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Date : 20151113


Dossier : IMM-1514-15

Référence : 2015 CF 1269

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 13 novembre 2015

En présence de monsieur le juge Harrington

ENTRE :

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

demandeur

et

AUSTIN ALPHONSO LEWIS

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               M. Lewis n’est pas un citoyen idéal. En fait, il n’est pas du tout citoyen canadien, ce qui est au cœur de son problème. Il est résident permanent depuis 1975, mais demeure un citoyen de la Jamaïque.

[2]               Au cours des années, il fut déclaré coupable de diverses infractions, dont certaines en matière de drogue. Il a fait l’objet d’une mesure d’expulsion en 2006. Il a interjeté appel. En 2009, la Section d’appel de l’immigration de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada a sursis à la mesure de renvoi de M. Lewis, pourvu qu’il respecte diverses conditions. Ce sursis a été prorogé deux fois en 2013 et en 2014, et les mêmes conditions ont été reconduites en grande partie.

[3]               La Cour est saisie du contrôle judiciaire de l’ordonnance rendue en février 2015 par un commissaire de la Section d’appel de l’immigration. Le ministre a demandé une prorogation additionnelle du sursis pendant une autre année, puisque le défendeur était visé par de nouvelles accusations criminelles en instance. Toutefois, le commissaire a annulé la mesure de renvoi, ce qui a eu pour effet de permettre au défendeur d’aller et venir à sa guise. Le ministre met l’accent sur les paragraphes 22 et 23 de la décision, lesquels se lisent ainsi :

[22]      Il s’agit pour moi d’établir si, à la lumière des facteurs favorables que j’ai énumérés, surtout le fait que l’appelant est au Canada depuis 40 à 43 ans, qu’il n’a été déclaré coupable d’aucune infraction depuis sept ans et qu’il n’a commis aucune infraction devant faire l’objet d’un rapport depuis 1998, je devrais néanmoins prolonger le sursis en tant que conséquence directe de ses violations des conditions existantes. Et j’ai conclu que ce n’est pas une mesure sensée sur le plan économique en ce moment. Si l’appelant est déclaré coupable de l’infraction, et qu’il s’agit d’une infraction devant faire l’objet d’un  rapport, le ministre décidera ce qu’il voudra faire.

[23]      Si l’appelant commet d’autres infractions criminelles, je suis certaine que son très compétent conseil l’a informé des changements apportés à la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, qui font que toute peine de plus de six mois entraînera son renvoi automatique, sans possibilité d’appel. Si cela n’est pas suffisant pour dissuader l’appelant, il n’y a rien qui puisse être fait. Cependant, compte tenu des facteurs favorables, il n’est pas logique, selon moi, de faire perdurer la présente affaire aux dépens de la Section d’appel de l’immigration, de l’Agence des services frontaliers du Canada et, semble-t-il, de l’aide juridique. Par conséquent, je fais droit au présent appel.

[4]               Le commissaire a fait remarquer que M. Lewis était en défaut technique quant au respect des conditions qui lui avaient été imposées. Il considérait que ce qu’on appelle les « facteurs Ribic » l’emportait sur tout, cela découlant d’une décision antérieure de la Section d’appel de l’immigration dans Ribic c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1985] DSAI no 4, qui a établi la norme relative aux sursis à l’exécution des mesures de renvoi et a été approuvée par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Chieu c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CSC 3, [2002] 1 RCS 84.

[5]               La Commission a déclaré que, dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire, elle devait examiner l’ensemble des circonstances de l’affaire, y compris a) la gravité de l’infraction ou des infractions ayant donné lieu à l’expulsion; b) la possibilité de réadaptation; c) le manquement aux conditions d’admissibilité, qui est à l’origine de la mesure d’expulsion; d) le temps passé au Canada; e) le degré d’établissement du demandeur; le soutien dont il dispose; f) l’importance des difficultés qui lui seraient causées par le retour dans son pays de nationalité.

[6]               Bien que ces questions font l’objet d’un contrôle selon la norme de la décision raisonnable, il n’est pas nécessaire, en l’espèce, de décider si la décision était par ailleurs raisonnable. Il y a une question d’équité procédurale qui est en dehors de la portée du contrôle judiciaire, dans le sens qu’aucune déférence n’est due au décideur. On pourrait affirmer que la norme de contrôle applicable est la décision correcte (SCFP c Ontario (Ministre du Travail), 2003 CSC 29, [2003] 1 RCS 539).

[7]               Il est reconnu que l’aspect économique du processus n’a pas été soulevé par M. Lewis, par le ministre ou par le commissaire avant que celui‑ci rende sa décision.

[8]               La justice naturelle exige que le ministre ait une possibilité raisonnable de réfuter la preuve présentée contre lui. En fait, il ne savait même pas qu’il y avait une telle preuve, les facteurs économiques n’ayant pas été mis sur la table. L’avocat de M. Lewis a souligné avec énergie qu’aux termes du paragraphe 162(2) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, la Commission devait « fonctionne[r], dans la mesure où les circonstances et les considérations d’équité et de justice naturelle le permettent, sans formalisme et avec célérité ». L’assimilation de l’efficience à l’aspect économique ne cadre pas très bien. Il n’y a qu’à examiner les affaires de « certificats » qui ont puisé des millions de dollars des fonds publics.


JUGEMENT

POUR LES MOTIFS ÉNONCÉS,

LA COUR STATUE que :

1.                  La demande de contrôle judiciaire de la décision, datée du 11 février 2015, de la Section d’appel de l’immigration, de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada, est accueillie.

2.                  L’affaire est renvoyée à un tribunal différemment constitué de la Section d’appel de l’immigration pour nouvel examen.

3.                  Il n’y a aucune question grave de portée générale à certifier.

« Sean Harrington »

Juge

Traduction certifiée conforme

C. Laroche


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-1514-15

INTITULÉ :

MCI c AUSTIN ALPHONSO LEWIS

LIEU DE L’AUDIENCE :

TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 10 NOVEMBRE 2015

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE HARRINGTON

DATE DDU JUGEMENT

ET DES MOTIFS :

LE 13 NOVEMBRE 2015

COMPARUTIONS :

Nicole Rahaman

POUR LE DEMANDEUR

Joo Eun Kim

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DEMANDEUR

Joo Eun Kim

Avocat

Refugee Law Office

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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