Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20151110


Dossier : IMM-1847-15

Référence : 2015 CF 1263

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Toronto (Ontario), le 10 novembre 2015

En présence de monsieur le juge Harrington

ENTRE :

SADAF ZAHID

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               La demande de visa de résidente permanente de Mme Zahid a été refusée. Voici le contrôle judiciaire de la décision de l’agent des visas.

[2]               Madame Zahid, qui est enseignante au Pakistan, a reçu un certificat de désignation de la province au titre du programme Candidats immigrants pour la Saskatchewan dans le groupe de la famille. Elle avait l’intention d’immigrer en Saskatchewan avec son époux et leurs trois enfants mineurs. L’agent des visas n’était pas convaincu qu’elle pourrait réussir son établissement économique, conformément au Règlement. Plus particulièrement, il estimait qu’elle ne pourrait pas exercer le métier d’enseignante comme elle le souhaitait parce que sa connaissance de l’anglais n’était pas suffisante. De plus, la demanderesse n’a fourni aucun élément de preuve selon lequel elle possédait les compétences voulues pour occuper un autre type d’emploi.  

[3]               Selon l’article 95 de la Loi constitutionnelle de 1867, l’immigration est un domaine de responsabilité partagé entre le gouvernement fédéral et les provinces. C’est toutefois le gouvernement fédéral qui a le dernier mot.

[4]               Mme Zahid a reçu un certificat de désignation conformément à l’Accord Canada‑Saskatchewan en matière d’immigration de 2005. L’Accord et son annexe régissent notamment la composition du mouvement d’immigration en Saskatchewan, appellent à la collaboration en vue de la réunification des familles (tant Mme Zahid que son époux ont des parents en Saskatchewan et dans d’autres provinces) et offrent à la Saskatchewan la possibilité de répondre à ses propres besoins sur le plan du développement social, de la démographie, de l’économie et du marché du travail.  

[5]               La demande de Mme Zahid, ayant été présentée dans le cadre du programme des candidats des provinces, tombait dans le champ d’application de la catégorie des travailleurs qualifiés (fédéral) prévue à l’article 87 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés. Il s’agit, selon l’article 87 du Règlement, « […] [d’]une catégorie réglementaire de personnes qui peuvent devenir résidents permanents du fait de leur capacité à réussir leur établissement économique au Canada ». Le paragraphe 87(3) du Règlement précise que le certificat, en l’espèce celui qui a été délivré par la Saskatchewan, peut ne pas être un indicateur suffisant de l’aptitude à réussir son établissement économique au Canada. L’agent peut alors, après consultation auprès du gouvernement qui a délivré le certificat, substituer son appréciation. L’agent des visas a fait part de ses préoccupations à Mme Zahid dans une lettre d’équité et a reçu une réponse très détaillée. Il a aussi consulté le gouvernement de la Saskatchewan, qui a maintenu son intention d’accueillir Mme Zahid et sa famille dans la province.

[6]               En l’espèce, le gouvernement de la Saskatchewan n’a pas fait valoir expressément que la province offrait des débouchés pour les enseignants et que Mme Zahid avait été désignée candidate dans ce contexte. En dépit du fait qu’elle a dû fournir de l’information sur sa scolarité, ses antécédents de travail et sur sa connaissance d’au moins une de nos deux langues officielles, la demanderesse n’a pas été appelée à déclarer expressément qu’elle voulait devenir enseignante, de sorte qu’elle n’a pas été désignée candidate à ce titre. Toutefois, il est raisonnable d’inférer, vu ses antécédents de travail au Pakistan en tant qu’enseignante, que cette profession serait son premier choix.

[7]               Ce n’est qu’après avoir été désignée candidate qu’elle a indiqué, en remplissant les formulaires de demande fédéraux, qu’elle entendait exercer le métier d’enseignante.  

[8]               L’agent des visas a examiné les compétences en anglais de Mme Zahid, comme le précisent les notes inscrites dans le Système international de tests de la langue anglaise, et a établi, de façon raisonnable à mon avis, qu’elle n’avait pas les compétences linguistiques voulues pour enseigner en Saskatchewan. Il a fait part de cette préoccupation à Mme Zahid.

[9]               La Saskatchewan a reconnu que la demanderesse ne puisse jamais devenir enseignante en raison de ses compétences linguistiques, mais celles-ci seraient certainement suffisantes pour lui permettre d’exercer d’autres fonctions. La demanderesse est très instruite, et il y avait alors une pénurie de main‑d’œuvre en Saskatchewan.

[10]           Dans sa réponse à la lettre d’équité, même si elle espérait pouvoir devenir enseignante, Mme Zahid a reconnu qu’elle pourrait n’obtenir qu’un poste d’aide-enseignante, ou encore pourrait travailler dans un autre domaine, comme l’industrie des aliments et des boissons. Elle a aussi souligné que son époux avait une offre d’emploi, par l’intermédiaire de son frère. Son époux n’a pas pu faire de demande pour lui-même au titre du programme parce qu’il dépassait l’âge limite de 49 ans.

[11]           Malheureusement, ni la Loi ni le Règlement, pas plus que les divers autres guides opérationnels, n’expliquent ce que signifie l’expression « réussir son établissement économique ». Il n’y a pas de référence au coût de la vie en général, au coût du logement ni aux seuils de revenu. Ces questions, apparemment, sont laissées à l’expertise de l’agent des visas.

[12]           Il est clair que l’agent des visas doit prendre en compte des éléments comme l’âge, la scolarité, les compétences, les antécédents en matière d’emploi, l’opinion des provinces et l’initiative de la demanderesse (Wai c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 780). Même si l’examen de la demande porte manifestement sur le demandeur (la demanderesse), d’autres éléments doivent être pris en compte, comme l’époux (l’épouse) et les enfants à charge qui l’accompagnent. La norme de contrôle est celle de la décision raisonnable (Singh Sran c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 791).

[13]           En dépit du fait qu’elle soit réfléchie, la décision de l’agent des visas est déraisonnable à deux égards.

a.                   L’agent des visas a conclu que, en dépit du fait que Mme Zahid était très instruite, il n’était pas certain qu’elle pourrait s’établir en occupant un emploi de moindre niveau.

b.                  Il a fait peu de cas des possibilités d’emploi de son époux.

[14]           Mme Zahid a renvoyé à de l’information émanant de Ressources humaines et Développement des compétences Canada sur divers groupes professionnels, appelés groupes de base, comme serveur au comptoir de service alimentaire, aide en cuisine, commis vendeur et aide-enseignant au niveau primaire ou secondaire. Les principales fonctions du premier groupe consistent à prendre les commandes des clients, préparer les aliments, faire du café, remplir les réfrigérateurs, peler les pommes de terre et laver la vaisselle. Il y est mentionné qu’une formation est généralement fournie.  Il n’existe absolument aucun fondement factuel donnant à penser que Mme Zahid serait incapable d’exercer ces tâches ou de travailler par exemple comme commis‑vendeuse ou de superviser à titre d’aide-enseignante les élèves à l’heure du déjeuner et à la récréation. Il ne s’agit pas d’une affaire comme Abid c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 1160, où il n’était pas déraisonnable que l’agent des visas conclue qu’au salaire que toucherait Mme Abid, mère sans conjoint, celle-ci ne pourrait pas s’établir suffisamment au plan économique pour pouvoir subvenir à ses besoins et ceux de ses deux enfants mineurs.

[15]           L’autre erreur concerne l’époux. Le Guide OP-7B porte sur les personnes à charge dépassant l’âge limite. L’agent des visas a conclu que l’époux de Mme Zahid n’était pas une personne à charge dépassant l’âge limite étant donné que la section ne concerne que les enfants. Même si le texte renvoie aux enfants qui ne correspondent pas à la définition d’« enfant à charge », la rubrique s’intitule « Personnes à charge dépassant l’âge limite ».

[16]           Toutefois, dans Singh Sran, précitée, après avoir souligné que les documents stratégiques des ministères comme les guides opérationnels n’ont pas force de loi, mais peuvent être d’un grand secours à la Cour quand il s’agit d’établir le caractère raisonnable de la décision, le juge Mosley a appliqué les remarques du Guide aux personnes à charge dépassant l’âge limite à titre d’époux. Il a affirmé, aux paragraphes 18 et 19 :

[18]      La section 7.7 du Guide de traitement des demandes à l’étranger OP 7b prévoit que les agents doivent évaluer attentivement et individuellement chaque cas où des personnes à charge dépassant l’âge limite sont désignées comme candidats des provinces en leur propre nom. Ils doivent refuser la demande s’ils ont de fortes raisons de croire que le demandeur ne réussira très vraisemblablement pas son établissement économique, même avec l’aide des autres membres de sa famille. La politique précise qu’il est conforme à la loi d’approuver les cas dans lesquels il existe une certaine probabilité d’établissement réussi dans un délai raisonnable.

[19] En l’espèce, il ressort clairement des motifs que l’agent n’a pas examiné le cas de l’épouse en tant que tel, mais qu’il a considéré qu’il s’agissait d’un facteur dont il devait tenir compte pour évaluer les perspectives d’établissement du demandeur. L’agent a indiqué clairement dans ses motifs qu’il a seulement considéré les titres de compétence de l’épouse comme étant [traduction] « pertinents ». Le fait qu’une entrevue avec elle n’a pas eu lieu est une autre indication que sa contribution potentielle n’a pas été prise en compte. Cette omission est problématique a deux égards : elle est contraire aux règles applicables au groupe de la famille dans le cadre du PCIA et, par conséquent, à la capacité de l’Alberta de déterminer ses besoins en matière d’immigration économique, et elle ne respecte pas la propre politique de Citoyenneté et Immigration Canada d’examiner chaque cas où des personnes à charge dépassant l’âge limite sont désignées comme candidats des provinces en leur propre nom.   

[17]           Les époux doivent subvenir mutuellement à leurs besoins. Peu importe le degré de retenue dont un tribunal doit faire preuve à l’égard de l’agent des visas quand celui-ci interprète un guide opérationnel, je me fie au juge Mosley, et non pas l’agent des visas, qui n’a même pas renvoyé à la décision Singh Sran.


JUGEMENT

POUR LES MOTIFS EXPOSÉS CI-DESSUS;

LA COUR STATUE :

1.                  La demande de contrôle judiciaire de la décision de l’agent des visas au Haut‑commissariat du Canada à Londres, au Royaume Uni, datée du 13 mars 2015, est accueillie.

2.                  L’affaire est renvoyée à un autre agent des visas pour qu’il rende une nouvelle décision.

3.                  Il n’y a pas de question grave de portée générale à certifier.

« Sean Harrington »

Juge

Traduction certifiée conforme

Line Niquet, trad. a.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-1847-15

INTITULÉ :

SADAF ZAHID c MCI

LIEU DE L’AUDIENCE :

CALGARY (ALBERTA)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 2 NOVEMBRE 2015

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE HARRINGTON

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

LE 10 NOVEMBRE 2015

COMPARUTIONS :

Rekha P. McNutt

POUR LA DEMANDERESSE

Galina Binning

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Caron & Partners LLP

Avocats

Calgary (Alberta)

POUR LA DEMANDERESSE

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Calgary (Alberta)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.