Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20151029


Dossiers : T-2010-14

T-2009-14

T-2008-14

Référence : 2015 CF 1228

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 29 octobre 2015

En présence de monsieur le juge Zinn

Dossier : T-2010-14

ENTRE :

INTERNATIONAL LONGSHORE AND WAREHOUSE UNION, LOCAL 500

demandeur

et

LESLIE PALM

COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE

défenderesses

Dossier : T-2009-14

ET ENTRE :

CLIFF WELLICOME

demandeur

et

LESLIE PALM

COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE

défenderesses

Dossier : T-2008-14

ET ENTRE :

RICHARD WILKINSON

demandeur

et

LESLIE PALM

COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE

défenderesses

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               Les demandeurs dans les trois présentes affaires demandent à la Cour d’annuler la décision par laquelle le Tribunal canadien des droits de la personne [le Tribunal] a rejeté la requête qu’ils ont présentée en vue de faire rejeter les plaintes en matière de droits de la personne déposées contre eux.

Contexte factuel

[2]               Le 6 mars 2009, Leslie Palm a déposé cinq plaintes distinctes en matière de droits de la personne auprès de la Commission canadienne des droits de la personne [la Commission], alléguant une discrimination fondée sur le sexe. Les plaintes visaient l’International Longshore and Warehouse Union, Local 500 [le syndicat], Cliff Wellicome, Richard Wilkinson, Western Stevedoring Ltd. [Western] et la British Columbia Maritime Employers’ Association [la BCMEA].

[3]               Mme Palm était membre du syndicat.  La convention collective du syndicat a été conclue avec la BCMEA.  Western, qui est membre de la BCMEA, était l’employeur de Mme Palm.  M. Wilkinson et M. Wellicome étaient deux de ses collègues de travail de sexe masculin.

[4]               Les plaintes de Mme Palm contre les demandeurs diffèrent légèrement, quoique la plupart soient fondées sur des faits similaires.

[5]               Dans sa plainte contre le syndicat, elle allègue une différence de traitement préjudiciable, l’omission de fournir un milieu de travail exempt de harcèlement et des lignes de conduite discriminatoires. Elle allègue plus particulièrement ce qui suit :

[traduction] Local 500 a agi de façon discriminatoire envers Mme Palm et l’a harcelée en :

1. créant et favorisant un cadre général hostile aux femmes;

2. assignant à Mme Palm du travail de poussage que des hommes, possédant des qualifications équivalentes, ne voulaient pas faire;

3. assignant à Mme Palm du travail de poussage qui l’obligeait à travailler plus d’heures pour toucher une paie équivalente à celle des pousseurs de sexe masculin possédant une expérience de poussage équivalente;

4. présentant à Western, en mars 2008, des propositions en matière de répartition du travail qui privaient Mme Palm d’occasions de travail par rapport aux hommes possédant la même capacité, la même ancienneté et les mêmes qualités;

5. omettant de punir d’une sanction les membres du local 500 qui ont harcelé Mme Palm du fait de son sexe;

6. tolérant activement le harcèlement fondé sur le sexe que des membres ont fait subir à Mme Palm;

7. refusant de représenter Mme Palm dans une enquête en matière de harcèlement subséquent tout en assurant la représentation de membres de sexe masculin.

[6]               Dans sa plainte contre M. Wellicome, elle allègue qu’il lui a fait subir du harcèlement fondé sur le sexe, et plus particulièrement, que :

[traduction] M. Wellicome a agi de façon discriminatoire envers Mme Palm et l’a harcelée en :

1. créant et favorisant un cadre général hostile aux femmes;

2. organisant, présentant et favorisant des propositions en matière de répartition du travail ayant pour effet de reléguer Mme Palm à du travail de poussage que des hommes possédant des qualifications équivalentes ne voulaient pas faire;

3. organisant, présentant et favorisant des propositions en matière de répartition du travail ayant pour effet de reléguer Mme Palm à du travail de poussage qui l’obligeait à travailler plus d’heures pour toucher une paie équivalente à celle des pousseurs de sexe masculin possédant des qualifications équivalentes en matière de poussage;

4. encourageant et tolérant activement le harcèlement fondé sur le sexe que d’autres membres ont fait subir à Mme Palm;

5. incitant des collègues de travail à agir de façon discriminatoire envers Mme Palm et à la harceler sur la base de son sexe.

[7]               Dans sa plainte contre M. Wilkinson, Mme Palm allègue qu’il lui a fait subir du harcèlement fondé sur le sexe. Ces allégations, dans leur ensemble semblables à celles formulées contre M. Wellicome, portent également sur d’autres incidents et comportements, dont un incident au cours duquel M. Wilkinson aurait inscrit les heures de travail de Mme Palm d’une manière qui donnait à penser qu’elle avait travaillé plus d’heures qu’en réalité. Elle affirme que cela a été fait dans le but de la priver des quarts de travail de fin de semaine, qui étaient attribués à ceux qui avaient travaillé le moins d’heures pendant la semaine.

[8]               Mme Palm a également déposé des plaintes contre Western et la BCMEA dans lesquelles elle allègue une différence de traitement préjudiciable, l’omission de fournir un milieu de travail exempt de harcèlement et des lignes de conduite discriminatoires.

[9]               Après le dépôt des plaintes initiales contre ces cinq personnes, Mme Palm a modifié ses plaintes pour alléguer que le syndicat et M. Wellicome avaient exercé des représailles à son endroit pour avoir déposé des plaintes en matière de droits de la personne.

[10]           Le 9 décembre 2010, la Commission a renvoyé les cinq plaintes au Tribunal pour enquête. En janvier 2011, Western et la BCMEA ont conclu un règlement avec Mme Palm quant aux plaintes déposées contre elles. Le 10 décembre 2013, les demandeurs ont déposé un avis de requête auprès du Tribunal en vue de faire rejeter les plaintes déposées contre eux.

[11]           Les demandeurs ont déposé 41 pages d’observations écrites à l’appui de la requête et plus de 160 pages de pièces. Ils décrivent ainsi le fondement de leur requête en rejet : [traduction] « Chacun des demandeurs fait valoir que les plaintes de Mme Palm étaient impossibles en droit et constituaient un abus de procédure et qu’elles auraient dû être rejetées avant de faire l’objet d’une instruction au fond complète ». Les parties ont précisément qualifié la requête de requête en rejet des plaintes pour abus de procédure.

[12]           À l’instar de Mme Palm, la Commission a présenté des observations écrites en réponse à la requête. Les demandeurs ont ensuite présenté une réplique écrite.

Questions en litige

[13]           Les demandeurs soulèvent les trois questions suivantes : Le Tribunal a‑t‑il omis d’exercer sa compétence? La décision était‑elle raisonnable? Le Tribunal a‑t‑il manqué à l’équité procédurale?

A.                Compétence

[14]           Les demandeurs soutiennent que le Tribunal n’a pas exercé sa compétence parce qu’il a omis ou refusé de statuer sur la requête.  Je ne suis pas d’accord.

[15]           Le dernier paragraphe des motifs du Tribunal se lit ainsi : « Pour les motifs énoncés ci‑avant, la requête de l’intimée en rejet des plaintes de la plaignante est donc rejetée. » Cette déclaration indique clairement que le Tribunal a bien statué sur la requête; il a décidé de la rejeter.

[16]           Les demandeurs attirent l’attention et s’appuient sur la déclaration suivante du Tribunal, au paragraphe 68, pour affirmer qu’en dépit de sa déclaration indiquant clairement que la requête a été rejetée, le Tribunal a omis de statuer sur celle‑ci :

Sans vouloir restreindre le sérieux des allégués et des reproches qui apparaissent dans la requête en rejet de l’intimée afin de conclure, selon les prétentions de l’intimée, qu’il y aurait abus de procédure, le Tribunal considère que décider du sort du présent dossier à partir de cette requête sans donner l’opportunité à la plaignante de présenter de façon pleine et complète sa preuve en ce qui a trait aux plaintes qu’elle a déposées à l’encontre des intimés, serait grandement préjudiciable aux droits de la plaignante en l’espèce.

[17]           Cette déclaration doit être interprétée en fonction des motifs du Tribunal dans leur ensemble et ne doit pas être isolée de son contexte.

[18]           Tout d’abord, il ne fait aucun doute que le Tribunal a compétence pour « se prononcer sur une question de fond avant l’instruction complète de la plainte » : Société de soutien à l’enfance et à la famille des Premières Nations du Canada c Canada (Procureur général), 2012 CF 445, au paragraphe 131. Comme l’a fait observer la Cour dans la décision Canada (Commission canadienne des droits de la personne) c Société canadienne des postes, 2004 CF 81, aux paragraphes 18 et 19 :

Finalement, il est difficile de voir pourquoi il serait dans l’intérêt de quiconque que le Tribunal tienne une audience dans un cas où il estime qu’une telle audience équivaudrait à un abus de sa procédure.

Par conséquent, je suis d’avis que ni la jurisprudence ni le droit écrit n’empêchent le Tribunal de rejeter, par voie de requête préliminaire, et pour abus de sa procédure, une affaire qui lui est renvoyée par la Commission, à supposer dans tous les cas qu’il existe des motifs valables d’agir ainsi.

[19]           Les demandeurs ont probablement raison de dire qu’en plus du droit inhérent d’un tribunal de contrôler sa propre procédure, le paragraphe 48.9(1) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, LRC 1985, c H‑6 prévoit le droit de prendre une telle mesure :

L’instruction des plaintes se fait sans formalisme et de façon expéditive dans le respect des principes de justice naturelle et des règles de pratique.

[20]           En l’espèce, lorsqu’on lit les motifs dans leur ensemble, la bonne façon de décrire la décision faisant l’objet du présent contrôle est de dire que le Tribunal a conclu que la requête était prématurée parce qu’il avait besoin d’éléments de preuve additionnels pour rendre les décisions demandées dans la requête. Le Tribunal a fait observer à juste titre que, contrairement aux observations formulées par les demandeurs, les faits étaient très contestés et que la décision ultime quant au sort des plaintes dépendait de conclusions de fait.

[21]           En plus du litige d’ordre factuel, le Tribunal a également conclu que la complexité de la requête des demandeurs, et de la réponse de Mme Palm, l’empêchait de conclure clairement qu’il y avait eu abus de procédure. De plus, les plaintes elles‑mêmes étaient assez complexes, car elles portaient sur des allégations de discrimination systémique envers les femmes. Le Tribunal a conclu que ces questions complexes ne pouvaient être tranchées sans la tenue d’une instruction complète sur le fond.

B.                 La décision était‑elle raisonnable?

[22]           Les demandeurs soutiennent que la décision du Tribunal était déraisonnable parce que :

1)      les plaintes que Mme Palm a déposées contre eux sont impossibles en droit en raison du règlement qu’elle a conclu avec Western et la BCMEA, qui empêche de conclure à la responsabilité des demandeurs;

2)      même si M. Wellicome et M. Wilkinson avaient agi de façon discriminatoire, le syndicat n’est pas responsable du fait d’autrui pour la conduite en milieu de travail de ses membres;

3)      rien ne prouve que Mme Palm a été victime de discrimination fondée sur le sexe;

4)      Mme Palm a abusé de la procédure du Tribunal en falsifiant des documents médicaux;

5)      les allégations de représailles de Mme Palm ont déjà été réglées dans le cadre d’autres instances.

(1)               L’incidence du règlement

[23]           Les demandeurs soutiennent que les plaintes de Mme Palm ne peuvent être accueillies en droit compte tenu du règlement qu’elle a conclu avec Western et la BCMEA. Ils affirment que les relations entre les défenderesses et la similarité des faits qui sous‑tendent les plaintes que Mme Palm a déposées contre chacun d’eux font en sorte qu’une conclusion de responsabilité contre les demandeurs entraînerait nécessairement une conclusion de responsabilité contre ceux qui ont conclu un règlement.

[24]           À l’appui de cet argument, ils invoquent la décision que la Cour divisionnaire de l’Ontario a rendue dans l’affaire York Advertising Ltd c Ontario (Human Rights Commission) (2005), 197 OAC 185 [York Advertising]. Cette affaire portait sur une plainte en matière de droits de la personne qu’une employée avait déposée contre son employeur, un collègue de travail et un entrepreneur indépendant. Elle a par la suite conclu un règlement à l’égard de sa plainte contre son employeur et son collègue de travail, mais sa plainte contre l’entrepreneur indépendant a fait l’objet d’une audience devant le Tribunal. Dans sa décision, le Tribunal a tiré des conclusions de fait contre l’employeur et le collègue de travail. Il a conclu qu’ils avaient violé le Code des droits de la personne de l’Ontario, LRO 1990, c H.19 [le Code].

[25]           L’employeur et le collègue de travail ont demandé le contrôle judiciaire de la décision du Tribunal. La Cour a accueilli la demande parce que, en concluant que l’employeur et le collègue de travail avaient violé le Code, le tribunal avait outrepassé sa compétence et porté atteinte au droit à l’équité procédurale de l’employeur et du collègue de travail. Au paragraphe 21, la Cour a affirmé ceci :

[traduction] Dans les circonstances de l’espèce, les demandeurs étaient en droit de présumer qu’une fois les modalités du règlement arrêtées de façon définitive, ils pouvaient se retirer totalement du processus de plainte sans craindre de faire l’objet de conclusions défavorables de la part du Tribunal. Il serait incompréhensible, et contraire au droit, qu’une procédure prévue par la loi pour la résolution des plaintes en matière de droits de la personne en Ontario puisse donner lieu à des conclusions d’actes fautifs contre une partie qui s’est libérée du processus de plainte au moyen d’un règlement, et qui n’a reçu aucun avis officiel quant à la tenue d’une audience, n’était pas partie à celle‑ci et n’y a pas participé.

La Cour a ordonné au Tribunal de réexaminer sa décision et de s’abstenir d’énoncer des conclusions défavorables à l’employeur et au collègue de travail pouvant raisonnablement équivaloir à des conclusions portant qu’ils avaient violé le Code. Au paragraphe 25, la Cour a affirmé ceci :

[traduction] [S’]il est raisonnablement nécessaire d’énoncer des conclusions défavorables aux demandeurs à seule fin d’expliquer des conclusions défavorables à [l’entrepreneur indépendant], ces conclusions ne devraient pas être formulées de manière à équivaloir à des conclusions de violation du Code.  [Non souligné dans l’original.]

[26]           La décision York Advertising ne permet pas aux demandeurs d’affirmer qu’une entente de règlement empêche un tribunal des droits de la personne d’énoncer des conclusions donnant à penser qu’une partie qui a conclu un règlement a violé des lois sur les droits de la personne. Elle étaye plutôt la thèse beaucoup plus étroite selon laquelle le Tribunal des droits de la personne ne devrait énoncer des conclusions défavorables aux parties ayant conclu un règlement que dans la mesure où ces conclusions sont raisonnablement nécessaires pour expliquer ses conclusions à l’égard des parties qui sont devant lui et que ces conclusions quant aux actes des parties ayant conclu un règlement ne devraient pas être formulées de manière à équivaloir à des conclusions de violation d’une loi.

[27]           En outre, étant donné la complexité des plaintes de Mme Palm contre les demandeurs en l’espèce, il n’est pas évident aux yeux de la Cour que certaines de ces plaintes aient un lien avec celles ayant fait l’objet d’un règlement. Par exemple, il n’est pas clair que Western et la BCMEA seraient visées si le Tribunal concluait que le syndicat a donné son appui à un changement dans la répartition du travail afin d’avantager ses membres de sexe masculin au détriment de Mme Palm. Aussi, dans ses observations relatives à la requête en rejet, Mme Palm a expressément nié que la falsification de ses heures de travail par M. Wilkinson ait été faite dans le cadre de l’emploi de celui‑ci, de sorte que cette plainte ne semble avoir aucun rapport avec les parties qui ont conclu le règlement. Il n’est donc pas clair si une conclusion de responsabilité contre les demandeurs viserait nécessairement Western et la BCMEA. Quoi qu’il en soit, dans la mesure où des conclusions doivent être énoncées contre les parties ayant conclu le règlement, tout ce que la décision York Advertising exige du Tribunal, c’est que ces conclusions ne soient pas formulées de manière à équivaloir à des conclusions de violation de la Loi.

(2)               Responsabilité du fait d’autrui

[28]           Le syndicat soutient que les allégations voulant qu’il soit responsable des actes de MM. Wellicome et Wilkinson ne peuvent être retenues parce qu’il n’est pas responsable du fait d’autrui pour les actes de ses membres. Toutefois, Mme Palm conteste la prétention du syndicat selon laquelle il n’exerce aucun contrôle sur la conduite en milieu de travail de MM. Wellicome et Wilkinson. Ce fait contesté ne peut être résolu sur le fondement d’un principe juridique en l’absence de preuve.

(3)               Discrimination fondée sur le sexe

[29]           Les demandeurs soutiennent également que rien ne prouve que Mme Palm a été victime de discrimination fondée sur le sexe. Toutefois, Mme Palm a maintes fois affirmé que les événements à l’origine de ses plaintes reposent sur une animosité fondée sur le sexe. Elle souligne également qu’à l’époque pertinente, elle était la seule femme dans un groupe de quatorze personnes. Encore une fois, il est impossible de voir comment cette prétention peut être tranchée dans le cadre d’une requête sommaire et en l’absence d’autres éléments de preuve de sa part.

(4)               Allégation de fraude

[30]           Les demandeurs allèguent que Mme Palm a altéré des documents en vue de tromper les parties et le Tribunal, et que sa conduite fait en sorte que ses plaintes constituent un abus de procédure. Mme Palm le nie avec véhémence. Le Tribunal aurait peut‑être pu tenir une courte audience sur cette allégation, mais il est maître de sa procédure. Il ressort clairement des motifs du Tribunal qu’il a estimé que cette question n’était pas nécessairement déterminante quant à l’ensemble des plaintes déposées par Mme Palm. Il ne s’agit pas d’une opinion déraisonnable.

(5)               Autres instances

[31]           Enfin, les demandeurs soutiennent que les plaintes de représailles de Mme Palm ont déjà été réglées de façon satisfaisante dans le cadre d’autres instances. Encore une fois, Mme Palm le nie. Compte tenu de sa position et des aspects d’intérêt public des réparations imposées en cas de conduite discriminatoire, il n’est pas déraisonnable de conclure que ses plaintes ne devraient pas être réglées sommairement.

[32]           En conclusion, compte tenu de ces litiges factuels et de la complexité factuelle globale de l’affaire, la décision du Tribunal d’opter pour une instruction complète sur le fond était raisonnable.

C.                 Équité procédurale

[33]           Les demandeurs soutiennent que le Tribunal a manqué à l’équité procédurale en omettant d’inviter les parties à présenter des observations sur la nature des faits contestés ou l’existence de tels faits, en omettant de tenir une audition pour statuer sur les faits contestés, le cas échéant, et en omettant d’énoncer ses motifs pour ne pas tenir une audition viva voce.

[34]           Je conviens avec la Commission que ces allégations sont dénuées de fondement. Le Tribunal a donné aux parties la possibilité de se faire entendre et a tenu compte de leurs observations et de la jurisprudence pertinente en rendant sa décision de ne pas rejeter les plaintes de Mme Palm avant la tenue d’une instruction au fond.

[35]           Il n’incombait pas au Tribunal de solliciter expressément des observations sur la nature des faits contestés ou l’existence de tels faits. Les observations des demandeurs concernant leur requête traitaient abondamment des faits en litige entre les parties. Les demandeurs ont tenté, mais en vain, de convaincre le Tribunal qu’aucun fait important n’était en litige. Le fait d’inviter expressément les demandeurs à présenter des observations sur la nature des faits contestés ou l’existence de tels faits n’aurait pas donné aux demandeurs une possibilité de faire valoir leurs arguments qu’ils n’avaient pas déjà.

[36]           De la même façon, il n’était pas inéquitable de la part du Tribunal de décider de ne pas tenir une audition viva voce pour statuer sur les faits contestés dans le cadre de la requête des demandeurs. Comme les demandeurs et la Commission l’ont reconnu, le Tribunal est « maître de sa procédure ». Les demandeurs estiment qu’en dépit de son vaste pouvoir discrétionnaire, le Tribunal était tenu, une fois qu’il avait conclu que les questions soulevées par la requête des demandeurs portaient sur des faits en litige, de donner aux parties la possibilité de régler ces litiges, dans le cadre de la requête, par l’audition de témoins.

[37]           Les protections procédurales auxquelles les demandeurs avaient droit dans le cadre de leur requête en rejet doivent être déterminées en fonction de l’ensemble de la procédure. Le Tribunal n’a pas privé les demandeurs de la possibilité de présenter des témoins afin de résoudre les litiges factuels. Il a plutôt statué qu’il serait plus juste d’entendre ces témoins dans le cadre d’une instruction au fond complète. Le Tribunal n’a pas dit « non » à l’audition de témoins; il a simplement dit « pas maintenant ».

[38]           Ce que les demandeurs revendiquent vraiment, alors, c’est le droit à une procédure moins longue (et coûteuse) pour résoudre les litiges factuels : une audition viva voce dans le cadre d’une requête en rejet, par opposition à une audition au fond complète. Les demandeurs ne citent aucune jurisprudence à l’appui de la proposition voulant que les protections procédurales excessives puissent constituer un manquement à l’équité procédurale.

[39]           La Cour suprême du Canada a reconnu, dans l’arrêt Hryniak c Mauldin, 2014 CSC 7, [2014] 1 RCS 87, au paragraphe 24, que « les formalités excessives et les procès interminables occasionnant des dépenses et des délais inutiles peuvent faire obstacle au règlement juste et équitable des litiges ». Il se peut qu’un processus onéreux mine l’équité procédurale lorsque les frais qu’il occasionne aux parties sont disproportionnés par rapport aux protections visant à favoriser l’équité qu’il offre, mais ce n’est pas le cas en l’espèce, où le Tribunal a conclu que l’instruction au fond complète constituait le meilleur moyen de résoudre les questions en litige.  Pour les motifs exposés ci‑dessus, il s’agissait d’une conclusion raisonnable.

[40]           Enfin, les demandeurs soulèvent des préoccupations quant à l’omission du Tribunal d’énoncer ses motifs pour ne pas tenir une audience. Au paragraphe 64 de ses motifs, le membre du Tribunal affirme que « [l]e Tribunal ne considère pas qu’une audition viva voce soit nécessaire afin de décider du sort de la requête de l’intimée pour les raisons qui suivent ». Il explique ensuite pourquoi la requête des demandeurs était prématurée, sans aborder expressément la question de l’audition viva voce.

[41]           Le Tribunal a peut‑être omis d’énoncer clairement ses motifs précis pour refuser de tenir une audition viva voce, mais il est clair que le Tribunal n’a pas jugé nécessaire de procéder à une audition de témoins dans le cadre de la requête des demandeurs parce qu’il a estimé qu’il valait mieux entendre ces témoins dans le cadre d’une instruction complète sur le fond. Au paragraphe 70 de ses motifs, le Tribunal écrit ceci :

Considérant ce qui précède, et tenant compte que le Tribunal est maître de sa procédure tel qu’énoncé lors de la décision la Société de soutien à l’enfance et à la famille des Premières Nations du Canada, mentionnée ci‑avant, le Tribunal estime qu’une audition au fond respecterait davantage les règles de justice naturelle et d’équité procédurale eu égard aux plaintes formulées par la plaignante et répondrait certainement mieux aux intérêts de la justice.

[42]           Pour ces motifs, la présente demande est rejetée.  La Commission n’a pas demandé de dépens et aucuns ne seront adjugés.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la présente demande est rejetée, sans dépens.

« Russel W. Zinn »

Juge

Traduction certifiée conforme

Diane Provencher, trad. a.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


 

DoSSIERS :

T-2010-14

T-2009-14

T-2008-14

 

INTITULÉ :

INTERNATIONAL LONGSHORE AND WAREHOUSE UNION, LOCAL 500, CLIFF WELLICOME, RICHARD WILKINSON c LESLIE PALM, LA COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE

LIEU DE L’AUDIENCE :

Vancouver (ColOMbiE-BRITANNIQUE)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 21 OCTOBRE 2015

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE ZINN

DATE DES MOTIFS :

LE 29 OCTOBRE 2015

COMPARUTIONS :

Lyndsay Watson
John Mosca

POUR LES DEMANDEURS

Ikram Warsame

POUR LA DÉFENDERESSE

COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE

Leslie Palm

POUR SON PROPRE COMPTE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Caroline + Gislason Lawyers s.r.l.

Vancouver (Colombie-Britannique)

POUR LES DEMANDEURS

Commission canadienne des droits de la personne

Ottawa (Ontario)

POUR LA DÉFENDERESSE

COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE

Aucun -

POUR LA DÉFENDERESSE

LESLIE PALM

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.