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Date : 20151125


Dossier : IMM‑2183‑15

Référence : 2015 CF 1312

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Montréal (Québec), le 25 novembre 2015

En présence de monsieur le juge Shore

ENTRE :

RICHARD LUCIAN PATHINATHAR

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   Aperçu

[1]               Il est très difficile, voire impossible, de déterminer si un demandeur serait exposé à un risque au Sri Lanka lorsque la Cour ne sait pas si le demandeur en question se trouvait dans ce pays au moment où seraient survenus les événements allégués.


II.                Introduction

[2]               La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire, présentée en application du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [LIPR], à l’égard d’une décision rendue le 29 août 2014 (et son addenda daté du 3 mars 2015) par laquelle un agent principal d’immigration [l’agent] a rejeté la demande d’examen des risques avant renvoi [ERAR] présentée par le demandeur.

III.             Contexte

[3]               Le demandeur, Richard Lucian Pathinathar (âgé de 30 ans), est un Tamoul de confession catholique. Il est citoyen du Sri Lanka.

[4]               Le demandeur soutient avoir été persécuté par l’armée sri lankaise et les Tigres de libération de l’Eelam tamoul (TLET) au Sri Lanka en raison de son origine ethnique tamoule. Plus précisément, le demandeur affirme que son frère a été enlevé par un groupe militant tamoul en 2006. En août 2006, le demandeur a été arrêté et agressé par l’armée sri lankaise et a été accusé d’être un partisan des TLET. Entre 2007 et 2009, il a été arrêté et agressé à plusieurs reprises par l’armée sri lankaise. Finalement, en août 2010, il a été enlevé par un groupe militant tamoul. Ce n’est qu’après avoir payé une partie de la rançon qu’il a été libéré; il a promis qu’il verserait le reste de la rançon deux mois plus tard.

[5]               Comme il était incapable de payer le reste de la rançon, le demandeur a fui le Sri Lanka le 30 octobre 2010. Il a voyagé dans de nombreux pays. En novembre 2010, le demandeur a été intercepté et détenu aux États‑Unis après avoir tenté de traverser illégalement la frontière américaine. Le 31 décembre 2010, le demandeur, libéré sous caution, a demandé l’asile au Canada au poste frontalier de Saint‑Bernard‑de‑Lacolle. Le 21 février 2013, la SPR a rejeté la demande d’asile du demandeur après avoir conclu que, selon la prépondérance des probabilités, le récit du demandeur n’est pas crédible; le demandeur n’a pas habité au Sri Lanka après 2006; même si le demandeur était effectivement crédible, il n’a pas établi un lien entre sa crainte alléguée et un motif prévu dans la Convention; la preuve documentaire démontre à elle seule, sans revendication crédible, que le demandeur n’est pas exposé à un risque en tant que Tamoul du nord du Sri Lanka ni en tant que demandeur d’asile débouté.

IV.             Décision faisant l’objet du présent contrôle

[6]               Le 14 février 2014, le demandeur s’est vu offrir un ERAR. Le 29 août 2014, la demande d’ERAR du demandeur a été rejetée. Dans l’addenda daté du 3 mars 2015, l’agent a confirmé sa décision du 29 août 2014 après avoir rouvert le dossier du demandeur en vue d’examiner d’autres documents.

[7]               À l’appui de sa demande d’ERAR, le demandeur a soumis quatre lettres provenant de connaissances au Sri Lanka, trois articles datés de novembre 2010 ayant trait à son entrée illégale et à sa détention aux États‑Unis ainsi que des articles de journaux et des rapports sur le pays concernant le traitement des Tamouls au Sri Lanka.

[8]               Dans sa décision relative à l’ERAR, l’agent a conclu que le demandeur n’avait pas démontré que les risques auxquels il serait éventuellement exposé à son retour au Sri Lanka diffèrent considérablement de ceux qui ont été exposés devant la SPR. Par ailleurs, l’agent a rejeté les lettres provenant de connaissances au Sri Lanka après avoir conclu que leurs auteurs n’avaient pas précisé s’ils avaient été des témoins directs des événements ou s’ils avaient fondé leurs déclarations sur des ouï‑dire. De plus, l’agent a accordé peu de poids aux lettres étant donné qu’aucune information n’a été fournie pour expliquer pourquoi les documents originaux n’ont pas été produits. De surcroît, rien ne prouvait que les lettres provenaient bel et bien du Sri Lanka. Par conséquent, l’agent a jugé que les lettres ne suffisaient pas à réfuter les conclusions quant à la crédibilité tirées par la SPR. L’agent a également accordé peu de valeur probante à la lettre du révérend Thomas Savundaranayagam puisque celle‑ci ne fait aucune mention d’un risque auquel le demandeur serait exposé advenant son retour au Sri Lanka.

[9]               L’agent a accordé peu de valeur probante aux articles de journaux ayant trait à l’entrée illégale du demandeur aux États‑Unis étant donné qu’ils ne fournissaient pas suffisamment de détails à l’appui des allégations de risque au Sri Lanka formulées par le demandeur.

[10]           Enfin, l’agent a examiné les articles de journaux et les rapports sur le pays soumis par le demandeur ainsi que d’autres éléments de la preuve documentaire objective à l’égard de la situation des Tamouls au Sri Lanka. Il a conclu que les Tamouls sont peut‑être encore victimes de discrimination au Sri Lanka en raison de leur origine ethnique, mais que le demandeur n’a pas démontré que la discrimination, dans son cas, correspondrait à de la persécution. Par ailleurs, selon l’agent, la preuve documentaire objective ne démontrait pas que le demandeur serait lui‑même exposé à un risque en tant que demandeur d’asile débouté. Par conséquent, l’agent a rejeté la demande d’ERAR présentée par le demandeur.

V.                Positions des parties

[11]           Le principal argument qu’a formulé le demandeur devant la Cour est que l’agent a commis une erreur dans son appréciation de la preuve documentaire. Plus précisément, l’agent n’a pas expliqué pourquoi il a préféré certains éléments de la preuve documentaire objective à d’autres; il a ignoré et a omis de mentionner la preuve documentaire objective qui contredit ses conclusions et il s’est appuyé sur une preuve documentaire objective qui est antérieure à la preuve soumise par le demandeur.

[12]           En revanche, le défendeur soutient que la décision de l’agent est raisonnable puisque ce dernier a apprécié la preuve de façon raisonnable et a décidé de s’appuyer sur une preuve documentaire objective récente, crédible et fréquemment employée pour conclure que, bien qu’elle soit loin d’être parfaite, la situation des Tamouls au Sri Lanka s’améliore. Le défendeur ajoute que l’agent est présumé avoir examiné l’ensemble de la preuve; qu’il n’est pas tenu de renvoyer à chaque document présenté (Ramanathan c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 319, au paragraphe 23); et que la Cour a déjà conclu, dans le cadre d’autres décisions, que la preuve documentaire concernant les risques auxquels sont exposés les Tamouls au Sri Lanka est contradictoire (Thavapalan c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 485, au paragraphe 9). Par ailleurs, un agent n’est pas tenu d’expliquer pourquoi il a préféré un certain document à un autre (Navaneethan c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 664, au paragraphe 58 [Navaneethan]; J.M. c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 598, au paragraphe 65 [J.M.]). Enfin, il n’appartient pas à la Cour de soupeser de nouveau la preuve dont disposait l’agent (Nebie c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 701, au paragraphe 40; J.M., précitée, au paragraphe 67).

VI.             Norme de contrôle

[13]           La norme de contrôle de la décision raisonnable s’applique aux conclusions mixtes de fait et de droit ainsi qu’aux conclusions de fait tirées par des agents d’ERAR (Navaneethan; précitée, au paragraphe 7; Nebie, précitée).

VII.          Analyse

[14]           La Cour ne connaît pas le récit complet du demandeur étant donné que des problèmes de crédibilité évidents se posent, comme l’ont souligné l’agent d’ERAR et la SPR. Dans sa décision, la SPR a affirmé qu’elle ne croyait pas, selon la prépondérance des probabilités, que le demandeur se trouvait au Sri Lanka après 2006. Il est très difficile, voire impossible, de déterminer si un demandeur serait exposé à un risque advenant son retour au Sri Lanka lorsque la Cour ne sait pas si le demandeur se trouvait dans ce pays au moment où les événements allégués seraient survenus.

[15]           De nombreux documents, parfois non pertinents, ont été présentés à la Cour. Certains, mais pas tous, portent sur le risque auquel sont exposés les Tamouls au Sri Lanka. La trousse documentaire très volumineuse fait également état de la situation dans d’autres pays et renferme des éléments de preuve qui n’ont rien à voir avec l’affaire (par exemple, la situation au Honduras et celle dans plusieurs autres pays qui n’ont aucun lien avec la présente affaire). Le principal argument du demandeur est que l’agent a omis de tenir compte de certaines parties de la preuve documentaire volumineuse qui a été produite. Bien qu’un décideur ait effectivement l’obligation d’examiner la preuve dont il dispose qui a été soumise par les parties (Cepeda‑Gutierrez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] ACF no 1425 (QL); 157 FTR 35; 83 ACWS (3d) 264), il n’est pas pour autant tenu de renvoyer à tous les documents présentés (Ramanathan c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 319, au paragraphe 23). Il est bien établi en droit que les agents sont présumés avoir tenu compte de l’ensemble de la preuve dont ils disposent (Nguyen c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 59, au paragraphe 5; Marin c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 1683, au paragraphe 10); et qu’un agent n’est pas tenu d’expliquer pourquoi il a préféré certains documents à d’autres (Navaneethan c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2015 CF 664, au paragraphe 58; J.M. c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 598, au paragraphe 65).

[16]           En l’espèce, l’agent a apprécié la preuve documentaire objective et a conclu qu’elle soulevait des contradictions quant au risque auquel les Tamouls seraient exposés au Sri Lanka. Comme l’a soutenu le défendeur, la Cour a jugé, dans le cadre d’autres affaires, que la preuve documentaire est contradictoire quant à la situation des Tamouls au Sri Lanka (Anderson c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2015 CF 495, au paragraphe 9).

[17]           Lorsqu’il s’agit de l’appréciation d’éléments de preuve contradictoires faite par un décideur, le rôle de la Cour est très limité – il n’appartient pas à cette dernière de soupeser de nouveau la preuve documentaire dont disposait un décideur (Negm c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2015 CF 272, au paragraphe 34; Rauda Paniagua c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 1085, au paragraphe 8; Orellana Ortega c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 611, au paragraphe 14). Compte tenu de la présomption selon laquelle l’agent a examiné l’ensemble de la preuve documentaire soumise et du fait qu’il peut préférer certains éléments de preuve documentaire à d’autres, la Cour estime que la décision de l’agent est raisonnable puisqu’elle appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

[18]           Par conséquent, la demande est rejetée.


JUGEMENT

LA COUR ORDONNE ce qui suit :

1.      la demande de contrôle judiciaire est rejetée;

2.      aucune question grave de portée générale n’est certifiée.

« Michel M.J. Shore »

Juge

Traduction certifiée conforme

Stéphanie Pagé, B.A. en trad


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


 

DoSSIER :

IMM‑2183‑15

 

INTITULÉ :

RICHARD LUCIAN PATHINATHAR c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (QuÉbec)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 24 NOVEMBRE 2015

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE SHORE

DATE DES MOTIFS :

LE 25 NovembrE 2015

COMPARUTIONS :

Arash Banakar

POUR LE DEMANDEUR

Guillaume Bigaouette

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Arash Banakar

Montréal (Québec)

POUR LE DEMANDEUR

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

Montréal (Québec)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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