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Date : 20151105


Dossier : IMM-570-15

Référence : 2015 CF 1249

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Toronto (Ontario), le 5 novembre 2015

En présence de madame la juge Mactavish

ENTRE :

EIMAN GLUBAWY MOHAMED SALIH

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               Eiman Glubawy Mohamed Salih demande le contrôle judiciaire de la décision rendue par la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié rejetant sa demande d’asile pour des motifs de crédibilité. Mme Salih soutient que la Commission, en concluant que son récit n’était pas crédible, a commis une erreur en tirant une conclusion quant à la vraisemblance de sa conduite sans prendre en considération le milieu culturel dont elle est issue en tant que femme provenant d’une société répressive et dominée par les hommes telle que celle du Soudan.

[2]               Je reconnais que les normes culturelles soudanaises peuvent avoir des répercussions sur la façon dont une femme comme Mme Salih réagit à la détention de son mari par les autorités gouvernementales et que la Commission n’a peut-être pas pris cet élément en considération lorsqu’elle a jugé peu crédible le récit de Mme Salih. Cela dit, la Commission avait beaucoup d’autres raisons de ne pas prêter foi au récit de la demanderesse, lesquelles ne nécessitent pas la prise en compte de sa culture d’origine et sont tout à fait raisonnables. Par conséquent, je n’ai pas été convaincue que la décision de la Commission était dans l’ensemble déraisonnable. La demande de contrôle judiciaire de Mme Salih sera donc rejetée.

I.                   Contexte

[3]               Mme Salih est une citoyenne du Soudan qui a été mariée de force à Abdalaziz Alzbeir Altahir lorsqu’elle avait 17 ans. La description qu’elle fait de son éducation correspond aux renseignements sur la situation dans le pays pour ce qui est de la subordination des femmes dans la société soudanaise.

[4]               Mme Salih prétend que son époux appartient à un groupe qui s’oppose au gouvernement du Soudan et que, à la fin de décembre 2013, il a été arrêté par les forces de sécurité du gouvernement en raison de sa prétendue participation à des activités antigouvernementales. Selon elle, son époux a été détenu par les forces de sécurité durant environ trois semaines, durant lesquelles il a été victime de torture et d’autres traitements inhumains. Il a ensuite été transféré à l’hôpital pour le traitement des blessures qu’il avait subies en détention, tout en demeurant sous la garde du gouvernement. Cependant, il aurait été en mesure d’échapper à ses gardiens, et personne ne sait où il se trouve actuellement.

[5]               Mme Salih affirme que, après que son époux se fut échappé de l’hôpital, elle s’est trouvée sous surveillance constante par les forces de sécurité, qui essayaient de localiser son époux. La situation a duré jusqu’en avril 2014, lorsque Mme Salih a elle-même été hospitalisée pour une opération. Elle affirme que, lorsqu’elle a reçu son congé de l’hôpital une semaine plus tard, des membres des forces de sécurité lui ont dit que si son époux ne se rendait pas dans les quatre semaines suivantes, elle serait arrêtée pour avoir caché l’endroit où son époux se trouvait.

[6]               Mme Salih déclare que c’est alors que les associés de son époux lui ont conseillé soit de vivre dans la clandestinité soit de quitter le Soudan. Elle a affirmé dans son témoignage avoir vécu dans la clandestinité jusqu’à ce qu’elle parvienne à quitter le pays, le 31 août 2014, avec l’aide d’un membre de l’opposition qui travaillait à l’aéroport. Mme Salih s’est rendue à New York, où habite un de ses frères. Après avoir passé deux mois aux États-Unis, elle a poursuivi sa route jusqu’au Canada, où habite un autre de ses frères, et elle a demandé le statut de réfugié à la frontière.

II.                La détention de l’époux de Mme Salih

[7]               La Commission a conclu que l’affirmation de Mme Salih selon laquelle son époux avait été arrêté par les forces de sécurité du Soudan manquait de crédibilité et manquait de vraisemblance pour deux raisons.

[8]               D’abord, la Commission a conclu qu’il n’était pas crédible que Mme Salih ne sache pas où son époux était détenu et que les associés de son époux ne sachent pas non plus où celui‑ci était détenu malgré qu’ils aient été détenus au même endroit que lui. Il était raisonnable pour la Commission de tirer cette conclusion compte tenu de la preuve dont elle disposait.     

[9]                Toutefois, ce qui pose problème, c’est la conclusion de la Commission selon laquelle il n’était pas vraisemblable que Mme Salih ne prenne pas d’autres mesures pour trouver où son époux était détenu ou ne tente pas d’obtenir la permission de le visiter en prison. Étant donné la nature répressive et violente du régime soudanais, il était déraisonnable de s’attendre à ce qu’une femme dans la position de Mme Salih confronte les autorités soudanaises afin de trouver son époux. Étant donné que les forces de sécurité auraient menacé d’arrêter Mme Salih elle-même, il était également déraisonnable pour la Commission de s’attendre à ce qu’elle demande à ces mêmes forces de sécurité la permission de rendre visite à son époux.

[10]           Je sais que la Commission a affirmé avoir pris en compte ses Directives concernant la persécution fondée sur le sexe dans l’évaluation de la preuve produite par Mme Salih. Néanmoins, je suis convaincue que la conclusion concernant la détention de l’époux de la demanderesse ne tenait pas compte du milieu culturel dont celle‑ci est issue.

[11]           Cela dit, comme je l’expliquerai ci‑dessous, la Commission avait d’autres raisons de ne pas prêter foi au récit de Mme Salih, lesquelles ne nécessitaient pas la prise en compte de sa culture d’origine et qui étaient tout à fait raisonnables.

III.             Le témoignage de Mme Salih au sujet de sa vie en clandestinité

[12]           La Commission n’a pas cru l’affirmation de Mme Salih selon laquelle elle avait vécu dans la clandestinité après avoir reçu son congé de l’hôpital en avril 2014 parce qu’elle n’en avait fait aucune mention dans son formulaire Fondement de la demande d’asile et que son témoignage à ce sujet comportait des contradictions.

[13]           Mme Salih a d’abord affirmé qu’elle avait quitté le Soudan dans les quatre semaines suivant sa sortie de l’hôpital en avril 2014, ce qui aurait même précédé l’expiration du délai que lui auraient imposé les forces de sécurité soudanaises pour la reddition de son époux. Ce n’est qu’après qu’on lui a fait remarquer qu’elle n’avait pas quitté le Soudan avant août 2014, plusieurs mois après sa sortie de l’hôpital, que Mme Salih a prétendu pour la première fois avoir vécu dans la clandestinité dans l’intervalle.

[14]           Après avoir prétendu être entrée dans la clandestinité, Mme Salih a d’abord insisté sur le fait qu’elle n’avait jamais quitté sa cachette avant son départ du Soudan. Cependant, lorsqu’on l’a confrontée au fait qu’elle avait obtenu durant cette période un visa lui permettant d’entrer aux États-Unis, elle a modifié sa réponse pour reconnaître qu’elle avait quitté sa cachette à cette occasion, pour se rendre à une entrevue à l’ambassade des États-Unis.

[15]           On a alors signalé à Mme Salih qu’elle avait également obtenu un passeport pendant la période où elle vivait prétendument dans la clandestinité. Encore une fois, elle a modifié sa réponse pour reconnaître qu’elle avait quitté sa cachette une seconde fois, afin d’obtenir son passeport.

[16]           La conclusion de la Commission quant au manque de crédibilité de l’affirmation de Mme Salih selon laquelle elle aurait vécu dans la clandestinité ne reposait pas sur la compréhension du milieu culturel dans lequel vivent les femmes au Soudan. Parce que la demanderesse n’a pas mentionné avoir vécu dans la clandestinité dans son formulaire Fondement de la demande d’asile et que son témoignage à ce sujet a par la suite varié, la conclusion de la Commission à cet égard était tout à fait raisonnable.

IV.             Les documents de Mme Salih

[17]           La Commission a également accordé peu de valeur aux documents produits par Mme Salih  à l’appui de sa demande, et elle a étayé cette conclusion par des motifs détaillés. Mme Salih ne conteste pas la conclusion de la Commission relativement à ses documents, et je suis convaincue que les motifs qu’avait la Commission d’écarter les documents étaient raisonnables.

V.                L’omission de Mme Salih de demander d’autres documents

[18]           La Commission a également reproché à Mme Salih de n’avoir fait aucun effort pour obtenir des preuves documentaires de la détention de son époux ou de son hospitalisation subséquente. Celle‑ci affirme qu’il était déraisonnable de s’attendre à ce qu’elle communique personnellement avec l’hôpital ou avec les forces de sécurité afin d’essayer d’obtenir des preuves documentaires de ses allégations, vu la nature du régime.

[19]           Même s’il n’était pas raisonnable de s’attendre à ce que Mme Salih communique avec les forces de sécurité du Soudan afin d’obtenir une preuve de la détention de son époux, la conclusion de la Commission quant au manque de documents sur l’hospitalisation de son époux était entièrement raisonnable compte tenu du propre témoignage de Mme Salih à ce sujet.

[20]           En effet, Mme Salih n’a pas affirmé dans son témoignage qu’elle n’avait pas essayé d’obtenir de la documentation supplémentaire parce qu’elle craignait les autorités soudanaises. Ce qu’elle a dit, c’est qu’elle avait été incapable d’obtenir les dossiers de l’hôpital parce qu’elle avait dû quitter le pays précipitamment. Cependant, selon ses propres dires, elle n’a pas quitté le pays avant août 2013, c’est-à-dire plus de six mois après l’hospitalisation de son époux. Compte tenu de ces faits, il était raisonnable pour la Commission de rejeter les raisons invoquées par Mme Salih afin d’expliquer pourquoi elle n’avait pas tenté d’obtenir des preuves documentaires de la détention puis de l’hospitalisation de son époux.

VI.             L’omission de Mme Salih de demander l’asile aux États-Unis

[21]           La Commission a également jugé que la crédibilité du récit de Mme Salih était entachée du fait qu’elle n’avait pas demandé l’asile au cours des deux mois qu’elle avait passé aux États‑Unis avant d’entrer au Canada. La demanderesse n’a pas contesté cette conclusion dans son mémoire des faits et du droit et, en outre, il est bien établi que l’omission pour un réfugié de demander l’asile à la première occasion peut être l’indice d’une absence de crainte subjective de sa part.

[22]           Il faut également mentionner que l’explication donnée par Mme Salih quant à son omission de demander l’asile aux États‑Unis a été modifiée au fil du temps. Elle a déclaré dans son formulaire Fondement de la demande d’asile que son frère qui habite aux États‑Unis l’a invitée à venir aux États‑Unis, mais que les associés de de son époux lui avaient recommandé d’aller au Canada pour demander l’asile en raison du soutien traditionnel du Canada envers les victimes d’oppression.

[23]           Par contre, Mme Salih a affirmé dans son témoignage qu’elle n’avait pas demandé l’asile aux États-Unis [traduction] « parce que ça prenait beaucoup de temps » et parce qu’elle avait un frère au Canada et qu’elle préférait habiter avec lui.

[24]           Étant donné ces contradictions, Mme Salih n’a pas démontré en quoi la conclusion de la Commission quant à son omission de demander l’asile aux États‑Unis était déraisonnable.

VII.          Conclusion

[25]           Les motifs de la Commission ne sont peut-être pas parfaits, mais la perfection n’est pas la norme selon laquelle on juge de la raisonnabilité des décisions administratives. La Commission avait de nombreuses raisons de ne pas prêter foi au récit de Mme Salih et la plupart de ses conclusions étaient raisonnables. La décision appartient donc aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit, tel que le prévoient les arrêts Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC, au paragraphe 47, [2008] 1 RCS, et Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, au paragraphe 59, [2009] 1 RCS 339.

[26]           La demande de contrôle judiciaire est par conséquent rejetée. Je suis d’accord avec les parties pour affirmer que l’espèce repose sur des faits qui lui sont propres et ne soulève aucune question à certifier.


JUGEMENT

LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit rejetée.

« Anne L. Mactavish »

Juge

Traduction certifiée conforme

Elisabeth Ross, traductrice-conseil


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-570-15

 

INTITULÉ :

EIMAN GLUBAWY MOHAMED SALIH c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 3 novembre 2015

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT :

LA JUGE MACTAVISH

 

DATE DES MOTIFS :

Le 5 novembre 2015

 

COMPARUTIONS­ :

D. Clifford Luyt

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

John Provart

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

D. Clifford Luyt

Avocat

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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