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Date : 20151026


Dossier : IMM-208-15

Référence : 2015 CF 1210

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 26 octobre 2015

En présence de madame la juge Tremblay-Lamer

ENTRE :

MOHINDER SINGH

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la LIPR), à l’encontre d’une décision rendue par un agent de Citoyenneté et Immigration Canada (CIC) au haut-commissariat du Canada à New Delhi, en Inde, par laquelle il rejetait une demande de visa de résident temporaire (VRT).

I.                   Les faits

[2]               M. Mohinder Singh est un citoyen de l’Inde. Il y vit avec son épouse et son fils. Il est propriétaire d’une entreprise.

[3]               En juin 2014, il a présenté une demande de VRT pour visiter le Canada pendant un mois afin d’assister à la cérémonie « Dastar Bandi » du fils de sa nièce. La « Dastar Bandi » est une cérémonie sikhe au cours de laquelle le premier turban est noué par un membre aîné de la famille ou par un autre aîné sikh.

[4]               Ce voyage était particulièrement important pour le demandeur, étant donné qu’il agit à titre de principale figure paternelle dans la vie de sa nièce depuis que le père de celle-ci est décédé alors qu’elle était âgée de huit ans. M. Singh n’a pas vu sa nièce ni sa famille depuis leur déménagement au Canada, sept ou huit ans auparavant.

[5]               La demande de M. Singh a été rejetée. Sa nièce et l’époux de cette dernière ont décidé de remettre la cérémonie à plus tard. Le demandeur a présenté une nouvelle demande, laquelle fut elle aussi rejetée le 23 juin 2014. Le demandeur a présenté une demande de contrôle judiciaire de cette décision. L’affaire a fait l’objet d’un désistement lorsque le ministre a consenti à ce que le dossier soit examiné à nouveau le 2 octobre 2014.

[6]               Le 26 novembre 2014, la demande de VRT du demandeur a été refusée pour une troisième fois. L’agent a rejeté la demande de visa au motif qu’il n’était pas convaincu que le demandeur allait quitter le Canada à la fin de sa visite et que le demandeur disposait de suffisamment de fonds pour atteindre le but déclaré de son voyage au Canada, pour subvenir à ses besoins au Canada et pour assurer son départ.

[7]               Les actifs du demandeur constituaient la principale préoccupation principale de l’agent. L’agent a conclu que les revenus du demandeur oscillaient entre 4 000  et 5 000 $ en devises canadiennes au cours des trois dernières années et que l’un de ses comptes commerciaux avait un solde négatif, alors que l’autre affichait un solde peu élevé. Il a conclu que le demandeur n’avait pas les moyens financiers de soutenir sa famille en Inde et de s’acquitter de ses dépenses au Canada.

II.                Les questions en litige

[8]               La présente affaire soulève les questions suivantes :

1.                  L’agent a-t-il commis une erreur en omettant de tenir compte d’éléments de preuve pertinents?

2.                  L’agent a-t-il contrevenu aux règles de l’équité procédurale en ne donnant pas au demandeur l’occasion de dissiper ses préoccupations au sujet de sa demande?

III.             Analyse

[9]               Le demandeur allègue que l’agent de CIC a omis de tenir compte d’éléments de preuve pertinents lors de son examen de la demande de visa. D’abord, l’agent a constaté qu’il n’était pas évident de savoir si la cérémonie avait eu lieu ou non. Cependant, la lettre de demande indiquait clairement que la cérémonie avait été reportée à une date indéterminée. L’agent a également omis de tenir compte des actifs du demandeur. En outre, l’agent a commis une erreur en écartant le rapport du comptable au motif qu’il s’agissait d’un élément de preuve intéressé, car si tel était le cas, tous les documents favorables à un demandeur seraient intéressés (Taborda c Canada (Ministre de la Citoyenneté. et de l’Immigration), 2013 CF 957). Je me range du côté du demandeur, et ce, pour les motifs qui suivent.

[10]           Ensemble, l’alinéa 20(1)b) de la LIPR et l’article 179 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227, imposent une obligation principale aux étrangers qui cherchent à entrer au Canada : démontrer, selon la prépondérance des probabilités, qu’ils quitteront le Canada à la fin de la période de séjour autorisée. Si l’agent des visas est convaincu de cela, il doit alors délivrer le VRT.

[11]           L’agent des visas a aussi mentionné le but de la visite et l’absence d’historique de voyage comme des motifs à l’appui du rejet de la demande de VRT présentée demandeur; toutefois, il ne fait aucun doute quant au fait que sa préoccupation principale était la situation financière du demandeur. L’agent, pour en arriver à sa conclusion, renvoie aux déclarations de revenus de l’entreprise du demandeur entre 2011 et 2014, aux comptes bancaires de son entreprise et au fait que sa famille est établie au Canada. Il constate également l’existence du rapport sur le total des actifs et la valeur nette du demandeur, mais lui accorde peu de poids, car ce rapport est un élément de preuve intéressé et parce que les renseignements ne peuvent être vérifiés. L’agent ne prend pas en considération le compte bancaire personnel du demandeur, qui indique clairement des épargnes personnelles importantes.

[12]           À plusieurs reprises, la Cour a avisé les agents de CIC qu’ils ne peuvent écarter des éléments probants ni leur accorder peu de poids en s’appuyant uniquement sur leur conclusion portant qu’il s’agit d’éléments de preuve intéressés (LOTM c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 957, aux paragraphes 27-29, citant SMD c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 319; Ugalde c Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2011 CF 458, et Ahmed c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 226). De toute évidence, tout demandeur présentant des éléments de preuve choisira des éléments favorables à son dossier. Le défendeur a invoqué des précédents pour réfuter cet argument; toutefois, pour l’ensemble de ceux-ci, d’autres raisons importantes existaient pour écarter les éléments de preuve. Dans le présent dossier, l’agent fait simplement remarquer que les éléments de preuve sont [TRADUCTION] « intéressés et impossibles à vérifier », sans autres explications.

[13]           À mon avis, la description du rapport comme étant « impossible à vérifier » pose problème. Le rapport a été préparé par un tiers indépendant et fiable, soit un bureau de comptables agréés, qui a estampillé et paraphé chacune des pages. Il semble que les renseignements contenus dans le rapport aient, en fait, été vérifiés par divers fonctionnaires indiens. L’agent n’avait aucune raison de douter du caractère légitime des renseignements et il a commis une erreur en écartant le rapport.

[14]           Cette erreur est aggravée par l’absence de renvois aux relevés bancaires personnels du demandeur. Les relevés bancaires personnels du demandeur font état d’un solde de 2 512 743, 06 roupies : cette somme équivaut à environ 50 707,15 $ (selon le convertisseur de devises de la Banque du Canada en date du 22 septembre 2015). Ceci contredit carrément les affirmations de l’agent selon lesquelles le demandeur n’a pas suffisamment de fonds pour voyager au Canada pendant un mois et pour continuer de soutenir une famille de trois personnes en Inde. Donc, je suis d’avis que l’agent a tiré une conclusion sans égard aux éléments de preuve dont il disposait en ce qui concerne la situation financière du demandeur.

[15]           En outre, l’agent était préoccupé par le fait que le but de la visite était devenu caduc, et que le demandeur n’avait pas d’historique de voyage antérieur hors de l’Inde. Cependant, dans la décision Agidi c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 691, la Cour a conclu qu’il n’est pas nécessaire d’avoir une raison (impérieuse) de visiter le Canada pour obtenir un VRT. Le but de la visite n’est que l’un des nombreux facteurs dont l’agent doit tenir compte pour en arriver à sa décision.

[16]           En ce qui concerne l’historique de voyage, l’agent n’indique pas dans ses motifs la raison pour laquelle cela l’a conduit à tirer une inférence défavorable portant que le demandeur ne quittera pas le Canada à la fin de son séjour autorisé. Cependant, la Cour a conclu, dans la décision Lacchar c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (9 janvier 2012), IMM-3042-11 (CF), qu’il n’était pas raisonnable de considérer l’absence d’historique de voyage comme un facteur défavorable. Bien que des voyages antérieurs puissent fournir de bonnes indications sur la probabilité de conformité aux lois sur l’immigration, l’absence de voyage constitue tout au plus un indicateur neutre (Momi c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) 2013 CF 162).

[17]           Je conclus que l’agent a commis une erreur en omettant de tenir compte d’éléments de preuve pertinents et en tirant des conclusions de fait erronées ce qui concerne les liens financiers du demandeur avec l’Inde. Ces erreurs sont suffisantes pour déterminer l’issue de la présente demande de contrôle judiciaire.

[18]           Par conséquent, la présente demande de contrôle judiciaire est accueillie et l’affaire sera renvoyée à un tribunal différemment constitué pour nouvelle décision, conformément aux présents motifs.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est accueillie et que l’affaire est renvoyée à un tribunal différemment constitué pour une nouvelle décision, conformément aux présents motifs.

« Danièle Tremblay-Lamer »

Juge

Traduction certifiée conforme

Maxime Deslippes


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


Dossier :

IMM-208-15

 

INTITULÉ :

MOHINDER SINGH c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto, Ontario

 

DATE DE L’AUDIENCE :

19 octobre 2015

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

La JUGE TREMBLAY-LAMER

 

DATE :

26 octobre 2015

 

COMPARUTIONS :

Max Chaudhary

 

Pour le demandeur

 

Tamrat Gebeyehu

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Chaudhary Law Office

Avocats

Toronto (Ontario)

 

Pour le demandeur

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

Pour le défendeur

 

 

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