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Date : 20151027


Dossier : IMM-2141-15

Référence : 2015 CF 1213

Montréal (Québec), le 27 octobre 2015

En présence de monsieur le juge Shore

ENTRE :

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

demandeur

et

ALEXIS MUKANYA KABUNDA

ANNIE BUBUANGA MAKITA

défendeurs

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   Au préalable

[1]               L’identité d’un demandeur d’asile est un élément primordial de toute demande d’asile (Barry v Canada (Minister of Citizenship and Immigration), 2014 FC 8 au para 19; Toure c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2014 CF 1189 au para 32). Bien que le représentant du Ministre puisse soulever des arguments et présenter des analyses effectuées par l’ASFC, il est du ressort de la SPR, et par après la SAR si nécessaire, d’apprécier le caractère probant de l’identité du demandeur d’asile (Matingou-Testie c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2012 CF 389 au para 27; Jackson c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2012 CF 1098 au para 34). En tirant des conclusions sur l’identité du demandeur d’asile, la SPR doit prendre en considération l’ensemble de la preuve (Yang c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2009 CF 681).

[2]               La jurisprudence de cette Cour démontre, comme le prétendent les défendeurs, que la SAR peut avoir un certain niveau de déférence envers les conclusions de crédibilité de la SPR (Malambu c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2015 CF 763 au para 42). Cependant, cette règle n’est pas absolue. Lorsque, comme en l’espèce, la SPR rend une décision sans prendre en considération des rapports d’analyse de l’ASFC à l’effet que certains documents pour établir leur identité étaient apocryphes ou non concluants, la SAR ne pouvait faire preuve de déférence envers les conclusions de crédibilité de la SPR.

II.                Introduction

[3]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [LIPR] à l’encontre d’une décision de la Section d’appel des réfugiés [SAR] de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié datée du 20 avril 2015, par laquelle ont été accueillies les demandes d’asile des défendeurs.

III.             Faits

[4]               Les défendeurs, Alexis Mukanya Kabunda et Annie Bubuanga Makita, ont déclaré dans leur Formulaire de demande d’asile [FDA] être citoyens de la République démocratique du Congo [RDC]. Monsieur Kabunda était un militant actif du parti politique congolais, l’Union pour la démocratie et le progrès social [UDPS] depuis la fin des années 1990. Suite à sa participation à une manifestation le 12 avril 2010, monsieur Kabunda allègue avoir été arrêté, menotté et mis en détention au camp Lufungula jusqu’au 16 avril 2010. Une fois libéré, le défendeur a par la suite fui pour l’Angola. Puis, les défendeurs ont quitté séparément l’Angola en février 2013 pour rejoindre la RDC alléguant avoir fait l’objet de persécution en Angola. Ils sont entrés en RDC avec des passeports angolais authentiques mais émis illégalement. De retour en RDC, les défendeurs ont été de nouveau persécutés et ils ont fui pour les États-Unis.

[5]               Après un séjour de deux mois aux États-Unis, les défendeurs ont fait une demande d’asile, au poste frontalier de Saint-Armand le 14 mai 2013, en raison de persécution subie sur la base de leurs opinions politiques.

[6]               Dans une décision datée du 10 juin 2014, la Section de la protection des réfugiés [SPR] a trouvé que les défendeurs avaient témoigné « en général de manière fluide et spontanée, et sans contradictions ou incohérences importantes, quant à l’obtention de ces [passeports angolais obtenus illégalement] et des visas à l’intérieur de ceux-ci ». Suite à la première audience tenue devant la SPR le 12 juillet 2013, la représentante du Ministre a déposé un avis d’intervention signé le 5 septembre 2013 indiquant que l’Agence des services frontaliers du Canada [ASFC] n’était pas satisfaite de l’identité des défendeurs. Une deuxième audience a donc eu lieu le 11 septembre 2013. Le 31 octobre 2013, la représentante du Ministre a fait une demande auprès de la SPR pour qu’elle attende les résultats des vérifications effectuées par l’ASFC quant à l’identité des défendeurs avant de rendre sa décision. La SPR a rejeté cette demande dans sa décision rendue le 10 juin 2014.

[7]               Dans sa décision, la SPR a conclu que les défendeurs avaient présenté plusieurs documents (cartes d’électeur de la RDC, permis de conduire, attestations de naissance, attestation de résidence, attestation de composition familiale, acte de notoriété supplétif à un acte de mariage et documents scolaires) pour démontrer leur identité, et donc, qu’ils avaient démontré de manière satisfaisante leur identité en tant que citoyens de la RDC.

[8]               Le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile a interjeté appel de cette décision devant la SAR. La SAR a confirmé la décision de la SPR. C’est cette décision de la SAR qui fait l’objet du présent contrôle judiciaire.

IV.             Décision de la SAR

[9]               La décision faisant l’objet de révision judiciaire est celle de la SAR, datée du 20 avril 2015, pour laquelle la SAR a confirmé la décision de la SPR et a accueilli la demande d’asile des défendeurs. La SAR a admis en preuve des rapports de l’ASFC datant des 15, 18 et 19 novembre 2013 relatifs à l’identité des défendeurs qui n’avaient pu être déposés devant la SPR. La SAR a trouvé que ces rapports soulèvent une question importante en ce qui concerne la crédibilité des défendeurs et sont essentiels à la prise de décision.

[10]           En tranchant l’appel de la décision de la SPR, la SAR a énoncé qu’elle devait « évaluer l’ensemble de la preuve pour déterminer si la décision est bien fondée en regard de la preuve devant la SPR et de toute preuve additionnelle admise par la SAR à titre de nouvel élément de preuve » (décision de la SAR, para 38) tout en faisant preuve de retenue en matière de crédibilité des défendeurs, à moins que les conclusions de fait ou mixtes de la SPR soient erronées, ou ne soient pas étayées par la preuve.

[11]           La SAR a évalué individuellement les rapports soumis par l’ASFC. Elle a aussi énoncé qu’un ensemble de facteurs devait être pris en considération pour déterminer l’identité d’un demandeur d’asile. Ce faisant, bien que la SAR ait reconnu que pris isolément certains des documents servant à démontrer l’identité des défendeurs n’ont qu’une faible valeur probante, la SAR a pris en considération le fait que la SPR avait pu entendre le témoignage des défendeurs et avait donné foi aux faits énoncés par ceux-ci lors de leur témoignage à l’effet qu’ils sont citoyens de la RDC et ont vécu en Angola sous une fausse identité avec de véritables passeports angolais obtenus illégalement.

[12]           En somme, la SAR a conclu, en prenant en considération l’ensemble de la preuve ainsi que les éléments contradictoires aux témoignages des défendeurs, que les défendeurs « ont établi qu’il est plus probable que le contraire qu’ils sont citoyens congolais plutôt que des citoyens angolais » (décision de la SAR, para 63).

V.                Point en litige

[13]           La Cour considère que la demande soulève la question suivante :

Est-ce que la décision de la SAR était raisonnable?

VI.             Provisions législatives

[14]           Les dispositions législatives de la LIPR et des Règles de la Section de la protection des réfugiés, DORS/2012-256 [RSPR] suivantes s’appliquent :

Crédibilité

Credibility

106. La Section de la protection des réfugiés prend en compte, s’agissant de crédibilité, le fait que, n’étant pas muni de papiers d’identité acceptables, le demandeur ne peut raisonnablement en justifier la raison et n’a pas pris les mesures voulues pour s’en procurer.

106. The Refugee Protection Division must take into account, with respect to the credibility of a claimant, whether the claimant possesses acceptable documentation establishing identity, and if not, whether they have provided a reasonable explanation for the lack of documentation or have taken reasonable steps to obtain the documentation.

Documents

Documents

11. Le demandeur d’asile transmet des documents acceptables qui permettent d’établir son identité et les autres éléments de sa demande d’asile. S’il ne peut le faire, il en donne la raison et indique quelles mesures il a prises pour se procurer de tels documents.

11. The claimant must provide acceptable documents establishing their identity and other elements of the claim. A claimant who does not provide acceptable documents must explain why they did not provide the documents and what steps they took to obtain them.

VII.          Position des parties

A.                Le demandeur

[15]           Premièrement, le demandeur soutient que la SAR a erré en limitant les questions qui pouvaient être posées quant à l’identité des défendeurs. Deuxièmement, le demandeur soutient que l’analyse de la SAR portant sur l’identité des défendeurs n’est manifestement pas supportée par une preuve suffisamment fiable et probante et que la SAR ne réfère pas à de la preuve documentaire objective. De plus, la SAR ne pouvait se fonder sur les conclusions de crédibilité de la SPR puisque la SPR n’avait pas en sa possession les rapports d’analyse de l’ASFC lorsqu’elle a conclu que les défendeurs étaient uniquement citoyens de la RDC. Troisièmement, la SAR n’a pas pris en considération la présomption à l’effet qu’un détenteur d’un passeport est citoyen du pays d’émission (Abedalaziz c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2011 CF 1066 [Abedalaziz]; Mathews c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2003 CF 1387), rappelant qu’un demandeur d’asile doit démontrer sa crainte de persécution pour tous les pays de nationalité potentielle (Canada (Procureur général) c Ward, [1993] 2 RCS 689 [Ward]; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) c Munderere, 2008 CAF 84; Williams c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2005] 3 RCF 429, 2005 CAF 126).

B.                 Les défendeurs

[16]           Premièrement, les défendeurs argumentent que la SAR avait la discrétion de limiter les questions pouvant être posées lors de l’audience devant la SAR. Deuxièmement, les défendeurs soutiennent que la SAR a pris en considération l’ensemble de la preuve et que sa conclusion quant à l’identité des défendeurs est raisonnable. Les défendeurs soutiennent avoir présenté plusieurs éléments de preuve de différentes époques démontrant leur identité congolaise en plus d’avoir été entendus par les commissaires de la SPR et de la SAR. De plus, les défendeurs soutiennent que les conclusions des rapports d’analyse que certains documents sont apocryphes ne viennent pas contredire leurs témoignages. Troisièmement, quant aux passeports angolais, les défendeurs soutiennent que le demandeur n’a jamais présenté de preuve contredisant le témoignage des défendeurs quant à leur obtention des passeports angolais. En somme, les défendeurs soutiennent que la SAR a rendu une décision en prenant en considération toute la preuve qui lui avait été présentée et que cette décision est raisonnable.

VIII.       Norme de contrôle

[17]           Les conclusions de la SAR quant à l’identité et la crédibilité des défendeurs sont des questions de fait devant être révisées selon la norme de la décision raisonnable (Selvarasu c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 849; Diallo c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2014 CF 471; Aguebor c Canada (Ministre de l’Emploi et de l'Immigration), 160 NR 315 (CAF)). La décision de la SAR est raisonnable si elle est justifiable, transparente et intelligible et si la décision appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190 au para 47).

IX.             Opinion

[18]           L’identité d’un demandeur d’asile est un élément primordial de toute demande d’asile (Barry v Canada (Minister of Citizenship and Immigration), 2014 FC 8 au para 19; Toure c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2014 CF 1189 au para 32). Bien que le représentant du Ministre puisse soulever des arguments et présenter des analyses effectuées par l’ASFC, il est du ressort de la SPR, et par après la SAR si nécessaire, d’apprécier le caractère probant de l’identité du demandeur d’asile (Matingou-Testie c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2012 CF 389 au para 27; Jackson c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2012 CF 1098 au para 34). En tirant des conclusions sur l’identité du demandeur d’asile, la SPR doit prendre en considération l’ensemble de la preuve (Yang c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2009 CF 681).

[19]           Il est surprenant, étant donné le rôle primordial que l’identité est de priorité dans toute demande d’asile, que la SPR n’ait pas attendu d’avoir pris connaissance du rapport d’analyse portant sur l’identité des défendeurs de l’ASFC avant de rendre une décision.

[20]           Il est d’autant plus surprenant que la SAR se soit tout de même appuyée sur les conclusions de la SPR quant à la crédibilité des défendeurs et a donc accepté les conclusions de la SPR à l’effet que les défendeurs sont citoyens de la RDC ayant fui en Angola et y ont vécu avec de fausses identités jusqu’à leur découverte par les autorités angolaises. La SAR a tiré cette conclusion tout en reconnaissant que « pris isolément certains des documents déposés n’ont qu’une faible valeur probante quant à l’identité des demandeurs d’asile » (décision de la SAR, para 55).

[21]           La jurisprudence de cette Cour démontre, comme le prétendent les défendeurs, que la SAR peut avoir un certain niveau de déférence envers les conclusions de crédibilité de la SPR (Malambu c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2015 CF 763 au para 42). Cependant, cette règle n’est pas absolue. Lorsque, comme en l’espèce, la SPR rend une décision sans prendre en considération des rapports d’analyse de l’ASFC à l’effet que certains documents pour établir leur identité étaient apocryphes ou non concluants, la SAR ne pouvait faire preuve de déférence envers les conclusions de crédibilité de la SPR.

[22]           De plus, tel que le soumet le demandeur, il y a une présomption prima facie que le détenteur d’un passeport est citoyen du pays d’émission (Abedalaziz, ci-dessus; Becirevic c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2015 CF 447 au para 8). Les défendeurs ont témoigné devant la SPR que leurs passeports angolais sont des passeports authentiques obtenus frauduleusement. L’authenticité des passeports a été confirmée dans les rapports de l’ASFC.

[23]           Après une analyse de l’ensemble de la preuve, la SAR a conclu : « je suis d’avis que l’appelant n’a pas établi que la SPR a erré en concluant que les demandeurs d’asile ont établi qu’ils étaient des citoyens de la RDC plutôt que des citoyens de l’Angola » (décision de la SAR, para 67). Le rôle de la SAR n’était pas de déterminer si les défendeurs étaient des citoyens de la RDC plutôt que des citoyens de l’Angola, mais bien de déterminer de quels pays les défendeurs avaient la citoyenneté; et, subséquemment, de déterminer si les défendeurs craignaient d’être persécutés dans tous les pays pour lesquels ils sont ressortissants (Ward, ci-dessus).

[24]           Or, la SAR a conclu que les défendeurs « ont établi qu’il est plus probable que le contraire qu’ils sont des citoyens congolais plutôt que des citoyens angolais ». La SAR n’avait pas à déterminer si les défendeurs étaient des citoyens congolais plutôt qu’angolais, la SAR devait déterminer tous les pays pour lesquels les défendeurs étaient ressortissants.

[25]           La Cour est d’avis qu’étant donné le rôle primordial de l’identité dans une demande d’asile, il était nécessaire pour la SAR de faire un examen en profondeur de l’identité des demandeurs et ne pouvait, comme elle l’a fait, empêcher le Ministre de compléter sa preuve.

X.                Conclusion

[26]           La Cour conclut que la décision de la SAR n’était pas raisonnable. Conséquemment la demande de contrôle judiciaire est accordée.


JUGEMENT

LA COUR ADJUGE que la demande de contrôle judiciaire soit accordée et que le dossier soit retourné pour une étude de nouveau à un autre panel. Il n’y a aucune question d’importance à certifier.

« Michel M.J. Shore »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-2141-15

INTITULÉ :

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION c ALEXIS MUKANYA KABUNDA, ANNIE BUBUANGA MAKITA

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (Québec)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 26 octobre 2015

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE SHORE

DATE DES MOTIFS :

LE 27 octobre 2015

COMPARUTIONS :

Geneviève Bourbonnais

Pour le demandeur

Stéphanie Valois

Pour les défendeurs

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

Pour le demandeur

Stéphanie Valois

Montréal (Québec)

Pour les défendeurs

 

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