au motif qu’elle occupait un poste de gestionnaire. L’arbitre a également jugé, à titre subsidiaire, que Spruce Hollow n’avait pas établi que Mme Knezacky était en fait une gestionnaire.

[4]               L’arbitre a également conclu que Mme Knezacky avait droit à des dommages‑intérêts pour perte de salaire et dépenses engagées. De plus, l’arbitre a estimé que le comportement répréhensible de l’employeur et de son représentant, Ron Madill, était tel que Mme Knezacky devrait recevoir des dommages‑intérêts punitifs et majorés.

[5]               Spruce Hollow demande le contrôle judiciaire de cette deuxième décision, affirmant qu’elle n’avait pas été traitée de manière équitable par l’arbitre, qui ne lui a pas permis de soulever la question de savoir si Mme Knezacky était une gestionnaire lors de l’audience relative aux réparations. Spruce Hollow soutient également que la conclusion de l’arbitre selon laquelle Mme Knezacky n’était pas une gestionnaire était déraisonnable.

[6]               Spruce Hollow soutient en outre que l’arbitre a commis une erreur en accordant des dommages‑intérêts punitifs et majorés sur la foi des faits en l’espèce, ou, subsidiairement, que le montant était excessif.

[7]               J’ai conclu que l’arbitre n’avait pas commis d’erreur en arrivant à cette décision, de sorte que la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

I.                   Contexte

[8]               Il est important de bien comprendre les événements qui ont donné lieu au présent litige et l’historique lui‑même afin de donner le contexte dans lequel la décision de l’arbitre a été prise, surtout en ce qui concerne l’attribution de dommages‑intérêts punitifs et majorés.

[9]               Spruce Hollow est une petite entreprise qui se spécialise dans le transport d’équipement surdimensionné partout dans l’Ouest canadien et l’Ouest américain.

[10]           M. Madill et Mme Knezacky étaient mariés. Ils étaient actionnaires et administrateurs de Spruce Hollow avec James et Jen Weber. M. Madill et Mme Knezacky étaient également des créanciers de l’entreprise puisqu’ils avaient fait un prêt à Spruce Hollow d’un montant d’environ 150 000 $.

[11]           Ces quatre personnes étaient également des employés de l’entreprise. M. Weber était le président de Spruce Hollow et travaillait comme camionneur. M. Madill occupait le poste de directeur général de l’entreprise, et Mme Weber était également employée par Spruce Hollow. Mme Knezacky a commencé à travailler pour Spruce Hollow en 2005, et a décrit son rôle dans sa plainte pour congédiement injuste comme étant celui d’une [traduction« agente ou gestionnaire administrative », et dans son affidavit, comme étant celui de [traduction« répartitrice principale et responsable des soumissions pour le transport, de l’organisation/de la répartition des camions, de la douane, des relations avec la clientèle, etc. ». L’entreprise fonctionnait à partir du sous‑sol de la résidence conjugale de M. Madill et Mme Knezacky située à Abbotsford (Colombie‑Britannique).

II.                Événements ayant entraîné le congédiement de Mme Knezacky

[12]           Mme Knezacky soutient qu’elle vivait un mariage abusif avec M. Madill, ce que nie celui‑ci. Le couple s’est séparé le 11 août 2011, lorsque Mme Knezacky a quitté la résidence familiale à la suite d’une dispute où M. Madill se serait montré violent à son égard. Les parties ont ensuite été engagées dans une instance de divorce acrimonieuse. Le conflit entre Mme Knezacky et M. Madill a donné lieu à de nombreux événements en cause dans le cadre de la présente affaire, et les questions examinées par l’arbitre étaient souvent étroitement liées à celles qui relèvent des procédures de divorce du couple.

[13]           Mme Knezacky a témoigné qu’elle avait peur de M. Madill et elle était préoccupée par le fait qu’elle devrait travailler avec lui après leur séparation. Au cours de la période entre sa séparation de M. Madill et la cessation de son emploi (d’une durée de moins d’un mois), Mme Knezacky affirme qu’elle a fait l’objet de violence verbale de la part de M. Madill lorsqu’elle était au travail. Lorsque Mme Knezacky s’est plainte de la conduite de M. Madill à James Weber, ce dernier lui a promis qu’il veillerait à ce que le comportement de M. Madill change et il lui a assuré qu’elle ne perdrait pas son emploi. Or, aucune mesure n’a été prise par M. Weber afin de protéger Mme Knezacky contre le comportement abusif de M. Madill et il est devenu clair par la suite que M. Weber s’était rangé du côté de M. Madill.

[14]           Le 28 août 2011, M. Madill a changé les serrures de la résidence familiale. Par conséquent, Mme Knezacky ne pouvait plus accéder à son lieu de travail, et M. Madill l’a informée qu’elle n’était plus la bienvenue dans sa maison ou au travail. Mme Knezacky a de nouveau discuté avec M. Weber de la situation et il lui a indiqué de ne pas s’en préoccuper et qu’il réglerait cette situation une fois qu’il reviendrait de sa dernière affectation.

[15]           Dans la nuit du 30 août 2011, le véhicule que Mme Knezacky conduisait a été enlevé de la maison où elle demeurait et il a été ensuite localisé dans le stationnement de son ancienne résidence familiale.

[16]           Le 7 septembre 2011, Mme Knezacky a reçu une lettre datée du 31 août 2011, signée par M. Weber, l’informant que son emploi à Spruce Hollow avait pris fin. Aucun motif de congédiement n’était fourni. La même journée, elle a reçu une deuxième lettre de M. Weber (qui était également datée du 31 août 2011) indiquant qu’elle avait omis de se présenter à une rencontre d’affaires essentielle, et que par conséquent, elle était congédiée de son poste d’administratrice au sein de l’entreprise et que tous ses pouvoirs de signature étaient révoqués.

III.             Les événements suivant le congédiement de Mme Knezacky

[17]           Mme Knezacky a soumis une plainte pour congédiement injuste le 21 septembre 2011, et un arbitre a été nommé pour statuer sur la plainte le 28 mars 2012. Toutefois, une audience sur le fond n’a pas eu lieu avant le 7 août 2013.

[18]           Mme Knezacky a initialement hésité à aller de l’avant, car bien qu’elle ait demandé que M. Weber représente Spruce Hollow dans le cadre des procédures relatives à la plainte pour congédiement, l’entreprise a nommé M. Madill comme représentant unique dans cette affaire. Spruce Hollow indique que M. Madill a été nommé comme représentant parce que M. Weber était souvent sur la route, et qu’il n’était pas à l’aise à parler en public. Il aurait eu donc de la difficulté à représenter l’entreprise dans une affaire comme celle qui nous occupe. Spruce Hollow mentionne également que Jen Weber n’aurait pas été une représentante appropriée, car elle était une employée inexpérimentée et qu’elle ne voulait pas assumer ce rôle.

[19]           En examinant la décision de l’arbitre concernant la responsabilité, le juge Mosley a soutenu que « [Spruce Hollow] a eu tort d’insister pour demander à M. Madill de défendre ses intérêts, compte tenu du conflit matrimonial dans lequel il était engagé avec la défenderesse ». Le juge Mosley a également indiqué qu’on « pouvait soupçonner M. Madill d’avoir un motif inavoué d’entraver et de retarder le déroulement de l’instance introduite sous le régime du Code du travail » et que « le ton des communications échangées entre [Spruce Hollow] et l’arbitre, de même qu’entre M. Madill et [Mme Knezacky], donne à tout le moins à penser que l’on a tenté d’entraver le déroulement de l’instance et, au pire, de recourir à de l’intimidation » : Spruce Hollow Heavy Haul Ltd.  Madill, 2014 CF 548, au paragraphe 1 [Spruce Hollow no 1].

[20]           Mme Knezacky a rapidement passé outre son hésitation initiale de donner suite à sa plainte, et l’arbitre a accusé Spruce Hollow et M. Madill d’avoir été principalement responsables du retard subséquent, car ces derniers avaient nui à l’avancement rapide et en temps opportun des procédures.

[21]           L’arbitre a conclu dans une décision interlocutoire datée du 24 octobre 2012 que Spruce Hollow n’avait jamais fourni de motifs à Mme Knezacky liés à la cessation de son emploi. Par conséquent, il a ordonné à Spruce Hollow de fournir à Mme Knezacky les motifs liés à son congédiement une semaine suivant son ordonnance. L’arbitre a également demandé que le document soit livré à son bureau, mentionnant qu’une fois qu’il serait satisfait de la forme et du contenu de la lettre, il la transmettrait lui‑même à Mme Knezacky.

[22]           Spruce Hollow a ensuite soumis une requête préliminaire pour contester la compétence de l’arbitre, dans laquelle il affirmait que Mme Knezacky n’avait pas été employée suffisamment longtemps par Spruce Hollow pour invoquer les dispositions en matière de congédiement injuste du Code canadien du travail. Spruce Hollow allègue que Mme Knezacky était une entrepreneure indépendante et non une employée de Spruce Hollow lorsqu’elle travaillait au sein de l’entreprise. L’arbitre a rejeté cet argument, concluant que Mme Knezacky avait été une employée de Spruce Hollow sans interruption pendant au moins douze mois, conformément à la loi.

[23]           Spruce Hollow a ensuite soumis une autre requête visant à rejeter la plainte en application du principe de la chose jugée. L’entreprise affirme que la plainte de Mme Knezacky était essentiellement liée aux procédures de divorce du couple dans lesquelles Spruce Hollow et M. Weber avaient été constitués parties. L’arbitre a rejeté cette requête dans une décision interlocutoire datée du 23 novembre 2012, jugeant que le principe de la chose jugée ne s’appliquait pas en l’espèce étant donné qu’aucun autre tribunal ou cour n’avait tranché la question dont il était saisi : notamment, celle de savoir si Mme Knezacky avait été injustement congédiée par Spruce Hollow.

[24]           Reconnaissant toutefois qu’il y avait des possibilités de chevauchement entre les questions liées aux procédures relatives au congédiement injuste et à certaines des questions liées aux procédures de divorce, l’arbitre a décidé que les procédures relatives au congédiement injuste devaient être scindées en deux volets : une première audience afin de déterminer si Spruce Hollow avait un motif valable pour mettre fin à l’emploi de Mme Knezacky, suivie d’une audience subséquente sur la question des réparations s’il arrivait à la conclusion que le congédiement était injuste.

[25]           Enfin, l’arbitre a eu de la difficulté à fixer la date d’audience entre le moment où Spruce Hollow a retenu les services d’un avocat vers le mois de novembre 2012 jusqu’en août 2013 en raison de l’indisponibilité de l’avocat de Spruce Hollow, de M. Madill, de M. Weber, et des témoins de Spruce Hollow : voir Spruce Hollow no 1, au paragraphe 15.

IV.             Audience sur la question de la responsabilité, la décision subséquente et son contrôle judiciaire

[26]           L’audience sur la question de la responsabilité a finalement eu lieu le 7 août 2013. Mme Knezacky a comparu à l’audience sans être représentée par un avocat. Elle était toutefois accompagnée d’une amie qui était là pour lui offrir un soutien moral. L’amie de Mme Knezacky était une ancienne employée d’une entreprise dont le nom est « Super H », et était mariée à l’unique administrateur et actionnaire de Super H.

[27]           Spruce Hollow a tenté de faire exclure l’amie de Mme Knezacky de l’audience en alléguant que sa présence pourrait lui causer un préjudice dans le cadre d’un litige entre Spruce Hollow et Super H devant la Cour suprême de la Colombie‑Britannique.

[28]           L’arbitre a refusé cette demande, ainsi que la requête en ajournement subséquent de Spruce Hollow, au motif qu’elle n’avait pas bien expliqué comment la présence de l’amie de Mme Knezacky à l’audience sur le congédiement injuste pourrait lui porter préjudice dans sa cause devant la Cour suprême de la Colombie‑Britannique.

[29]           C’est à ce moment que l’avocat de Spruce Hollow a informé l’arbitre que l’entreprise choisissait de ne pas participer à l’audience. L’arbitre a averti Spruce Hollow que son défaut de participer à l’audience signifiait nécessairement qu’elle ne s’acquitterait pas du fardeau qui lui incombait de démontrer que le congédiement de Mme Knezacky était justifié. Malgré l’avertissement de l’arbitre, le représentant de Spruce Hollow, son avocat et ses témoins se sont retirés de la salle d’audience.

[30]           Le 24 septembre 2013, l’arbitre a rendu une décision dans laquelle il a indiqué les difficultés qu’il avait eues, en raison de la conduite de Spruce Hollow et de ses représentants, à faire avancer le dossier. L’arbitre a également conclu qu’en raison du retrait de Spruce Hollow de l’audience, cette dernière ne s’est pas acquittée de son fardeau de démontrer que le congédiement de Mme Knezacky était justifié. La plainte de Mme Knezacky a donc été accueillie. L’arbitre a conclu sa décision en indiquant qu’une autre audience serait fixée afin d’examiner la question des réparations.

[31]           Spruce Hollow a demandé le contrôle judiciaire de la décision de l’arbitre, et le juge Mosley a été saisi de la demande présentée par l’entreprise : Spruce Hollow no 1. Le juge Mosley a confirmé la décision de l’arbitre soulignant que l’avocat de Spruce Hollow n’a pas été en mesure de lui expliquer en quoi la présence de l’amie de Mme Knezacky à l’audience pouvait nuire à sa cliente dans le cadre de sa cause devant la Cour suprême de la Colombie‑Britannique : Spruce Hollow no 1, au paragraphe 37.

[32]           Le juge Mosley a également affirmé que les tribunaux administratifs sont « maîtres de leur propre procédure », et que Spruce Hollow n’a pas démontré qu’elle avait subi un préjudice en raison du refus de l’ajournement. Il a également conclu que le rejet de la requête d’ajournement était raisonnable, surtout compte tenu du fait que la procédure s’éternisait et qu’on accusait beaucoup de retard. Il estimait que la lenteur des procédures était principalement imputable à Spruce Hollow et à ses « tentatives visant à bloquer ou à faire dérailler l’audience sur le fond de la plainte » : Spruce Hollow no 1, au paragraphe 47.

[33]           Par conséquent, le juge Mosley a rejeté la demande de contrôle judiciaire avec dépens de Spruce Hollow, et a renvoyé l’affaire à l’arbitre pour qu’il fixe dans les meilleurs délais la date d’audience au sujet des réparations pouvant être accordées à Mme Knezacky.

V.                La décision faisant l’objet d’un contrôle judiciaire

[34]           L’audience au sujet des réparations a eu lieu le 24 octobre 2014. Lors de cette audience, Spruce Hollow a soulevé une objection quant à la compétence de l’arbitre d’accorder des réparations à Mme Knezacky, soutenant pour la première fois que les dispositions en matière de congédiement injuste du Code ne devraient pas s’appliquer à la situation de Mme Knezacky au motif qu’elle occupait un poste de gestionnaire. L’arbitre a indiqué que, étant donné que Spruce Hollow avait reconnu sa responsabilité, elle avait par le fait même renoncé à tout droit d’invoquer cet argument. L’arbitre a également jugé, à titre subsidiaire, que Spruce Hollow n’avait pas établi que Mme Knezacky occupait dans les faits un poste de gestionnaire.

[35]           L’arbitre a jugé que Mme Knezacky avait droit à un montant de 5 450,17 $ pour sa perte de revenu et les dépenses qu’elles avaient engagées. Spruce Hollow ne conteste pas cette partie de la décision.

[36]           Après avoir examiné l’historique complexe de cette affaire, l’arbitre a également conclu que la conduite répréhensible de Spruce Hollow et de M. Madill était telle que Mme Knezacky devait recevoir 50 000 $ au titre des dommages‑intérêts majorés, et 25 000 $ au titre des dommages‑intérêts punitifs.

[37]           Spruce Hollow soutient que l’arbitre a commis une erreur en octroyant des dommages‑intérêts punitifs et majorés sur la foi des faits en l’espèce, ou subsidiairement, que le montant était excessif.

VI.             L’exactitude des affidavits des parties et l’état du dossier de la preuve

[38]           Avant d’aborder la question du bien‑fondé de la demande de Spruce Hollow, je tiens à souligner que les deux parties s’opposent au contenu de l’affidavit de la partie adverse dans leurs mémoires des faits et du droit, bien qu’aucune partie n’ait soulevé cette question à l’audience tenue devant moi.

[39]           À l’exception d’un élément, l’objection de Spruce Hollow est de nature très générale. Son mémoire des faits et du droit indique seulement que quelques parties de l’affidavit de Mme Knezacky sont préjudiciables à l’entreprise, car elles sont [traduction« dénuées de pertinences, fondées sur du ouï‑dire [...] ou elles contiennent des commentaires ou des explications inutiles ».

[40]           Spruce Hollow a soulevé le même genre d’objection imprécise à l’égard de l’affidavit que Mme Knezacky avait produit dans l’affaire Spruce Hollow no 1. Comme le juge Mosley l’a souligné dans cette affaire, Mme Knezacky a eu la tâche peu enviable de répondre à des allégations vagues sur le contenu de son affidavit : au paragraphe 26.

[41]           Comme le juge Mosley a conclu dans le jugement Spruce Hollow no 1, j’estime que Mme Knezacky « a fait de son mieux pour présenter les faits pertinents au [sic] litige et qu’elle s’est fondée sur ses connaissances personnelles des faits qui se sont produits, comme elle devait le faire » : au paragraphe 27. Encore une fois, tout comme le juge Mosley, je conclus que si certaines parties de son affidavit consistent en « des commentaires ou des explications » inutiles sur des faits dont elle n’avait pas une connaissance personnelle et qui ne sont pas pertinents quant au litige, il faut simplement ne pas en tenir compte.

[42]           Le seul paragraphe dans l’affidavit de Mme Knezacky dont Spruce Hollow a dénoncé l’inexactitude est le paragraphe 21d), qui porte sur les discussions de règlement entre les parties. Le paragraphe 21d) de l’affidavit de Mme Knezacky fait également référence aux documents de la pièce B jointe à l’affidavit. Dans les faits, il s’agit de la pièce V jointe à l’affidavit de Mme Knezacky qui porte sur les offres de règlement présentées par chaque partie au présent litige. Je suis d’accord avec Spruce Hollow que le paragraphe 21d) et les pages 176 à 180 de la pièce jointe V à l’affidavit de Mme Knezacky contiennent des informations liées aux discussions de règlement entre Spruce Hollow et Mme Knezacky. Bien que Mme Knezacky ait indiqué qu’elle est prête à renoncer au privilège qui s’applique à ces documents, Spruce Hollow ne l’a pas fait. En conséquence, l’information est assujettie au privilège relatif aux règlements et devrait donc être radiée.

[43]           L’objection de Mme Knezacky à l’affidavit de M. Madill porte sur des parties précises. Elle soutient que les paragraphes 10, 15, 22 à 28, 30 à 39 et 40 de l’affidavit de M. Madill devraient être radiés au motif qu’il s’agit de ouï‑dire ou de commentaires et d’explications inutiles. Comme je l’ai fait pour l’affidavit de Mme Knezacky, si des parties de l’affidavit consistent en « des commentaires ou des explications » inutiles sur des faits dont M. Madill n’avait pas une connaissance personnelle et qui ne sont pas pertinents quant au litige, je n’en tiendrai pas compte.

[44]           Avant d’examiner une autre question que les affidavits des parties, je souhaite formuler quelques observations additionnelles concernant l’état du dossier de preuve dont je dispose.

[45]           Une des difficultés avec ce dossier est qu’il n’y a pas de transcription de l’audience tenue devant l’arbitre et il est impossible de consulter l’ensemble du dossier de preuve dont disposait l’arbitre lorsqu’il a pris la décision contestée. Les affidavits des parties fournissent certains renseignements à cet égard, mais de nombreux énoncés de fait contenus dans leur mémoire ne sont pas étayés par des affidavits démontrant que les éléments de preuve invoqués étaient effectivement à la disposition de l’arbitre.

[46]           Ce problème touchait particulièrement la preuve de Spruce Hollow, étant donné que l’entreprise avait le fardeau d’établir que la décision de l’arbitre était déraisonnable et que ses conclusions de fait n’étaient pas étayées par les éléments de preuve dont il disposait.

[47]           Par exemple, plusieurs observations de l’entreprise n’étaient pas étayées par la preuve : voir par exemple les paragraphes 44 a) à j) du mémoire des faits et de droit de Spruce Hollow.

[48]           De plus, certains éléments de preuve par affidavit de Spruce Hollow sont incompatibles avec les arguments que cette dernière invoque. Par exemple, au paragraphe 11 de l’affidavit de M. Madill, celui‑ci affirme que [traduction« l’arbitre a clairement fait savoir au début de l’audience [sur les dommages‑intérêts] qu’il ne voulait pas perdre du temps avec les éléments de preuve et les arguments sur la question de savoir si Spruce Hollow avait un motif valable de licencier Mme Knezacky ». Parallèlement, aux paragraphes 102 à 104 de son mémoire des faits et de droit, Spruce Hollow reproche à l’arbitre de ne pas avoir expressément abordé le témoignage qu’aurait livré M. Madill lors de l’audience sur les dommages‑intérêts au soutien de l’allégation de Spruce Hollow selon laquelle Mme Knezacky avait utilisé de manière inappropriée les fonds de l’entreprise pour payer ses dépenses personnelles.

[49]           D’autres énoncés dans l’affidavit de M. Madill se sont avérés faux : précisément, l’affirmation de M. Madill au paragraphe 25 de son affidavit selon laquelle Mme Knezacky a été réprimandée par le juge de la Colombie‑Britannique pour avoir falsifié des éléments de preuves.

[50]           Par conséquent, dans les cas où le témoignage de M. Madill contredit celui de Mme Knezacky concernant ce qui s’est réellement passé durant les audiences tenues devant l’arbitre, je privilégie celui de Mme Knezacky. De plus, je ne suis pas disposé à accepter les observations de Spruce Hollow concernant les erreurs qu’aurait commises l’arbitre lorsque ces observations ne sont pas étayées par la preuve.

VII.          L’arbitre a‑t‑il commis une erreur en rejetant l’argument de Spruce Hollow selon lequel Mme Knezacky était une gestionnaire?

[51]           Spruce Hollow soutient que l’arbitre a commis une erreur en concluant que Mme Knezacky n’était pas une gestionnaire. Le paragraphe 167(3) du Code canadien du travail prévoit que les dispositions relatives au congédiement injuste ne s’appliquent pas aux employés qui occupent un poste de direction. La norme de contrôle que l’arbitre doit utiliser pour déterminer si un travailleur est un employé ou un directeur au sens du Code est celle de la décision raisonnable : Nation de Lake Babine c Williams, 2012 CF 1085, 418 FTR 95, au paragraphe 10; 6245820 Canada Inc. c Perrella, 2011 CF 728, 412 FTR 1, au paragraphe 12.

[52]           Du même coup, Spruce Hollow soutient qu’il a été traité de manière injuste par l’arbitre, car celui‑ci ne lui aurait pas permis de soulever la question de savoir si Mme Knezacky occupait des fonctions de direction lors de l’audience sur les réparations. Dans la mesure où l’entreprise soulève une question d’équité procédurale, la tâche de la Cour consiste à déterminer si le processus suivi par l’arbitre respectait le degré d’équité requis dans toutes les circonstances : voir Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, RCS 339, au paragraphe 43.

[53]           Il est inexact d’affirmer que l’arbitre a empêché Spruce Hollow de soulever la question de savoir si Mme Knezacky occupait des fonctions de direction lors de l’audience sur les réparations. L’arbitre a permis à l’entreprise de soulever cette question lors de l’audience sur les réparations, des éléments de preuve ont été soumis par l’entreprise en ce qui concerne les responsabilités dont Mme Knezacky devait s’acquitter lorsqu’elle travaillait chez Spruce Hollow, et la question a été pleinement débattue.

[54]           La conclusion que l’arbitre a tirée dans sa décision sur les réparations est que Spruce Hollow, qui avait reconnu sa responsabilité, avait de ce fait renoncé à tout droit d’invoquer des questions relatives à la compétence.

[55]           Je suis d’accord avec Spruce Hollow que cette conclusion constituait une erreur : l’argument portait sur la compétence de l’arbitre et il est toujours permis à une partie de soulever une question relative à la compétence. Comme le juge Rothstein (membre de notre Cour à l’époque) le souligne dans le jugement MacNutt c Bande indienne Shubenacadie, [1998] 2 CF 198, 138 FTR 275, au paragraphe 41, que les parties à une procédure administrative ne peuvent, « par renonciation ou acquiescement, conférer à un tribunal une compétence qui n’a pas été, ou n’a pu être, conférée par le Parlement ».

[56]           Toutefois, l’erreur commise par l’arbitre n’a pas d’incidence sur l’issue de la présente demande, car sa conclusion subsidiaire selon laquelle Spruce Hollow n’avait pas établi que Mme Knezacky était une gestionnaire était raisonnable.

[57]           Pour évaluer si Mme Knezacky était une gestionnaire au sein de Spruce Hollow, l’arbitre a appliqué le critère établi dans la décision Donio c Matawa First Nations Management Inc., [2007] CLAD no 33, au paragraphe 40. Dans cette décision, l’arbitre énonce plusieurs critères qui doivent être pris en compte pour déterminer si un employé donné est un gestionnaire. La majorité de ces facteurs sont liés à la nature et à l’étendue des responsabilités de l’employé.

[58]           Spruce Hollow ne conteste pas le critère appliqué par l’arbitre, mais elle soutient que les conclusions factuelles relatives aux responsabilités de Mme Knezacky au sein de l’entreprise étaient déraisonnables. Je ne suis pas d’accord. Selon la preuve présentée, il était raisonnable pour l’arbitre de conclure que l’autonomie, le pouvoir discrétionnaire et l’autorité de Mme Knezacky dans la conduite des affaires de Spruce Hollow n’étaient pas assez importants.

[59]           L’élément inhabituel dans la présente affaire est qu’en plus d’être une employée de Spruce Hollow, Mme Knezacky était également une actionnaire, une administratrice et une créancière de l’entreprise. Toutefois, la question que devait trancher l’arbitre ne concernait pas la nature de son rôle dans l’une ou l’autre de ces fonctions, mais plutôt l’étendue de son autonomie, de son pouvoir discrétionnaire et de son autorité dans la conduite des affaires de son employeur en tant qu’employée de l’entreprise.

[60]           Le fait que Mme Knezacky décrivait son rôle comme « agente ou gestionnaire administrative » dans sa plainte de congédiement injuste n’était pas déterminant pour trancher la question. Comme l’arbitre l’a noté, [traduction« dans des questions comme celle‑ci, les arbitres doivent être davantage intéressés par le fond que par la forme ». D’ailleurs, la Cour a jugé que « la nature du travail effectué [...] est plus importante que le titre du poste » : Banque Canadienne Impériale de Commerce c Torre, 2010 CF 105, 362 FTR 232, au paragraphe 17.

[61]           Dans cette même décision, la Cour a indiqué qu’un directeur « doit jouer le rôle d’administrateur et non celui d’exécutant » et il peut s’agir d’une personne « qui peut être en haut ou en bas de la pyramide de direction, tout dépendra du degré d’autonomie dont jouit le directeur et de l’importance des fonctions de gestion en cause ». Un directeur doit toutefois « être en position de contrôle » et il faut qu’il y ait une « nette distinction entre un “superviseur” et un “directeur” ». Enfin, une personne ne sera pas considérée comme un gestionnaire « si elle n’est qu’une courroie de transmission entre les employés sous sa supervision et la direction qui approuve ou désapprouve ses recommandations » : Torre, précité, au paragraphe 17.

[62]           Finalement, pour établir qu’un travailleur est un directeur, il faut déterminer si l’autonomie, le pouvoir discrétionnaire et l’autorité de cette personne dans la conduite des affaires de l’employeur sont importants. Pour y parvenir, il faut que deux critères soient remplis : en premier lieu, le travailleur doit participer à l’administration des affaires de l’employeur, et en second lieu, il doit avoir le pouvoir d’agir de manière indépendante, de faire preuve d’autonomie et d’exercer son pouvoir discrétionnaire dans le cadre d’une vaste gamme de questions qui relèvent de lui : Msuya c Sundance Balloons International Ltd., 2006 CF 321, 289 FTR 85, au paragraphe 23; Lake Babine Nation c Williams, 418 FTR 95, précité, aux paragraphes 49 et 52.

[63]           Le représentant de Spruce Hollow a affirmé devant l’arbitre que Mme Knezacky était responsable en grande partie de la gestion quotidienne du bureau, et qu’elle participait notamment à l’embauche et la mise à pied d’employés, ainsi qu’à la création d’un guide de l’employé. Elle a également contribué à la supervision des employés, et elle détenait des pouvoirs de signature et de conclusion de contrats au nom de l’entreprise. De plus, Mme Knezacky a engagé des dépenses au nom de l’entreprise, en achetant des fournitures de bureau et en préparant le budget du bureau. Spruce Hollow a également souligné que Mme Knezacky était payée autant ou plus que M. Weber, M. Madill et Mme Weber.

[64]           Se prononçant d’abord sur ce dernier point, l’arbitre a conclu que le revenu modeste de Mme Knezacky ne correspondait pas au salaire d’un employé détenant des pouvoirs de direction. Je suis d’accord avec Spruce Hollow que la question ne portait pas sur la valeur monétaire absolue du revenu de Mme Knezacky, mais plutôt sur la comparaison de son revenu à ceux des autres employés qu’elle a désignés comme étant des gestionnaires de l’entreprise : Donio, précité, au paragraphe 40. Toutefois, cette erreur n’est pas suffisante pour mettre en doute le caractère raisonnable de la décision de l’arbitre selon laquelle Mme Knezacky n’occupait pas un poste de direction.

[65]           Après avoir examiné les preuves contradictoires concernant le rôle de Mme Knezacky en tant qu’employée de Spruce Hollow, l’arbitre a conclu qu’elle ne jouissait pas d’une réelle autonomie, sauf dans son rôle de répartitrice. Malgré la participation active de Mme Knezacky au sein de l’équipe responsable d’un petit bureau de transport routier par camion, l’arbitre a conclu qu’elle n’avait pas la capacité d’agir indépendamment et que presque toutes ses décisions devaient être ratifiées par M. Weber, M. Madill ou Mme Weber, ou par l’ensemble d’entre eux.

[66]           Bien que Mme Knezacky ait reconnu qu’elle avait participé à la création d’un guide de l’employé, l’arbitre a accepté son témoignage selon lequel le document avait été en fait rédigé par M. Madill et que Mme Knezacky l’avait simplement dactylographié. La dactylographie d’un document n’est clairement pas une fonction de direction.

[67]           L’arbitre a également jugé que, bien que Mme Knezacky ait pu participer à l’embauche d’au moins un employé, elle n’avait pas le pouvoir d’embaucher une personne de son propre chef. Dans le même ordre d’idée, l’arbitre a souligné que bien que Mme Knezacky ait reconnu qu’elle avait un pouvoir limité de signer les chèques, la signature de M. Weber était également requise pour les chèques de l’entreprise.

[68]           Spruce Hollow ne m’a renvoyé à aucun élément de preuve au dossier qui mettrait en doute le caractère raisonnable de ces conclusions.

[69]           En effet, même si Mme Knezacky avait l’impression d’être en partenariat avec les autres propriétaires de l’entreprise, Spruce Hollow a présenté peu d’éléments de preuve établissant qu’elle possédait un pouvoir de décision indépendant en sa qualité d’employé. La preuve indiquait que Mme Knezacky participait au processus décisionnel de l’entreprise, mais elle n’établissait pas qu’elle avait le pouvoir de prendre des décisions indépendamment dans ses fonctions de gestionnaire de bureau. La preuve indiquait plutôt que sa capacité à prendre des décisions était assujettie à des lignes directrices fournies par M. Weber, le propriétaire principal de l’entreprise ou par M. Madill en tant que directeur général, ou qu’il fallait qu’elle demande directement leur approbation.

[70]           En fin de compte, l’arbitre a appliqué le critère approprié pour trancher la question de savoir si Mme Knezacky était une gestionnaire. Il a examiné la preuve soumise par chaque partie en expliquant pourquoi, à son avis, la preuve soumise par Spruce Hollow n’étayait pas la conclusion que Mme Knezacky exécutait des fonctions de direction au sein de l’entreprise. Les conclusions de l’arbitre étaient raisonnables, et aucune raison ne justifie l’intervention de la Cour.

VIII.       La décision de l’arbitre d’octroyer des dommages‑intérêts punitifs et majorés

[71]           L’arbitre a conclu que la conduite répréhensible adoptée par Spruce Hollow et M. Madill, en lien avec le congédiement de Mme Knezacky et la présente instance, justifiait qu’elle se voit octroyer 50 000 $ au titre des dommages‑intérêts majorés et 25 000 $ au titre des dommages‑intérêts punitifs.

[72]           Bien que Spruce Hollow ne remette pas en question la compétence de l’arbitre d’octroyer des dommages‑intérêts punitifs et majorés, elle conteste les montants octroyés au titre des dommages‑intérêts dans la présente affaire. Spruce Hollow soutient qu’elle a été traitée de manière injuste par l’arbitre à cet égard, car Mme Knezacky a seulement demandé des dommages‑intérêts punitifs et majorés au moment de l’audience. Spruce Hollow soutient en outre que les circonstances de la présente affaire ne justifiaient pas l’octroi de dommages‑intérêts, ou subsidiairement, que les montants octroyés étaient excessifs.

[73]           Comme je l’expliquerai ci‑dessous, je ne suis pas convaincue que Spruce Hollow a été traité de manière injuste par l’arbitre. Bien que je sois d’accord avec Spruce Hollow que les montants octroyés au titre des dommages‑intérêts majorés et punitifs étaient importants, la conclusion de l’arbitre selon laquelle ils étaient justifiés compte tenu du comportement de l’entreprise dans la présente affaire était raisonnable à la lumière du dossier dont il disposait.

A.                Question relative à l’équité

[74]           D’abord en ce qui concerne la question relative à l’équité, Spruce Hollow souligne que Mme Knezacky a demandé des dommages‑intérêts punitifs et majorés seulement le matin de l’audience relative aux dommages‑intérêts et qu’elle n’avait pas préalablement communiqué à l’entreprise les documents sur lesquels sa demande était fondée. 

[75]           Toutefois, à l’exception du billet du médecin examiné ci‑dessous, Spruce Hollow n’a pas expliqué en quoi le fait que Mme Knezacky n’avait pas demandé des dommages‑intérêts punitifs et majorés plus tôt au cours de l’instance lui avait causé un préjudice. Plus précisément, l’entreprise n’a pas fait savoir qu’elle n’avait pas été en mesure de présenter des éléments de preuve en réponse aux demandes de dommages‑intérêts, et elle n’a pas non plus laissé entendre qu’elle n’avait pas été en mesure de poser des questions pertinentes sur ces demandes. 

[76]           L’argument concernant l’équité procédurale de Spruce Hollow était axé sur un billet du médecin qui indiquait que Mme Knezacky était médicalement inapte à travailler pendant une durée de trois mois. Spruce Hollow soutient que si elle avait reçu ce document en temps opportun, elle aurait pu communiquer avec le docteur de Mme Knezacky afin de déterminer dans quelle mesure sa détresse était attribuable à l’échec de son mariage et aux circonstances liées à la perte de son emploi. Cet argument comporte plusieurs lacunes.

[77]           Plusieurs des documents sur lesquels Mme Knezacky avait fondé sa demande de dommages‑intérêts punitifs et majorés avaient déjà été communiqués à Spruce Hollow. Lorsque Mme Knezacky a tenté de produire un recueil de documents le matin de l’audience sur les dommages‑intérêts, du temps a été accordé à Spruce Hollow pour qu’elle examine ces documents. Les deux déposants ont convenu que le seul document que l’entreprise contestait était une écriture de journal consignée par Mme Knezacky. L’avocat de l’entreprise ne s’est pas opposé au dépôt du billet du médecin et la preuve qui m’a été soumise n’indique pas que Spruce Hollow a informé l’arbitre qu’elle avait subi un préjudice en raison de la communication tardive du billet du médecin. 

[78]           Dans les circonstances, je ne suis pas convaincue que Spruce Hollow a été traitée injustement à cet égard.

B.                 L’octroi de dommages‑intérêts majorés

[79]           En règle générale, il n’est pas possible pour un employé de réclamer des dommages‑intérêts pour un préjudice lié à la perte de son emploi : Honda Canada Inc. c Keays, 2008 CSC 39, [2008] 2 RCS 362, au paragraphe 50; Wallace c United Grain Growers, [1997] 3 RCS 701, [1997] ACS no 94, aux paragraphes 73, 75, 88 et 89.

[80]           Un employé peut toutefois se voir octroyer des dommages‑intérêts pour des préjudices causés par les circonstances de son congédiement, y compris la souffrance morale, dans les cas où l’employeur se comporte de façon inéquitable ou fait preuve de mauvaise foi en étant, par exemple, menteur, trompeur ou trop implacable. Cette possibilité découle de l’obligation de bonne foi et de traitement équitable dans le mode de congédiement que l’employeur se doit de respecter. Lorsque l’employeur manque à cette obligation, le préjudice subi par l’employé sera indemnisable : Honda Canada Inc., [2008] 2 RCS 362, précité, aux paragraphes 57 et 58; Wallace, précité, au paragraphe 95.

[81]           Dans le cas où des dommages‑intérêts majorés sont justifiés, ils sont octroyés aux fins d’indemnisation pour le préjudice subi par l’employé. Par conséquent, le montant octroyé doit tenir compte des dommages ou des préjudices effectivement subis par l’employé en raison de la conduite de l’employeur. Il ne suffit pas pour l’employé de démontrer simplement que l’employeur a manqué à son obligation de bonne foi et de traitement équitable. L’employé doit également démontrer que la conduite de l’employeur lui a causé un préjudice réel : Honda Canada Inc., précité, au paragraphe 59; Fernandes c Penncorp Life Insurance Co., 2014 ONCA 615, 122 O.R. (3d) 192, au paragraphe 90.

[82]           Lorsque la Cour calcule le montant des dommages‑intérêts approprié, elle doit expliquer la démarche qu’elle a suivie pour arriver à un montant en particulier ou indiquer les éléments de preuve qui justifient un tel montant. De plus, le montant ne doit pas être excessif ou disproportionné par rapport aux circonstances de l’affaire ou à la jurisprudence similaire : Fernandes, précité, au paragraphe 100; Joseph c Première Nation Tl’azt’en, 2013 CF 767, 436 FTR 79, au paragraphe 40.

[83]           En arrivant à la conclusion que la présente affaire donnait lieu à des dommages‑intérêts punitifs et aussi à des dommages‑intérêts majorés, l’arbitre a fait remarquer à raison que les dommages majorés sont censés être de nature compensatoire, alors que les dommages punitifs visent à punir une partie pour sa conduite malveillante, tyrannique ou opprimante qui choque le sens de dignité de l’arbitre.

[84]           Pour décider que les faits de la présente affaire justifiaient l’octroi de dommages‑intérêts majorés, l’arbitre a jugé que la conduite de Spruce Hollow et de M. Madill était malveillante, dure et vengeresse; qu’ils ont fait preuve d’outrage envers le système de justice; qu’ils ont été extrêmement abusifs envers Mme Knezacky; et que cette dernière en a grandement souffert.

[85]           À l’appui de cette conclusion, l’arbitre a souligné les garanties maintes fois données à Mme Knezacky par M. Weber que l’entreprise prendrait des mesures pour que cesse le comportement abusif de M. Madill envers elle, garanties qu’il a continué de donner jusqu’à son congédiement.

[86]           L’arbitre souligne que Spruce Hollow a décidé de se faire représenter par M. Madill dans le cadre des procédures et que ce dernier a continuellement entravé le déroulement de l’instance. L’arbitre a constaté que le juge Mosley avait formulé des commentaires sur le fait qu’il était inapproprié pour l’entreprise d’insister pour que M. Madill la représente et que cette insistance donnait « à tout le moins à penser que l’on a tenté d’entraver le déroulement de l’instance et, au pire, de recourir à de l’intimidation », Spruce Hollow no 1, précité, au paragraphe 50. Ayant eu l’occasion d’observer la conduite des parties tout au long de ces longues procédures, l’arbitre a conclu que [traduction« que la dernière de ces hypothèses était plus probable que la première ».

[87]           L’arbitre a également conclu qu’en justifiant le congédiement de Mme Knezacky par des motifs qui étaient faux, voire frauduleux, et en l’intimidant tout au long de l’instance, M. Madill avait fait montre d’un comportement [traduction« malveillant, dur et vengeur ».

[88]           Il importe de signaler, même si l’arbitre ne l’a pas mentionné dans ses motifs, que malgré la conclusion du juge Mosley selon laquelle la participation de M. Madill à titre de représentant de l’entreprise dans les procédures liées au congédiement injuste était inappropriée, et l’admission même de Spruce Hollow portant que le choix de M. Madill comme représentant de l’entreprise [traduction« était clairement le mauvais choix », M. Madill a tout de même agi à titre de représentant de Spruce Hollow lors de l’audience relative aux dommages‑intérêts et, je le souligne, à l’audience devant la Cour.

[89]           Selon Spruce Hollow, M. Madill a continué d’agir dans la présente affaire parce qu’il était le représentant qui connaissait le mieux les questions en litige; l’entreprise devrait en conséquence avoir le droit de bénéficier de son appui. Je souligne, toutefois, que cet argument n’est aucunement étayé par des éléments de preuve et que la seule explication qui a été donnée pour la participation de M. Madill dans cette affaire était que M. et Mme Weber ne se sentaient pas [traduction« à l’aise » d’y participer.

[90]           L’arbitre s’est également fondé sur le fait que M. Madill a empêché Mme Knezacky d’accéder à son milieu de travail, et qu’elle a été congédiée sans préavis et sans qu’on lui fournisse de motifs pour son congédiement. Spruce Hollow soutient que l’arbitre a commis une erreur à cet égard, car des motifs ont été fournis dans la seconde lettre datée du 31 août 2013, et qu’ils avaient été jugés suffisants par l’inspecteur de Ressources humaines et du Développement des compétences Canada (RHDCC) chargé d’examiner ce dossier.

[91]           Cet argument passe à côté de la question. Peu importe l’avis de l’inspecteur concernant l’interprétation des deux lettres datées du 31 août qui ont été envoyées au cours des semaines ou mois qui ont suivi le congédiement de Mme Knezacky, le fait est qu’elle a été congédiée injustement de son emploi – un emploi dont elle était de toute évidence fière – sans recevoir aucun motif justifiant les mesures prises par l’entreprise.

[92]           Je suis d’accord avec Spruce Hollow qu’il n’était pas raisonnable pour l’arbitre de reprocher à l’entreprise de ne pas avoir fourni à Mme Knezacky une copie des motifs qu’elle a rédigés en réponse à l’ordonnance de l’arbitre du 24 octobre 2012. Elle a agi ainsi parce que l’arbitre lui avait précisément demandé d’envoyer le document présentant les motifs du congédiement à son bureau, et il avait indiqué qu’il transmettrait lui‑même le document à Mme Knezacky une fois qu’il serait satisfait de la forme et du contenu du document. Il s’agit toutefois d’une erreur mineure et sans conséquence, en raison des nombreuses autres raisons fournies par l’arbitre pour justifier l’octroi de dommages‑intérêts majorés.

[93]           En ce qui concerne les motifs eux‑mêmes, l’arbitre a souligné que dans le document fourni par Spruce Hollow, on alléguait des actes que Mme Knezacky aurait commis [traduction« qui doivent être jugés comme étant des motifs les plus sérieux, qui, s’ils étaient vrais, justifieraient facilement son congédiement ». Voici les actes qu’aurait commis Mme Knezacky :

1.                  Détournement de fonds de l’entreprise;

2.                  Retrait des biens de l’entreprise;

3.                  Malhonnêteté envers les propriétaires et la direction;

4.                  Manipulations frauduleuses du registre des procès‑verbaux de l’entreprise;

5.                  Achats non autorisés effectués avec les fonds de l’entreprise;

6.                  Défaut de produire les déclarations de revenus de l’entreprise;

7.                  Défaut de payer l’impôt de l’entreprise;

8.                  Défaut de se présenter à une réunion obligatoire avec les propriétaires de l’entreprise;

9.                  Utilisation non autorisée du véhicule de l’entreprise;

10.              Défaut de suivre toutes les directives et de respecter les demandes de la direction.

[94]           L’arbitre a également mentionné que [traduction« la nature des accusations vise à porter atteinte à la réputation et à l’intégrité de Mme Knezacky. Certains des actes reprochés sont de nature criminelle et correspondent à des crimes de turpitude morale, comme le détournement des fonds de l’entreprise ou les manipulations frauduleuses du registre des procès‑verbaux de l’entreprise », alors que dans d’autres cas, on lui reproche [traduction« seulement d’avoir réalisé des achats non autorisés ou d’avoir commis des fautes d’omission ». Une des allégations consiste simplement à dire « qu’elle était insubordonnée, car elle ne respectait pas toutes les directives et demandes de la direction ».  

[95]           Spruce Hollow ne conteste pas la manière dont l’arbitre qualifie les motifs donnés pour justifier le congédiement de Mme Knezacky et j’estime qu’elle est entièrement raisonnable.

[96]           L’arbitre a poursuivi en ajoutant que [traduction« les accusations de cette nature obligent l’employeur à engager des poursuites de manière diligente et à les prouver, sans quoi elles doivent être jugées comme étant des propos diffamatoires entachant la réputation et l’intégrité, et susceptibles d’étayer le moindrement une réclamation en dommages‑intérêts majorés dans les conditions appropriées ». Vu que Spruce Hollow n’a présenté aucun élément de preuve pour étayer les allégations, il était raisonnable pour l’arbitre de conclure que l’octroi de dommages‑intérêts majorés était justifié, surtout compte tenu du fait qu’elle ne s’est pas limitée à tenir des propos diffamatoires à l’endroit de Mme Knezacky dans le document contesté, mais il a répété ses allégations à d’autres personnes dans but de dissuader d’autres sociétés de l’embaucher.

[97]           L’arbitre a aussi tenu compte du fait que M. Madill a porté plainte auprès du service de police d’Abbotsford en juin 2012, à titre de directeur général de Spruce Hollow, alléguant que Mme Knezacky avait volé des biens et de l’argent appartenant à Spruce Hollow. Cette plainte était évidemment non étayée par des éléments de preuve et elle a été abandonnée, mais pas avant que Mme Knezacky ait été humiliée et interrogée par la police.

[98]           L’arbitre a aussi jugé que Spruce Hollow avait soumis intentionnellement et cruellement Mme Knezacky à des souffrances morales, de l’humiliation, des épreuves, et la perte d’estime de soi et de dignité en envoyant deux feuillets T‑4 contenant de fausses informations auprès de l’Agence de revenu du Canada, dans lesquels le revenu de Mme Knezacky avait été exagérément évalué à la hausse. Cette action a donné lieu à un litige d’une durée de deux ans entre Mme Knezacky et l’ARC avant que l’affaire ait été réglée en sa faveur.

[99]           Le dossier démontre que les montants additionnels qui ont été inclus par Spruce Hollow dans les T‑4 de Mme Knezacky n’étaient pas des revenus, et ils correspondaient plutôt au remboursement d’une partie des sommes qu’elle avait prêtées à l’entreprise et qui étaient consignées comme tel dans les grands livres de l’entreprise. Par conséquent, la conclusion de l’arbitre à cet égard était raisonnable.

[100]       L’arbitre a également conclu que Spruce Hollow avait inclus de fausses informations dans le relevé d’emploi de Mme Knezacky afin qu’on lui refuse des prestations d’assurance‑emploi et elle n’a pas été en mesure de récupérer ses articles personnels du bureau.

[101]       À la lumière des conclusions exposées précédemment, la conclusion de l’arbitre selon laquelle les actions de Spruce Hollow étaient motivées par une véritable malveillance était amplement étayée par la preuve. De surcroît, en ce qui concerne la question des dommages‑intérêts majorés, il était loisible à l’arbitre de parvenir à la conclusion selon laquelle Spruce Hollow a porté des allégations contre Mme Knezacky [traduction« en ne se souciant aucunement de savoir si ces allégations étaient vraies ou non et en causant [à Mme Knezacky] des souffrances morales, de l’humiliation, des épreuves, et la perte d’estime de soi et de dignité », compte tenu du dossier dont il disposait.

[102]       L’arbitre a également conclu que M. Madill et Spruce Hollow avaient tenté à de multiples reprises d’entraver et de retarder le déroulement des procédures – une conclusion à laquelle le juge Mosley a souscrit dans le jugement Spruce Hollow no 1. Spruce Hollow soutient qu’il n’était pas raisonnable pour l’arbitre de jeter tout le blâme sur elle concernant le retard, et que l’arbitre n’a pas tenu compte du fait que Mme Knezacky avait initialement hésité à aller de l’avant.

[103]       Toutefois, comme je l’ai mentionné ci‑dessus, l’hésitation initiale de Mme Knezacky à aller de l’avant cette affaire découlait du fait qu’elle craignait M. Madill et que ce dernier avait été désigné pour représenter l’entreprise dans le cadre de procédures relatives à la plainte pour congédiement injuste. De plus, Mme Knezacky a rapidement passé outre son hésitation initiale et a tenté de faire avancer l’instance, mais elle s’est heurtée aux obstacles et aux retards imposés par son ancien employeur.  

[104]       À la lumière de toutes les circonstances exposées précédemment, l’arbitre a jugé que Mme Knezacky avait droit à des dommages‑intérêts majorés pour les souffrances qu’elle a subies. Je suis d’accord avec Mme Knezacky que cette conclusion était amplement étayée par le dossier dont disposait l’arbitre et qu’elle était raisonnable.

[105]       Dans son argument portant que les montants octroyés au titre des dommages‑intérêts par l’arbitre étaient déraisonnables, Spruce Hollow a tenté d’attaquer de manière accessoire plusieurs conclusions de l’arbitre, en s’en prenant par exemple à l’utilisation du mot [traduction« voler » par l’arbitre lorsqu’il faisait référence au retrait du véhicule de Mme Knezacky le 30 août 2011, ce qui laissait entendre que l’entreprise avait commis un acte répréhensible alors qu’elle était la propriétaire légitime du véhicule.

[106]       Or, ce que l’arbitre a réellement dit est que Mme Knezacky [traduction« avait été réveillée par le son de quelqu’un qui tentait apparemment de voler sa voiture » [Non souligné dans l’original]. L’arbitre ne s’est aucunement prononcé sur la question de la propriété du véhicule en faisant ce commentaire, comme Spruce Hollow semble l’indiquer. Étant donné que des inconnus ont retiré la voiture de la résidence temporaire de Mme Knezacky au milieu de la nuit, les mots utilisés par l’arbitre semblent tout à fait appropriés pour décrire la situation.

[107]       Spruce Hollow conteste également la conclusion de l’arbitre selon laquelle non seulement Mme Knezacky s’est vu interdire l’accès à son bureau, mais le retrait de son véhicule signifiait également qu’elle n’avait pas de moyen pour se rendre au bureau. Spruce Hollow explique que Mme Knezacky aurait pu demander à des amis de la conduire ou prendre le transport en commun. Bien que cet argument soit peut‑être fondé, Spruce Hollow ne saisit pas le raisonnement de l’arbitre selon lequel après que Mme Knezacky s’est vu interdire l’accès à son bureau, on lui a retiré son moyen de transport habituel, aggravant ainsi le préjudice qu’elle avait subi.

[108]       Spruce Hollow affirme que même si l’octroi de dommages‑intérêts majorés était raisonnable dans les circonstances de la présente affaire, la somme de 50 000 $ était nettement exagérée, particulièrement à la lumière du fait que Mme Knezacky n’a pas produit [traduction« une preuve médicale abondante » pour étayer sa demande de dommages‑intérêts majorés. Selon Spruce Hollow, l’arbitre a confondu les notions qui sous‑tendent l’octroi de dommages‑intérêts punitifs et majorés, et l’octroi de dommages majorés était lui‑même de nature punitive. Enfin, Spruce Hollow soutient que l’arbitre a commis une erreur, car il n’a pas tenté de départager la souffrance morale que Mme Knezacky a subie en raison de la perte de son emploi de celle qu’elle a subie en raison de l’échec de son mariage qui battait de l’aile depuis de nombreuses années.

[109]       Aucune règle n’exige toutefois pas le dépôt de preuve médicale, abondante ou non, comme une condition préalable à l’octroi de dommages‑intérêts majorés. Mme Knezacky devait seulement fournir de la preuve démontrant que la conduite de Spruce Hollow a causé un préjudice à sa réputation, sa dignité et son intégrité, ou lui a causé de la souffrance morale. Cette conclusion était très bien étayée par la preuve soumise à l’arbitre.

[110]       L’argument de Spruce Hollow selon lequel l’arbitre devait départager la souffrance causée par l’échec de son mariage de celle causée par son congédiement repose sur son incompréhension de la mesure dans laquelle l’octroi de dommages‑intérêts pour le préjudice qu’elle a subi doit être détaillé. L’octroi de dommages‑intérêts majorés doit être une indemnisation pour les pertes non pécuniaires, et ainsi, il n’est pas nécessaire de les calculer avec précision. Par conséquent, l’indemnisation est accordée selon une somme globale en tenant compte de la preuve pertinente. L’arbitre a abordé cette question exactement de cette façon dans la présente affaire.

[111]       L’argument de Spruce Hollow ne tient également pas compte de la preuve relative à la mesure dans laquelle l’entreprise a permis à M. Madill d’influencer négativement la relation d’emploi par son animosité envers Mme Knezacky découlant de l’échec de leur mariage. Il est malhonnête que Spruce Hollow laisse maintenant entendre que la décision de l’arbitre devrait être écartée au motif qu’il a omis de départager la souffrance causée par son congédiement de celle causée par sa séparation.

[112]       L’arbitre a également pris soin d’octroyer des montants distincts au titre des dommages‑intérêts punitifs et des dommages‑intérêts majorés, et il a réduit le montant des dommages‑intérêts punitifs afin de tenir compte du fait qu’il avait déjà octroyé une somme importante au titre des dommages‑intérêts majorés. De plus, les événements invoqués par l’arbitre pour justifier l’octroi de dommages‑intérêts majorés causeraient une souffrance morale et de l’embarras à quiconque, et ils seraient plus difficiles à supporter pour une personne qui doit en plus passer à travers l’épreuve d’un divorce acrimonieux.

[113]       L’arbitre a précisé les faits sur lesquels il fondait sa conclusion que l’octroi de dommages‑intérêts majorés était approprié dans la présente affaire, et ses conclusions étaient amplement étayées par la preuve. De plus, bien que l’arbitre ait convenu que les circonstances entourant le congédiement de Mme Knezacky étaient étroitement liées à l’échec de son mariage, il est toutefois clair à la lecture des paragraphes 43 à 46 et 51 des motifs de l’arbitre que les circonstances sur lesquelles l’arbitre s’était fondé pour appuyer l’octroi de dommages‑intérêts majorés étaient toutes directement liées à la perte de l’emploi que Mme Knezacky occupait chez Spruce Hollow. Par conséquent, Spruce Hollow n’a pas démontré qu’il était justifié de modifier les montants que l’arbitre a octroyés au titre des dommages‑intérêts.

C.                 Octroi de dommages‑intérêts punitifs

[114]       Comme je l’ai indiqué ci‑dessus, l’arbitre a également accordé à Mme Knezacky un montant de 25 000 $ au titre des dommages‑intérêts punitifs. En octroyant ce montant, l’arbitre a jugé que la conduite de Spruce Hollow dans la présente affaire justifiait une telle punition, compte tenu du fait que Mme Knezacky avait été victime de harcèlement de la part de M. Madill et des motifs que l’entreprise avait créés de toute pièce pour justifier son congédiement. L’arbitre a conclu que ce comportement était malicieux et opprimant, et il a choqué le sens de dignité de l’arbitre.

[115]       L’arbitre a toutefois souligné que la jurisprudence l’obligeait à veiller à ce que l’octroi de dommages‑intérêts punitifs ne devait pas être « extraordinairement élevé » lorsqu’ils sont ajoutés à des dommages‑intérêts compensatoires, et que l’octroi de dommages‑intérêts punitifs ne devrait pas aller au‑delà de ce qui est rationnellement nécessaire dans les circonstances pour punir le défendeur, citant l’arrêt Whiten c Pilot Insurance Co., 2002 CSC 18, [2002] 1 RCS 595, de la Cour suprême.

[116]       Par conséquent, l’arbitre a limité le montant des dommages‑intérêts punitifs qu’il a octroyés à 25 000 $, malgré sa [traduction« désapprobation absolue » envers la conduite de Spruce Hollow dans la présente instance et dans le cadre du congédiement de Mme Knezacky,

[117]       Dans l’arrêt Hill c Église de scientologie de Toronto, [1995] 2 RSC 1130, 126 DLR (4th) 129, la Cour suprême a souligné que l’octroi de dommages‑intérêts punitifs est approprié lorsque la conduite du défendeur « est si malveillante, opprimante et abusive qu’elle choque le sens de dignité de la cour ». La Cour a ensuite fait remarquer que l’octroi de dommages‑intérêts punitifs ne vise pas à compenser, mais à punir le défendeur. L’octroi de dommages‑intérêts punitifs est « le moyen par lequel le jury ou le juge exprime son outrage à l’égard du comportement inacceptable du défendeur. Ils revêtent le caractère d’une amende destinée à dissuader le défendeur et les autres d’agir ainsi » : Hill, précité, au paragraphe 196.

[118]       La Cour suprême a aussi mentionné que les dommages‑intérêts punitifs « ne devraient être accordés que dans les situations où les dommagesintérêts généraux et majorés réunis ne permettent pas d’atteindre l’objectif qui consiste à punir et à dissuader » : Hill, précité, au paragraphe 196.

[119]       Le critère lié à l’octroi de dommages‑intérêts punitifs dans un contexte d’emploi comporte trois volets. Premièrement, comme je l’ai souligné précédemment, l’employé doit démontrer que la conduite du défendeur est répréhensible, c’est‑à‑dire qu’elle est malveillante, opprimante et abusive : Whiten, précité, au paragraphe 36; Boucher v Wal‑Mart Canada Corp., 2014 ONCA 419, 120 OR (3d) 481, au paragraphe 79.

[120]       Deuxièmement, il faut démontrer que l’octroi de dommages‑intérêts punitifs en plus de dommages‑intérêts compensatoires [traduction« est rationnellement nécessaire pour punir le défendeur et réaliser les objectifs de châtiment, de dissuasion et de dénonciation » : Boucher, précité, au paragraphe 79.

[121]       Enfin, lorsque la demande est soulevée dans un contexte d’emploi, comme c’est le cas en l’espèce, l’employé doit démontrer que l’employeur a commis une faute indépendante donnant ouverture à action. L’employé n’a pas à démontrer que l’employeur a commis un délit autonome ou qu’il a une cause d’action indépendante, mais plutôt que l’employeur n’a pas respecté une disposition contractuelle ou une autre obligation, y compris une obligation fiduciaire ou l’obligation de bonne foi et de traitement équitable dans le mode de congédiement : Whiten, précité, aux paragraphes 79 à 82; Boucher, précité, au paragraphe 80.

[122]       L’octroi de dommages‑intérêts doit être régi par le principe de la proportionnalité, qui englobe les facteurs suivants :

1.                  Le caractère répréhensible de la conduite du défendeur;

2.                  Le degré de vulnérabilité du demandeur;

3.                   Le préjudice réel ou potentiel infligé au demandeur en particulier;

4.                  Le besoin de dissuasion;

5.                  Le montant de tous les autres dommages‑intérêts accordés;

6.                  Le montant de l’enrichissement injustifié subséquent : White, précité, aux paragraphes 112 à 126.

[123]       En l’espèce, l’arbitre a bien repris les principes juridiques liés à l’octroi de dommages‑intérêts punitifs, en tenant compte précisément des directives énoncées dans les arrêts Whiten, Hill et Boucher. Il a examiné la preuve et a conclu que la conduite de Spruce Hollow était malveillante, dure et vengeresse. Il a conclu que Spruce Hollow avait manqué à son obligation de bonne foi et de traitement équitable lors du congédiement de Mme Knezacky et que cette conduite justifiait l’octroi de dommages‑intérêts punitifs.

[124]       Spruce Hollow soutient que l’arbitre n’a pas déterminé la « faute indépendante donnant ouverture à d’action » commise par l’entreprise. Il est vrai que l’arbitre n’a jamais utilisé les termes « faute indépendante donnant ouverture à action » dans ses motifs, mais l’examen global de sa décision démontre clairement qu’il a conclu que Spruce Hollow avait agi de manière malhonnête, diffamatoire et trompeuse durant et suivant le congédiement de Mme Knezacky, et qu’elle avait manqué à son obligation de bonne foi et de traitement équitable. Par conséquent, ses explications répondent à l’exigence relative à l’établissement de l’existence d’une faute indépendante donnant ouverture à action et démontrent que l’octroi de dommages‑intérêts par l’arbitre était « le fruit d’une opération raisonnable et rationnelle » : Elgert v Home Hardware Stores Ltd., 2011 ABCA 112, citant l’arrêt Whiten, précité, au paragraphe 36.

[125]       Pour ce qui est du montant des dommages‑intérêts, Spruce Hollow soutient que le montant déterminé par l’arbitre était excessif, et qu’il n’a pas tenu compte du fait qu’elle était une petite entreprise. À l’appui de son argument, Spruce Hollow affirme qu’il était malvenu pour l’arbitre de se fonder sur les jugements Honda et Boucher, car les employeurs étaient de grandes sociétés dans ces affaires.

[126]       Plus précisément, Spruce Hollow soutient que l’arbitre a commis une erreur en se fondant sur l’arrêt Keays v Honda Canada Inc., (2006), 82 OR (3d) 161, 274 DLR (4th) 107, de la Cour d’appel de l’Ontario, pour justifier l’octroi d’un montant élevé de dommages‑intérêts punitifs, sans tenir compte du fait que cette décision a été infirmée par la Cour suprême du Canada.

[127]       Cet argument comporte deux problèmes : en premier lieu, l’arbitre a fait référence aux montants accordés dans les jugements Boucher et Honda dans le cadre de son analyse de la question des dommages‑intérêts majorés et non à celle des dommages‑intérêts punitifs. En deuxième lieu, selon mon interprétation, les motifs de l’arbitre ne donnent pas à penser que ces arrêts sont les arrêts de principe qui établissent la manière de calculer les dommages‑intérêts punitifs à accorder dans une affaire donnée.

[128]       L’arbitre était clairement au courant de la taille de Spruce Hollow, et il a fixé un montant de dommages‑intérêts punitifs qui était rationnellement requis pour punir le comportement inacceptable de l’entreprise en tenant compte des autres dommages‑intérêts accordés, pour en arriver à une somme de 25 000 $. Spruce Hollow n’a pas démontré que le montant était excessif compte tenu de l’ensemble des circonstances.

IX.             Conclusion

[129]       Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire de Spruce Hollow est rejetée.

[130]       Mme Knezacky agissait pour son propre compte à l’audience tenue devant moi, et elle a fourni une liste de dépenses qu’elle a engagées pour contester le fond de la présente demande et en lien à une requête présentée par Spruce Hollow visant à surseoir à la décision de l’arbitre quant aux réparations. Le juge Hugues a ordonné que les dépens de cette requête suivent l’issue de la cause.

[131]       J’ai examiné la liste des dépenses de Mme Knezacky, et j’ai conclu qu’elles sont raisonnables, notamment en ce qui concerne sa demande d’indemnisation pour les heures de congé qu’elle a dû prendre. Par conséquent, des dépens de l’ordre de 6 674,38 $, TPS comprise, seront accordés à Mme Knezacky.

[132]       Si les montants accordés à Mme Knezacky par l’arbitre ne lui sont pas payés dans les 30 jours de la date de la présente ordonnance (y compris les intérêts accumulés), les montants payés à la Cour par Spruce Hollow, conformément à l’ordonnance du juge Hughes, seront remis à Mme Knezacky, et cette dernière pourra obtenir les montants restants en vue de l’exécution du jugement en utilisant le cautionnement déposé par Spruce Hollow comme garantie dans la présente affaire.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que :

1.                  La demande de contrôle judiciaire est rejetée, avec dépens en faveur de Mme Knezacky de l’ordre de 6 674,38, TPS comprise.

2.                  Si les montants accordés à Mme Knezacky par l’arbitre ne lui sont pas payés dans les 30 jours de la date de la présente ordonnance (y compris les intérêts accumulés), les montants payés à la Cour par Spruce Hollow, conformément à l’ordonnance du juge Hughes, seront remis à Mme Knezacky, et cette dernière pourra obtenir les montants restants en vue de l’exécution du jugement en utilisant le cautionnement déposé par Spruce Hollow comme garantie dans la présente affaire.

« Anne L. Mactavish »

Juge

Traduction certifiée conforme

Elise Colas


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T ‑697‑15

INTITULÉ :

SPRUCE HOLLOW HEAVY HAUL LTD. c SHANNON KNEZACKY MADIL

LIEU DE L’AUDIENCE :

VANCOUVER (COLOMBIE‑BRITANNIQUE)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 28 SEPTEMBRE 2015

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE MACTAVISH

DATE :

LE 20 OCTOBRE 2015

ONT COMPARU :

Trevor Hande

POUR LE DEMANDEUR

Shannon Knezacky

POUR LA DÉFENDERESSE

(POUR SON PROPRE COMPTE)

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Hamilton Duncan Armstrong & Stewart

Avocats

Vancouver (Colombie‑Britannique)

POUR LE DEMANDEUR

 

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