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Date : 20151112


Dossier : T-962-15

Référence : 2015 CF 1266

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 12 novembre 2015

En présence de madame la juge Gagné

Dossier : T-962-15

ENTRE :

GEORGE WILCOX

demandeur

et

LE MINISTRE DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES ET

LE MINISTRE DE LA JUSTICE ET

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeurs

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               Je suis saisie de deux requêtes : la première, présentée par les défendeurs au titre de l’article 4 des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106 [les Règles], vise le rejet de la demande déposée par le demandeur le 9 juin 2015 par laquelle ce dernier sollicite le contrôle judiciaire de la décision, prise le 2 février 1976 par Allan MacEachen, qui était alors Secrétaire d’État aux Affaires extérieures. Cette décision était celle de ratifier le Traité d’extradition entre le gouvernement du Canada et le gouvernement des États-Unis d’Amérique, 3 décembre 1971, RT Can 1976/3 (entré en vigueur le 22 mars 1976) [le Traité d’extradition]. La deuxième requête, présentée par le demandeur au titre du paragraphe 18(1) de la Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, c F-7, consiste en une requête en sursis provisoire de l’arrêté d’extradition pris par le ministre de la Justice le 4 mars 2014 en application de l’article 40 de la Loi sur l’extradition, LC 1999, c 18 [la Loi], jusqu’à ce que la demande de contrôle judiciaire présentée à la Cour soit entendue sur le fond.

[2]               Par conséquent, si je devais accueillir la requête en rejet, cela aurait pour effet de trancher la requête du demandeur.

[3]               Les défendeurs présentent une requête en rejet de la demande de contrôle judiciaire, et ce, pour les motifs suivants : (i) celle‑ci est prescrite en application de la prescription prévue au paragraphe 18.1(2) de la Loi sur les Cours fédérales; (ii) la détermination de la validité du traité est une question politique qui relève du pouvoir exécutif et qui n’est donc pas assujettie à la compétence des tribunaux; (iii) quoi qu’il en soit, le paragraphe 57(1) de la Loi écarte les questions d’extradition de la compétence de la Cour, et la présente demande de contrôle judiciaire constitue donc une contestation indirecte de l’arrêté d’extradition qui a été confirmé par la Cour d’appel de la Colombie‑Britannique [la CACB], et (iv) subsidiairement, si jamais la Cour détient un pouvoir discrétionnaire résiduel d’exercer sa compétence, elle devrait s’abstenir de le faire, puisque le recours approprié aurait été de demander un redressement devant la CACB.

[4]               En ce qui concerne le demandeur, il prétend que c’est précisément parce qu’il avait épuisé tous ses recours devant les cours de compétence inhérente que, conformément à la décision Wilson c Canada (Justice), 2012 CF 280 [Wilson], la Cour devrait exercer sa compétence résiduelle de se prononcer sur la validité du traité – une question qui découle de l’exercice du pouvoir discrétionnaire ministériel. Il prétend essentiellement que la demande de contrôle judiciaire relève exclusivement de la compétence de la Cour, puisqu’il s’agit d’une exception visée à l’article 57 de la Loi, tout comme c’est le cas à l’égard d’un arrêté introductif d’instance [AII] pris en vertu de l’article 15 de la Loi.

[5]               En ce qui concerne le sursis provisoire en attendant que la Cour examine la demande sous‑jacente, le demandeur n’a pas produit d’observations écrites détaillées quant à la question de savoir si le critère dégagé dans l’arrêt RJR-Macdonald Inc c Canada (Procureur général), [1994] 1 RCS 311, est satisfait. Il traite plutôt du bien‑fondé de la demande devant la Cour et il met l’accent sur la question de savoir si la Cour a compétence pour instruire la demande.

[6]               Pour les motifs exposés ci‑dessous, je suis d’avis que la requête en rejet des défendeurs devrait être accueillie au motif que la demande sous‑jacente ne relève pas de la compétence de la Cour.

I.                   Le contexte

[7]               Le demandeur est un citoyen canadien et il est recherché aux États‑Unis du fait qu’il a été déclaré coupable in absentia de deux infractions dans l’État de l’Arizona, infractions qu’il avait commises entre 2007 et 2008. Il est aussi recherché par le ministère public relativement à deux autres infractions, puisque le jury n’a pas été capable de parvenir à un verdict relativement aux autres chefs d’accusation.

[8]               Le 13 novembre 2003, le ministre de la Justice a pris un AII conformément à l’article 15 de la Loi, par lequel il autorisait le procureur général du Canada à lancer des procédures d’extradition pour le compte des États‑Unis.

[9]               Le 22 janvier 2013, le juge d’extradition Cullen de la Cour suprême de la Colombie‑Britannique [la CSCB] a rendu un jugement sur six requêtes ou demandes préjudicielles présentées par le demandeur et il a conclu, entre autres, que l’examen des allégations relatives au fait que le ministre ne s’était pas conformé au traité d’extradition ne relevait pas de la compétence de la province du juge d’extradition.

[10]           Le 13 août 2013, le juge d’appel Cullen a rendu une ordonnance d’incarcération au titre des alinéas 29(1)a) et 29(1)b) de la Loi pour que le demandeur subisse son procès relativement à deux chefs d’accusation correspondants à l’infraction canadienne de contact sexuel, qui est prévue à l’article 151 du Code criminel, et pour se faire infliger une peine relativement à deux autres chefs d’accusation relatifs à la même infraction, comme il était mentionné dans l’AII [l’Ordonnance d’incarcération].

[11]           Le demandeur a déposé un avis d’appel ou une demande d’autorisation de contrôle judiciaire relativement à l’Ordonnance d’incarcération du juge.

[12]           Pendant ce temps, le 11 novembre 2013, le demandeur a présenté des observations au ministre relativement à sa possible extradition aux États‑Unis et il a demandé à être libéré. Il a fait valoir, entre autres arguments, que le traité d’extradition n’avait jamais été ratifié en bonne et due forme par le Canada et qu’il était donc invalide.

[13]           Le 4 mars 2014, le ministre a informé le demandeur qu’il avait signé des mandats ordonnant son extradition conformément à l’article 40 de la Loi [l’arrêté d’extradition]. Il a répondu à l’observation du demandeur selon laquelle son extradition ne devrait pas avoir lieu au motif que le traité d’extradition n’avait pas été ratifié (p. 139, dossier de requête des défendeurs) :

[traduction]

[…] [v]ous prétendez que, malgré que le Traité [traduction] « censément entré en vigueur le 22 mars 1976 » ait été ratifié par le Sénat américain après [traduction] « de longs débats et des modifications », ni le Traité ni les éléments qui y ont été ajoutés n’ont été ratifiés au Canada par le législateur au moyen d’un décret ou de tout autre processus démocratique.

Vous prétendez aussi qu’en 1971, un décret a permis au Secrétaire d’État aux Affaires extérieures, M. Mitchell Sharp, de signer l’ébauche du Traité [traduction] « assujettie à la ratification ». Vous faites valoir que le Traité n’a pas été ratifié par un organe démocratique avant que le Secrétaire d’État aux Affaires extérieures [traduction] « entreprenne, de son propre chef, de ratifier le traité en signant un “instrument de ratification” de quatre lignes en 1976 ». Vous faites valoir que cette mesure n’a aucune force de loi sans une véritable ratification et qu’il n’y a aucun dossier quant au décret de ratification dans les archives canadiennes, au ministère des Affaires étrangères, du Commerce international et du Développement, dans les bibliothèques du ministère de la Justice, ou à quelque endroit que ce soit.

Le maintien des relations du Canada en ce qui a trait à l’extradition et la détermination des ententes qui sont en vigueur relèvent du pouvoir exécutif du Canada (voir, à titre d’exemple, Attorney General (Canada) c Kerfoot, 2013 BCSC 122; Czech Republic c Ganis, 2006 BCCA 542; Kingdom of Thailand c Karas, 2001 BCSC 72; Czech Republic c Moravek, 2004 MBCA 174; United States of America c Wilson, 2011 BCCA 96; McVey c États-Unis d’Amérique, [1992] 3 RCS 475).

Ni le Canada ni les États‑Unis, les deux parties contractantes au Traité, n’ont remis en question auparavant l’existence de ce traité […] le fait que le Canada et les États‑Unis ont maintenu en vigueur ce traité pendant plus de 25 ans appuie pleinement la conclusion selon laquelle le Traité est en vigueur. De plus, une lecture de l’accord publié dans la Gazette du Canada du 3 avril 1976, confirme que les instruments de ratification ont été échangés entre le Canada et les États‑Unis le 22 mars 1976 à Ottawa (Ontario).

Je fais aussi remarquer que, lors de la ratification du Traité, celui‑ci a été incorporé par renvoi dans le droit national au moyen de la Loi sur l’extradition, S.R.C. 1970 c E‑21 (la Loi sur l’extradition (1970)), laquelle était en vigueur à l’époque. Il n’y avait pas eu de processus parlementaire en ce qui a trait à la ratification, et cela n’était pas non plus une exigence. Lors de l’entrée en vigueur du Traité, la Loi sur l’extradition (1970) avait pour effet de ratifier sur-le-champ les obligations internationales du Canada prévues par le Traité (Re Stuckey (1999), 181 DLR (4th) 144 (CSCB)).

[14]           Le 24 mars 2014, le demandeur a présenté une demande de contrôle judiciaire auprès de la CACB à l’égard de l’arrêté d’extradition pris par le ministre au titre de l’article 57 de la Loi.

[15]           Le 4 février 2015, la CACB a examiné puis rejeté l’appel interjeté à l’égard de l’Ordonnance d’incarcération et la demande de contrôle judiciaire présentée à l’égard de l’Arrêté d’extradition pris par le ministre.

[16]           La demande d’autorisation de pourvoi à la Cour suprême du Canada a été rejetée sans motifs le 11 juin 2015.

[17]           Cependant, deux jours auparavant, soit le 9 juin 2015, le demandeur a déposé devant la Cour une demande de contrôle judiciaire visant la décision de M. Allan MacEachen, Secrétaire d’État aux Affaires extérieures, prise le 2 février 1976, par laquelle il ratifiait le Traité d’extradition, en sollicitant les redressements suivants :

[traduction]

−     un jugement déclarant que le Traité d’extradition n’est pas ratifié et qu’il est inopérant;

−     une injonction ou un bref de prohibition empêchant le ministre de renvoyer le demandeur du Canada jusqu’à ce que la présente affaire soit réglée devant la Cour;

−     un bref de prohibition empêchant le ministre d’utiliser le Traité non ratifié jusqu’à la ratification de celui-ci;

−     un bref de quo warranto exigeant la divulgation de la justification donnée par le Secrétaire d’État aux Affaires extérieures pour confirmer que le Traité non ratifié était « ratifié », dans la mesure où il savait ou aurait dû savoir que le Traité n’était pas ratifié et que son prédécesseur avait été informé en sa présence que l’ébauche du Traité était « sujette à ratification ».

II.                Les questions en litige

[18]           Les requêtes dont la Cour est saisie soulèvent les questions suivantes :

(1)               La demande est‑elle prescrite en raison de l’expiration du délai de prescription?

(2)                L’affaire visée par l’examen est-elle assujettie à la compétence des tribunaux?

(3)               La Cour a‑t‑elle compétence pour instruire la demande et pour octroyer le redressement demandé?

(4)                Le cas échéant, la Cour devrait‑elle accorder un sursis provisoire au demandeur?

III.             Analyse

[19]           Étant donné que je suis d’avis que les réponses aux questions en litige (2) et (3) permettent de trancher l’affaire, je circonscrirai mes motifs en conséquence.

L’assujettissement à la compétence des tribunaux

[20]           L’article 18 du Traité d’extradition énonce que « [l]e présent Traité sera ratifié et les instruments de ratification seront échangés à Ottawa le plus tôt possible ». Le 11 décembre 1975, le gouverneur en conseil a autorisé le Secrétaire d’État des Affaires extérieures à exécuter et à délivrer, pour le compte du Canada, un instrument de ratification et à faire en sorte que les documents soient échangés à Ottawa (pièce 2, produite à l’audience). Le 2 février 1976, le Secrétaire d’État a signé l’instrument de ratification; un protocole d’échange a été signé par les parties le 22 mars 1976 (pièce 1, déposée à l’audience). Le Traité d’extradition est entré en vigueur le jour même et il a été publié par la suite dans la Gazette du Canada.

[21]           Le demandeur prétend devant la Cour, tout comme il l’avait fait dans ses observations soumises au ministre, que le Traité d’extradition est invalide du fait qu’il n’a pas été démocratiquement ratifié par le Canada et que l’Arrêté d’extradition ne peut être maintenu.

[22]           Dans l’arrêt Chateau-Gai Wines Ltd c Institut National des Appellations d’Origine des Vins et Eaux-de-Vie, [1975] 1 RCS 190, à la page 199 [Chateau-Gai Wines], la Cour suprême du Canada a statué que « la question de savoir si le traité est en vigueur, par opposition à celle de savoir quel en est l’effet, est […] entièrement du ressort de l’autorité publique […] ». La CACB a tiré une conclusion similaire dans l’arrêt Ganis c Canada (Minister of Justice), 2006 BCCA 543 [Ganis]. Il convient de reproduire les paragraphes ci-dessous :

[17]      La jurisprudence ne fait aucun doute quant au fait que, « (s)auf disposition législative, l'exécution des obligations découlant des traités internationaux est une tâche qui incombe aux autorités politiques et qui est exécutée par les ministres et les ministères dans le cadre de leurs mandats respectifs » : McVey c. États-Unis d’Amérique, [1992] 3 RCS 475 (CSC), à la page 519.

[…]

[20]      Cependant, je suis d’avis que la question de l’existence d’un traité n’est pas une question assujettie à la compétence des tribunaux et que la Cour ne peut donc pas examiner la conclusion du ministre selon quelque norme que ce soit.

[21]      Lorsqu’elle tranche la question de savoir si un objet est assujetti à la compétence justiciable des tribunaux, la Cour doit trancher la question de savoir si « la question qu'on lui a soumise revêt un caractère purement politique et devrait, en conséquence, être tranchée dans une autre tribune ou si elle présente un aspect suffisamment juridique pour justifier l'intervention du pouvoir judiciaire » : Renvoi relatif au Régime d'assistance publique du Canada [1991] 2 RCS 525 (CSC), à la page 545.

[22]      En l’espèce, selon la preuve, le Canada et la République tchèque connaissaient l’accord invoqué et se sont conduits comme s’ils agissaient conformément à celui‑ci. Il faut aussi garder à l’esprit que l’extradition ne nécessite pas un traité officiel. Celle‑ci peut effectivement avoir lieu au titre d’un accord précis visant à répondre à un « cas d’espèce », ou en l’absence d’une entente dans un cas où l’état du demandeur est désigné dans la Loi à titre de partenaire d’extradition : voir les articles 2, 3, 9 et 10 de la Loi. Ces autres voies sont compatibles avec le principe selon lequel les relations d’extradition relèvent du pouvoir exécutif et peuvent l’être d’une variété de manières.

[23]      Les questions d’affaires étrangères, y compris l’élaboration d’un traité, relèvent de la prérogative de la Couronne. Bien que cette classification ne suffise pas toujours en elle‑même pour soustraire une affaire à la portée du contrôle judiciaire, certains de ces pouvoirs, en raison de leur nature et de leur objet, ne seront pas assujettis au processus judiciaire : Black c. Canada (Prime Minister) (2001), 54 O.R. (3d) 215 (C.A. Ont). Dans l’arrêt Council of Civil Service Unions c. Minister for Civil Service (1984), [1985] 1 A.C. 374, [1984] 3 All E.R. 935 (C.L R.‑U) (cité avec approbation par le juge Laskin au nom de la Cour dans Black, précité, au paragraphe 36). Lord Roskill a inclus dans cette catégorie les pouvoirs liés à la prérogative se rapportant à l’élaboration de traités. Si on fait exception des questions liées à la Charte qui pourraient être soulevées au regard des faits d’une autre affaire, ainsi que l’exception ci‑dessous se rapportant à la compétence, il semble que la question de la validité d’un traité soit purement politique et que celle‑ci ne contienne aucun élément juridique qui, dans les circonstances, justifierait l’intervention de la Cour.

[24]      On demande parfois aux tribunaux judiciaires d’interpréter les dispositions d’un traité ou de déterminer leur effet au plan national; cette tâche, qui soulève des questions juridiques, relève de la compétence judiciaire. Cependant, l’existence d’un traité n’est pas une question de droit ordinaire, mais plutôt une affaire hautement politique entre le pouvoir exécutif de deux États contractants. La Cour suprême du Canada a reconnu cette distinction lorsqu’elle a statué que « la question de savoir si le traité est en vigueur, par opposition à celle de savoir quel en est l’effet [est] entièrement du ressort de l’autorité publique » : Chateau-Gai Wines Ltd. c. Institut national des appellations d'origine des vins & Eaux-de-Vie (1974), [1975] 1 RCS 190 (CSC), le juge Pigeon, à la page 199.

[25]      Si l’existence d’un traité est mise en doute par l’une des parties contrevenantes, ce différend sera probablement réglé au sein des sphères politiques ou, si cela ne fonctionne pas, devant une autre tribune. Cependant, la question de l’existence d’un traité ne peut être tranchée par un tribunal judiciaire national dans le contexte d’un différend entre une personne et l’un des États contractants. Un tel processus pourrait avoir des conséquences politiques et diplomatiques imprévisibles, allant bien au‑delà de la question de savoir si une personne devrait être extradée. Un jugement quant à l’existence ou à la validité d’un traité ne peut pas être valable en l’absence des deux parties à celui‑ci.

[26]      Puisque la question de l’existence du Traité n’est pas une question assujettie à la compétence des tribunaux judiciaires, il ne nous est pas loisible d’examiner la décision du ministre selon laquelle le Traité est valide et qu’il s’applique à l’appelant […]

[23]           Le demandeur, dans ses observations écrites et dans ses plaidoiries, confond la question de l’assujettissement à la compétence des tribunaux de la validité d’un traité international et celle de la compétence de la cour d’extradition. Il soutient que dans la demande de contrôle judiciaire relative à l’Arrêté d’extradition pris par le ministre qu’il a présentée devant la CACB, il a choisi de ne pas soulever la question à savoir si le Traité d’extradition avait été ratifié de manière valide, puisque cette cour, tout comme d’autres cours d’extradition, a énoncé à maintes occasions que la question de la validité d’un traité n’était pas assujettie à la compétence des tribunaux. Cela expliquerait pourquoi il a épuisé ses recours devant les cours d’extradition avant de soulever la question devant la Cour.

[24]           Cependant, il ne s’agit pas d’une affaire intéressant les compétences respectives des cours d’extradition et de la Cour, mais plutôt d’une affaire qui relève de la séparation des pouvoirs entre l’exécutif et le judiciaire.

[25]           La ratification d’un traité exprime l’intention d’un État d’être lié par ce traité. Puisqu’il s’agissait d’une condition préalable à l’entrée en vigueur du Traité d’extradition, le demandeur soutient que la prétendue ratification repose sur une fausse représentation et que le traité est frappé de nullité ab initio. Le demandeur renchérit en mentionnant, sans explication supplémentaire, que cela constitue [traduction« une violation inexcusable du droit international ainsi qu’un manquement au principe de la primauté du droit » (paragraphe 30 du mémoire des faits et du droit du demandeur).

[26]           Toutes ces questions sont de nature politique; elles intéressent le pouvoir exécutif, et non la Cour, voire même quelle que cour que ce soit. Je ne vois aucune différence entre les faits de la présente affaire et ceux des arrêts Chateau-Gai Wines et Ganis.

La compétence

[27]           Je conviens avec les défendeurs que la demande de contrôle judiciaire présentée par le demandeur, même si elle est formulée comme une contestation des gestes posés par les agents du gouvernement il y a de cela 39 ans, constitue une contestation indirecte de l’Arrêté d’extradition pris par le ministre. Il s’ensuit que l’article 57 de la Loi dépossède la Cour de la compétence de contrôler judiciairement une telle décision (Schreiber c Canada (Procureur général), 2007 CF 618, conf par 2008 CAF 147; Waldman c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CF 1326). Je conviens aussi avec les défendeurs que la décision Wilson, précitée, n’est pas un précédent à l’appui de l’allégation selon laquelle la Cour fédérale conserve une compétence résiduelle dans tous les cas d’extradition. Dans Wilson, tout comme c’était le cas dans l’arrêt Froom c Canada (Ministre de la Justice), 2004 CAF 352 [Froom], on a demandé à la Cour de contrôler judiciairement un AII pris par le ministre. Le juge Noël a conclu que la Cour d’appel provinciale avait la compétence exclusive pour contrôler un Arrêté d’extradition pris par le ministre conformément à l’exception prévue à l’article 57 de la Loi; cependant, aucune exception de ce type n’était prévue à propos du contrôle judiciaire de la décision de prendre un AII (Wilson, aux paragraphes 11, 17-18).

[28]           Contrairement aux faits dans les affaires Wilson et Froom, l’Arrêté d’extradition est précisément au cœur du recours exercé par le demandeur en l’espèce. La question de la ratification du traité, ou de la soi‑disant « non-conformité » a été soulevée par le demandeur devant le ministre relativement à sa décision de prendre un arrêté d’extradition, et cet arrêté ne traite pas de l’argument du demandeur selon lequel le Traité d’extradition serait invalide du fait qu’il n’aurait pas été ratifié. Je conviens avec le ministre qu’il est inexplicable que le demandeur ait choisi de ne pas presser la question, et par conséquent de ne pas chercher à obtenir un redressement, lors du contrôle judiciaire de cette décision devant la CACB.

[29]           Même dans les cas où la Cour détient une compétence résiduelle à l’égard d’une affaire en matière d’extradition – ce qui n’est pas le cas en l’espèce – un demandeur est censé avoir épuisé ses recours devant l’instance initiale, puisque la Cour a constamment refusé d’exercer toute compétence résiduelle pour laisser la place aux tribunaux provinciaux.

[30]           Par conséquent, je suis d’avis que la Cour n’a pas compétence relativement à la question soulevée par le demandeur dans sa demande de contrôle judiciaire, que celle‑ci relève ou non de la compétence résiduelle.

IV.             Conclusion

[31]           Pour les motifs ci‑dessus, la requête des défendeurs en rejet de la demande de contrôle judiciaire sera accueillie. Par conséquent, il n’est pas nécessaire que la Cour rende une décision quant à la requête en sursis de l’Arrêté d’extradition qui a été présentée par le demandeur en attendant que sa demande de contrôle judiciaire soit tranchée sur le fond.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que :

1.      La requête des défendeurs en rejet de la demande de contrôle judiciaire présentée par le demandeur est accueillie;

2.      La requête du demandeur en sursis de l’Arrêté d’extradition daté du 4 mars 2014 est rejetée;

3.      Les dépens sont accordés uniquement au procureur général du Canada, et ce, relativement aux deux requêtes.

« Jocelyne Gagné »

Juge

Traduction certifiée conforme

Maxime Deslippes


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-962-15

INTITULÉ :

GEORGE WILCOX c LE MINISTRE DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES ET LE MINISTRE DE LA JUSTICE ET LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

LIEU DE L’AUDIENCE :

VANCOUVER (COLOMBIE‑BRITANNIQUE)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 23 JUIN 2015

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE GAGNÉ

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

LE 12 novembRe 2015

COMPARUTIONS :

Me Gary Bottig

POUR LE DEMANDEUR

GEORGE WILCOX

Me Amanda Lord

POUR LES DÉFEndeURs

LE MINISTRE DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES ET
LE MINISTRE DE LA JUSTICE ET
LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Garry Bottig

Avocat

Coquitlam (C.‑B.)

POUR LE DEMANDEUR

GEORGE WILCOX

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

POUR LES DÉFEndeURs

LE MINISTRE DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES ET LE MINISTRE DE LA JUSTICE ET LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

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