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Date : 20151124


Dossier : IMM-2503-15

Référence : 2015 CF 1310

Ottawa (Ontario), le 24 novembre 2015

En présence de madame la juge Gagné

ENTRE :

VASQUEZ PENA JULIAN RICARDO

demandeur

et

MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET  IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   Nature de l’affaire

[1]               Monsieur Vasquez Pena demande le contrôle judiciaire d’une décision d’une agente d’immigration de Citoyenneté et immigration Canada [CIC], rendue le 12 mai 2015, par laquelle elle refuse sa demande de résidence permanente soumise au titre de la catégorie « époux ou conjoints de fait au Canada », au motif qu’il est interdit de territoire pour criminalité en application de l’alinéa 36(2)b) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001 c 27 [LIPR].

II.                Faits

[2]               Le demandeur est un citoyen de la République dominicaine. En octobre 2006, alors qu’il résidait dans l’état de New York, il a plaidé coupable à une accusation décrite au New York State Penal Law comme étant « attempted criminal possession of a controlled substance ». Le demandeur a reconnu avoir tenté d’acheter de la cocaïne. Le 2 février 2007, il a été condamné à une peine de deux ans d’emprisonnement, suivie par deux ans de libération conditionnelle. Cette dernière période s’est terminée le 20 juin 2010.

[3]               Le demandeur a ensuite présenté une requête visant à retirer son plaidoyer de culpabilité. Il plaidait essentiellement que son procureur avait fait défaut de l’aviser des conséquences de ce plaidoyer sur son dossier d’immigration. Cette requête a été rejetée le 11 septembre 2007, notamment au motif que le demandeur avait été informé par la Cour, au moment d’enregistrer son plaidoyer de culpabilité, que puisqu’il n’était pas citoyen américain, ce plaidoyer pourrait avoir un impact sur son dossier d’immigration.

[4]               Le demandeur est arrivé au Canada en 2010 et a déposé une demande d’asile qui a été refusée le 8 décembre 2011.

[5]               Le 2 février 2012, il a déposé sa demande de résidence permanente dans la catégorie des époux ou conjoints de fait.

[6]               Le 10 novembre 2013, l’agente d’immigration lui a transmis une lettre dite d’équité procédurale l’avisant de la possibilité que sa demande soit refusée pour interdiction de territoire et l’invitant à faire des observations à cet égard. Au début de l’audience devant la Cour, le procureur du demandeur a soulevé le fait que le dossier certifié du tribunal contient deux versions différentes de cette lettre. Toutefois, il a été admis et convenu que c’est celle qui se trouve à la page 11 du dossier qui a été transmise au demandeur.

[7]               Le 16 décembre 2013, le demandeur a répondu à la lettre de l’agente par le biais d’une lettre de son procureur à laquelle est joint un affidavit du demandeur daté du 9 décembre 2013. Dans cet affidavit, le demandeur explique les circonstances entourant son arrestation et affirme qu’il s’est alors retrouvé dans une « situation regrettable qui a conduit à son arrestation », « qu’il ignorait ce à quoi était dédiée la somme d’argent qu’on lui a demandé de transporter … et qu’il ignorait le caractère criminel de la transaction ». Le demandeur souligne également qu’il n’a pas eu de démêlés avec la justice depuis qu’il avait purgé sa peine et qu’il entretient, depuis 2010, une relation amoureuse sérieuse avec sa conjointe de fait canadienne.

III.             Décision contestée

[8]               L’agente d’immigration a refusé la demande de résidence permanente du demandeur. Elle a conclu que celui-ci était interdit de territoire conformément à l’alinéa 36(2)b) de la LIPR, puisque l’infraction commise aux États-Unis est équivalente à une infraction à une loi fédérale punissable par voie de mise en accusation et passible d’une peine d’emprisonnement d’une durée maximale de moins de 10 ans. L’agente a noté avoir pris connaissance de la documentation émanant des autorités américaines et des observations présentées par le demandeur.

[9]               L’agente a retenu que lors de l’audience au cours de laquelle le demandeur a enregistré son plaidoyer de culpabilité, il a admis dans des termes clairs avoir tenté d’acheter de la cocaïne. Elle ajoute que la transcription de l’audience révèle que le demandeur comprenait la nature des procédures, y compris le fait qu’il n’était pas contraint de plaider coupable. Elle a accordé un poids considérable à ce facteur. L’agente a tenu compte du fait que le demandeur vivait maintenant une vie rangée, mais elle a ajouté qu’ « être un bon citoyen est attendu de tous et n’est pas exceptionnel ».

IV.             Questions en litige

[10]           Cette demande de contrôle judiciaire soulève les questions suivantes :

A.                L’agente d’immigration a-t-elle erré en concluant que le demandeur était interdit de territoire - en ne tenant donc pas compte de la réadaptation alléguée du demandeur ?

B.                 L’agente a-t-elle erré en ne tenant pas d’entrevue avec le demandeur ?

V.                Analyse

A.                Interdiction de territoire et réadaptation

[11]           La norme de contrôle applicable à cette question, une question mixte de fait et de droit, est celle de la décision raisonnable (Mugesera c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2005] 2 RCS 100).

[12]           Ceci dit, le demandeur ne conteste pas qu’il soit une personne visée par l’alinéa 36(2)b) de la LIPR. Toutefois, il soutient que l’agente d’immigration a erré dans son analyse en ne tenant pas compte de sa réadaptation, conformément à l’alinéa 36(3)c) de la LIPR. Le demandeur plaide qu’il répond au critère énoncé à l’alinéa 17a) du Règlement sur l'immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 [RIPR], soit qu’un délai de plus de cinq ans s’est écoulé depuis qu’il a complété sa peine d’emprisonnement. En conséquence, l’agente d’immigration aurait dû tenir compte de la nature de l’infraction commise, des circonstances dans lesquelles elle a été commise, du temps écoulé depuis l’infraction, et de toute infraction antérieure ou postérieure (Gonzalez Aviles c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1369 au para 18 [Gonzalez Aviles]). Elle aurait finalement dû expliquer pourquoi elle n’était pas satisfaite de la preuve de réadaptation qui lui a été présentée.

[13]           L’article 18 du RIPR prévoit deux scénarios de réadaptation: i) une personne est présumée réadaptée si plus de dix ans se sont écoulés depuis le moment où la peine imposée a été purgée; ou ii) une personne peut convaincre le Ministre de sa réadaptation, si plus de cinq ans se sont écoulés depuis le moment où la peine imposée a été purgée, en soumettant les documents requis et en acquittant les frais prévus à l’alinéa 309b) du RIPR. Le demandeur n’a jamais présenté de demande au Ministre afin de le convaincre de sa réadaptation: il n’a pas présenté les documents requis et n’a pas acquitté les frais de traitement de sa demande.

[14]           L’agente a néanmoins tenu compte de l’affidavit du demandeur et des observations de son procureur. Elle leur a accordé peu de poids et a souligné que le demandeur avait plaidé coupable tout en comprenant la nature des faits reprochés, des procédures et des conséquences de son plaidoyer de culpabilité sur son statut précaire aux États-Unis.

[15]           Je ne partage pas l’avis du demandeur à l’effet que l’arrêt Gonzalez Aviles soit déterminant en l’espèce. Dans cette affaire, d’une part l’agent n’avait pas du tout tenu compte de la preuve et des représentations présentées par la demanderesse et, d’autre part, près de dix ans s’étaient écoulés depuis que cette dernière avait terminé de purger sa peine.

[16]           Dans le présent dossier, le demandeur n’aurait pas pu présenter une demande d’approbation de réadaptation avant l’année 2015, puisque sa peine n’a pas été purgée le 6 octobre 2008, mais plutôt en 2010, soit à l’expiration des deux ans de probation. Quand une peine comprend une incarcération et une période de libération conditionnelle, le délai d’attente de cinq ans compte à partir de la date qui marque la fin de la libération conditionnelle. Le demandeur n’aurait donc pas pu présenter une demande d’approbation de réadaptation au moment où il a déposé sa demande de résidence permanente en 2010 et l’agente d’immigration était bien fondée de ne pas considérer comme tel l’affidavit du demandeur et les représentations de son procureur.

[17]           Étant donné que l’agente n’avait aucune obligation de tenir compte de la réadaptation alléguée du demandeur, j’estime que sa décision est raisonnable.


B.                 Défaut de tenir une entrevue

[18]           La norme de contrôle applicable à cette question d’équité procédurale est celle de la décision correcte (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12 au para 43).

[19]           La page 33 du Guide opérationnel IP 2, cité par le demandeur, indique en fait que les agents d’immigration dans les bureaux locaux de CIC « procèdent à des entrevues avec les répondants et les demandeurs, au besoin ». De même, le Guide opérationnel IP 8 à la page 39 indique qu’un « bureau local de CIC devra peut-être faire passer une entrevue au demandeur et/ou au répondant afin d'évaluer les préoccupations soulevées par le CTD, notamment : … l'interdiction de territoire pour des raisons de grande criminalité ou de sécurité ». Ces références s’appliquent à un demandeur de résidence permanente ou son répondant. En l’espèce, je suis d’accord avec le défendeur que l’agente avait tous les renseignements dont elle avait besoin pour conclure que le demandeur était interdit de territoire. Il n’y avait aucune nécessité pour elle de tenir une entrevue.

[20]           D’ailleurs, l’agente a avisé le demandeur qu’il allait possiblement être interdit de territoire. Elle lui a permis de faire des observations à cet égard et elle a tenu compte de ses observations dans sa décision. Dans sa lettre d’équité, l’agente ne suggère pas qu’elle tiendra une entrevue et le demandeur ne lui en a pas demandé une. Je suis donc d’avis que l’agente d’immigration a rencontré ses obligations en matière d’équité procédurale.

VI.             Conclusion

[21]           Pour tous ces motifs, la demande de contrôle judiciaire sera rejetée. Les parties n’ont proposé aucune question d’importance générale pour fins de certification et cette cause n’en soulève aucune.

 


JUGEMENT

LA COUR STATUE que:

1.    La demande de contrôle judiciaire du demandeur est rejetée;

2.    Aucune question d’importance générale n’est certifiée.

« Jocelyne Gagné »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


 

Dossier :

IMM-2503-15

INTITULÉ :

VASQUEZ PENA, JULIAN RICARDO c MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (Québec)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 19 novembre 2015

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE GAGNÉ

DATE DES MOTIFS :

LE 24 novembre 2015

COMPARUTIONS :

Anthony Karkar

pour le demandeur

Sébastien Dasylva

pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Anthony Karkar

Avocat

Montréal (Québec)

pour le demandeur

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

pour le défendeur

 

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