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Date : 20151029


Dossier : IMM-978-15

Référence : 2015 CF 1224

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

ENTRE :

JONATHAN BENJAMIN HERNANDEZ MORENO

GABRIELA CRAVIOTO FERNANDEZ

VALERIA HERNANDEZ CRAVIOTO

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION ET LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

défendeurs

JUGEMENT ET MOTIFS

LE JUGE ANNIS

[1]               La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la LIPR ou la Loi) à l’encontre de la décision par laquelle une agente d’examen des risques avant renvoi [l’agente] a rejeté la demande d’examen des risques avant renvoi (demande d’ERAR) présentée par les demandeurs. Ceux-ci sollicitent l’annulation de la décision de l’agente et le renvoi de l’affaire à un autre agent pour nouvel examen.

[2]               Pour les motifs qui suivent, la demande de contrôle judiciaire sera accueillie.

I.                   Contexte

[3]               Le demandeur principal (DP), Jonathan Benjamin Moreno, sa conjointe de fait, Gabriela Cravioto Fernandez, et leur fille, Valeria Hernandez Cravioto, sont tous les trois citoyens du Mexique.

[4]               La conjointe de fait et la fille du DP sont arrivées au Canada le 9 octobre 2010. Le DP est quant à lui arrivé au Canada le 29 novembre 2010.

[5]               Le 13 janvier 2011, les demandeurs ont présenté une demande d’asile, laquelle a été rejetée par la Section de la protection des réfugiés (la SPR) en raison d’un manque de crédibilité. Une demande d’autorisation de contrôle judiciaire de cette décision de la SPR a été accueillie le 28 février 2012, mais la demande d’asile a été rejetée le 14 mai 2012.

[6]               Le 3 juillet 2012, Citoyenneté et Immigration Canada (CIC) a reçu la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire présentée par les demandeurs, mais celle-ci l’a rejetée le 30 juillet 2013.

[7]               Le 18 septembre 2012, les demandeurs ont déposé leur première demande d’ERAR, qui a été rejetée le 6 mars 2013. Les demandeurs ont présenté une demande d’autorisation de contrôle judiciaire de cette décision, mais ils ont retiré leur demande lorsque le représentant du ministre les a dispensés de la période d’attente relative à l’ERAR.

[8]               En conséquence, une deuxième demande d’ERAR a été déposée le 31 janvier 2014, et a ensuite été rejetée le 30 janvier 2015. C’est la décision concernant cette seconde demande d’ERAR présentée par les demandeurs qui fait l’objet du présent contrôle judiciaire.

II.                La décision contestée

[9]               L’agente a conclu qu’advenant leur renvoi au Mexique, les demandeurs ne risquaient pas d’être persécutés ni exposés au danger d’être soumis à la torture, à une menace à leur vie ou à des traitements ou peines cruels et inusités.

[10]           L’agente a également conclu que la preuve médicale fournie par les demandeurs avait une faible valeur probante, et qu’elle ne renfermait guère d’éléments pouvant attester de l’existence d’un lien entre les problèmes de santé y mentionnés et l’un ou l’autre des cinq motifs prévus dans la Convention énoncés à l’article 96 de la Loi.

[11]           En outre, l’agente a estimé que plusieurs des articles soumis par les demandeurs n’étaient pas pertinents, puisqu’ils portaient sur les risques associés à la pratique du journalisme au Mexique et ne traitaient pas des risques particuliers courus par les demandeurs.

[12]           L’agente a par ailleurs conclu que les demandeurs n’avaient pas fourni d’éléments de preuve suffisants pour corroborer les menaces qui auraient été proférées par l’organisation de trafiquants de drogue La Familia Michoacana (la LFM) à l’encontre du père du DP depuis sa réinstallation à Cancún. Elle a ajouté que le fait que la LFM ait menacé le beau-père du DP afin d’obtenir des renseignements sur l’endroit où se trouvaient le DP et sa famille laissait croire que cette organisation ne disposait pas des moyens nécessaires pour localiser des personnes au-delà des limites de sa zone d’influence.

[13]           Enfin, les documents sur la situation dans le pays fournis par les demandeurs indiquaient que, bien que la LFM exerçait ses activités dans certaines régions du centre du Mexique, près d’une demi-douzaine d’États étaient relativement exempts de violence. L’agente a conclu que les demandeurs auraient pu se réinstaller dans l’un de ces États, étant donné que peu d’éléments de preuve démontraient que l’influence de la LFM s’étendait au-delà du territoire mentionné précédemment. À partir de ces constatations, l’agente a conclu que les régions du Yucatán et de la Basse-Californie du Sud constituaient une possibilité de refuge intérieur (PRI) pour les demandeurs.

I.                   La question en litige

[14]           J’estime que la présente demande soulève une seule question, soit celle de savoir si l’agente d’ERAR a manqué à son obligation d’équité procédurale envers les demandeurs en ne leur donnant pas l’occasion de répondre au sujet de la PRI au Mexique.

II.                La norme de contrôle

[15]           Les questions d’équité procédurale doivent être contrôlées selon la norme de la décision correcte, et il y a lieu de faire preuve de déférence à l’égard des aspects discrétionnaires de leur application par le décideur. Ainsi qu’on peut le lire dans la décision Ré:Sonne c Conseil du secteur du conditionnement physique du Canada, 2014 CAF 48, au paragraphe 39, « le pouvoir discrétionnaire administratif s’arrête lorsqu’il y a manquement à l’équité procédurale […] [et l]e juge doit lui-même décider, selon la norme de la décision correcte, si cette ligne a été franchie ». En l’espèce, comme il s’agit de déterminer s’il y a eu manquement à l’obligation d’équité procédurale, la norme de contrôle applicable est celle de la décision correcte.

III.             Analyse

L’agente d’ERAR a-t-elle commis une erreur en omettant d’informer les demandeurs quant à la question de la PRI?

[16]           Les demandeurs ont fait valoir que l’agente a commis une erreur en ne soulevant pas auprès d’eux, comme il se devait, la question de la PRI, et en ne leur offrant pas la possibilité de répondre à la question de la PRI au moyen d’éléments de preuve et d’arguments. 

[17]           Dans la décision Palaguru c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 371 [Palaguru], le juge Russell a conclu que l’obligation de donner avis au demandeur qu’une analyse de la PRI serait faite dépendait des procédures ayant précédé le processus d’ERAR. La Cour a tranché que, lorsqu’un agent d’ERAR étudiait une PRI relativement à des lieux nouveaux, ou qui n’avaient jamais été pris en considération jusque-là, sans en aviser raisonnablement le demandeur, cela constituait un manquement à la justice naturelle.

[18]           Je souscris à ce principe dans la mesure où, puisqu’on a omis de soulever la question de la PRI lors des procédures antérieures, le demandeur pouvait légitimement croire qu’il n’était pas nécessaire de tenir compte de la PRI au moment de soumettre sa demande. La décision Palaguru a évidemment préséance sur les lignes directrices applicables à l’examen des risques avant renvoi de CIC, selon lesquelles l’agent devrait examiner la question de la PRI sans toutefois être tenu d’en aviser le demandeur.

[19]           Les faits de l’espèce laissent croire que la question de la PRI n’a pas été abordée au cours des précédentes procédures. Par conséquent, un avis à ce sujet aurait dû être donné aux demandeurs pour leur offrir la possibilité de soumettre des éléments de preuve sur cette question avant que l’agente ne la tranche.

[20]           Je ne partage pas l’avis des défendeurs quant au fait que, d’après la preuve soumise par les demandeurs, la question de la PRI était [traduction] « manifestement » en jeu. Les documents cités par les défendeurs, y compris le document du Congressional Research Service des États-Unis, ne font état d’aucun élément « manifeste » en ce qui a trait à la PRI dans le cas des demandeurs. Les documents soumis par les défendeurs mentionnent bien peu de chose au sujet des deux régions relevées par l’agente en tant qu’éventuelles PRI. Qui plus est, ces documents soulèvent une considération subsidiaire relativement au fait que les demandeurs demeurent exposés à des risques.

[21]           Je ne suis pas d’accord non plus avec les défendeurs lorsqu’ils soutiennent que la décision rendue dans Navaratnam c Canada (Solliciteur général), 2005 CF 3, s’applique en l’espèce. Dans cette affaire, la Cour a conclu que les motifs de l’agente « mentionn[ai]ent qu’elle a[vait] conclu que les demandeurs n’étaient tout simplement pas exposés à des risques au Sri Lanka ». En l’espèce, l’agente n’a pas conclu que les demandeurs n’étaient pas exposés à des risques au Mexique; c’est pourquoi elle a relevé une PRI.

IV.             Conclusion et question certifiée

[22]           La demande est accueillie et l’affaire est renvoyée à un autre agent pour nouvel examen. Aucune question n’est certifiée en vue d’un appel.

[23]           Les demandeurs ont proposé une question à certifier qui reprenait essentiellement les conclusions du jugement Palaguru. Compte tenu de ma décision d’accepter le principe énoncé dans ce jugement, il n’y a aucune raison de certifier une question.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande est accueillie, et que l’affaire est renvoyée à un autre agent pour nouvel examen. Aucune question n’est certifiée à des fins d’appel.

« Peter Annis »

Juge

Traduction certifiée conforme

Julie-Marie Bissonnette, traductrice


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :

IMM-978-15

 

INTITULÉ :

JONATHAN BENJAMIN HERNANDEZ MORENO

GABRIELA CRAVIOTO FERNANDEZ

VALERIA HERNANDEZ CRAVIOTO

c

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION ET LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 26 octobre 2015

 

Jugement et motifs :

LE juge ANNIS

 

DATE DES MOTIFS :

Le 29 octobre 2015

 

COMPARUTIONS :

Nir Gepner

416-441-1764

Pour les demandeurs

 

Margherita Braccio

416-952-0910

Pour les défendeurs

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Flemingdon Community Legal Services

Toronto (Ontario)

Pour les demandeurs

 

William F. Pentney

Sous-procureur général

du Canada

Toronto (Ontario)

Pour les défendeurs

 

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