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Date : 20151027


Dossier : IMM‑4618‑14

Référence : 2015 CF 1208

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 27 octobre 2015

En présence de madame la juge Kane

ENTRE :

ABDULLAH HAMID ET

MOHAMMED HOSSAYNI

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire fondée sur le paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la Loi]. Les demandeurs, Abdullah Hamid et Mohammed Hossayni, contestent la décision en vertu de laquelle la chef des opérations de la Division des opérations relatives à l’exécution de la loi et au renseignement [l’agente] de l’Agence des services frontaliers du Canada [ASFC] a confisqué (c.‑à‑d. réalisé) une somme totale de 40 000 $ de cautionnements en espèces et de garanties d’exécution.

Contexte

[2]                 Mohammed Najafi, un demandeur d’asile, a été placé en détention en attendant une enquête pour criminalité. En vue de sa remise en liberté, MM. Hamid et Hossayni ont respectivement fourni des cautionnements en espèces de 5 000 $ et de 15 000 $ ainsi que des garanties d’exécution de 15 000 $ et de 5 000 $. Le 12 décembre 2013, M. Najafi a été libéré moyennant certaines conditions, notamment celle de vivre à une adresse particulière. Il était prévu que les cautionnements et garanties pouvaient être réalisés en cas de défaut ou de manquement à l’une des conditions. Les demandeurs ont également signé une déclaration de solvabilité, indiquant qu’ils comprenaient que le non‑respect des conditions énoncées dans leurs garanties entraînerait la confiscation des sommes données en garantie ou la réalisation des garanties.

[3]               Le 10 février 2014, M. Najafi a été jugé interdit de territoire au Canada pour grande criminalité et a fait l’objet d’une mesure d’expulsion. Le 24 février suivant, l’ASFC l’a informé que sa demande d’asile ne pouvait être déférée à la Commission de l’immigration et du statut de réfugié, ce qui semble avoir provoqué sa disparition.

[4]               Le 4 mars 2014, les demandeurs n’ont pas réussi à joindre M. Najafi. Le lendemain, M. Hamid a informé le Programme de cautionnement à Toronto et l’ASFC, via sa ligne de surveillance frontalière, qu’il ne savait pas où se trouvait M. Najafi.

[5]               Le 10 mars 2014, l’ASFC a avisé les demandeurs qu’elle confisquait leurs garanties, car M. Najafi ne s’était pas conformé aux conditions qui s’y rapportaient, et qu’ils pouvaient présenter des observations concernant les raisons de ne pas procéder à la confiscation.

[6]               Dans les observations qu’ils ont présentées le 9 avril 2014, les demandeurs indiquaient ce qui suit : ils s’étaient portés garants de bonne foi; ils ont supervisé M. Najafi avec diligence afin de s’assurer qu’il se conforme à son plan de remise en liberté; la décision concernant l’opportunité d’ordonner la confiscation est discrétionnaire; chaque cas doit être examiné sur le fond; ils méritaient que le pouvoir discrétionnaire soit exercé en leur faveur. Les demandeurs ont également soumis des affidavits expliquant leurs antécédents, les raisons pour lesquelles ils s’étaient proposé d’aider M. Najafi, les circonstances de sa remise en liberté, et leur réaction rapide lorsqu’ils ont perdu sa trace.

[7]               Le 2 mai 2014, un agent de révision de l’ASFC a préparé une recommandation en vue de la confiscation des garanties. Le 5 mai suivant, l’agente a souscrit à la recommandation et a communiqué la décision aux demandeurs dans des lettres datées du 14 mai 2014.

La décision sous contrôle

[8]               Les lettres de décision, datées du 14 mai 2014 et signées par l’agente, précisent que les observations des demandeurs ont été reçues et examinées. L’agente a décidé de confisquer les cautionnements en espèces et les garanties d’exécution parce que M. Najafi n’avait pas notifié à l’ASFC son changement d’adresse.

[9]               Les « notes au dossier » de l’agent de révision indiquent notamment que :

         des cautionnements en espèces et des garanties d’exécution substantielles ont été établis en raison des actes criminels posés par M. Najafi à l’extérieur du pays et de son utilisation de documents frauduleux à l’étranger;

         M. Najafi a initialement été placé en détention, car ses antécédents criminels et son identité étaient en cause;

         sans les cautionnements et garanties, M. Najafi n’aurait pas été remis en liberté;

         comme condition de sa libération, obtenue grâce aux cautionnements et garanties des demandeurs, M. Najafi devait résider à une adresse sur Sunshine Avenue;

         M. Najafi a disparu peu après avoir appris que sa demande d’asile ne serait pas instruite;

         les demandeurs ont perdu contact avec M. Najafi le 4 mars 2014 et ont immédiatement informé le Programme de cautionnement et l’ASFC;

         M. Najafi a violé les conditions de la garantie;

         nul ne sait où se trouve M. Najafi.

[10]           L’agente a souscrit à la recommandation de l’agent de révision puis a envoyé la lettre.

La législation pertinente

L’article 49 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002‑227 [le Règlement] prévoit :

49. (1) La personne qui fournit une garantie d’exécution confirme par écrit :

a) qu’elle a été informée des conditions imposées;

b) qu’elle a été informée que le non‑respect de l’une des conditions imposées entraînera la confiscation de la somme donnée en garantie ou la réalisation de la garantie.

49. (1) A person who pays a deposit or posts a guarantee must acknowledge in writing

(a) that they have been informed of the conditions imposed; and

(b) that they have been informed that non‑compliance with any conditions imposed will result in the forfeiture of the deposit or enforcement of the guarantee.

 

(2) L’agent délivre un reçu pour la somme d’argent donnée en garantie ou une copie de la garantie ainsi qu’une copie des conditions imposées.

 

(2) An officer shall issue a receipt for the deposit or a copy of the guarantee, and a copy of the conditions imposed.

 

(3) Si l’agent informe le ministère que la personne ou le groupe de personnes visé par la garantie s’est conformé aux conditions imposées, le ministère restitue la somme d’argent donnée en garantie.

(3) The Department shall return the deposit paid on being informed by an officer that the person or group of persons in respect of whom the deposit was required has complied with the conditions imposed.

 

(4) En cas de non‑respect, par la personne ou tout membre du groupe de personnes visé par la garantie, d’une condition imposée à son égard, la somme d’argent donnée en garantie est confisquée ou la garantie d’exécution devient exécutoire.

(4) A sum of money deposited is forfeited, or a guarantee posted becomes enforceable, on the failure of the person or any member of the group of persons in respect of whom the deposit or guarantee was required to comply with a condition imposed.

 

Les questions en litige

[11]           Les demandeurs soulèvent deux questions :

         L’agente a‑t‑elle commis une erreur en n’exerçant pas dûment son pouvoir discrétionnaire, notamment en n’envisageant pas de confisquer une somme moindre?

         L’agente a‑t‑elle fourni des motifs inadéquats?

Norme de contrôle

[12]           La décision concernant l’opportunité de confisquer une somme donnée en garantie est hautement discrétionnaire. Il est bien établi en droit que ce type de décision est soumis à la norme de la raisonnabilité : Khalil c Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2015 CF 641, au paragraphe 15, [2015] ACF no 666 (QL) [Khalil]; Domitlia c Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2011 CF 419, aux paragraphes 22 à 27, 201 ACWS (3d) 1021 [Domitlia]; Khalife c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 221, au paragraphe 19, [2006] 4 RCF 437 [Khalife].

[13]           Par conséquent, la tâche de la Cour est de déterminer si la décision « fait partie des “issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit” (Dunsmuir, par. 47). Il peut exister plus d’une issue raisonnable. Néanmoins, si le processus et l’issue en cause cadrent bien avec les principes de justification, de transparence et d’intelligibilité, la cour de révision ne peut y substituer l’issue qui serait à son avis préférable » (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, au paragraphe 59, [2009] 1 RCS 339). Il faut faire preuve de déférence à l’endroit du décideur.

[14]           Dans l’arrêt Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre‑Neuve‑et‑Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, [2011] 3 RCS 708 [Newfoundland Nurses], la Cour suprême du Canada a précisé les exigences énoncées dans l’arrêt Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190 [Dunsmuir], notant que les motifs d’une décision « doivent être examinés en corrélation avec le résultat et [...] doivent permettre de savoir si ce dernier fait partie des issues possibles », et que la cour de justice « peut [...], si elle le juge nécessaire, examiner le dossier pour apprécier le caractère raisonnable du résultat » (aux paragraphes 14 à 16). La Cour a résumé ses instructions au paragraphe 16 :

En d’autres termes, les motifs répondent aux critères établis dans Dunsmuir s’ils permettent à la cour de révision de comprendre le fondement de la décision du tribunal et de déterminer si la conclusion fait partie des issues possibles acceptables.

[15]           Les demandeurs soutiennent qu’il n’y avait pas de motifs en l’espèce, ce qui porte atteinte à l’équité procédurale. Les manquements à l’équité procédurale sont soumis à la norme de la décision correcte et il n’y a pas lieu de faire preuve de déférence à l’égard du décideur s’il est établi qu’il y a eu violation.

L’agente a‑t‑elle commis une erreur en n’exerçant pas dûment son pouvoir discrétionnaire, notamment en n’envisageant pas de confisquer une somme moindre?

La thèse des demandeurs

[16]           Les demandeurs soutiennent que la lettre de décision n’indiquait pas que l’agente jouissait d’un pouvoir discrétionnaire et qu’elle s’est demandé s’il y avait lieu de l’exercer, pas plus qu’elle ne prenait acte de leurs observations concernant l’opportunité que l’agente exerce ce pouvoir.

[17]           Les demandeurs notent que la jurisprudence se rapportant à l’ancienne Loi sur l’immigration, LRC 1985, c I‑2, indiquait que les agents devaient se demander s’il y avait lieu d’exercer le pouvoir discrétionnaire de confisquer ou non une somme donnée en garantie (Gayle c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CFPI 335, au paragraphe 14, 20 Imm LR (3d) 80 (CF 1re inst.) [Gayle]; Bcherrawy c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CF 1427, 255 FTR 161 (CF 1re inst.) [Bcherrawy]).

[18]           Les demandeurs font valoir que, même si la Loi a changé, le principe demeure; l’agente avait le pouvoir discrétionnaire de ne pas ordonner la confiscation ou d’ordonner une confiscation partielle (Khalil, aux paragraphes 45 et 46). Les directives d’après lesquelles les agents ne disposent pas d’un tel pouvoir discrétionnaire (Guide opérationnel ENF 8 : Garanties [le Guide ENF 8]) n’ont pas force de loi, et la Loi ne comporte aucune disposition limitative de ce type.

[19]           Les demandeurs font valoir que les directives sont incohérentes. Elles enjoignent aux agents d’examiner chaque affaire sur le fond, mais laissent aussi entendre qu’ils doivent recommander la réalisation d’une garantie. Les demandeurs soutiennent que le fait d’inviter à soumettre des observations indique qu’elles seront prises en compte et qu’il existe un élément discrétionnaire. Si les observations ne sont pas considérées, il est alors évident que l’agente n’a pas exercé ce pouvoir discrétionnaire.

[20]           En outre, les demandeurs soutiennent que le défendeur a agi de mauvaise foi en donnant à penser qu’il existe un pouvoir discrétionnaire et en sollicitant des observations pour ensuite les écarter.

[21]           Les demandeurs notent que les décisions Gayle et Bcherrawy ont été citées dans Uanseru c Canada (Solliciteur général), 2005 CF 428, au paragraphe 19, 44 Imm LR (3d) 262 [Uanseru], relativement à la loi actuelle; la Cour a conclu dans cette affaire que l’agente s’était fondée sur des considérations externes ou irrégulières en exerçant son pouvoir discrétionnaire de confisquer une garantie et de renoncer à une autre. Les demandeurs estiment que la présente affaire ressemble à l’affaire Uanseru, car l’agente n’a pas tenu compte de leurs observations et que la lettre de décision, qui n’équivaut pas à des motifs, ne permet pas à la Cour de déterminer sur quels facteurs l’agente s’est fondée.

[22]           Les demandeurs font observer que le juge Shore a passé en revue la jurisprudence dans la décision Etienne c Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2014 CF 1128, [2014] ACF no 1169 (QL) [Etienne], et noté que les directives prévoient que l’ASFC a le pouvoir discrétionnaire de déterminer si le non‑respect des conditions est suffisamment grave pour justifier la confiscation de la somme donnée en garantie ou de la garantie.

[23]           Les demandeurs invoquent la décision Etienne à l’appui du principe voulant que l’absence de faute de la part de la caution soit un facteur à prendre en compte. Ils ajoutent que ce principe a également été reconnu par le juge Mosley dans la décision Khalil et qu’il s’applique en l’espèce; les actes répréhensibles de M. Najafi ne peuvent leur être imputés.

La thèse du défendeur

[24]           Le défendeur fait valoir que les garanties sont essentielles à la mise en œuvre des libérations conditionnelles dans le contexte de l’immigration. La question de savoir si les demandeurs sont responsables du manquement n’est pas pertinente; le critère de la faute saperait l’utilité des garanties.

[25]           Le défendeur note que l’article 49 du Règlement est clair : la somme donnée en garantie sera confisquée et la garantie réalisée en cas de non‑respect d’une condition. Les demandeurs ont signé la garantie et pris acte des conditions et des conséquences de leur violation.

[26]           Le Guide ENF 8 prévoit que les personnes qui se proposent d’agir comme garants doivent être en mesure d’exercer un contrôle et une influence sur la conduite de l’intéressé. Il indique de plus clairement que la garantie sera réalisée si celui‑ci viole une condition.

[27]           Le défendeur soutient qu’en dépit des observations du juge Mosley dans la décision Khalil, la Cour fédérale a déjà conclu qu’aux termes des directives actuelles, les agents de l’ASFC n’ont pas le pouvoir discrétionnaire d’ordonner la confiscation d’une somme inférieure à celle prévue dans la garantie (Domitlia, aux paragraphes 34 à 36). Cependant, le défendeur reconnaît que dans cette affaire la Cour n’avait pas examiné des arguments de fond quant à savoir si les directives peuvent être invoquées en l’absence d’une disposition législative.

[28]           Le défendeur fait valoir qu’il était loisible à l’agente de conclure que la confiscation intégrale des garanties était appropriée puisqu’il y a eu violation des conditions. Même si elle jouit d’un certain pouvoir discrétionnaire, celui‑ci est limité lorsqu’il est établi qu’il y a eu manquement aux conditions. Dans le cas présent, il n’est pas contesté qu’il y a eu un manquement et qu’il était grave.

[29]           Le défendeur ajoute que, même s’il était possible d’ordonner une confiscation partielle, la gravité du manquement en l’espèce militerait contre une réduction de la somme confisquée.

L’agente avait peut‑être le pouvoir discrétionnaire d’ordonner une confiscation partielle, mais la décision de confisquer la somme complète est raisonnable

[30]           Comme le fait remarquer le défendeur, toute personne qui fournit une garantie d’exécution doit, en vertu du paragraphe 49(1) du Règlement, reconnaître par écrit avoir été informée des conditions imposées et de ce que le non‑respect entraînera la confiscation de la somme donnée en garantie et la réalisation de la garantie. Le paragraphe 49(4) du Règlement prévoit que la somme donnée en garantie est confisquée ou que la garantie devient exécutoire en cas de non‑respect des conditions imposées, alors que l’ancienne Loi sur l’immigration indiquait qu’une somme donnée en garantie pouvait être confisquée ou qu’une garantie pouvait être réalisée.

[31]           Le Guide ENF 8 aide les décideurs à appliquer la Loi et le Règlement. La section 7.8 du Guide prévoit :

7.8. Garantie fournie par un tiers

Les règles d’équité en matière de procédure veulent qu’un agent de CIC ou de l’ASFC ne recommande pas la confiscation d’un dépôt de garantie ou l’exécution d’une garantie d’exécution souscrite par un tiers avant que cette personne ne puisse faire une observation par écrit à propos de la décision en instance.

Les gestionnaires et agents de CIC et de l’ASFC possèdent le pouvoir discrétionnaire de décider si le non‑respect des conditions est suffisamment grave pour justifier la confiscation du dépôt de garantie ou la réalisation de la garantie d’exécution. Toutefois, les gestionnaires et agents de CIC et de l’ASFC ne possèdent pas le pouvoir discrétionnaire de réduire ou de modifier autrement le montant du dépôt de garantie ou de la garantie d’exécution.

Quand une violation des conditions peut avoir pour conséquence la confiscation d’un dépôt de garantie ou l’exécution d’une garantie d’exécution, le déposant ou le garant doit être informé par écrit de l’infraction aux conditions et d’une possible confiscation ou exécution et doit se voir accorder la possibilité de présenter ses observations par écrit. Si la décision finale vise la confiscation du dépôt ou la réalisation de la garantie d’exécution, le déposant ou le garant sera tenu responsable de l’intégralité du montant du dépôt ou de la garantie.

Si le garant refuse ou est incapable d’honorer un engagement de garantie d’exécution, les agents de CIC ou de l’ASFC doivent renvoyer l’affaire au bureau régional du ministère de la Justice pour une poursuite au civil.

[Non souligné dans l’original]

[32]           Dans la décision Domitlia, le juge Beaudry notait :

[35]      Le défendeur s’en remet au Guide et précise qu’avant le 1er février 2007 il existait une certaine discrétion pour les agents, ces derniers pouvant confisquer un montant moindre que la garantie conférée.

[36]      Étant donné que le bris de condition est daté du 12 mai 2010, ce sont les nouvelles directives qui doivent s’appliquer. En effet, depuis le 1er février 2007, les agents n’ont plus la discrétion de confisquer un montant moindre que la garantie donnée. De toute évidence, il n’y a pas eu d’erreur commise par l’agent.

[33]           Cependant, le juge Beaudry n’a rien ajouté sur la question de savoir si les directives, qui n’ont pas force de loi, peuvent ainsi restreindre le pouvoir discrétionnaire de l’agent et, comme le reconnaît le défendeur, aucune observation ne semble avoir été soumise sur cette question.

[34]           Dans la décision Khalil, le juge Mosley n’a pas souscrit à cette conclusion, même si elle n’était pas déterminante au regard des questions dont il était saisi :

[46]      Je ne suis pas enclin à convenir avec le défendeur que les agents ont cessé de détenir le pouvoir discrétionnaire allégué par les demandeurs, parce qu’il me semble qu’un tel changement nécessiterait un aval législatif. On ne voit pas comment le Guide peut accorder le pouvoir discrétionnaire de confisquer ou non la garantie au complet, mais non d’en confisquer une portion, alors que la loi ne l’autorise pas expressément. Je ne suis toutefois pas dans l’obligation, en l’espèce, de trancher cette question. Je préfère la laisser ouverte pour une situation dont les faits soulèvent directement la question.

[47]      Rien dans le dossier ne donne à penser que l’agent croyait ne pas détenir le pouvoir de confisquer une portion moindre des garanties. Le ministre a invoqué des arguments à cet effet, mais il ne peut s’exprimer au nom du décideur. En l’absence d’une quelconque preuve à l’effet contraire, je conclus que l’agent de l’ASFC a décidé qu’il convenait dans les circonstances de confisquer le montant intégral. Je préfère juger la cause en me concentrant sur le caractère raisonnable de cette décision plutôt que sur la règle interdisant de restreindre le pouvoir discrétionnaire.

[35]           De même, dans le cas présent, rien n’indique que l’agente s’est demandé s’il convenait de confisquer une somme moindre, puisqu’elle a conclu qu’elle n’avait pas le pouvoir de rendre une ordonnance dans ce sens. Les demandeurs n’ont pas fait valoir dans leurs observations que le prélèvement d’une somme inférieure pouvait être un moyen d’atténuer les conséquences de la confiscation. Les notes de l’agent de révision qui sont versées au dossier concernent exclusivement la confiscation de la somme totale.

[36]           Comme dans la décision Khalil, il faudra attendre, pour déterminer si l’ASFC a le pouvoir discrétionnaire de confisquer une somme inférieure, que la situation s’y prête, alors que des observations auront été présentées quant à l’opportunité d’exercer un tel pouvoir, selon que l’agent aura décidé de le faire ou non.

La décision portant confiscation des garanties est raisonnable

[37]           La question qui se pose en l’espèce est de savoir si l’agente a omis de se demander si elle devait exercer son pouvoir discrétionnaire et si la décision portant confiscation de toutes les sommes données en garantie est raisonnable.

[38]           Il n’est pas contesté que l’agente jouit d’un certain pouvoir discrétionnaire pour décider de confisquer ou non les sommes données en garanties.

[39]           Les demandeurs citent abondamment la décision Uanseru et font valoir que l’agente a omis d’exercer son pouvoir discrétionnaire. Dans cette décision, la juge Mactavish a dit :

[23]      À mon avis, il n’est pas nécessaire de déterminer si les règles de droit qui ont été élaborées dans le domaine pénal sont d’un secours quelconque en l’espèce, compte tenu du fait que le défendeur a admis que, malgré les modifications apportées à la législation depuis le prononcé des décisions Gayle et Bcherrawy, l’agent dispose toujours d’une certaine latitude pour décider s’il y a lieu à la confiscation dans un cas donné et que, pour exercer ce pouvoir discrétionnaire, l’agent a le droit de tenir compte de l’ensemble des faits de l’affaire.

[24]      Cette façon de voir correspond aux directives consignées dans le Guide d’exécution de la loi de Citoyenneté et Immigration Canada. Il est précisé à l’article 7.5 du chapitre 8 du Guide que, lorsque les agents exercent le pouvoir que la Loi leur confère en matière de confiscation de cautionnements, chaque cas est un cas d’espèce. Le Guide précise que lorsque des mesures sont prises en vue de confisquer le cautionnement, la caution doit être informée par écrit des motifs de la confiscation.

[40]           La juge Mactavish a jugé que l’agente avait examiné les observations du demandeur et que la décision de ne réaliser que la garantie d’exécution et de renoncer au cautionnement en espèces démontrait que l’agente savait qu’elle jouissait d’un pouvoir discrétionnaire (au paragraphe 29). Cependant, les motifs n’expliquaient pas pourquoi cette dernière avait réalisé l’une et renoncé à l’autre. Au paragraphe 30, la juge Mactavish a déclaré : « [i]l n’y a donc aucune façon de déterminer si l’agente s’est fondée sur des considérations irrégulières ou étrangères à l’objet de la loi ».

[41]           Les demandeurs soutiennent que l’agente a déraisonnablement omis d’examiner leurs observations et, comme dans la décision Uanseru, il n’existe aucun moyen de déterminer sur quelles considérations elle s’est fondée.

[42]           Les faits de la présente affaire ne ressemblent pas à ceux dont il est question dans la décision Uanseru. L’agente a décidé de confisquer les cautionnements en espèces et de réaliser les garanties d’exécution dans leur intégralité. Rien ne donne à penser que l’agente s’est appuyée sur des considérations externes ou irrégulières pour parvenir à cette décision.

[43]           Les observations des demandeurs expliquaient surtout en quoi ils n’étaient pas responsables du manquement et quels efforts ils avaient consentis pour s’acquitter de leurs obligations. Comme je l’ai mentionné, ils n’ont pas laissé entendre que l’agente ne devait envisager qu’une confiscation partielle. On ne peut donc reprocher à cette dernière de ne pas avoir examiné des observations qui n’ont pas été soumises.

[44]           Quant à la question de savoir si l’agente a tenu compte de l’absence de faute de leur part, les demandeurs invoquent la décision Etienne, dans laquelle le juge Shore notait :

[32]      Il découle de l’arrêt Khalife que le fait qu’une personne agissant comme caution soit tierce à la personne détenue est un facteur pertinent lors de l’exercice du pouvoir discrétionnaire des agents de l’ASFC d’exécuter ou non la caution. Contrairement à la situation dans Khalife, le demandeur est tiers aux actes commis par son fils. La preuve démontre que les bris de condition du fils du demandeur ne peuvent être attribués au demandeur et la preuve n’établit pas que le demandeur aurait été fautif.

[45]           Les commentaires du juge Shore concernaient la question de savoir si le fait de refuser au demandeur une prorogation du délai prévu pour déposer des observations à l’encontre de la réalisation de la garantie était équitable d’un point de vue procédural; ils ne concernaient pas la question du caractère raisonnable de la réalisation de la garantie (qu’il a abordée aux paragraphes 20 à 23). À mon avis, la décision Etienne n’établit pas que la faute est un facteur à prendre en compte pour déterminer s’il convient de confisquer une somme donnée en garantie.

[46]           Dans la décision Khalil, le juge Mosley s’est prononcé sur la question de savoir si l’ASFC devait tenir compte de la culpabilité du garant :

[59]      Le deuxième argument principal des demandeurs est qu’on ne devrait pas confisquer leurs garanties parce qu’ils n’ont aucune responsabilité dans la fuite de Nabil. Ils en arrivent à ce principe en établissant une analogie avec le droit criminel. Tout d’abord, l’à‑propos de cette analogie est douteux. Dans la décision Khalife, précitée, aux paragraphes 27 à 38, j’ai cité la décision Uanseru et exprimé mon hésitation à établir des parallèles avec le droit criminel, à la lumière des dispositions législatives particulières et de l’objet du régime d’immigration. L’argument des demandeurs voulant qu’il soit désormais pertinent de s’appuyer sur le droit criminel à la suite des modifications apportées au Guide opérationnel en 2007 n’est pas convaincant. Sous sa forme modifiée, le Guide n’expose pas un processus qui se rapproche davantage du processus pénal. De plus, les dispositions législatives et réglementaires sous‑jacentes n’ont pas été modifiées. Ceci étant, je ne vois aucune raison de renoncer à la position que j’ai adoptée dans la décision Khalife. La culpabilité des garants ne doit pas être une considération primordiale d’un agent de l’ASFC appelé à décider s’il faut confisquer une garantie. [Non souligné dans l’original]

[47]           Les demandeurs font valoir que la décision Khalil n’interdit pas de prendre en compte la culpabilité, elle précise seulement qu’il ne s’agit pas d’une considération primordiale. Ils ajoutent que le fait qu’ils n’ont pas commis de faute aurait dû faire partie des considérations pertinentes.

[48]           Je ne suis pas disposée à convenir que l’absence de faute de la part du garant devrait être considérée comme étant pertinente. En fait, le garant assume le risque lorsqu’il signe l’entente, comme le soulignent tous les documents qu’ont signés les demandeurs. La Cour a indiqué que l’objet des garanties dans ce contexte est d’assurer le respect des lois sur l’immigration (Khalil, au paragraphe 59; Etienne, au paragraphe 20; Uanseru, au paragraphe 18; Khalife, au paragraphe 38). Cet objectif serait compromis si l’on cherchait à savoir si les garants sont responsables du manquement ou si ce facteur recevait plus de poids que d’autres considérations pertinentes.

[49]           Cependant, en l’espèce, l’agente a reconnu que les demandeurs ont immédiatement signalé qu’ils n’arrivaient pas à contacter M. Najafi; en d’autres termes, l’absence de faute de leur part a été relevée.

[50]           Dans la lettre de décision, l’agente précise qu’elle a examiné les observations des demandeurs. Les notes de l’agent de révision qui sont versées au dossier indiquent que des garanties substantielles ont été établies en raison des actes criminels et de l’utilisation de documents frauduleux par M. Najafi à l’étranger, sans lesquelles ce dernier n’aurait pas été remis en liberté. L’agent de révision a noté la réaction diligente des demandeurs lorsque M. Najafi a disparu. Il a également indiqué que le manquement aux conditions était important et que M. Najafi n’a pas été retrouvé.

[51]           Rien n’indique que l’agente a ignoré les observations des demandeurs ou le fait qu’ils n’ont pas contribué à la disparition de M. Najafi. Il lui était loisible d’accorder du poids à la gravité du manquement et au fait que M. Najafi avait été remis en liberté grâce aux garanties fournies par les demandeurs.

L’agente a‑t‑elle fourni des motifs inadéquats?

La thèse des demandeurs

[52]           Les demandeurs reconnaissent que les exigences de l’équité procédurale seront remplies pour autant que des motifs sont fournis (Newfoundland Nurses, au paragraphe 62). Cependant, ils font valoir que l’agente n’a exposé aucun motif dans sa décision de ne pas exercer son pouvoir discrétionnaire et de confisquer toutes les sommes données en garantie, et que même les notes au dossier se limitent à répéter les faits; la question de savoir si l’exercice du pouvoir discrétionnaire a été envisagé et si le montant devait être confisqué en tout ou en partie n’a fait l’objet d’aucune analyse.

La thèse du défendeur

[53]           Le défendeur soutient que le paragraphe 49(4) du Règlement n’exige pas de fournir des motifs. Cependant, si une telle obligation de fournir des motifs existe, la décision les fournit. La qualité des motifs n’est pas une question d’équité procédurale (Newfoundland Nurses, aux paragraphes 16, 20 et 21).

[54]           Il est entendu et admis que l’agente a conclu que le manquement de M. Najafi justifiait la confiscation.

[55]           Le défendeur fait valoir que les motifs, lus dans le contexte et à la lumière de la preuve, permettent aux demandeurs et à la Cour de comprendre pourquoi l’agente a rendu sa décision. Dans l’ensemble, celle‑ci était raisonnable.

Les motifs sont adéquats

[56]           Les demandeurs trouvaient préoccupant que les notes au dossier ne figuraient pas dans les motifs qui leur ont été communiqués au titre de l’article 9 des Règles, et que le défendeur avait indiqué précédemment qu’il n’y avait pas d’autres motifs. Cependant, ils reconnaissent que ces notes ont été versées au dossier certifié du tribunal qu’ils ont reçu en juillet 2015.

[57]           Il est bien établi que les recommandations adressées à un décideur peuvent être considérées comme faisant partie des motifs de la décision finale, en particulier si le décideur fait siennes les recommandations (Sketchley c Canada (Procureur général), 2005 CAF 404, au paragraphe 37, [2006] 3 RCF 392).

[58]           En l’espèce, l’agente a souscrit aux notes au dossier, lesquelles font clairement partie des motifs. Elles font également partie du dossier et ont dû être prises en considération dans l’examen du caractère raisonnable de la décision fondé sur les principes établis dans l’arrêt Newfoundland Nurses.

[59]           Les notes au dossier auraient dû idéalement être communiquées aux demandeurs en vertu de l’article 9 des Règles. Cependant, ces derniers n’ont pas établi qu’ils ont subi un préjudice quant à leur capacité de faire valoir des arguments dans le cadre de la présente demande parce qu’ils ont reçu les notes en question avec le dossier certifié du tribunal en juillet plutôt qu’avec la lettre de décision.

[60]           Malgré leurs observations à l’effet contraire, l’argument des demandeurs concernant le caractère inadéquat des motifs paraît fondé sur des décisions jurisprudentielles antérieures à l’arrêt Newfoundland Nurses. Le caractère inadéquat des motifs ne justifie pas à lui seul de faire droit au contrôle judiciaire.

[61]           Conformément à l’arrêt Newfoundland Nurses, la Cour « examiner[a] le dossier pour apprécier le caractère raisonnable du résultat » (au paragraphe 15).

[62]           La décision de confisquer une somme donnée en garantie est hautement discrétionnaire (Khalil, au paragraphe 15) et repose sur l’établissement de faits essentiels concernant les conditions de la garantie et leur non‑respect. Dans la présente affaire, le dossier comprend la feuille d’information sur les garants, les conditions de libération de M. Najafi, la garantie d’exécution signée par les demandeurs, les notes du Système de soutien des opérations des bureaux locaux [SSOBL], les observations adressées par les demandeurs à l’ASFC expliquant pourquoi la garantie ne devait pas être confisquée, ainsi que les notes de l’agent de révision au dossier.

[63]           Comme l’a dit le juge Mosley dans la décision Khalil :

[49]           L’agent n’a pas explicitement répondu aux arguments des demandeurs, mais cela ne signifie pas que la Cour doit obligatoirement annuler sa décision. Si le résultat final est raisonnable au vu du dossier, l’arrêt NL Nurses prescrit à la Cour de compléter les motifs de l’agent et de confirmer sa décision.

[64]           En l’espèce, l’agente n’a pas mentionné chaque aspect des observations des demandeurs, mais elle est présumée avoir examiné tous les éléments de preuve (Florea c Canada (Ministre de de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] ACF no 598 (QL) (CAF)). Il ne s’agit pas d’un cas où l’agente a ignoré des renseignements contradictoires et serait tenue d’expliquer pourquoi elle n’a pas tenu compte de ces éléments de preuve (Cepeda‑Gutierrez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1998), 157 FTR 35, [1998] ACF no 1425 (QL)). Les observations des demandeurs ne contredisaient pas les conclusions de l’agente ni celles de l’agent de révision qui figurent dans les notes au dossier.

[65]           Les motifs succincts fournis dans la lettre de l’agente, les notes au dossier de l’agent de révision de même que le dossier sont suffisants pour permettre à la Cour de conclure que la décision est raisonnable. Elle est étayée par les faits : les garants étaient liés par la garantie à laquelle ils ont souscrit, et devaient s’assurer que M. Najafi se conformait aux conditions de sa remise en liberté; malgré leurs efforts, ce dernier a disparu et n’a pas été retrouvé; cette violation a été tenue pour grave.

[66]           Même si les répercussions pour les demandeurs sont malheureuses, ils ont pris ce risque, et la décision de confisquer l’intégralité des garanties d’exécution et des cautionnements en espèces était raisonnable compte tenu des faits et du droit. Par conséquent, la demande doit être rejetée.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée. Aucune question d’intérêt général n’est certifiée.

« Catherine M. Kane »

Juge

Traduction certifiée conforme

Édith Malo, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑4618‑14

 

INTITULÉ :

ABDULLAH HAMID ET MOHAMMED HOSSAYNI c LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 5 octobre 2015

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE KANE

 

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

LE 27 OCTOBRE 2015

 

COMPARUTIONS :

Subodh Singh Bharati

 

POUR LES demandeurS

Kareena Wilding

 

POUR LE défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Subodh Singh Bharati

Avocat

Toronto (Ontario)

 

POUR LES demandeurS

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE défendeur

 

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