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Date : 20151023


Dossier : T-2438-14

Référence : 2015 CF 1203

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Vancouver (Colombie-Britannique), le 23 octobre 2015

En présence de monsieur le juge Zinn

ENTRE :

ABSOLUTE SOFTWARE CORPORATION

demanderesse

et

VALT.X TECHNOLOGIES INC.

défenderesse

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               La demanderesse a été constituée en société en 1993 sous le régime des lois de la Colombie-Britannique et elle exerce ses activités sous le nom commercial ABSOLUTE SOFTWARE depuis. Elle se sert de ce nom comme marque de commerce en common law au Canada en liaison avec des logiciels et des services informatiques.

[2]               Le 28 juillet 2003, la demanderesse a enregistré la marque de commerce ABSOLUTE aux fins de son emploi en liaison avec des logiciels et des services. Depuis, elle a enregistré quatre autres marques contenant le mot « absolute » : ABSOLUTE SECURE DRIVE (le 26 septembre 2011), ABSOLUTE DATA PROTECT (le 15 août 2013), ABSOLUTE MANAGE (le 9 mars 2011) et ABSOLUTE MANAGE MDM (le 2 avril 2012).

[3]               Le 28 février 2001, la défenderesse a été constituée en société sous le régime des lois de l’Ontario. Il s’agit d’une entreprise en démarrage qui produit des logiciels servant à protéger les ordinateurs contre les virus et les logiciels malveillants. En novembre 2012, la défenderesse a commencé à employer les termes ABSOLUTE SECURITY en liaison avec ses logiciels.

[4]               En ce qui concerne les cinq marques de commerce enregistrées par la demanderesse [les marques Absolute], la demanderesse sollicite ce qui suit :

  1. une déclaration attestant qu’elle est propriétaire des marques Absolute;
  2. une déclaration attestant que la défenderesse a contrefait les marques Absolute;
  3. des dommages-intérêts ou une comptabilisation des profits découlant de la contrefaçon des marques de commerce, de la dépréciation de l’achalandage et de la commercialisation trompeuse, en contravention des alinéas 7b) et 7c) ainsi que des articles 19, 20 et 22 de la Loi sur les marques de commerce, LRC 1985, c T‑13;
  4. subsidiairement, une ordonnance sous le régime de l’article 153 des Règles adoptées en vertu de la Loi sur les Cours fédérales renvoyant à un juge ou à toute autre personne désignée par le juge en chef la décision sur les dommages-intérêts subis par la demanderesse ou les profits illégitimement réalisés par la défenderesse;
  5. une injonction interdisant à la défenderesse, ainsi qu’à ses dirigeants, administrateurs, préposés et mandataires, de contrefaire les marques Absolute et, en particulier, d’employer la marque ABSOLUTE ou toute variante de celle-ci;
  6. la remise à la demanderesse ou la destruction sous serment de la totalité des produits, emballages, étiquettes et matériel publicitaire portant la marque ABSOLUTE ainsi que de toutes matrices employées à leur égard.

[5]               Les deux parties ont déposé des observations détaillées qui ont été préparées par des avocats expérimentés et spécialisés en marques de commerce. En vertu d’une ordonnance datée du 21 mai 2015, l’avocat de la défenderesse a reçu l’ordre de cesser d’occuper et la Cour a donné trente jours à la défenderesse pour déposer et faire signifier un avis de nomination d’un avocat ou bien pour déposer une requête afin d’exercer le recours prévu à l’article 120 des Règles des Cours fédérales. La défenderesse n’a fait ni l’un ni l’autre.

[6]                À l’audition de l’affaire à Vancouver le 15 octobre 2015, Dennis Meharchand, le président‑directeur général de la défenderesse, a demandé un ajournement afin que la défenderesse puisse retenir les services d’un avocat. Il a expliqué que la défenderesse ne disposait pas des ressources financières pour le faire plus tôt, mais que c’était maintenant le cas et qu’elle allait retenir les services d’un avocat au cours de la semaine suivante. Subsidiairement, il a demandé à être autorisé à représenter la défenderesse. La Cour a rejeté ces deux demandes.

[7]               Dans le cadre des observations, on a appris que la défenderesse avait retenu les services d’un avocat et avait intenté une action, le 28 septembre 2015, dans le but faire radier les marques de commerce de la demanderesse. La défenderesse a choisi d’utiliser ses ressources financières pour retenir les services d’un avocat dans le but d’intenter une action en radiation au lieu d’employer ces fonds pour retenir les services d’un avocat dans le but de comparaître pour répondre à la présente demande. Compte tenu de ce fait et d’autres, y compris le fait qu’il s’était écoulé cinq mois depuis l’ordonnance de la Cour, le fait que la défenderesse a attendu au jour de l’audience pour présenter une demande d’ajournement, la présence à Vancouver de l’avocat de la demanderesse, qui s’était déplacé de Toronto, et le dépôt antérieur d’observations circonstanciées par l’ancien avocat de la défenderesse, la Cour a rejeté les deux demandes et a entendu seulement les observations verbales de l’avocat de la demanderesse.

[8]               La demanderesse fait valoir que la défenderesse emploie ABSOLUTE SECURITY comme marque de commerce et que cette marque crée de la confusion avec ses propres marques Absolute. La demanderesse admet qu’elle n’a pas de preuve de confusion réelle. Ce manque de preuve n’est pas surprenant, étant donné que la défenderesse est une entreprise en démarrage et en croissance et qu’elle avait vendu jusqu’alors moins de 2 000 $ de produits.

[9]               La demanderesse soutient que la probabilité de confusion est établie après l’examen des cinq facteurs énumérés au paragraphe 6(5) de la Loi sur les marques de commerce : le caractère distinctif inhérent des marques, la mesure dans laquelle elles sont devenues connues, la période pendant laquelle les marques ont été en usage, le genre de produits, services ou entreprises, la nature du commerce et le degré de ressemblance.

[10]           Les observations de la demanderesse sont axées sur la possibilité de confusion entre ABSOLUTE SECURITY et la marque de commerce enregistrée ABSOLUTE de la demanderesse ainsi que sa marque en common law ABSOLUTE SOFTWARE. Selon la demanderesse, celles-ci sont les plus susceptibles d’être confondues.

[11]           En ce qui concerne le caractère distinctif inhérent, la demanderesse fait valoir que le mot « absolute » possède un caractère distinctif inhérent lorsqu’il est employé en liaison avec un logiciel de sécurité, parce qu’il ne constitue pas une description de ce logiciel. Elle affirme que le caractère distinctif des marques Absolute est renforcé à cause des ventes par la demanderesse de logiciels portant la marque ABSOLUTE au Canada ainsi que de son site Web www.absolute.com, qui fait la promotion de ses produits au Canada. Par contre, la demanderesse soutient que le caractère distinctif de la marque de la défenderesse est faible. Elle fait remarquer que les revenus tirés de la vente de logiciels portant la marque ABSOLUTE SECURITY à l’échelle mondiale par la défenderesse se chiffrent à moins de 2 000 $.

[12]           En ce qui concerne la période pendant laquelle les marques de commerce ont été en usage, la demanderesse affirme qu’elle emploie la marque de commerce et le nom commercial ABSOLUTE SOFTWARE depuis plus de 20 ans et que sa marque de commerce enregistrée ABSOLUTE est employée depuis plus d’une décennie. En revanche, la défenderesse a seulement commencé à employer la marque ABSOLUTE SECURITY en novembre 2012.

[13]           Pour ce qui est du genre de produits et de services, la demanderesse fait observer que la défenderesse et elle emploient leurs marques en liaison avec un logiciel qui est conçu pour protéger des appareils terminaux contre les risques pour la sécurité, comme les virus et les logiciels malveillants.

[14]           En ce qui a trait à la nature du commerce, la demanderesse affirme que ses produits et ceux de la défenderesse sont susceptibles d’être vendus par l’intermédiaire de voies commerciales qui se recoupent. La demanderesse signe des contrats avec des fabricants d’ordinateurs personnels, de tablettes et de téléphones intelligents pour intégrer son logiciel dans leurs produits. La défenderesse cherche actuellement à obtenir des contrats avec certains fabricants dans le même domaine. La demanderesse vend également des produits directement aux consommateurs par l’entremise de détaillants comme Amazon, Office Depot et Bureau en gros. Dans la même veine, la défenderesse cherche à vendre ses produits par l’intermédiaire de détaillants comme Amazon, Office Depot et Bureau en Gros. Tant la demanderesse que la défenderesse vendent aussi leurs produits au moyen de leurs sites Web et elles ciblent toutes deux des segments similaires du marché de consommation, comme les fournisseurs de l’État et les revendeurs.

[15]           Pour ce qui est du degré de ressemblance, la demanderesse fait valoir qu’ABSOLUTE SECURITY ressemble beaucoup à la marque ABSOLUTE qui a été enregistrée par la demanderesse ainsi qu’à sa marque en common law ABSOLUTE SOFTWARE. Elle soutient que la caractéristique distinctive de toutes ces marques est le mot « absolute ». La demanderesse affirme que la défenderesse s’est entièrement approprié cette caractéristique distinctive de ses marques.

[16]           La défenderesse fait valoir que l’analyse par la demanderesse de la question de la confusion repose sur une fausse prémisse, à savoir que la défenderesse emploie la marque de commerce ABSOLUTE SECURITY. La défenderesse affirme qu’elle n’emploie pas cette marque de commerce, mais plutôt la marque VALT.X ou, subsidiairement, VALT.X ABSOLUTE SECURITY FOR WINDOWS SOFTWARE. La défenderesse fait remarquer qu’on peut voir fréquemment VALT.X ABSOLUTE SECURITY FOR WINDOWS SOFTWARE dans son site Web et que, dans les rares cas où la marque ABSOLUTE SECURITY FOR WINDOWS est employée sans le préfixe VALT.X, le logo de VALT.X est quand même affiché sur la même page. En dernier lieu, la défenderesse fait valoir que les exemples qu’aurait donnés la demanderesse pour illustrer l’emploi par la défenderesse de la marque de commerce ABSOLUTE SECURITY sans autre mention ne constituent pas des exemples d’emploi autonome ou ont été grappillés dans un obscur diaporama affiché sur le site Web de la défenderesse.

[17]           En ce qui a trait au caractère distinctif inhérent, la défenderesse soutient que le mot « absolute » est un mot courant en anglais qui a une nature descriptive ou suggestive et que son caractère distinctif inhérent est donc faible. Elle affirme que la preuve de la demanderesse quant à son usage et à sa promotion des marques Absolute au Canada pose problème. Premièrement, elle signale que la plupart des produits pour lesquels la demanderesse a vendu des abonnements au Canada sont en grande partie associés aux marques de commerce COMPUTRACE et LOJACK FOR LAPTOPS, plutôt qu’aux marques Absolute. Deuxièmement, elle fait remarquer que la liste des abonnements canadiens de la demanderesse combine les abonnements achetés par des particuliers et ceux achetés par des organisations. Il est donc possible que la demanderesse ait vendu un grand nombre d’abonnements à un petit nombre de clients institutionnels. Troisièmement, elle fait observer que la demanderesse n’a produit aucun élément de preuve sur ses activités de promotion et de commercialisation au Canada en particulier. Quatrièmement, elle fait valoir que la liste produite par la demanderesse à l’égard des détaillants qui vendent ses produits au Canada est en réalité une liste des détaillants qui sont autorisés à vendre ses produits au Canada et qu’il n’est pas évident que ces détaillants vendent réellement ses produits.

[18]           Pour ce qui concerne la période pendant laquelle les marques de commerce ont été en usage, la défenderesse fait valoir que le seul élément de preuve produit par la demanderesse au sujet de son usage de la marque de commerce ABSOLUTE avant 2012 est son enregistrement de cette marque qui a été effectué en 2003. La défenderesse affirme que l’enregistrement fait uniquement la preuve d’un usage de minimis.

[19]           Quant au genre de produits et services et à la nature du commerce, la défenderesse allègue  que ces deux facteurs devraient être appréciés en comparant les produits, les services et le commerce qui sont décrits dans les enregistrements des marques de commerce de la demanderesse à ceux de Valt.X. Il faudrait lire les états déclaratifs qui se trouvent dans les enregistrements afin de déterminer le type probable de commerce auquel la demanderesse entendait se livrer, plutôt que tous les commerces possibles qui pourraient être compris dans le libellé. La preuve d’un commerce avéré pourrait être utile à cet égard.

[20]           En l’espèce, la défenderesse allègue que, même s’il peut exister un certain chevauchement entre le type de commerce décrit dans les enregistrements de la demanderesse et celui auquel se livre Valt.X, le type de commerce auquel se livrent réellement les deux parties est différent. Alors que le commerce de la demanderesse porte essentiellement sur un [traduction« logiciel de surveillance, de suivi et de récupération pour appareils informatiques et un logiciel pour la gestion des problèmes de sécurité informatique », le commerce de la défenderesse porte sur un [traduction« logiciel qui protège directement contre les virus et les autres logiciels malveillants ». La défenderesse ajoute que la demanderesse fait principalement affaire avec de grands clients institutionnels, qui sont peu susceptibles de confondre leurs marques de commerce avec d’autres lorsqu’ils investissent des ressources considérables dans l’achat de logiciels importants et de services connexes.

[21]           Pour ce qui est du degré de ressemblance, la défenderesse signale que la partie la plus distinctive de sa marque de commerce VALT.X ABSOLUTE SECURITY FOR WINDOWS SOFTWARE est le mot inventé « Valt.X ». Il s’agit du premier mot de la marque et il est le seul qui n’est pas descriptif. De plus, la défenderesse affirme que sa marque véhicule clairement le message selon lequel Valt.X est l’entité qui propose le logiciel.

[22]           Outre ses observations générales sur la confusion, la défenderesse a formulé des observations au sujet de dispositions législatives particulières qui sont en cause en l’espèce, selon ce qu’allègue la demanderesse.

[23]           Je suis d’accord avec la défenderesse sur le fait que la demanderesse exagère lorsqu’elle suggère qu’il y a eu violation de l’article 19 de la Loi sur les marques de commerce. Cet article s’applique seulement aux situations dans lesquelles l’auteur de la contrefaçon emploie une marque identique à une marque de commerce enregistrée en liaison avec les produits ou les services pour lesquels la marque de commerce en question a été enregistrée. Même si la demanderesse prétend que la marque de la défenderesse est ABSOLUTE SECURITY, l’article 19 n’entre pas en jeu, parce que cette marque n’est identique à aucune des marques de commerce enregistrées de la demanderesse.

[24]           Je suis également d’accord avec la défenderesse sur le fait que l’alinéa 7c) de la Loi sur les marques de commerce n’entre pas en considération, à la lumière des faits de l’espèce. Pour prouver une violation de cette disposition, la demanderesse doit démontrer que la défenderesse a fait passer ses produits ou ses services pour ceux de la demanderesse en réponse à une demande d’un client qui aurait voulu obtenir les produits ou les services de la demanderesse. Il n’y a aucune preuve que la défenderesse aurait agi de la sorte.

[25]           Il reste à examiner la question de savoir si la défenderesse a violé l’alinéa 7b), l’article 20 ou l’article 22 de la Loi sur les marques de commerce ou toutes ces dispositions. Avant d’entreprendre cette analyse, il convient d’abord de déterminer quelle est la marque dont la défenderesse a fait usage.

[26]           Comme je l’ai mentionné précédemment, la défenderesse allègue avoir fait usage de la marque de commerce VALT.X ou, subsidiairement, de la marque de commerce VALT.X ABSOLUTE SECURITY FOR WINDOWS SOFTWARE. Si la défenderesse a employé la marque VALT.X, la demande de la demanderesse doit être rejetée, parce que VALT.X n’a aucune ressemblance avec les marques Absolute. Dans le même ordre d’idées, si la Cour vient à la conclusion que la défenderesse a employé la marque VALT.X ABSOLUTE SECURITY FOR WINDOWS SOFTWARE, la demande de la demanderesse pourrait aussi être rejetée à cause des nombreuses différences entre celle-ci et les marques Absolute.

[27]           Compte tenu de mon examen de la preuve, je suis d’accord avec la demanderesse sur le fait que la défenderesse fait usage de la marque de commerce ABSOLUTE SECURITY à l’égard de son logiciel, en plus d’employer la marque de commerce VALT.X.

[28]           On trouve dans le dossier de la demanderesse des illustrations de l’usage que la défenderesse a fait de la marque de commerce ABSOLUTE SECURITY. La pièce J jointe à l’affidavit de Steven Midgley est un imprimé du site Web de la défenderesse. La page 153 du dossier de la demanderesse paraît décrire les diverses gammes de produits vendues par Valt.X, sous la rubrique « Collections ». Les gammes de produits sont nommées « The S Chip’ Desktop/Server Secure Cards » (cartes de contrôle avec puce S pour ordinateurs de bureau et serveurs), « Absolute Security for Windows Software » (logiciel de sécurité absolue pour Windows) et « Cyber Secure Notebooks » (cybersécurité pour ordinateurs portatifs). Directement au-dessus des mots « Absolute Security for Windows Software », on aperçoit une image d’une boîte contenant le logiciel en question. Dans la partie supérieure de la boîte, on voit le logo de Valt.X sur fond blanc. Sous ce logo, sur fond rouge, dans une police de caractères différente et en majuscules, on peut lire les mots ABSOLUTE SECURITY. Les mots « for WINDOWS » se trouvent juste au-dessous et dans une police de caractères plus petite.

[29]           Comme la demanderesse, je suis d’avis que l’emploi de ces mots de la manière décrite ainsi que la façon dont ils sont présentés au client amèneraient le client à conclure que le logiciel est fabriqué par Valt.X, qu’ABSOLUTE SECURITY est l’une de ses gammes de produits et que les produits de cette gamme sont compatibles avec le système d’exploitation Windows. Un consommateur arriverait à cette conclusion, parce que les mots ABSOLUTE SECURITY sont écrits en majuscules et qu’ils figurent dans une police de caractère différente et plus grande sur la boîte, sur un fond différent de celui du mot VALT.X. La phrase « for WINDOWS » est clairement descriptive du produit et ne peut pas être confondue avec le nom de la gamme de produits.

[30]           Une partie précédente de l’imprimé, à la page 148 du dossier de la demanderesse, semble reproduire une page Web qui s’afficherait si on cliquait sur la gamme de produits ABSOLUTE SECURITY sur la page Web intitulée « Collections ». Cette page s’intitule « Valt.X Absolute Security for Windows Software » et contient des entrées pour divers produits logiciels qui s’intitulent « Standard Edition » (édition de base), « Professional Edition » (édition professionnelle), « Special Edition » (édition spéciale) et « Premium Edition – Password » (édition haut de gamme avec mot de passe). Là encore, à la lumière de cette page Web, un client serait amené à conclure que Valt.X offre une gamme de produits logiciels destinés au système d’exploitation Windows qui porte la marque de commerce ABSOLUTE SECURITY.

[31]           L’allégation de la défenderesse, selon laquelle elle fait usage de la marque de commerce VALT.X ABSOLUTE SECURITY FOR WINDOWS SOFTWARE, passe sous silence les différences dans la reproduction des éléments « Valt.X », « Absolute Security » et « for Windows Software » sur son site Web et sur l’emballage de son produit. Elle passe aussi sous silence les différents rôles que jouent ces éléments. La défenderesse combine le nom commercial et la marque de commerce de l’entreprise dans son ensemble (« Valt.X ») avec la marque de commerce d’une gamme de produits en particulier (« Absolute Security ») et un élément purement descriptif (« for Windows Software »).

[32]           Pour ces motifs, j’arrive à la conclusion que la défenderesse a fait usage de la marque de commerce ABSOLUTE SECURITY. De plus, après avoir pris en considération les cinq facteurs énoncés au paragraphe 6(5) de la Loi sur les marques de commerce, je conclus que cet usage crée de la confusion avec la marque de commerce ABSOLUTE enregistrée par la demanderesse ainsi qu’avec sa marque en common law ABSOLUTE SOFTWARE.

[33]           En ce qui concerne le caractère distinctif inhérent, je suis d’accord avec la défenderesse sur le fait que le mot « Absolute » manque de caractère distinctif, parce qu’il s’agit d’un mot courant en anglais qui a un caractère descriptif ou suggestif. Comme la défenderesse, je suis aussi d’avis que la preuve produite par la demanderesse sur son usage et sa promotion des marques Absolute au Canada est faible, parce qu’elle ne donne pas une idée claire des dépenses de commercialisation de la demanderesse au Canada en particulier, qu’elle n’indique pas le nombre de clients de la demanderesse au Canada et qu’elle ne fait pas mention des partenaires détaillants de la demanderesse qui offrent véritablement ses produits au Canada. De plus, les données de la demanderesse au sujet du nombre d’abonnés actifs qu’elle comptait au Canada en date du 30 juin 2014 comprennent les abonnements à des produits qui peuvent ne pas être principalement associés aux marques Absolute (c.-à-d. les produits COMPUTRACE et LOJACK FOR LAPTOPS). Ce facteur milite en faveur de la défenderesse.

[34]           En ce qui concerne la période pendant laquelle les marques de commerce ont été en usage, je suis d’accord avec la défenderesse sur le fait que la demanderesse n’a produit rien de plus qu’une preuve d’usage de minimis au Canada avant 2012. Bien que la demanderesse ait enregistré sa marque ABSOLUTE en 2003 et allègue qu’elle emploie sa marque en common law ABSOLUTE SOFTWARE depuis 1993, ses données liées au trafic sur son site Web prouvent seulement l’usage depuis 2012. Ce facteur milite en faveur de la demanderesse.

[35]           En ce qui a trait au genre de produits et de services, je pense comme la défenderesse qu’il existe des différences entre l’objet et la fonction du logiciel de la demanderesse et de celui de la défenderesse. Le logiciel de la défenderesse protège directement contre les virus et les logiciels malveillants en faisant en sorte d’éliminer au redémarrage tous les virus et les logiciels malveillants qui ont infecté le système depuis son dernier redémarrage. Par contre, le logiciel de la demanderesse exécute de nombreuses fonctions qui permettent notamment aux organisations de suivre à distance et de protéger leurs appareils (ABSOLUTE COMPUTRACE), de gérer et d’entretenir leurs appareils (ABSOLUTE MANAGE), d’offrir des services de TI (ABSOLUTE SERVICE) et de contrôler les systèmes de cryptage sur les disques durs de leurs appareils (ABSOLUTE SECURE DRIVE).

[36]           La demanderesse produit également des logiciels qui permettent aux particuliers de repérer et de mettre en sécurité l’information dans leur ordinateur portatif (COMPUTRACE et LOJACK FOR LAPTOPS). Il est donc juste de dire que la demanderesse produit des logiciels qui servent à exécuter une panoplie de fonctions connexes mais distinctes, dont certaines sont très différentes des fonctions exécutées par le logiciel de la défenderesse. Toutefois, il n’en demeure pas moins que les deux parties produisent des logiciels qui sont conçus pour procurer une protection contre les virus et les logiciels malveillants à des appareils terminaux tels que les ordinateurs portatifs. Comme la demanderesse, je pense que les différences entre ses logiciels et celui de la défenderesse seraient considérées comme pertinentes et seraient remarquées seulement par un [traduction] « technophile », et que le consommateur pressé moyen considérerait les deux comme des logiciels conçus pour procurer une protection contre des menaces qui comprennent entre autres les virus et les logiciels malveillants. Ce facteur milite en faveur de la demanderesse.

[37]           Pour déterminer la nature du commerce qui est protégé par une marque de commerce enregistrée, la défenderesse fait valoir qu’il faut lire les états déclaratifs dans l’enregistrement afin d’établir le type probable de commerce auquel la demanderesse avait l’intention de se livrer, par rapport au commerce auquel elle se livre réellement. Même si je suis d’accord avec la défenderesse sur le fait que le commerce auquel la demanderesse se livre réellement peut donner un contexte valable pour interpréter les états déclaratifs dans les enregistrements, la Cour devrait faire preuve de prudence pour ne pas limiter la portée de la protection qu’offrent les marques enregistrées de la demanderesse en fonction de leur usage réel. Comme l’a statué la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Masterpiece Inc c Alavida Lifestyles Inc, 2011 CSC 27, [2011] 2 RCS 387, au paragraphe 59 :

L’examen de l’emploi réel de la marque n’est certes pas dénué de pertinence, mais il ne doit pas non plus remplacer complètement l’examen d’autres emplois qui pourraient être faits en conformité avec l’enregistrement. Par exemple, l’emploi ultérieur, dans le champ d’application d’un enregistrement, d’une marque déposée identique ou très semblable à une marque qui existe déjà montrera comment la marque déposée peut être utilisée d’une manière qui crée de la confusion avec celle-ci.

[38]           Par conséquent, même si je suis d’accord avec la défenderesse sur le fait que les ventes de la demanderesse sont réalisées en majorité auprès de clients institutionnels avertis qui sont peu susceptibles de ne pas savoir à quoi s’en tenir, je suis aussi d’accord avec la demanderesse sur le fait que la protection que lui confère sa marque enregistrée ABSOLUTE va au-delà de ces ventes et couvre aussi les ventes à des clients particuliers et je conviens qu’elle vend en fait des produits à certains particuliers. Comme la demanderesse, je pense aussi que bon nombre des détaillants et des utilisateurs finaux qui sont ciblés par la défenderesse sont les mêmes que ceux qui achètent actuellement des produits de la demanderesse. Ce facteur milite donc en faveur de la demanderesse.

[39]           En ce qui a trait à la ressemblance, je conviens avec la demanderesse qu’ABSOLUTE SECURITY ressemble à ABSOLUTE et à ABSOLUTE SOFTWARE. Je suis également d’avis que le caractère distinctif de ces marques est le mot « absolute », parce que les autres mots (« software » et « security ») sont très descriptifs. En particulier, l’emploi par la défenderesse du mot « security » ne fait pas grand-chose pour éviter toute confusion qui serait par ailleurs créée par son emploi du mot « absolute », parce que le mot « security » est descriptif des produits de la demanderesse et de ceux de la défenderesse. Ce facteur milite fortement en faveur de la demanderesse.

[40]           La demanderesse a établi qu’une confusion a été créée entre sa marque de commerce ABSOLUTE et l’usage par la défenderesse de la marque de commerce ABSOLUTE SECURITY; elle a donc établi le bien-fondé de son allégation de contrefaçon au titre de l’article 20 de la Loi sur les marques de commerce.

[41]           Dans le même ordre d’idées, la demanderesse a établi, selon la prépondérance des probabilités, le bien-fondé de son allégation selon laquelle il y a eu violation de l’alinéa 7b) de la Loi sur les marques de commerce. La défenderesse allègue que l’alinéa 7b) ne s’applique pas, car [traduction« il n’y a pas de preuve que Valt.X a intentionnellement employé le mot “absolute” pour duper le public ou qu’elle a été négligente dans son emploi du mot “absolute” ». Elle ajoute que sa conduite n’a causé aucun dommage réel ou potentiel à la demanderesse.

[42]           Quant à la question de la duperie, je conviens qu’il n’y a pas de preuve que la défenderesse a employé la marque de commerce ABSOLUTE SECURITY pour tenter délibérément de duper. Toutefois, compte tenu de la ressemblance manifeste entre ABSOLUTE SECURITY et les marques Absolute ainsi que des marchés qui se recoupent dans lesquels la demanderesse et la défenderesse évoluent, la défenderesse a été négligente dans son emploi de cette marque. Cela est particulièrement vrai du fait que la défenderesse commence à peine son existence en tant qu’entreprise et qu’il paraît facile et peu coûteux pour elle de cesser d’employer cette marque.

[43]           En ce qui concerne la question des dommages-intérêts, la Cour d’appel fédérale, dans l’arrêt Remo Imports Ltd c Jaguar Cars Ltd, 2007 CAF 258, [2008] 2 RCF 132, a précisé que l’obligation de prouver des dommages exige la preuve d’un préjudice probable. La demanderesse a établi la probabilité de dommages en l’espèce, compte tenu de l’emploi par la défenderesse d’une marque qui crée de la confusion dans un marché très similaire à celui de la demanderesse.

[44]           La responsabilité au titre de l’article 22 n’est pas tributaire d’une conclusion de confusion, mais plutôt d’une conclusion selon laquelle l’emploi par la défenderesse de la marque de la demanderesse est susceptible d’entraîner la dépréciation de la valeur de l’achalandage attaché à celle-ci. La défenderesse prétend qu’il n’y a pas eu de dépréciation en l’espèce, parce qu’un client n’associerait l’emploi que fait la défenderesse du mot « absolute » aux marques Absolute et parce que la demanderesse n’a produit aucune preuve sur la dépréciation de son achalandage.

[45]           Je conviens que la demanderesse n’a pas produit de preuve sur la dépréciation. Le simple fait que la marque de la défenderesse crée de la confusion avec les marques Absolute ne signifie pas que cette confusion provoquera une dépréciation. La Cour suprême du Canada a précisé, dans l’arrêt Veuve Clicquot Ponsardin c Boutiques Cliquot Ltée, 2006 CSC 23, [2006] 1 RCS 824, au paragraphe 43, que « le fait d’associer mentalement les deux marques ne crée pas nécessairement une probabilité de dépréciation au sens de l’art. 22 ».

[46]           En guise de preuve, la demanderesse fait valoir ce qui suit :

[traduction] Vu qu’Absolute n’a aucun contrôle sur le caractère et la qualité des biens et des services qui sont offerts par la défenderesse, si les produits de la défenderesse sont d’une qualité inférieure à celle des produits d’Absolute et ne répondent pas aux attentes des clients, ils vont déprécier l’achalandage d’Absolute dans ses marques enregistrées ABSOLUTE.

Je conviens avec la défenderesse que cette préoccupation spéculative ne peut pas justifier une conclusion de dépréciation probable.

[47]           Pour ces motifs, la demande sera accueillie. Une déclaration de propriété et de contrefaçon sera prononcée, mais elle se limitera aux marques ABSOLUTE et ABSOLUTE SOFTWARE de la demanderesse, étant donné qu’il s’agit des seules marques au sujet desquelles la demanderesse a présenté des observations au fond. Une injonction contre toute contrefaçon future des marques ABSOLUTE et ABSOLUTE SOFTWARE sera également prononcée, et il sera ordonné à la défenderesse de remettre et de détruire la totalité de ses produits, emballages, étiquettes et matériel publicitaire portant la marque contrefaite ABSOLUTE SECURITY. En dernier lieu, compte tenu de l’absence de preuve de confusion ou de dépréciation et du fait que la preuve révèle que les ventes par la défenderesse de produits portant la marque ABSOLUTE SECURITY ne s’élèvent, au total qu’à 1 939,53 $, des dommages-intérêts de 2 000 $ seront accordés.

[48]           La défenderesse fait valoir que l’injonction devrait permettre à Valt.X de continuer à employer la marque de commerce VALT.X ABSOLUTE SECURITY FOR WINDOWS SOFTWARE. Je ne rendrai aucune ordonnance de cette nature, étant donné que je n’ai pas conclu que la défenderesse emploie cette marque.


JUGEMENT

LA COUR STATUE :

1.                  La demanderesse est propriétaire de la marque de commerce enregistrée ABSOLUTE et de la marque de commerce ABSOLUTE SOFTWARE [les deux marques ABSOLUTE];

2.                  La défenderesse a contrefait les deux marques ABSOLUTE;

3.                  Des dommages-intérêts de 2 000 $, y compris les intérêts antérieurs au jugement, sont adjugés à la demanderesse pour contrefaçon de marque de commerce, en violation de l’article 20 de la Loi sur les marques de commerce;

4.                  Il est enjoint à la défenderesse et à tous ceux qui sont sous son autorité ou son contrôle, ou à toute société, société de personnes, entité commerciale ou personne avec laquelle elle est associée ou affiliée, de cesser, de façon permanente, de se livrer, directement ou indirectement, aux activités suivantes :

a.       vendre, distribuer ou annoncer des produits et des services liés à des logiciels de sécurité en liaison avec toute marque de commerce ou tout nom commercial qui crée de la confusion avec les deux marques ABSOLUTE, ou fabriquer, faire fabriquer, posséder, importer, exporter ou tenter d’exporter, en vue de leur vente ou de leur distribution, des produits en liaison avec une marque de commerce ou un nom commercial qui crée de la confusion avec les deux marques ABSOLUTE;

b.      appeler l’attention du public sur ses produits, ses services ou son entreprise de manière à causer ou à vraisemblablement causer de la confusion au Canada, lorsqu’elle a commencé à y appeler ainsi l’attention, entre ses produits, ses services ou son entreprise et ceux de la demanderesse, en adoptant, en employant ou en mettant en valeur la marque de commerce ou le nom commercial « Absolute Security » ou toute autre marque de commerce ou tout autre nom commercial qui est susceptible de créer de la confusion avec les deux marques ABSOLUTE;

c.       continuer à contrefaire les deux marques ABSOLUTE;

5.                  La défenderesse remettra sans délai ou détruira sous serment, au choix de la demanderesse, tout le matériel de quelque nature que ce soit, y compris le matériel publicitaire, en possession ou sous le contrôle de la défenderesse et dont l’emploi contreviendrait à l’injonction accordée;

6.                  La défenderesse paiera les dépens à la demanderesse, lesquels seront taxés conformément au milieu de fourchette de la colonne IV, y compris la TVH et les intérêts antérieurs au jugement.

« Russel W. Zinn »

Juge

Traduction certifiée conforme

M.-C. Gervais


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


 

DoSSIER :

T-2438-14

 

INTITULÉ :

ABSOLUTE SOFTWARE CORPORATION c VALT.X TECHNOLOGIES INC

LIEU DE L’AUDIENCE :

Vancouver (Colombie-Britannique)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 15 OCTOBRE 2015

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE ZINN

 

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

LE 23 octobrE 2015

COMPARUTIONS :

Peter E. J. Wells

Rohan Hill

POUr La demanderesse

 

Dennis Meharchand

POUr La défenderesse

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

McMillan, S.E.N.C.R.L., s.r.l.

Avocats

Toronto (Ontario) et Vancouver (C.‑B.)

POUr La demanderesse

 

AUCUN

POUr La défenderesse

 

 

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