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Date : 20151104


Dossier : T-348-15

Référence : 2015 CF 1247

Ottawa (Ontario), le 4 novembre 2015

En présence de monsieur le juge Shore

ENTRE :

RACHID DJEDDOU

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   Au préalable

[1]               La Cour considère que le demandeur peut être en désaccord avec l’appréciation de la preuve faite par un juge de la citoyenneté, incluant la preuve documentaire déterminante en l’espèce, mais cela ne rend pas pour autant sa décision déraisonnable (Al-Askari c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2015 CF 623 au para 24 [Al-Askari]).

II.                Introduction

[2]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire à l’encontre d’une décision, datée du 2 février 2015, par laquelle une juge de la citoyenneté a refusé la demande de citoyenneté du demandeur au motif que ce dernier ne satisfait pas aux exigences prévues au paragraphe 5(1) de la Loi sur la citoyenneté, LRC 1985, c C-29 [Loi].

III.             Faits

[3]               Le demandeur, Rachid Djeddou, 49 ans, est arrivé au Canada le 4 mai 2006, muni d’un droit d’établissement à titre de résident permanent. Dans son formulaire de demande de citoyenneté canadienne, il a indiqué ne pas avoir la citoyenneté ou la résidence permanente dans un autre pays que le Canada.

[4]               Le demandeur a fait une demande de citoyenneté le 3 août 2009 [Demande], pour une période de référence s’échelonnant du 4 mai 2006 au 3 août 2009. La Demande a été rejetée une première fois par une juge de la citoyenneté dans une décision datée du 5 avril 2013. Suite à un appel de cette décision (T‑924‑13), la Demande a été réexaminée par un juge différent. Dans une décision datée du 4 avril 2014, la Demande a été rejetée de nouveau. Cette décision a également été interjetée avec succès, puisque le deuxième juge de la citoyenneté n’a pas examiné de nouveaux documents présentés lors de l’audience. Finalement, dans une décision datée du 2 février 2015, la juge de la citoyenneté a rejeté la Demande du demandeur. C’est cette décision qui fait l’objet du présent contrôle judiciaire.

IV.             Décision contestée

[5]               Dans sa décision datée du 2 février 2015, la juge de la citoyenneté a refusé la demande de citoyenneté du demandeur, trouvant que, selon la prépondérance des probabilités, celui-ci ne satisfait pas à l’exigence relative à la résidence comme elle est énoncée à l’alinéa 5(1)c) de la Loi. La juge a appliqué le critère énoncé dans l’arrêt Pourghasemi (Re), [1993] ACF No 232 [Pourghasemi], soit celui de la présence effective.

[6]               La juge de la citoyenneté a trouvé que le demandeur a présenté peu de preuves actives rendant difficile la démonstration de sa présence effective au Canada. Ainsi, la juge de la citoyenneté note que durant la période de référence « le demandeur n’a occupé aucun emploi, n’a poursuivi aucune formation, ne s’est impliqué dans aucune activité communautaire, sportive ou sociale et déclare être un homme de foyer, il est impossible de vérifier son emploi du temps » (para 21 de la décision). La juge de la citoyenneté a notamment conclu qu’elle ne pouvait prendre en considération les relevés bancaires puisqu’ils proviennent de comptes conjoints et qu’il est peu crédible que le demandeur soit resté au foyer durant la période de référence pour prendre soin des enfants, étant donné que sa femme y était déjà. De plus, le demandeur a témoigné n’avoir voyagé que pour prendre soin de sa mère, alors que la preuve démontre qu’il a voyagé à plusieurs reprises après le décès de sa mère survenu le 24 juillet 2011.

[7]               De plus, la juge de la citoyenneté a conclu que la preuve passive, comme le passeport et le rapport de l’Agence des services frontaliers du Canada [ASFC], ne peut soutenir les prétentions du demandeur puisque le passeport ne constitue pas à lui seul une preuve irréfutable de présence au Canada. Pour ces raisons, la juge de la citoyenneté a rejeté la Demande et a conclu que selon la prépondérance des probabilités, il était impossible de déterminer pendant combien de jours le demandeur était effectivement présent au Canada.

V.                Point en litige

[8]               La Cour considère qu’il n’y a qu’une seule question en litige :

La juge de la citoyenneté a-t-elle commis une erreur en concluant que le demandeur ne satisfait pas aux exigences relatives à la présence effective au Canada prévues à l’alinéa 5(1)c) de la Loi?

VI.             Provisions législatives

[9]               Les dispositions législatives de la Loi suivantes s’appliquent :

Attribution de la citoyenneté

Grant of citizenship

5. (1) Le ministre attribue la citoyenneté à toute personne qui, à la fois :

5. (1) The Minister shall grant citizenship to any person who

[…]

c) est un résident permanent au sens du paragraphe 2(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, a, sous réserve des règlements, satisfait à toute condition rattachée à son statut de résident permanent en vertu de cette loi et, après être devenue résident permanent :

(c) is a permanent resident within the meaning of subsection 2(1) of the Immigration and Refugee Protection Act, has, subject to the regulations, no unfulfilled conditions under that Act relating to his or her status as a permanent resident and has, since becoming a permanent resident,

    (i) a été effectivement présent au Canada pendant au moins mille quatre cent soixante jours au cours des six ans qui ont précédé la date de sa demande,

    (i) been physically present in Canada for at least 1,460 days during the six years immediately before the date of his or her application,

    (ii) a été effectivement présent au Canada pendant au moins cent quatre-vingt-trois jours par année civile au cours de quatre des années complètement ou partiellement comprises dans les six ans qui ont précédé la date de sa demande,

    (ii) been physically present in Canada for at least 183 days during each of four calendar years that are fully or partially within the six years immediately before the date of his or her application, and

VII.          Position des parties

[10]           Le demandeur soutient avoir déposé une preuve documentaire volumineuse qui corrobore sa résidence au Canada, notamment des relevés bancaires, activités financières, historique médical, démarches auprès d’institutions scolaires et diverses activités personnelles et communautaires; et, que la juge de la citoyenneté n’a pas examiné et analysé cette preuve et qu’elle a mal interprété cette preuve. Le demandeur soutient que la juge de la citoyenneté a mal appliqué le critère de résidence tel qu’il est décrit dans la décision Koo (Re), [1993] 1 RCF 286, [1992] ACF No 1107 (QL) [Koo]. De plus, étant donné la preuve volumineuse fournie par le demandeur, la juge de la citoyenneté se devait de fournir des explications indiquant pourquoi elle a rejeté la preuve (Muhanna c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2008 CF 1289).

[11]           Le demandeur soutient que la juge a erré en concluant que le passeport du demandeur ne démontrait pas une preuve convaincante (déterminante) de sa présence au Canada et ne pouvait servir d’élément prima facie de la présence du demandeur au Canada (Saad c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2013 CF 570; Oueida c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2009 CF 1168). De plus, le demandeur soutient que la juge de la citoyenneté a mal apprécié d’autres preuves comme les billets d’avions du demandeur, ses démarches auprès d’Emploi Québec et son inscription à un club sportif; et que la juge de la citoyenneté a retenu contre le demandeur qu’il soit bénéficiaire de l’aide financière de dernier recours. De plus, la juge de la citoyenneté a tiré des conclusions négatives sur la crédibilité du demandeur en se basant sur des voyages effectués hors période et en concluant qu’il n’est pas possible qu’il soit homme au foyer. En somme, étant donné la preuve volumineuse au dossier, il n’était pas raisonnable pour la juge de la citoyenneté de conclure que le demandeur n’a pas répondu aux exigences prévues à l’alinéa 5(1)c) de la Loi.

[12]           De son côté, le défendeur soutient que la décision de la juge de la citoyenneté est raisonnable puisque le demandeur n’a pas démontré avoir résidé au Canada pendant 1 095 jours durant la période pertinente. Le défendeur rappelle que la juge de la citoyenneté pouvait appliquer l’une des trois approches servant à interpréter l’alinéa 5(1)c) de la Loi et qu’elle a choisi l’approche utilisée dans l’arrêt Pourghasemi. Ainsi, le demandeur erre en soutenant que la juge de la citoyenneté a mal appliqué le test énoncé dans l’arrêt Koo.

[13]           Le défendeur soutient que le demandeur a le fardeau de démontrer, selon la prépondérance des probabilités, sa présence au Canada (Dachan c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2010 CF 538) au moyen de preuves claires et convaincantes (Knezevic v Canada (Minister of Citizenship and Immigration), 2014 FC 181 [Knezevic]; El Falah c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2009 CF 736). Le demandeur alléguant avoir passé 1 096 jours au Canada, il est possible que si le demandeur a commis une erreur dans son calcul de date de départ ou d’arrivée, par mauvaise foi ou inadvertance, qu’il n’ait pas rencontré le seuil de 1 095 jours comme il est prévu par la Loi. Notamment, le rapport de l’ASFC ne fait que confirmer les entrées au Canada, mais non les sorties, et son billet d’avion pour le 15 mai 2009 contenant une note manuscrite indiquant que la date du voyage a changé pour le 24 avril 2009 n’est pas une preuve claire et convaincante de son retour à cette date.

[14]           En somme, la preuve fournie par le demandeur ne démontre pas sa présence effective durant la période de référence. Il était donc raisonnable pour la juge de la citoyenneté de conclure comme elle l’a fait.

VIII.       Norme de contrôle

[15]           Les conclusions d’un juge de la citoyenneté portant sur des questions de faits et mixtes de faits et de droit doivent être examinées selon la norme de la décision raisonnable (El-Husseini c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2015 CF 116; Ukaobasi c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2015 CF 561; Sallam c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2015 CF 427).

IX.             Analyse

[16]           En l’espèce, le demandeur est en désaccord avec l’appréciation de la preuve effectuée par la juge de la citoyenneté. Rappelons qu’il n’est pas du rôle de la Cour de substituer son évaluation de la preuve au dossier à celle effectuée par un juge de la citoyenneté et que la Cour doit faire preuve de déférence à l’égard des conclusions de la juge de la citoyenneté (Qureshi c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2010] 4 RCF 256, 2009 CF 1081; Al-Askari, ci-dessus). De plus, le fardeau incombe au demandeur de démontrer, au moyen de preuves claires et convaincantes, sa présence au Canada (Knezevic, ci-dessus).

[17]           Dans sa décision, la juge de la citoyenneté a décidé d’appliquer l’approche prévue à l’arrêt Pourghasemi, soit celle de la présence réelle et physique au Canada. La jurisprudence est claire à l’effet qu’un juge de la citoyenneté peut appliquer le critère qu’il désire, mais ne peut fusionner les critères (Saad c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2013 CF 570 au para 19; Mizani c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2007 CF 698). L’argument du demandeur à l’effet que la juge de la citoyenneté ait mal appliqué le critère de résidence prévu dans l’affaire Koo doit donc être rejeté.

[18]           Les autres motifs soulevés par le demandeur portent sur l’appréciation de la preuve faite par la juge de la citoyenneté. La Cour considère que le demandeur peut être en désaccord avec l’appréciation de la preuve faite par la juge de la citoyenneté, incluant la preuve documentaire déterminante en l’espèce, mais cela ne rend pas pour autant sa décision déraisonnable (Al-Askari, ci-dessus au para 24).

[19]           Il appert de la décision de la juge de la citoyenneté, ainsi que des notes manuscrites de l’entrevue avec le demandeur, que la juge de la citoyenneté a pris en considération l’ensemble de la preuve au dossier. Ainsi, la décision de la juge de la citoyenneté est raisonnable.

X.                Conclusion

[20]           La Cour conclut que la décision de la juge de la citoyenneté est raisonnable. Conséquemment, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire soit rejetée. Il n’y a aucune question d’importance à certifier.

« Michel M.J. Shore »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-348-15

 

INTITULÉ :

RACHID DJEDDOU c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 29 octobre 2015

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE SHORE

 

DATE DES MOTIFS :

LE 4 NOVEMBRE 2015

 

COMPARUTIONS :

Rawia Ebrahim

 

Pour le demandeur

 

Alain Langlois

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Me Rawia Ebrahim

Montréal (Québec)

 

Pour le demandeur

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

 

Pour le défendeur

 

 

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