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Date : 20151117


Dossier : IMM-1667-15

Référence : 2015 CF 1284

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Toronto (Ontario), le 17 novembre 2015

En présence de monsieur le juge Shore

ENTRE :

MONIR DARVISHPOUR HASSANKIADEH

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   Aperçu

[1]               La situation des personnes qui se convertissent au christianisme en Iran est grave. Elles risquent d’être victimes de persécution de la part des autorités, et elles encourent même la peine de mort :

[traduction] La Constitution ne prévoit pas de droit, pour les citoyens musulmans, de choisir leurs croyances religieuses, d’y renoncer ou d’en changer. Le gouvernement tient pour musulman l’enfant né d’un père musulman, et considère la conversion à une autre religion que l’Islam comme de l’apostasie, laquelle est punissable de mort. [Non souligné dans l’original.]

(Département d’État américain, International Religious Freedom Report for 2014, Iran)

Les personnes converties de l’islam au christianisme risquent de subir des préjudices de la part des autorités gouvernementales, étant donné qu’elles sont considérées comme des apostates, ce qui constitue une infraction criminelle en Iran. La charia ne permet pas la conversion de l’islam à une autre religion, et il est impossible, pour les individus, de modifier l’appartenance religieuse indiquée sur leurs documents personnels. Les personnes qui se convertissent au christianisme sont exposées à des agressions physiques et à du harcèlement, font l’objet de surveillance et peuvent être arrêtées et détenues et subir de la torture et des mauvais traitements en détention. [Non souligné dans l’original.]

(Home Office du Royaume-Uni, Country Information and Guidance – Iran : Christians and Christian Converts, décembre 2014, à la rubrique 1.3.3)

[2]               L’apostasie est passible de la peine capitale. Qui plus est, même lorsque des chrétiens ou des chrétiens convertis sont remis en liberté sans avoir fait l’objet d’accusations en Iran, le risque de persécution est toujours présent pour eux :

[traduction] Jusqu’à ce que la cause soit entendue par les tribunaux, ou que la personne détenue soit libérée sans avoir été accusée, les risques qu’elle ait subi des mauvais traitements ou de la torture durant son incarcération sont importants. Il ne faut pas sous-estimer ce qui peut se produire entre le moment de l’arrestation et l’audience devant le tribunal.

(Service de l’immigration du Danemark, Updated on the Situation for Christian Converts in Iran, juin 2014, sous la rubrique 1.2.2 intitulée « Iranian legislation and cases against converts ».)

II.                Introduction

[3]               La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la LIPR) à l’encontre de la décision, datée du 27 février 2015, par laquelle un agent principal d’immigration (l’agent) a rejeté la demande d’examen des risques avant renvoi (demande d’ERAR) présentée par la demanderesse.

III.             Contexte

[4]               La demanderesse, Mme Monir Darvishpour Hassankiadeh (âgée de 59 ans), est une citoyenne de l’Iran.

[5]               La demanderesse a allégué, devant la Section de la protection des réfugiés (la SPR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada, qu’elle et sa fille s’étaient converties de l’islam au christianisme après que sa fille se soit réveillée d’un coma en 2003, à la suite d’une tentative de suicide commise après avoir été détenue et violée. La demanderesse et sa fille ont tenté à de nombreuses reprises de venir au Canada après leur conversion au christianisme  : i) en 2004, lorsque la demande de visas de visiteurs présentée pour sa famille a été rejetée; ii) l’été suivant, lorsque sa fille a présenté une demande de visa d’étudiante, sans succès; iii) en 2006, lorsqu’une nouvelle demande de visas pour sa famille a été rejetée; et iv)  plus tard en 2006, lorsque la fille de la demanderesse a contracté un mariage avec un Irano-Canadien afin d’obtenir un statut au Canada, après avoir vécu des expériences traumatisantes en Iran.

[6]               La fille de la demanderesse est arrivée au Canada en avril 2009 sur le fondement de ce mariage frauduleux. Incapable d’obtenir un statut au Canada grâce à cette union, la fille de la demanderesse a présenté une demande d’asile en mai 2010. La demanderesse est arrivée au Canada en janvier 2011 pour visiter sa fille aînée, qui a la double citoyenneté canadienne et iranienne. La demanderesse a présenté une demande d’asile en octobre 2011, et sa demande a été jointe à celle de sa fille. Dans une décision datée du 14 septembre 2012, la SPR, après avoir conclu que la demanderesse et sa fille n’étaient pas d’authentiques converties au christianisme, a rejeté leurs demandes d’asile. En particulier, la SPR a conclu que le témoignage de la demanderesse était souvent vague, évasif et ponctué de démonstrations théâtrales lorsqu’elle parlait de questions religieuses, et que son témoignage était truffé d’incohérences et de contradictions.

[7]               En octobre 2013, la demanderesse a déposé une demande d’ERAR sans faire appel à un conseil. Cette première demande d’ERAR a été rejetée en mai 2014. La demanderesse a alors présenté à la Cour une demande de contrôle judiciaire (IMM‑5461‑14), mais les parties sont parvenues à une entente et ont convenu que la demande d’ERAR serait réexaminée. La demanderesse a soumis quantité de nouveaux éléments de preuve accompagnés d’observations, puis, après un nouvel examen, l’agent a rejeté la demande d’ERAR de la demanderesse (la demande) dans une décision datée du 27 février 2015.

IV.             La décision faisant l’objet du contrôle

[8]               Dans sa décision, l’agent a conclu qu’advenant son retour en Iran, la demanderesse ne serait pas exposée au risque d’être persécutée ou d’être soumise à de la torture, ni exposée à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités. Puisque les nouveaux éléments de preuve soumis par la demanderesse — notamment des affidavits, des lettres, des photographies, des documents sur la situation dans le pays et un rapport médical — ne contredisaient en rien les conclusions de la SPR au sujet de la crédibilité de cette dernière, l’agent n’y a accordé aucun poids. En particulier, il a conclu que la demanderesse n’avait pas fourni suffisamment d’éléments de preuve pour établir que sa conversion au christianisme au Canada était motivée par des convictions, et non par des raisons de convenance, étant donné que, selon l’agent, les affidavits de deux pasteurs et d’un révérend attestaient seulement la participation de la demanderesse aux activités de l’église, et non ses motivations. Par ailleurs, l’agent a conclu que la demanderesse n’avait pas présenté une preuve suffisante pour démontrer qu’elle serait persécutée en Iran. Enfin, l’agent a conclu que la demanderesse n’était pas exposée à un risque de persécution pour la simple raison qu’elle avait présenté une demande d’asile Canada. Il a souligné que, à aucun moment au cours du processus de renvoi du Canada, les autorités iraniennes ou autres administrations étrangères ne sont informées officiellement du fait qu’une personne a présenté une demande d’asile au Canada.

V.                La Loi

[9]               Les dispositions législatives suivantes de la LIPR s’appliquent en l’espèce :

Définition de « réfugié »

Convention refugee

96. A qualité de réfugié au sens de la Convention — le réfugié — la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

96. A Convention refugee is a person who, by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or

b) soit, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.

(b) not having a country of nationality, is outside the country of their former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, unwilling to return to that country.

Personne à protéger

Person in need of protection

97. (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

97. (1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au sens de l’article premier de la Convention contre la torture;

(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning of Article 1 of the Convention Against Torture; or

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :

(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

    (i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

      (i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,

    (ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas,

      (ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,

    (iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes — sauf celles infligées au mépris des normes internationales — et inhérents à celles-ci ou occasionnés par elles,

      (iii) the risk is not inherent or incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards, and

    (iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.

      (iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care.

(2) A également qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et fait partie d’une catégorie de personnes auxquelles est reconnu par règlement le besoin de protection.

(2) A person in Canada who is a member of a class of persons prescribed by the regulations as being in need of protection is also a person in need of protection.

VI.             Thèses des parties

[10]           La demanderesse soutient que l’agent a commis plusieurs erreurs susceptibles de contrôle, à savoir qu’il a rejeté à tort la preuve d’expert; n’a pas tenu compte des nouveaux éléments de preuve concernant l’authenticité de sa foi et de sa pratique du christianisme; a commis une erreur en n’accordant aucun poids à l’affidavit du prêtre Tabiany; a tiré la conclusion erronée qu’elle ne courait aucun risque en tant que demanderesse d’asile déboutée et, enfin, qu’il a manqué à son obligation d’équité procédurale en refusant de tenir une audience.

[11]           Pour sa part, le défendeur soutient que le processus d’ERAR ne constitue pas un appel de la conclusion de la SPR. L’agent fait en outre valoir qu’il était raisonnable de sa part de conclure que les nouveaux éléments de preuve présentés par la demanderesse à l’appui de sa demande d’ERAR ne suffisaient pas à réfuter les conclusions de la SPR quant à l’absence de crédibilité de la demanderesse. D’après le défendeur, il était également raisonnable, pour l’agent, d’accorder peu de valeur probante à l’avis d’expert, dans la mesure où celui-ci reposait sur des faits jugés non crédibles par la SPR, au même titre qu’il était raisonnable de rejeter les affidavits des pasteurs et du révérend, puisque ceux-ci ne palliaient pas le caractère vague, évasif et contradictoire du témoignage de la demanderesse devant la SPR. Et ce d’autant plus à la lumière du témoignage de la demanderesse quant à sa participation aux services religieux de l’église chrétienne protestante en Iran, témoignage que la SPR a jugé non crédible après avoir conclu que les autorités iraniennes n’exercent pas de surveillance sur les églises. En ce qui a trait à la question de l’audience, le défendeur avance que celle-ci n’est pas requise. L’agent d’ERAR ne tient des audiences en personne que dans des cas exceptionnels, et, en l’espèce, la tenue d’une audience n’était pas justifiée, puisque tous les facteurs visés à l’alinéa 113b) de la LIPR n’étaient pas respectés. Enfin, le défendeur fait valoir que la conclusion de l’agent — selon laquelle la demanderesse ne serait pas exposée à des risques en Iran du fait qu’elle a présenté une demande d’asile au Canada —  était raisonnable, vu qu’elle ne s’est pas acquittée du fardeau de la preuve qui lui incombait d’établir un lien entre sa situation personnelle et celle ayant cours en Iran.

VII.          La norme de contrôle

[12]           La norme de contrôle applicable aux conclusions de fait et aux conclusions mixtes de fait et de droit tirées par les agents d’ERAR est celle de la décision raisonnable (Nebie c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 701).

[13]           Étant donné qu’elles sont une composante essentielle de la compétence des agents d’immigration, notamment les agents d’ERAR, et qu’elles commandent une retenue considérable de la part de la Cour, les conclusions tirées par eux relativement au droit à une audience doivent elles aussi être examinées en fonction de la norme de la décision raisonnable (Ndagijimana c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 43; Matano c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 1290).

VIII.       Analyse

[14]           La question fondamentale à trancher dans le cadre de la présente demande de contrôle judiciaire est celle de savoir si la décision d’ERAR de l’agent était raisonnable. Après avoir examiné soigneusement les observations des parties et analysé en profondeur l’ensemble de la preuve, la Cour estime que cette décision était déraisonnable.

[15]           L’objet de l’ERAR n’est pas contesté; il est de permettre à une personne visée par une mesure de renvoi de présenter une demande de protection (Raza c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CAF 385, au paragraphe 10 [Raza]; article 112 de la LIPR). En bref, une demande d’ERAR sera accueillie — sous réserve des restrictions relatives à la criminalité ou à la sécurité nationale — si, au moment de sa présentation, le demandeur satisfait à la définition de « réfugié au sens de la Convention », au sens de l’article 96 de la LIPR, ou à la définition de « personne à protéger », au sens de l’article 97 de la LIPR (Raza, précité, au paragraphe 11; article 112 de la LIPR). Le demandeur qui obtient gain de cause dans sa demande d’ERAR se verra conférer l’asile (paragraphe 114(1) de la LIPR).

[16]           Il est bien établi que l’ERAR ne constitue pas un appel d’une décision défavorable de la SPR, et que l’agent d’ERAR doit faire preuve de retenue à l’égard d’une décision de celle-ci. Néanmoins, l’agent doit chercher à savoir si de nouveaux faits ou éléments de preuve ont été mis au jour depuis la décision défavorable de la SPR :

[50]      L’agent d’ERAR n’est pas un tribunal administratif quasi judiciaire et il n’exerce pas non plus le rôle d’une juridiction d’appel à l’égard des décisions de la SPR. L’agent d’ERAR est un employé du ministre, dont les actions relèvent du pouvoir discrétionnaire de son employeur (dans la mesure où ce pouvoir est circonscrit par la Loi et le Règlement). L’agent d’ERAR doit faire preuve de retenue à l’égard d’une décision de la SPR, dans la mesure où les faits restent inchangés depuis le moment où elle l’a rendue. L’agent d’ERAR cherche plutôt précisément à savoir si de nouveaux éléments de preuve sont mis au jour depuis la décision défavorable de la SPR pour déterminer s’il y a un risque de persécution, un risque de torture, une menace pour la vie ou un risque de subir des peines ou traitements cruels et inusités. L’alinéa 113a) de la Loi ne vise pas à créer un droit propre à un appel, son objectif sous-jacent étant plutôt d’assurer que le demandeur a une dernière chance que soit évalué tout nouveau risque de refoulement (que la SPR n’a pas déjà évalué) avant le renvoi. [Non souligné dans l’original.]

(Singh c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 1022, au paragraphe 50; voir également Elezi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CF 240, au paragraphe 27.)

A.                Conditions en Iran

[17]           S’il est vrai qu’en théorie, les minorités religieuses sont protégées en vertu de la Constitution iranienne, dans la pratique, ce n’est pas le cas. Comme en fait foi la preuve documentaire objective, il ne fait aucun doute que les chrétiens d’Iran sont pris pour cible par les autorités et qu’ils risquent d’être victimes de discrimination et de persécution :

[traduction] La Constitution iranienne reconnaît les chrétiens, les juifs et les zoroastriens en tant que minorités religieuses protégées. Toutefois, l’État exerce à leur encontre une discrimination fondée sur la religion ou les croyances, puisque toutes les lois et règlements sont fondés sur les seules normes de l’islamisme chiite. Pour nombre de chrétiens, il est difficile de vivre librement et ouvertement en Iran. Une telle discrimination est répandue dans l’ensemble de l’Iran.

(Home Office du Royaume-Uni, Country Information and Guidance – Iran : Christians and Christian Converts, décembre 2014, à la rubrique 1.3.2)

[18]           La situation est encore plus problématique pour les convertis chrétiens en Iran, qui risquent d’être persécutés par les autorités et encourent même la peine de mort :

[traduction] La Constitution ne prévoit pas de droit, pour les citoyens musulmans, de choisir leurs croyances religieuses, d’y renoncer ou d’en changer. Le gouvernement tient pour musulman l’enfant né d’un père musulman, et considère la conversion à une autre religion que l’Islam comme de l’apostasie, laquelle est punissable de mort. [Non souligné dans l’original.]

(Département d’État américain, International Religious Freedom Report for 2014, Iran)

Les musulmans convertis au christianisme risquent de subir des préjudices de la part des autorités publiques. En effet, ils sont considérés comme des apostats, ce qui constitue une infraction criminelle en Iran. La loi de la charia ne permet pas la conversion de l’islam à une autre religion, et les individus n’ont pas la possibilité de modifier leur appartenance religieuse sur leurs documents personnels. Les personnes converties au christianisme risquent d’être victimes d’agressions physiques et de harcèlement et de faire l’objet d’une surveillance, ainsi que d’être arrêtées, détenues et torturées et de subir de mauvais traitements en détention. [Non souligné dans l’original.]

(Home Office du Royaume-Uni, Country Information and Guidance – Iran : Christians and Christian Converts, décembre 2014, à la rubrique 1.3.3)

[19]           Pour problématique que soit la situation des personnes converties au christianisme en Iran, il est de jurisprudence constante qu’il ne suffit pas, pour un demandeur d’ERAR, d’affirmer qu’il existe des risques en Iran. Il doit également démontrer qu’il éprouve une crainte fondée de persécution, suivant l’article 96 de la LIPR, ou qu’il serait personnellement exposé à des risques au sens de l’article 97 de la LIPR.

B.                 Religion de la demanderesse et rejet de la preuve

[20]           Il était déraisonnable de la part de l’agent de rejeter les affidavits du pasteur Siroos Tabiany, de l’église perse de la communauté chrétienne; du pasteur Hany Boghossian, de l’église The Well on Bayview; et du révérend Terry Thom, de l’église St. Matthew’s United Church. Dans sa décision, l’agent a déclaré qu’il s’était appuyé sur les conclusions tirées par la SPR quant à la crédibilité de la demanderesse pour déterminer que celle-ci était chrétienne pour des raisons de convenance, et non par conviction. L’agent a rejeté les affidavits des pasteurs et du révérend au motif qu’ils traitaient seulement de la participation de la demanderesse aux activités des églises respectives de ceux-ci, et non de ce qui l’avait motivée à devenir chrétienne. En conséquence, l’agent a fait sienne la conclusion de la SPR selon laquelle la demanderesse n’était pas une véritable chrétienne, car, selon lui, celle-ci assistait tout simplement aux activités et aux services religieux chrétiens afin d’étayer sa demande.

[21]           Comme il est mentionné plus haut, s’il est exact que l’agent d’ERAR doit faire preuve de retenue à l’égard d’une décision de la SPR, il n’en a pas moins l’obligation de chercher à savoir si de nouveaux faits ou éléments de preuve établissant l’apparition de nouveaux risques ont été mis au jour depuis la décision de la SPR. En l’espèce, l’agent a rejeté en bloc les affidavits des pasteurs et du révérend en se fondant sur la conclusion de la SPR selon laquelle la demanderesse n’était pas une véritable chrétienne, et au motif que les affidavits ne traitaient pas des motivations de la demanderesse et que les évaluations des pasteurs et du révérend ne pouvaient se substituer à celle de la SPR, compte tenu que ceux-ci n’étaient pas formés pour apprécier la crédibilité d’une personne. Il faut cependant reconnaître que la SPR ne disposait pas, alors, des nouveaux éléments de preuve que constitue la série d’affidavits des différents membres du clergé.

[22]           Cette conclusion pose problème pour deux raisons. Premièrement, l’agent était tenu de déterminer si la demanderesse était actuellement une véritable chrétienne. Une telle décision ne peut être prise uniquement sur la base des conclusions de la SPR, puisque celles-ci reposent sur la question de savoir si la demanderesse s’est véritablement convertie au christianisme préalablement à la décision de la SPR. Ainsi qu’il est mentionné dans le document du Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (le HCR) intitulé Principes directeurs sur la protection internationale : Demandes d’asile fondées sur la religion au sens de l’article 1A(2) de la Convention de 1951 Convention et/ou du Protocole de 1967 relatifs au statut des réfugiés, daté du 28 avril 2004 [Principes directeurs du HCR : Demandes d’asile fondées sur la religion], une conversion postérieure au départ peut avoir l’effet de créer une demande « sur place »; cela est possible même si le décideur n’est pas convaincu que le demandeur est un véritable croyant :

36. Des activités soi-disant « intéressées » ne créent pas de crainte fondée de persécution pour un motif de la Convention dans le pays d’origine du demandeur si la nature opportuniste de ces activités est évidente pour tous, y compris pour les autorités du pays, et que le retour de l’intéressé n’aurai[t] pas des conséquences négatives graves. Quelles que soient les circonstances, il faut cependant prendre en considération les conséquences du retour dans le pays d’origine et tout danger potentiel pouvant justifier le statut de réfugié ou un[e] forme complémentaire de protection. Dans le cas où la demande est considérée comme intéressée mais où le demandeur a néanmoins une crainte fondée de persécution en cas de retour, une protection internationale est nécessaire. Lorsque la nature opportuniste de l’action est cependant clairement apparente, cela peut peser lourd dans la balance lors de l’examen des solutions durables potentielles disponibles dans ces cas de même que, par exemple, le type de titre de séjour. [Non souligné dans l’original.]

(Principes directeurs du HCR : Demandes d’asile fondées sur la religion, au paragraphe 36.)

[23]           Deuxièmement, l’agent a rejeté l’affidavit du pasteur Tabiany, dont la SPR a conclu, après avoir entendu son témoignage, qu’il était crédible. L’agent a en effet déterminé que le pasteur n’était pas formé pour apprécier la crédibilité ou l’authenticité de la foi d’une personne; en outre, selon la SPR, l’appréciation faite par le pasteur de la crédibilité de la demanderesse ne pouvait se substituer à l’appréciation que la SPR est tenue de faire à cet égard, même dans un tel cas. Il n’en demeure pas moins que le pasteur Tabiany a eu, pendant des années, l’occasion d’interagir régulièrement avec la demanderesse et d’évaluer l’authenticité de sa foi. Au regard de la conclusion de la SPR selon laquelle le pasteur Tabiany est un témoin crédible, on ne saurait affirmer que son témoignage n’est pas essentiellement important. Compte tenu de ce qui précède, il était déraisonnable d’écarter tout simplement l’affidavit du pasteur Tabiany en n’y accordant aucun poids. Car comment apprécier autrement que par une évaluation effectuée par un membre du clergé les raisons qui sous-tendent les croyances d’une personne, le cas échéant, dans la mesure où cette question relève des convictions plutôt que des simples faits? Il est vrai que la SPR n’était pas liée par le témoignage du pasteur; cependant, l’agent d’ERAR était quand même tenu d’examiner soigneusement les renseignements contenus dans l’affidavit du pasteur Tabiany et dans ceux des autres membres du clergé ou, à tout le moins, de les prendre en considération. L’agent ne pouvait tout simplement pas rejeter ces éléments de preuve sans procéder à un examen attentif de l’avis du pasteur Tabiany quant aux croyances et aux activités chrétiennes décrites par lui dans son affidavit.

[24]           Ainsi, la Cour conclut que la décision de l’agent était déraisonnable. Il ne pouvait s’appuyer uniquement sur les conclusions de la SPR pour déterminer si la demanderesse est actuellement une chrétienne authentique, compte tenu des allégations de celle-ci contenues dans la nouvelle preuve claire et objective présentée après que la SPR a rendu sa décision. En outre, il était déraisonnable de la part de l’agent de n’accorder aucun poids aux affidavits des pasteurs et du révérend, en particulier celui du pasteur Tabiany. Comme il est précisé dans les Principes directeurs du HCR : Demandes d’asile fondées sur la religion, même si la conversion d’un demandeur est en soi considérée comme intéressée, dès lors que celui-ci éprouve une crainte fondée de persécution, une protection internationale est nécessaire. On reconnaît ainsi que le demandeur peut quand même être victime de persécution en raison d’une conversion reconnue, dûment confirmée, authentique et officielle.

C.                 Le risque d’être découverte

[25]           L’agent a conclu qu’advenant son retour en Iran, la demanderesse ne serait pas exposée à des risques du fait qu’elle a présenté une demande d’asile au Canada, étant donné qu’elle ne semble pas avoir participé à des activités contre le gouvernement ni travaillé avec des organisations réputées se livrer à des actes visant au renversement du gouvernement iranien ou perçues comme telles, ce qui serait venu à l’attention du gouvernement iranien. Cette conclusion de l’agent était déraisonnable, car ce n’est pas ce que la preuve documentaire claire, non équivoque et objective laisse entendre. D’après la preuve documentaire objective, les Iraniens qui font acte d’apostasie sont surveillés de près par les autorités iraniennes :

[traduction] En Iran, les groupes confessionnels sont systématiquement soumis à une surveillance et à du harcèlement de la part de l’État. Cette surveillance pend aussi bien une forme ouverte que secrète. Le ministère du Renseignement, la police ou les tribunaux révolutionnaires peuvent ordonner aux chefs religieux de se présenter pour un interrogatoire et essayer de les contraindre à fournir des renseignements sur les activités, services et programmes d’éducation de leur église et à préciser les noms et les antécédents des membres de l’église. Des chrétiens ont également rapporté au HCR que des agents du renseignement leur avaient dit qu’ils les suivaient et avaient mis leurs téléphones sur écoute. Ces renseignements recueillis par le ministère du Renseignement servent ensuite de fondement à des arrestations, à des poursuites et à la fermeture d’églises.

(Home Office du Royaume-Uni, Country Information and Guidance – Iran : Christians and Christian Converts, décembre 2014, à la rubrique 2.6.9)

[26]           L’apostasie est passible de la peine capitale. Qui plus est, même lorsque des chrétiens ou des chrétiens convertis sont remis en liberté sans avoir fait l’objet d’accusations en Iran, le risque de persécution est toujours présent pour eux :

[traduction] Jusqu’à ce que la cause soit entendue par les tribunaux, ou que la personne détenue soit libérée sans avoir été accusée, les risques qu’elle ait subi des mauvais traitements ou de la torture durant son incarcération sont importants. Il ne faut pas sous-estimer ce qui peut se produire entre le moment de l’arrestation et l’audience devant le tribunal.

(Service de l’immigration du Danemark, Updated on the Situation for Christian Converts in Iran, juin 2014, sous la rubrique 1.2.2 intitulée « Iranian legislation and cases against converts »)

IX.             Conclusion

[27]           Compte tenu de tout ce qui précède, il était déraisonnable de la part de l’agent de conclure que la demanderesse, en tant que demanderesse d’asile déboutée, ne serait pas en péril advenant son retour en Iran et qu’elle ne serait pas exposée à un risque si les autorités découvraient qu’elle est une convertie au christianisme ayant fait acte d’apostasie.

[28]           Pour tous les motifs ici exposés, la présente demande de contrôle judiciaire est accueillie.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la présente demande de contrôle judiciaire est accueillie et que le dossier est renvoyé à un autre agent d’ERAR pour nouvel examen. Il n’y a aucune question grave de portée générale à certifier.

« Michel M. J. Shore »

Juge

Traduction certifiée conforme

Julie-Marie Bissonnette, traductrice


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-1667-15

 

INTITULÉ :

MONIR DARVISHPOUR HASSANKIADEH

c

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 17 novembre 2015

 

Jugement et motifs :

Le juge SHORE

 

DATE DES MOTIFS :

Le 17 novembre 2015

 

COMPARUTIONS :

Jared Will

 

POUR la demanderesse

 

Alex Kam

 

POUR le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Jared Will & Associates

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR la demanderesse

 

William F. Pentney

Sous-procureur général

du Canada

Toronto (Ontario)

POUR le défendeur

 

 

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