Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20151019


Dossiers : IMM-292-15

IMM-368-15

Référence : 2015 CF 1177

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 19 octobre 2015

En présence de monsieur le juge Fothergill

Dossier : IMM-292-15

ENTRE :

NOOR DEIAN AZIMI

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

Dossier : IMM-368-15

ET ENTRE :

NOOR DEIAN AZIMI

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS DU JUGEMENT

I.                   Introduction

[1]               Noor Deian Azimi a déposé deux demandes de contrôle judiciaire en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la LIPR). La première demande vise la décision défavorable rendue par une agente principale d’immigration à la suite de l’examen des risques avant renvoi (ERAR) du demandeur. La seconde demande vise le refus d’un agent d’exécution de l’Agence des services frontaliers du Canada [traduction] « [d’]annuler » le renvoi de M. Azimi vers l’Afghanistan.

[2]               L’agente d’ERAR et l’agent d’exécution ont tous deux conclu que M. Azimi était une personne visée à l’article 1(F)(a) de la Convention relative au statut des réfugiés des Nations Unies (la Convention), et qu’ils n’avaient pas compétence pour écarter ce statut. Cet article de la Convention prévoit que la protection ne peut être accordée aux demandeurs d’asile qui ont été complices de crimes de guerre ou de crimes contre l’humanité. La Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission) a tiré une conclusion en ce sens à l’égard de M. Azimi le 9 juin 2009.

[3]               Après que la Commission eut rendu sa décision, le droit en matière de complicité a été modifié de façon substantielle par l’arrêt rendu par la Cour suprême du Canada dans Ezokola c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CSC 40 (Ezokola). Dans ses observations présentées à l’agente d’ERAR et à l’agent d’exécution, M. Azimi a tenté de se soustraire à l’application de la conclusion de la Commission selon laquelle il n’avait pas droit à l’asile en invoquant l’évolution du droit.

[4]               Pour les motifs qui suivent, j’en suis venu à la conclusion que l’agente d’ERAR et l’agent d’exécution ont conclu avec raison qu’ils n’avaient pas compétence pour mettre en question la conclusion de la Commission selon laquelle M. Azimi est une personne visée à l’article 1(F)(a) de la Convention. L’agente d’ERAR a raisonnablement conclu que M. Azimi ne serait pas exposé à un risque en Afghanistan au sens de l’article 97 de la LIPR. La demande de contrôle judiciaire est par conséquent rejetée.

II.                Le contexte

[5]               M. Azimi a demandé l’asile au Canada au motif qu’il risquait d’être persécuté en Afghanistan parce qu’il a servi dans la garde présidentielle afghane de 1985 à 1992. Dans son premier formulaire de renseignements personnels (FRP), il a déclaré avoir été gardien au palais de 1983 à 1985, puis avoir été nommé à la protection du président. Il a affirmé avoir participé à des combats et avoir reçu une formation paramilitaire et une formation de sécurité. Dans son deuxième FRP, il a déclaré n’avoir participé à aucun combat, mais avoir plutôt été chargé de protéger la station de radio et de télévision à l’intérieur des quartiers présidentiels. Il a affirmé avoir été emprisonné et torturé quand les moudjahidines ont pris le pouvoir en Afghanistan en 1985. Il a fui l’Afghanistan puis a vécu dans divers pays avant d’arriver au Canada, en mai 2006.

[6]               Le 9 juin 2009, la Commission a conclu que M. Azimi n’avait pas droit à l’asile en application de l’article 1F(a) de la Convention. Elle a jugé que le demandeur, en tant que membre de la garde présidentielle afghane, était [traduction] « complice de la perpétration de crimes contre l’humanité, même s’il n’avait pas lui-même commis les crimes ». Elle a conclu que le témoignage de M. Azimi au sujet de son degré de participation au sein de la garde présidentielle afghane n’était pas crédible. Cependant, étant donné l’état du droit relatif à la complicité à l’époque, la Commission n’a pas estimé nécessaire de tirer une conclusion définitive sur le degré de participation de M. Azimi.

[7]               La Commission a reconnu que, n’eût été l’exclusion de M. Azimi au titre de l’article 1(F)(a) de la Convention, il aurait obtenu le statut de réfugié. Elle a accepté les demandes d’asile de l’épouse et des enfants du demandeur en vertu de l’article 96 de la LIPR. M. Azimi a demandé l’autorisation de contrôle judiciaire et le contrôle judiciaire à la Cour, mais cette demande a été rejetée le 23 novembre 2009.

[8]               Le 19 juillet 2013, la Cour suprême du Canada a rejeté l’idée de « complicité susceptible de s’entendre de la culpabilité par association ou de l’acquiescement passif » (Ezokola, au paragraphe 81). La Cour suprême a établi un nouveau critère applicable à la complicité par lequel le tribunal est appelé à décider s’il y a « des raisons sérieuses de penser [que le demandeur] a volontairement contribué de manière significative et consciente aux crimes ou au dessein criminel d’une organisation » (Ezokola, au paragraphe 84).

III.             La décision de l’agente d’ERAR

[9]               Parce que M. Azimi était inadmissible à la protection des réfugiés du fait de l’article 1(F)(a) de la Convention, il n’avait droit qu’à un « ERAR restreint » au titre de l’alinéa 112(3)c) de la LIPR, c’est‑à‑dire un ERAR évaluant uniquement les risques visés à l’article 97 de la LIPR, et non pas les risques moins difficiles à prouver visés à l’article 96. L’agente d’ERAR a jugé qu’elle ne pouvait pas réviser la décision de la Commission selon laquelle M. Azimi ne pouvait obtenir l’asile, malgré la modification au droit en matière de complicité à la suite de la décision de la Cour suprême dans l’arrêt Ezokola. Elle a reconnu que le demandeur serait exposé à des risques à son retour en Afghanistan, mais elle a conclu que ceux‑ci ne satisfaisaient pas à la norme [traduction] « plus probable que le contraire » qu’exige l’article 97 de la LIPR.

IV.             La décision de l’agent d’exécution

[10]           L’agent d’exécution a rejeté la demande de M. Azimi visant à faire annuler son renvoi vers l’Afghanistan, malgré l’annonce par le ministre d’une suspension temporaire des renvois (STR) imposée en vertu du paragraphe 230(1) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés (le Règlement). Dans ses motifs succincts, l’agent d’exécution a fait observer que la Commission avait conclu que M. Azimi était une personne visée à l’article 1F(a) de la Convention et que, au titre de l’alinéa 230(3)e) du Règlement, le demandeur ne pouvait profiter de la STR.

[11]           Le 30 juin 2015, la Cour a accueilli la requête en sursis présentée par M. Azimi et a reporté le renvoi de celui‑ci jusqu’à ce que soient tranchées ses demandes de contrôle judiciaire visant les décisions de l’agente d’ERAR et de l’agent d’exécution.

V.                Les dispositions législatives pertinentes

[12]           Les dispositions suivantes de la LIPR sont pertinentes dans le cadre de la demande de contrôle judiciaire visant la décision de l’agente d’ERAR :

112. (1) La personne se trouvant au Canada et qui n’est pas visée au paragraphe 115(1) peut, conformément aux règlements, demander la protection au ministre si elle est visée par une mesure de renvoi ayant pris effet ou nommée au certificat visé au paragraphe 77(1).

 

112. (1) A person in Canada, other than a person referred to in subsection 115(1), may, in accordance with the regulations, apply to the Minister for protection if they are subject to a removal order that is in force or are named in a certificate described in subsection 77(1)

 

[…]

[…]

 

Restriction 

Restriction

 

(3) L’asile ne peut être conféré au demandeur dans les cas suivants :

[3] Refugee protection may not be conferred on an applicant who

 

[…]

[…]

 

c) il a été débouté de sa demande d’asile au titre de la section F de l’article premier de la Convention sur les réfugiés;

[c] made a claim to refugee protection that was rejected on the basis of section F of Article 1 of the Refugee Convention

 

[…]

[…]

 

Examen de la demande

Consideration of application

 

113. Il est disposé de la demande comme il suit :

113. Consideration of an application for protection shall be as follows:

 

d) s’agissant du demandeur visé au paragraphe 112(3) — sauf celui visé au sous-alinéa e)(i) ou (ii) —, sur la base des éléments mentionnés à l’article 97

(d) in the case of an applicant described in subsection 112(3) — other than one described in subparagraph (e)(i) or (ii) — consideration shall be on the basis of the factors set out in section 97

 

Séjour pour motif d’ordre humanitaire à l’initiative du ministre

 

Humanitarian and compassionate considerations — Minister’s own initiative

 

25.1 (1) Le ministre peut, de sa propre initiative, étudier le cas de l’étranger qui est interdit de territoire — sauf si c’est en raison d’un cas visé aux articles 34, 35 ou 37 — ou qui ne se conforme pas à la présente loi; il peut lui octroyer le statut de résident permanent ou lever tout ou partie des critères et obligations applicables, s’il estime que des considérations d’ordre humanitaire relatives à l’étranger le justifient, compte tenu de l’intérêt supérieur de l’enfant directement touché.

 

25.1 (1) The Minister may, on the Minister’s own initiative, examine the circumstances concerning a foreign national who is inadmissible — other than under section 34, 35 or 37 — or who does not meet the requirements of this Act and may grant the foreign national permanent resident status or an exemption from any applicable criteria or obligations of this Act if the Minister is of the opinion that it is justified by humanitarian and compassionate considerations relating to the foreign national, taking into account the best interests of a child directly affected.

 

VI.             Les questions

[13]           Les présentes demandes de contrôle judiciaire soulèvent les questions suivantes :

A.                La décision de l’agente d’ERAR était-elle raisonnable?

B.                 La décision de l’agent d’exécution était-elle raisonnable?

VII.          L’analyse

A.                La décision de l’agente d’ERAR était-elle raisonnable?

[14]           La norme de contrôle judiciaire applicable à l’évaluation des risques faite par l’agent d’immigration qui effectue l’ERAR est celle de la raisonnabilité. Les conclusions de fait et l’évaluation des conditions dans le pays relèvent de l’expertise particulière de l’agent et doivent par conséquent être traitées avec déférence (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, aux paragraphes 47 et 48 (Dunsmuir); Moreno Corona c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 759, au paragraphe 10; Burton c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2014 CF 910, au paragraphe 34).

[15]           L’évaluation que fait un agent d’immigration des limites de sa compétence est également susceptible de contrôle judiciaire par la Cour selon la norme de la raisonnabilité. Pour reprendre les mots de la Cour suprême du Canada, « sauf situation exceptionnelle — et aucune ne s’est présentée depuis Dunsmuir —, il convient de présumer que l’interprétation par un tribunal administratif de « sa propre loi constitutive ou [d’]une loi étroitement liée à son mandat et dont il a une connaissance approfondie » est une question d’interprétation législative commandant la déférence en cas de contrôle judiciaire » (A.T.A c Alberta (Information and Privacy Commissioner), 2011 CSC 61, au paragraphe 34). Cependant, lorsque le décideur interprète un texte législatif, l’éventail des issues raisonnables peut être restreint (Canada (Procureur général) c Canada (Commission canadienne des droits de la personne), 2013 CAF 75, aux paragraphes 13 et 14).

[16]           M. Azimi soutient que l’agente d’ERAR a appliqué à tort la doctrine de la chose jugée à la conclusion de la Commission selon laquelle il n’avait pas droit à l’asile. Il invoque la décision de la Cour dans Hamida c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2014 CF 998 (Hamida). Cette décision portait sur une demande de résidence permanente fondée sur des motifs d’ordre humanitaire. Le juge Annis avait conclu que l’agent des visas disposait d’un pouvoir discrétionnaire suffisamment vaste pour réexaminer une conclusion de la Commission selon laquelle le demandeur n’avait pas droit à l’asile pour complicité dans la perpétration de crimes contre l’humanité (Hamida, au paragraphe 47). Le juge Annis a reconnu que le principe de l’autorité de la chose jugée s’appliquait généralement aux conclusions d’interdiction de territoire tirées par la Commission, et que celles‑ci étaient donc définitives et contraignantes. Toutefois, étant donné l’évolution du droit en matière de complicité à la suite de l’arrêt Ezokola, le juge Annis a conclu qu’il serait dans l’intérêt de la justice de renvoyer l’affaire à l’agent des visas avec la directive de prendre en considération l’arrêt Ezokola dans son examen des motifs d’ordre humanitaire (Hamida, au paragraphe 79).

[17]           Selon M. Azimi, l’agente d’ERAR a indûment restreint son pouvoir discrétionnaire en refusant de réexaminer la conclusion de la Commission selon laquelle il n’avait pas droit à l’asile en application de l’article 1(F)(a) de la Convention. Il affirme que l’agente d’ERAR aurait dû considérer s’il convenait d’utiliser le pouvoir discrétionnaire prévu à l’article 25.1 de la LIPR et, de sa propre initiative, examiner la situation du demandeur et lui accorder, pour des motifs d’ordre humanitaire, une exemption du critère applicable.

[18]           Le ministre soutient que l’article 25.1 n’est pas pertinent dans le cadre de l’ERAR et que, de toute façon, cette disposition ne serait d’aucun secours à M. Azimi parce qu’il est interdit de territoire au titre de l’article 35 de la LIPR. Le ministre s’appuie sur l’alinéa 15b) du Règlement, qui précise que les conclusions de fait énoncées dans une décision de la Commission concernant l’exclusion du droit à l’asile ont force de chose jugée. Cependant, dans la décision Johnson c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2014 CF 868, aux paragraphes 24 et 25, la juge Mactavish a affirmé ce qui suit au sujet de l’effet de l’alinéa 15b) sur une conclusion d’interdiction de territoire au titre de l’article 35 :

[24]      L’alinéa 15b) du Règlement dispose que les décisions que prend la Commission quant aux faits dans le cadre d’une procédure d’exclusion doivent être considérées comme des conclusions de fait ayant force de chose jugée en vue de déterminer l’admissibilité selon l’article 35 de la LIPR. Cela est logique étant donné qu’on réduit ainsi l’éventualité d’une remise en cause de questions de fait qui ont déjà été tranchées par un tribunal expert dans le contexte d’une audience.

[25]      Rien de l’article 15b) du Règlement ne permet de croire que les agents sont liés par les conclusions mixtes de fait et de droit qu’a tirées la Commission. Les agents d’immigration qui doivent prendre des décisions quant à l’admissibilité doivent plutôt examiner les conclusions de fait de la Commission à la lumière des dispositions de l’article 35 de la LIPR.

[19]           En l’espèce, la Commission n’a pas jugé nécessaire de tirer une conclusion définitive sur le niveau de participation de M. Azimi dans la perpétration de crimes contre l’humanité. Il y a donc de nouvelles conclusions de fait qui pourraient maintenant être considérées comme ayant force de chose jugée en vue de déterminer si M. Azimi est interdit de territoire au titre de l’article 35 de la LIPR.

[20]           Néanmoins, je suis d’accord avec le défendeur pour affirmer que la LIPR ne confère pas à l’agent d’immigration effectuant un ERAR le même vaste pouvoir discrétionnaire qu’à l’agent des visas examinant une demande de résidence permanente fondée sur des motifs d’ordre humanitaire. Contrairement à celui de l’agent des visas, le pouvoir discrétionnaire de l’agente d’ERAR se limitait à examiner les risques auxquels est exposé M. Azimi selon ses dires au moment où la décision a été prise. Comme l’a conclu le juge Lagacé dans la décision Yansane c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 1213, au paragraphe 31, « [l]’ERAR n’a pas pour but de refaire le même exercice ni de siéger en appel d’une décision de la SPR ayant acquis force de chose jugée depuis le refus de la Cour d’accorder l’autorisation de soumettre celle‑ci au contrôle judiciaire ».

[21]           M. Azimi souligne que l’article 44 de l’Instrument de désignation et de délégation du ministre prévoit que l’agent principal d’immigration peut exercer les pouvoirs conférés au ministre par les articles 112 et 25.1 de la LIPR. Cependant, l’article 113 de la LIPR prévoit clairement que la demande d’ERAR doit être disposée sur la base des articles 96 à 98 : « l’agent doit évaluer les allégations de risques, et non les motifs humanitaires » (Eid c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 369, au paragraphe 2). Dans les mots du juge Mosley, dans la décision Kim c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 437 (Kim), au paragraphe 70 :

[…] les agents d’ERAR ne sont pas tenus d'examiner les facteurs d’ordre humanitaire pour rendre leurs décisions. Aucun pouvoir discrétionnaire n’est accordé à un agent d’ERAR dans la préparation d’un examen des risques. Ou bien l’agent est convaincu que les prétendus facteurs de risque existent, ou bien il n’est pas convaincu. L’enquête de l’ERAR et le processus décisionnel ne tiennent compte d’aucun autre facteur que le risque. De toute manière, il y a une meilleure tribune pour l'examen des facteurs d'ordre humanitaire : le mécanisme des examens pour des raisons d'ordre humanitaire. Je rejette l’affirmation que l’agente a commis une erreur de droit en refusant d’examiner les facteurs d’ordre humanitaire dans le cadre de la décision relative à l’ERAR.

[22]           M. Azimi n’a pas établi de raison pour laquelle l’agente d’ERAR aurait pu invoquer le pouvoir discrétionnaire conféré au ministre à l’article 25.1 de la LIPR et, de sa propre initiative, examiner les circonstances propres au demandeur et soustraire ce dernier à l’application de l’alinéa 113d) pour des motifs d’ordre humanitaire. La conclusion de l’agente selon laquelle l’ERAR se limitait à un examen des facteurs de risque visés à l’article 97 de la LIPR était raisonnable.

[23]           Dans la décision Kasturiarachchi c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), IMM-5486-14, 21 juillet 2015 (Kasturiarachchi), une affaire dont les faits sont très semblables à ceux en l’espèce, le juge Hughes a formulé les observations suivantes avant de suspendre la procédure indéfiniment :

[traduction]

L’AFFAIRE dont je suis saisi vise une décision sur une demande d’ERAR dans laquelle le demandeur avait insisté pour que soient pris en considération les effets de la modification au droit apportée par l’arrêt Ezokola. Les défendeurs soutiennent que l’ERAR n’est pas l’occasion de présenter de tels arguments, qu’il faudrait plutôt les présenter dans le cadre d’une demande pour motifs d’ordre humanitaire.

L’AVOCAT du demandeur a présenté une demande pour motifs d’ordre humanitaire sur-le-champ. J’invite donc les représentants du ministre à l’examiner sérieusement sans délai, compte tenu des circonstances uniques de l’espèce en raison de l’arrêt Ezokola.

[24]           M. Azimi n’a pas présenté de demande de résidence permanente fondée sur des motifs d’ordre humanitaire au titre du paragraphe 25(1) de la LIPR. Cependant, la Cour a été informée que son épouse avait présenté une demande de parrainage conjugal depuis le Canada afin de lui permettre de rester au pays. L’avocat du défendeur reconnaît qu’il s’agit là de la procédure dans le cadre de laquelle la conclusion de la Commission excluant M. Azimi du droit à l’asile en application de l’article 1(F)(a) de la Convention peut être écartée pour des motifs d’ordre humanitaire. Comme le juge Mosley dans Kim, j’estime que, dans la situation de M. Azimi, il s’agit d’une meilleure tribune pour l’examen des facteurs d’ordre humanitaire.

[25]           M. Azimi soutient également que l’analyse menée par l’agente d’ERAR des risques auxquels il serait exposé en Afghanistan comportait des erreurs. Je ne suis pas d’accord. L’agente d’ERAR a examiné si la preuve suffisait à démontrer que quelqu’un pourrait l’identifier comme ancien membre de la garde présidentielle afghane sous le régime communiste et, le cas échéant, s’il serait en danger. Elle s’est appuyée sur des rapports récents sur la situation dans le pays et sur des éléments de preuve documentaire. Elle a pris note que, bien que certains anciens membres du régime communiste avaient été menacés, d’autres jouaient un rôle actif au sein du gouvernement en Afghanistan. Elle a donc raisonnablement conclu que, selon la prépondérance des probabilités, M. Azimi ne serait pas exposé à un risque au sens de l’article 97 de la LIPR.

B.                 La décision de l’agent d’exécution était-elle raisonnable?

[26]           La norme de contrôle applicable aux décisions des agents d’exécution est celle de la raisonnabilité (Tovar c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2015 CF 490, au paragraphe 14); Baron c Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2009 CAF 81, au paragraphe 25 (Baron)). Il faut traiter avec déférence l’exercice que fait l’agent d’exécution de son pouvoir discrétionnaire. La Cour n’intervient que si les conclusions de l’agent sont dépourvues de justification, de transparence ou d’intelligibilité ou si elles n’appartiennent pas aux issues acceptables possibles (Dunsmuir, au paragraphe 47).

[27]           M. Azimi soutient qu’on ne peut l’empêcher de bénéficier de la STR vers l’Afghanistan en application de l’alinéa 230(3)e) du Règlement que si l’agent d’exécution conclut qu’il [traduction] « est visé à l’article 1(F)(a) de la Convention » à la date prévue de son renvoi. Il souligne le temps présent utilisé dans la disposition et soutient que l’application de l’alinéa 230(3)e) ne peut se fonder sur une conclusion antérieure de la Commission, particulièrement lorsque six années se sont écoulées depuis la conclusion et que celle‑ci n’est pas conforme à l’état actuel du droit. Il fait valoir que, étant donné l’évolution du droit en matière de complicité, il n’est pas actuellement « visé à la section F de l’article premier de la Convention sur les réfugiés ».

[28]           Le pouvoir d’un agent de reporter l’exécution d’une mesure de renvoi valide est très limité. L’agent d’exécution n’a pas le pouvoir de prendre des décisions en vertu de la Convention, et son pouvoir discrétionnaire se limite à déterminer si la mesure de renvoi sera exécutée (Baron, aux paragraphes 49 à 51).

[29]           Aux termes du paragraphe (2) de la LIPR, les mesures de renvoi doivent être exécutées « dès que possible ». Les fonctions des agents d’exécution sont limitées et relativement restreintes. Ils « ne sont pas censés se prononcer sur les demandes d’ERAR ou de CH ou rendre de nouvelles décisions à ce sujet » (Shpati c Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2011 CAF 286, au paragraphe 45). Étant donné le pouvoir discrétionnaire limité de l’agent d’exécution, il était raisonnable pour lui de conclure, sur le fondement de la décision antérieure de la Commission, que M. Azimi est visé à l’article 1F(a) de la Convention et de refuser de surseoir à son renvoi pour ce motif.

[30]           Dans ses observations présentées à l’agent d’exécution, M. Azimi a demandé l’annulation de son renvoi vers l’Afghanistan et l’application à son endroit de la STR vers l’Afghanistan en raison du changement au droit en matière de complicité apporté par l’arrêt Ezokola de la Cour suprême. Il n’a pas demandé à l’agent d’exécution de reporter son renvoi jusqu’à ce que soit tranchée la demande de parrainage conjugal présentée depuis le Canada ou une autre procédure donnée qui aurait pris fin dans un délai donné. Compte tenu de la décision du juge Annis dans Hamida et de l’ordonnance du juge Hughes dans Kasturiarachchi, avoir demandé un sursis dans ces circonstances aurait très bien pu mener à une issue différente. C’est dans l’intérêt de la justice que les principes de l’arrêt Ezokola doivent être pris en compte pour déterminer s’il faut autoriser M. Azimi à demeurer au Canada pour des motifs d’ordre humanitaire (Hamida, au paragraphe 79).

[31]           Pour ces motifs, les demandes de contrôle judiciaire sont rejetées.

VIII.       Question certifiée

[32]           Les deux parties ont reconnu que l’espèce peut soulever une question à certifier en vue d’un appel. Cependant, le nombre de demandeurs d’asile qui sont [traduction] « coincés entre l’arrêt de la Cour d’appel fédérale dans Ramirez, [1992] 2 CF 306, et la modification apportée au droit en matière de complicité par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Ezokola, [2013] 2 RCS 678 » (Kasturiarachchi) est peu élevé et continue de diminuer. Les principes juridiques constituant le fondement de la présente décision sont bien établis et ne nécessitent pas d’examen plus approfondi par la Cour d’appel. Je ne suis pas convaincu que l’espèce soulève une question grave de portée générale qui transcende les intérêts des parties en cause. Par conséquent, je ne certifie pas de question en vue d’un appel.


JUGEMENT

LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit rejetée. Aucune question n’est certifiée.

« Simon Fothergill »

Juge

Traduction certifiée conforme

Elisabeth Ross, traductrice-conseil


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-292-15

 

INTITULÉ :

NOOR DEIAN AZIMI c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

DOSSIER :

IMM-368-15

 

INTITULÉ :

NOOR DEIAN AZIMI c LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 22 septembre 2015

 

MOTIFS DU JUGEMENT  ET JUGEMENT:

LE JUGE FOTHERGILL

 

DATE DES MOTIFS :

Le 19 octobre 2015

 

COMPARUTIONS­ :

Jared Will

 

pour le demandeur

 

Judy Michaely

 

pour les défendeurs

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Jared Will

Avocat

Toronto (Ontario)

 

pour le demandeur

NOOR DEIAN AZIMI

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

pour les défendeurs

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.