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Date : 20151112


Dossier : IMM‑6630‑14

Référence : 2015 CF 1264

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Toronto (Ontario), le 12 novembre 2015

En présence de madame la juge Mactavish

ENTRE :

CHANTHIRAKUMAR SELLATHURAI

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               La Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada a conclu que Chanthirakumar Sellathurai était interdit de territoire au Canada pour des motifs liés à la sécurité en raison du fait qu’il était membre des Tigres de libération de l’Eelam tamoul (TLET), une organisation pour laquelle il y a des motifs raisonnables de croire qu’elle s’est livrée à des actes de terrorisme. M. Sellathurai a ensuite sollicité une dispense ministérielle en vue de lever l’interdiction de territoire visée au paragraphe 34(2) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27. M. Steven Blaney, le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile en poste à l’époque, a rejeté sa demande.

[2]               M. Sellathurai demande maintenant le contrôle judiciaire de la décision du ministre, alléguant que celui‑ci a manqué à son devoir d’équité à son endroit parce qu’il n’a pas motivé personnellement sa décision ou parce qu’il ne s’est pas fondé de manière appropriée sur le raisonnement offert par un représentant du ministère pour motiver sa décision. Selon M. Sellathurai, le ministre a également commis une erreur parce qu’il a tiré une conclusion défavorable quant à sa crédibilité sans d’abord l’avoir personnellement interrogé et parce qu’il n’a pas fait une évaluation nuancée de sa demande de dispense ministérielle.

[3]               Pour les motifs qui suivent, contrairement à ce qu’a allégué le demandeur, le ministre n’a pas commis d’erreur sur cette question. Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire de M. Sellathurai est rejetée.

I.                   Contexte

[4]               M. Sellathurai est un Tamoul du Sri Lanka qui affirme avoir commencé à participer aux causes tamoules en 1982, lorsqu’il a joint le Front uni de libération tamoule (TULF). En 1983, M. Sellathurai a été arrêté par la police sri‑lankaise en raison de sa participation au sein de l’organisation, et il affirme que c’est à partir de ce moment qu’il a commencé à appuyer les Tigres de libération de l’Eelam tamoul (TLET).

[5]               M. Sellathurai soutient qu’il ne s’est jamais joint officiellement aux TLET, car il ne croit pas en la violence. Il reconnaît toutefois qu’il a fourni du soutien aux TLET afin d’atténuer la pression exercée sur lui pour qu’il se joigne officiellement à l’organisation. Entre autres choses, M. Sellathurai indique qu’il a fourni de la nourriture et des breuvages lors de réunions, distribué des tracts, participé à des activités de financement, aidé au recrutement et fourni des services de transport aux TLET. M. Sellathurai a également appuyé les TLET dans l’administration civile de Jaffna entre 1986 et 1987, en s’acquittant de travaux bénévoles, notamment en amenant des personnes blessées à l’hôpital, en construisant des abris antiaériens, en collectant des denrées et des vêtements et en aidant les personnes itinérantes.

[6]               Dans le cadre d’une décision prise en 2001 à l’issue d’une enquête, la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (CISR) a conclu que les activités réalisées par M. Sellathurai au nom des TLET étaient suffisantes pour qu’il soit jugé être un membre de l’organisation. Pour arriver à cette conclusion, le Conseil a jugé que les efforts réalisés par M. Sellathurai au nom des TLET étaient [traduction« importants et essentiels pour [le groupe] », et que ses activités constituaient [traduction« des composantes nécessaires au fonctionnement continu des TLET ». La demande d’autorisation en vue du contrôle judiciaire de cette décision déposée par M. Sellathurai a été rejetée, ce qui a fait en sorte que la conclusion de la CISR est maintenant définitive en ce qui concerne cette question.

[7]               M. Sellathurai s’est joint à l’Association mondiale tamoule (AMT) après son arrivée au Canada en 1987 et il est demeuré associé à l’organisation jusqu’en 1997. Il occupait le poste de directeur au sein de l’AMT de 1989 à 1992, bien qu’il ait nié exercer des fonctions de leadership au sein de l’organisation. La participation de M. Sellathurai au sein de l’AMT se traduisait principalement par du bénévolat au journal de l’ATM, la transmission de nouvelles du Sri Lanka par l’entremise de la radio et du téléphone, la participation à la production d’une émission à la radio locale, ainsi qu’à l’animation d’événements culturels et sociaux de l’AMT. M. Sellathurai a également participé à la collecte de fonds pour l’AMT de 1991 à 1994, bien que le montant des sommes amassées par lui soit contesté. M. Sellathurai reconnaît maintenant que les sommes qu’il a amassées ont ensuite été transmises aux TLET au Sri Lanka, mais il n’était pas au courant de ce fait à l’époque.

II.                Le dossier d’immigration de M. Sellathurai

[8]               M. Sellathurai est arrivé au Canada le 21 avril 1987, et il a présenté une demande d’asile à son arrivée. Le 31 janvier 1990, on a conclu que sa demande d’asile avait un minimum de fondement pour obtenir le statut de réfugié au sens de la Convention, lui permettant de présenter directement une demande de résidence permanente au Canada sans qu’il soit nécessaire que la CISR se prononce officiellement sur sa demande d’asile. Ainsi, il n’a jamais été déterminé que M. Sellathurai avait qualité de réfugié au sens de la Convention.

[9]               M. Sellathurai a présenté une demande de résidence permanente le 8 juin 1992 qui a été rejetée le 14 juillet 1997. Le refus découlait de la décision de Citoyenneté et Immigration Canada selon laquelle il y avait des motifs raisonnables de croire qu’il était une personne non admissible au Canada aux termes de la division 19(1)f)(iii)(B) de la Loi sur l’immigration, LRC (1985), c I‑2, en raison de ses activités au sein des TLET. La CISR a pris une décision définitive concernant la non‑admissibilité de M. Sellathurai en octobre 2001, concluant qu’il était en fait un membre des TLET et qu’il était par conséquent une personne non admissible aux termes du division 19(1)f)(iii)(B). Comme je l’ai indiqué précédemment, M. Sellathurai a sollicité l’autorisation de demander le contrôle judiciaire de cette décision, ce qui a été refusé le 7 novembre 1997.

[10]           Le 20 août 2002, M. Sellathurai a présenté une demande de dispense ministérielle concernant les conclusions relatives à l’interdiction de territoire [personne non admissible, suivant le libellé de l’ancienne version de la loi], en présentant des observations détaillées à l’appui de sa demande. Il a fourni des observations additionnelles en mars 2006, mai 2006, juillet 2007, octobre 2008, décembre 2008, janvier 2013 et février 2014.

[11]           M. Sellathurai a reçu les recommandations provisoires que l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC) avait formulées à l’intention du ministre en avril 2006, septembre 2008, juillet 2010, juillet 2011 et décembre 2013. L’ASFC a fourni sa recommandation définitive au ministre le 4 juillet 2014, et ce dernier a décidé de rejeter la demande de M. Sellathurai le 19 août 2014. C’est la décision de refuser d’accorder la dispense à M. Sellathurai aux termes du paragraphe 34(2) de la LIPR qui sous‑tend la présente demande de contrôle judiciaire.

III.             La décision du ministre

[12]           Comme le veut la pratique dans des affaires similaires à celle de l’espèce, l’ASFC a rédigé une note d’information qui résumait la demande aux fins d’examen par le ministre. Le sommaire dans cette affaire compte 15 pages. Il offre un aperçu du processus de dispense ministérielle et indique le critère juridique que le ministre doit appliquer pour décider si une dispense devrait être accordée à M. Sellathurai. Le document fournit d’autres renseignements généraux concernant les TLET et l’AMT. Il offre ensuite un examen du dossier d’immigration de M. Sellathurai et traite d’une question concernant la divulgation qui a été soulevée à une étape du processus.

[13]           Sous le titre [traduction« Éléments pris en compte » de la note d’information, il y a une description détaillée de la participation de M. Sellathurai au sein des TLET et de l’AMT, y compris sa version de divers événements et sa position sur différentes questions. La note présente ensuite une évaluation de la demande de M. Sellathurai, et traite des éléments de preuve obtenus à l’encontre de M. Sellathurai et explique les raisons pour lesquelles les arguments de M. Sellathurai concernant différentes questions devraient être rejetés. L’analyse se conclut par une recommandation du président de l’ASFC qui indique que la dispense ministérielle demandée par M. Sellathurai ne devrait pas lui être accordée.

[14]           Le document se termine par une déclaration du ministre dans laquelle il indique : [traduction« Je ne suis pas convaincu que la présence de M. Chanthirakumar Sellathurai au Canada ne serait nullement préjudiciable à l’intérêt national. Je rejette la demande de dispense. »

IV.             Analyse

[15]           Avant d’examiner les arguments de M. Sellathurai, il est important de commencer par souligner que c’est à celui qui demande la dispense ministérielle qu’il incombe de convaincre le ministre que sa présence au Canada ne serait pas préjudiciable à l’intérêt national : Al Yamani c Canada (Sécurité publique et de la Protection civile), 2007 CF 381, 311 F.T.R. 193, au paragraphe 69.

[16]           En raison de la nature discrétionnaire des décisions prises aux termes du paragraphe 34(2), la norme de la décision raisonnable s’ applique au contrôle d’une décision au fond de refuser la dispense ministérielle : Agraira c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2013 CSC 36, [2013] 2 RCS 559, aux paragraphes 49 et 50.

[17]           En gardant ces principes à l’esprit, j’examinerai les arguments de M. Sellathurai concernant les erreurs qui à son avis auraient été commises dans la décision faisant l’objet du contrôle.

V.                Le ministre a‑t‑il adopté la note d’information dans ses motifs?

[18]           M. Sellathurai soutient tout d’abord qu’on ne peut présumer que le ministre a adopté le raisonnement contenu dans la note d’information, et qu’il devait fournir ses propres motifs pour justifier son refus de la dispense. En l’absence de tels motifs, M. Sellathurai soutient qu’il ne peut pas savoir si le ministre a réalisé une évaluation nuancée de sa demande, de sorte que la décision du ministre est dépourvue de la justification, de la transparence et de l’intelligibilité nécessaires pour être raisonnable : Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190, au paragraphe 47.

[19]           Citant l’arrêt Suresh c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CSC 1, [2002] 1 RCS 3, de la Cour suprême, M. Sellathurai soutient que dans le contexte factuel précis de la présente affaire, le ministre ne pouvait pas simplement se servir d’une recommandation des représentants du ministère comme motifs.

[20]           L’argument soulevé par M. Sellathurai a été examiné et rejeté dans de nombreuses décisions de la Cour : voir, par exemple, Al Yamani, précitée, aux paragraphes 52 et 54 à 59; Miller c Canada (Solliciteur général), 2006 CF 912, [2007] 3 RCF 438, aux paragraphes 61 et 62. Qui plus est, cet argument a aussi été rejeté par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Canada (Sécurité publique et Protection civile) c Khalil, 2014 CAF 213, 464 NR 98, au paragraphe 29.

[21]           M. Sellathurai estime qu’une distinction doit être établie entre la présente espèce et ces décisions, et il allègue que même si une note d’information peut constituer les motifs d’une décision du ministre, le ministre n’a pas en l’espèce officiellement fait siens ces motifs. Ceci étant dit, au lieu de précisément indiquer qu’il souscrivait aux conclusions contenues dans la note d’information, comme cela semblait être le cas dans le jugement Miller, le ministre s’est contenté en l’espèce de dire au sujet de la note d’information qu’il n’était [traduction« pas convaincu que la présence de M. Chanthirakumar Sellathurai au Canada ne serait nullement préjudiciable à l’intérêt national ». Le ministre n’a à aucun endroit indiqué précisément que la note d’information constituait ses motifs.

[22]           Je ne retiens pas cette observation, qui selon moi, est fondée sur une lecture sélective du document. L’analyse contenue dans la note d’information se conclut par une déclaration du président de l’ASFC dans laquelle il affirme que [traduction« l’ASFC n’est pas convaincue que la présence de M. Sellathurai au Canada ne serait nullement préjudiciable à l’intérêt national ». Immédiatement avant la page réservée à la signature du ministre, le président affirme ce qui suit : [traduction« L’ASFC vous demande d’examiner les pièces jointes à la lumière de l’évaluation de l’Agence et d’indiquer si vous approuvez ou refusez la demande de dispense ministérielle déposée par M. Sellathurai. » La note informe ensuite le ministre que s’il [traduction« souscrit à la recommandation de l’ASFC de refuser la demande de dispense ministérielle, M. Sellathurai ne sera pas soustrait à l’interdiction de territoire... » La recommandation se termine comme suit : [traduction« Si vous ne souscrivez pas à la recommandation de l’ASFC de rejeter la demande de dispense ministérielle soumise par M. Sellathurai, veuillez fournir des motifs. »

[23]           Le ministre a coché la case indiquant que la demande de dispense était rejetée, laquelle était située sous l’énoncé suivant : [traduction« Je ne suis pas convaincu que la présence de M. Chanthirakumar Sellathurai au Canada ne serait nullement préjudiciable à l’intérêt national. »

[24]           Lorsque la décision du ministre est examinée dans ce contexte, il est clairement implicite que, en souscrivant à la recommandation contenue dans la note d’information, le ministre faisait sien le raisonnement du président de l’ASFC. L’obligation de produire des motifs vise à ce que la personne touchée par la décision comprenne pourquoi elle a été prise. L’examen du document au complet révèle les raisons pour lesquelles le ministre a décidé de ne pas accorder la dispense ministérielle à M. Sellathurai, et rien ne démontre qu’une erreur a été commise sur ce point.

VI.             M. Sellathurai avait‑il droit à une audience?

[25]           M. Sellathurai soutient également qu’il a été privé de son droit à l’équité procédurale dans la présente affaire, car les conclusions relatives à la crédibilité ont été tirées dans la note d’information sans qu’il ait d’abord bénéficié d’une audience.

[26]           Lorsqu’est soulevée une question d’équité procédurale, la Cour doit examiner si le processus suivi par le décideur satisfait au degré d’équité requis dans toutes les circonstances : voir Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, [2009] 1 RCS 339, au paragraphe 43.

[27]           Le droit à une audience orale n’est pas absolu. Comme la Cour suprême l’a souligné dans l’arrêt Baker c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 RCS 817, 174 DLR (4th) 193, aux paragraphes 30 à 34, les principes de l’équité procédurale exigent qu’une partie ait une occasion valable de participer aux délibérations et qu’elle puisse présenter sa position pleinement et équitablement. Ce principe doit s’appliquer avec souplesse. Toutefois, selon la nature de l’instance, certains dossiers nécessitent une audience, et d’autres non. La question primordiale dans tous les cas est celle de savoir si la partie a eu une occasion véritable de participer aux délibérations.

[28]           Je conviens que la décision faisant l’objet du contrôle a des conséquences importantes pour M. Sellathurai, ce qui donne à penser que sa situation commande un degré plus élevé d’équité procédurale que certaines autres. Toutefois, la Cour suprême a affirmé dans l’arrêt Baker, que même lorsqu’une partie a droit à un niveau élevé d’équité procédurale, une audience n’est pas nécessairement requise si la partie dispose d’autres façons de participer valablement dans les délibérations : aux paragraphes 32 à 34.

[29]           C’est clairement le cas en l’espèce. M. Sellathurai a été interrogé en personne à plusieurs reprises. Il a été interrogé en personne une première fois par le CIC en 1987, et à d’autres occasions par le Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS). Il a bénéficié d’une audience devant la Commission de l’immigration et du statut de réfugié, où il a eu l’occasion de fournir des renseignements sur l’étendue et la nature de sa participation auprès des TLET. Il a été mis au fait des recommandations provisoires de l’ASFC, et il a fourni des observations détaillées en réponse à ces recommandations à environ huit occasions distinctes.

[30]           M. Sellathurai a ainsi eu tout le loisir de participer valablement au processus, et je suis convaincue que dans ces circonstances, les exigences en matière d’équité procédurale sont respectées malgré le fait que M. Sellathurai n’a pas été interrogé en personne par l’ASFC ou le ministre.

VII.          La décision du ministre était‑elle raisonnable?

[31]           Les autres observations de M. Sellathurai portent sur le caractère raisonnable de la décision du ministre. Son principal argument est que la note d’information de l’ASFC n’était pas nuancée, ce qui a fait en sorte que la décision du ministre était déraisonnable parce qu’elle était fondée sur un sommaire inéquitable des faits.

[32]           Le paragraphe 34(2) de la LIPR habilite le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile à accorder une dispense au demandeur interdit de territoire sur le fondement du paragraphe 34(1) lorsqu’il est en mesure de convaincre le ministre que « sa présence au Canada ne serait nullement préjudiciable à l’intérêt national ».

[33]           La Cour suprême du Canada a énoncé dans l’arrêt Agraira, précité, le critère que doit appliquer le ministre pour décider si une dispense ministérielle devrait être octroyée dans un cas donné. Dans cet arrêt, la Cour a affirmé « qu’un large éventail de facteurs peuvent s’avérer pertinents à l’égard de la détermination du contenu de l’“intérêt national” pour les besoins de la mise en œuvre du par. 34(2) » : au paragraphe 87. En général, le ministre doit être guidé par des facteurs précisés dans les lignes directrices de CIC concernant « l’intérêt national », notamment :

1.                  La présence du demandeur au Canada est‑elle inconvenante pour le public canadien?

2.                  Les liens du demandeur avec l’organisation/le régime sont‑ils complètement rompus?

3.                  Y a‑t‑il des indications quelconques que le demandeur pourrait bénéficier d’un avoir obtenu lorsqu’il était membre de l’organisation?

4.                  Y a‑t‑il des indications quelconques que le demandeur pourrait retirer des bénéfices de son appartenance passée à l’organisation/au régime?

5.                  Le demandeur a‑t‑il adopté les valeurs démocratiques de la société canadienne?

Agraira, précité, au paragraphe 87 et à l’annexe D du guide opérationnel

[34]           La Cour a jugé raisonnable une interprétation de l’intérêt national qui a trait principalement à la sécurité nationale et la sécurité publique, mais qui n’écarte pas les autres considérations importantes énoncées dans le guide opérationnel ni d’autres considérations analogues.

[35]           M. Sellathurai ne conteste pas le critère qui a été appliqué dans la présente affaire, mais il conteste plutôt son application aux faits. Toutefois, il n’appartient pas à la Cour siégeant dans le cadre d’un contrôle judiciaire de la décision du ministre d’utiliser un nouveau processus d’évaluation de la preuve : Agraira, au paragraphe 91.

[36]           Gardant à l’esprit les principes pertinents, j’examinerai maintenant l’allégation de M. Sellathurai selon laquelle l’évaluation de sa demande de dispense ministérielle n’était ni équitable ni nuancée.

[37]           Je commencerai par souligner que M. Sellathurai admet que, bien qu’il n’ait jamais cherché à être un membre officiel des TLET, il était considéré, à juste titre, comme un « membre » d’après l’interprétation libérale de la notion de membre dans la jurisprudence. Il soutient toutefois que [traduction« les membres ne sont pas tous pareils », et qu’une évaluation équitable et nuancée de son degré de participation aux causes pro‑Tamouls permettrait à une personne raisonnable de conclure que sa présence au Canada ne serait nullement préjudiciable à l’intérêt national.

a)         Défaut d’examiner la question de l’autodétermination

[38]           Premièrement, M. Sellathurai soutient que le ministre n’a pas tenu compte de la situation des Tamouls au Sri Lanka. M. Sellathurai fait référence à l’oppression de longue date exercée par la majorité cingalaise à l’encontre de la population tamoule du Sri Lanka, et fait valoir que les activités auxquelles il a participé doivent être examinées à la lumière du droit de la population tamoule à l’autodétermination et de ne pas à être soumise à l’oppression.

[39]           Cet argument de M. Sellathurai pose problème parce que l’auteur de la note d’information y renvoie à de nombreuses reprises et l’aborde même directement à la page 12 du document. L’auteur y indique que bien que le droit international reconnaisse le droit à l’autodétermination, il n’admet pas l’utilisation de la violence ou de la force à l’appui de cet objectif. Le ministre était donc au courant de la position de M. Sellathurai sur cette question, et une explication a été donnée pour indiquer pourquoi son observation devrait être rejetée.

b)         Les activités des TLET au moment où M. Sellathurai est devenu membre

[40]           M. Sellathurai soutient également que sa participation directe aux activités des TLET a eu lieu en 1983 et 1984, soit au tout début de l’existence des TLET, et qu’il ne pouvait pas savoir que l’organisation deviendrait si violente plus tard. Selon M. Sellathurai, il est injuste d’affirmer qu’il avait connaissance des activités violentes des TLET alors que c’était impossible au moment où il a commencé à collaborer avec l’organisation.

[41]           Or, rien au dossier n’étaye l’allégation de M. Sellathurai selon laquelle il n’était pas possible de conclure que les TLET menaient des activités terroristes au moment de sa collaboration. Le ministre disposait de nombreux éléments de preuve documentaire démontrant que les TLET, tant à leurs débuts que maintenant, avaient participé à des activités violentes avant que M. Sellathurai s’associe à l’organisation.

c)         La nature de la participation de M. Sellathurai avec les TLET

[42]           M. Sellathurai soutient également que le ministre n’avait pas accordé suffisamment de poids au fait qu’il n’avait pas personnellement participé aux activités violentes menées au nom des TLET. Comme je l’ai souligné précédemment, il n’appartient pas à la Cour siégeant dans le cadre d’un contrôle judiciaire de la décision du ministre d’utiliser un nouveau processus d’évaluation de la preuve. De plus, la note d’information décrit précisément la nature des activités auxquelles a participé M. Sellathurai : le ministre était donc au courant que M. Sellathurai avait personnellement participé aux activités violentes menées au nom des TLET.

[43]           Le ministre était toutefois au courant du fait que la CISR avait auparavant conclu que les efforts déployés par M. Sellathurai au nom des TLET étaient [traduction« importants et essentiels pour [le groupe] », et que ses activités constituaient [traduction« des composantes nécessaires au fonctionnement continu des TLET ».

d)         La participation de M. Sellathurai au sein de l’AMT

[44]           M. Sellathurai soutient que le ministre a omis de tenir compte du fait que l’AMT ne figurait pas parmi les entités terroristes interdites du gouvernement du Canada au moment où il s’est joint à l’organisation vers la fin des années 80. Toutefois, la note d’information renvoie précisément au fait que M. Sellathurai avait mis fin à son association avec l’AMT avant que l’organisation ne figure sur la liste des entités terroristes. On y indique également que la décision du gouvernement de désigner l’AMT comme étant une entité terroriste était fondée sur des activités présentes et passées de l’organisation, y compris des activités qui ont eu lieu au moment où M. Sellathurai était engagé auprès de l’organisation.

[45]           Dans la note, il est également indiqué que M. Sellathurai était au courant des préoccupations du gouvernement concernant les liens entre l’AMT et les TLET, car il a déclaré s’être finalement dissocié de l’AMT en 1997 étant donné qu’il craignait que sa participation continue au sein de l’organisation nuise à l’obtention de la résidence permanente au Canada. L’auteur de la note faisait également remarquer qu’une information provenant de sources ouvertes indiquait que l’AMT amassait déjà des fonds pour les TLET depuis la fin des années 80, et qu’il était notoire que l’organisation servait de couverture pour les TLET. M. Sellathurai reconnaît lui‑même que la communauté tamoule du Canada était bien au fait de cette situation, et ce, même s’il a fourni des éléments de preuve contradictoires concernant la mesure dans laquelle il était au courant des liens entre l’AMT et les TLET.

[46]           M. Sellathurai soutient également que sa participation au journal et aux activités radiophoniques de l’AMT était protégée par la liberté d’expression enchâssée dans la Charte. Là encore, cet argument n’a pas été ignoré et on en faisait précisément état dans la note d’information. En avançant cet argument, M. Sellathurai ne tient pas compte du fait que les tribunaux ont précisément affirmé que les activités liées aux organisations terroristes ne peuvent être protégées par Charte : Suresh c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] 2 CF 592, 183 DLR (4th) 629, aux paragraphes 35 et 36.

[47]           Enfin, même si M. Sellathurai reconnaît qu’il a amassé des fonds pour l’AMT au Canada, il conteste la déclaration figurant dans la note d’information selon laquelle il admet avoir amassé environ 13 000 $ pour l’AMT. Selon M. Sellathurai, il s’agissait d’une conclusion défavorable quant à sa crédibilité qui n’aurait pas dû être tirée sans la tenue d’une entrevue. 

[48]           La déclaration selon laquelle M. Sellathurai admet avoir amassé 13 000 $ pour l’AMT figure dans les notes prises au moment où M. Sellathurai a été interrogé par le SCRS. M. Sellathurai ne nie pas avoir fait cette déclaration, mais il affirme ne pas en avoir souvenir. De plus, dans la note d’information, il était expressément indiqué que M. Sellathurai contestait le montant d’argent qu’il avait amassé au nom de l’AMT et aucune conclusion n’y était tirée sur cette question. Toutefois, l’élément important était le fait qu’il avait amassé des fonds pour l’AMT et non la valeur monétaire précise de ces fonds.

[49]           M. Sellathurai nie également qu’il savait que les fonds amassés étaient envoyés aux TLET. Dans la note d’information, il est indiqué que M. Sellathurai a fourni des renseignements contradictoires quant à sa connaissance de l’utilisation des fonds amassés. L’ASFC a tenu compte des éléments de preuve contradictoire et elle est arrivée à la conclusion que M. Sellathurai savait probablement que les fonds qu’il avait amassés étaient transmis aux TLET.

VIII.       Conclusion

[50]           Après avoir examiné attentivement les observations de M. Sellathurai, j’ai conclu que le ministre a respecté les directives données par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Agraira, qu’il a tenu compte de tous les facteurs pertinents et qu’il a évalué l’ensemble de la preuve dont il disposait. Dans ses observations, M. Sellathurai demande essentiellement à la Cour de soupeser de nouveau la preuve et de tirer une conclusion différente.

[51]           Il incombait à M. Sellathurai de démontrer que sa présence continue au Canada ne serait nullement préjudiciable à l’intérêt national. Le ministre a refusé d’octroyer une dispense discrétionnaire à M. Sellathurai, car il n’était pas convaincu que le demandeur s’était acquitté de ce fardeau. La conclusion du ministre était raisonnable à la lumière du dossier dont il disposait.

[52]           La demande de contrôle judiciaire est donc rejetée. Je conviens avec les parties que la présente affaire repose sur des faits qui lui sont propres et ne soulève aucune question qui se prêterait à la certification.


JUGEMENT

LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit rejetée.

« Anne L. Mactavish »

Juge

Traduction certifiée conforme

Elise Colas


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑6630‑14

 

INTITULÉ :

CHANTHIRAKUMAR SELLATHURAI c LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 4 NOVEMBRE 2015

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE MACTAVISH

 

DATE DES MOTIFS :

LE 12 NOVEMBRE 2015

 

ONT COMPARU :

Barbara Jackman

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Gregory George

Ada Mok

 

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Jackman, Nazami and Associates

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

POUR LE DÉFENDEUR

 

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