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Date : 20151202


Dossier : IMM‑270‑15

Référence : 2015 CF 1335

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 2 décembre 2015

En présence de monsieur le juge Phelan

ENTRE :

RAMSAWACK CHOTAI

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   Introduction

[1]               La Cour est saisie d’une demande d’un contrôle judicaire d’une décision par laquelle la Section d’appel de l’immigration [la SAI] a rejeté l’appel interjeté par le demandeur d’une décision refusant une seconde demande de parrainage entre époux.

II.                Le contexte

[2]               Le demandeur, qui est un citoyen du Canada originaire de Guyana, a épousé une femme du Guyana en 1999 peu de temps après la fin de son premier mariage. Il a parrainé la demande de résidente permanente de son épouse, mais en 2001, la SAI a rejeté la demande de parrainage entre époux au motif que leur mariage n’était pas authentique et qu’il visait principalement à faciliter l’immigration. Leur mariage a pris fin peu de temps après.

[3]               Le demandeur a alors rencontré son épouse actuelle en 2007 au cours d’une conversation téléphonique organisée par la sœur de sa future épouse. Ils se sont mariés trois semaines après leur première rencontre en personne. Le demandeur a parrainé la demande de résidence permanente de son épouse, mais cette demande a été refusée au motif que leur relation n’était pas authentique et qu’elle visait principalement l’acquisition d’un statut sous le régime de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27, au sens de l’article 4 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002‑227 [le Règlement].

4. (1) Pour l’application du présent règlement, l’étranger n’est pas considéré comme étant l’époux, le conjoint de fait ou le partenaire conjugal d’une personne si le mariage ou la relation des conjoints de fait ou des partenaires conjugaux, selon le cas :

4. (1) For the purposes of these Regulations, a foreign national shall not be considered a spouse, a common‑law partner or a conjugal partner of a person if the marriage, common‑law partnership or conjugal partnership

a) visait principalement l’acquisition d’un statut ou d’un privilège sous le régime de la Loi;

(a) was entered into primarily for the purpose of acquiring any status or privilege under the Act; or

b) n’est pas authentique.

(b) is not genuine.

[4]               Cette décision a été portée en appel devant la SAI. Pour rejeter l’appel, la SAI a estimé que l’épouse s’était servie du demandeur pour obtenir un statut au Canada. Cette décision n’a pas été portée en appel.

[5]               Le demandeur a alors présenté une seconde demande de parrainage, qui a été refusée le 11 janvier 2014 en vertu de l’article 4 du Règlement. La SAI a rejeté l’appel en concluant que le principe de l’autorité de la chose jugée s’appliquait.

[6]               Les deux principales questions examinées par la SAI étaient celles de savoir : 1) si le principe de l’autorité de la chose jugée s’appliquait, rendant le demandeur irrecevable à plaider un appel déjà tranché; 2) s’il y avait abus de procédure ou manquement à un principe de justice naturelle en raison du refus de tenir une audience.

[7]               Au cours de son examen du volet du principe de l’autorité de la chose jugée concernant l’irrecevabilité résultant de l’identité des questions en litige, la SAI a rappelé le raisonnement en en deux étapes à suivre qui a été exposé dans l’arrêt Danyluk c Ainsworth Technologies Inc, 2001 CSC 44, [2001] 2 RCS 460 [Danyluk]). En premier lieu, il faut démontrer que les conditions préalables de l’irrecevabilité résultant de l’identité des questions en litige existent. En second lieu, il faut déterminer si l’irrecevabilité résultant de l’identité des questions en litige devrait s’appliquer.

[8]               La SAI a conclu que les conditions préalables à l’application de l’irrecevabilité résultant de l’identité des questions en litige existaient en l’espèce :

                     la même question avait déjà été décidée;

                     la décision était définitive;

                     les parties ou leurs ayants droit étaient les mêmes.

[9]               Pour déterminer si l’irrecevabilité résultant de l’identité des questions en litige devait s’appliquer, la SAI a conclu : 1) que les présumés nouveaux éléments de preuve présentés par le demandeur ne constituaient pas des éléments de preuve que l’on aurait pu découvrir si l’on avait fait preuve de diligence raisonnable dans le cadre de la première demande; 2) que l’on n'avait pas été en mesure de démontrer que les éléments de preuve auraient pu changer l’issue de la première demande.

[10]           La SAI a conclu que les nouveaux éléments de preuve ne portaient pas sur les questions faisant l’objet de la première décision. Les nouveaux éléments de preuve n’abordaient pas les éléments de preuve contradictoires relatifs aux relations antérieures et aux emplois déjà exercés par l’épouse et ils comportaient des explications invraisemblables quant aux renseignements relatifs à une demande de résidence temporaire déjà présentée; de plus, ils n’abordaient pas la question de l’omission de l’épouse d’informer le demandeur de sa demande antérieure, ni celle du moment et de l’évolution rapide de leur relation.

Bien que le demandeur se soit véritablement investi dans la relation, ce sont les intentions de son épouse qui ont conduit au rejet de l’appel. Les nouveaux éléments de preuve ne contestaient pas de façon convaincante la conclusion que l’épouse s’était servie du demandeur pour obtenir la résidence au Canada.

[11]           Sur la question du manquement à l’équité procédurale causé par le refus de tenir une audience (du fait que la crédibilité était censée être en cause), la SAI a déclaré qu’elle ne se prononçait pas sur la crédibilité, mais qu’elle se posait la question de savoir, en supposant qu’elle soit crédible, si la preuve était suffisante pour répondre aux préoccupations exprimées dans le cadre de la première instance. Aucune conclusion relative à la crédibilité n’a été formulée quant à la question de savoir si le principe de l’autorité de la chose jugée devait s’appliquer. Il n’y a donc pas eu manquement à un principe de justice naturelle.

III.             Analyse

A.                Les questions en litige

[12]           Les questions en litige sont les suivantes :

                     La décision de la SAI d’appliquer le principe de l’autorité de la chose jugée était‑elle légitime?

                     La décision de la SAI de refuser la tenue d’une audience constituait‑elle un manquement à la justice naturelle?

B.                 La norme de contrôle

[13]           Le demandeur soutient que la norme de contrôle qui s’applique aux deux questions en litige est celle de la décision correcte. Le demandeur n’a raison qu’en partie.

[14]           En ce qui concerne l’application du principe de l’autorité de la chose jugée, il y a deux aspects de cette question qui donnent lieu à des normes de contrôle différentes.

[15]           Le premier aspect porte sur la question de savoir si le principe de l’autorité de la chose jugée s’applique ou non (c’est‑à‑dire si les conditions préalables à l’application de l’irrecevabilité résultant de l’identité des questions en litige ont été respectées). Il s’agit d’une conclusion de droit d’application générale qui ne fait pas intervenir l’expertise de la SAI. Cette question doit être tranchée selon la norme de contrôle de la décision correcte (voir Danyluk).

[16]           Le second aspect concerne la question de savoir si le principe de l’autorité de la chose jugée devrait s’appliquer. Il s’agit d’une question discrétionnaire qui est assujettie à la norme de contrôle de la décision raisonnable.

[17]           En ce qui concerne la question de la tenue d’une audience, le défendeur soutient que le déroulement de l’instance est une question discrétionnaire relevant du décideur et qu’il s’agit donc d’une question de raisonnabilité.

À défaut de procédure codifiée, le raisonnement du défendeur est tautologique. La SAI dispose d’un pouvoir discrétionnaire quant au choix de sa procédure; toutefois, s’il entraîne un déni de justice naturelle, ce choix ne peut être confirmé en invoquant la raisonnabilité. Un déni de justice naturelle n’est pas une question discrétionnaire à l’égard duquel il convient de faire preuve de déférence.

C.                 Principe de l’autorité de la chose jugée

[18]           Aucune des parties ne conteste que le principe de la chose jugée est en cause; ce sur quoi elles ne s’entendent pas, c’est la question de savoir si on devrait l’appliquer en l’espèce. La position du demandeur suivant laquelle les nouveaux éléments de preuve sont suffisamment importants pour modifier la première décision est inextricablement liée à la question de la nécessité d’une audience.

[19]           La thèse du demandeur peut se résumer ainsi : les nouveaux éléments de preuve (du moins ceux qui sont véritablement nouveaux) démontrent que le mariage était authentique. Comme ils démontrent qu’un mariage qualifié de convenance s’est révélé durable, ces éléments de preuve établissent que le mariage était authentique, ce qui réfute la première décision. La thèse du demandeur est que plus des époux vivent ensemble longtemps, plus leur mariage est authentique.

[20]           La question qui se pose en l’espèce n’est pas celle de savoir si la relation est devenue authentique. L’article 4 du Règlement ne parle pas de l’état de la relation à un moment ou à un autre, mais bien de la question de savoir si cette relation « visait principalement l’acquisition d’un statut ou d’un privilège sous le régime de la Loi » (non souligné dans l’original). Elle s’intéresse à l’état de la relation, à son objectif au moment où elle a été créée.

L’alinéa b) (« n’est pas authentique ») vise l’état de la relation au moment où elle est examinée.

Toutefois la décision repose sur l’alinéa a) et non sur l’alinéa b).

[21]           Ainsi, les « nouveaux éléments de preuve » doivent être évalués en fonction de la question de savoir s’ils sont suffisants pour répondre à la première décision et s’ils auraient pu en changer l’issue. Il s’agit là d’une caractéristique qui permet d’établir une distinction entre la présente espèce et l’affaire Sami c Canada (Citoyenne et Immigration), 2012 CF 539, 215 ACWS (3d) 190, dans laquelle les nouveaux éléments de preuve répondaient aux préoccupations exprimées au départ par la SAI.

[22]           La SAI a correctement appliqué les conditions préalables à l’application de l’irrecevabilité résultant de l’identité des questions en litige. Sa décision d’appliquer le principe de l’autorité de la chose jugée était raisonnable parce que les éléments de preuve n’étaient pas suffisants pour changer l’issue de la première décision. Les nouveaux éléments de preuve ne portaient pas sur les agissements de l’épouse, sur ses renseignements contradictoires, les explications invraisemblables qu’elle avait données au sujet des tentatives qu’elle avait faites antérieurement pour entrer au Canada de son propre chef ou sur son manque de transparence envers le demandeur du fait qu’elle ne l’avait pas informé des tentatives qu’elle avait faites pour tenter d’entrer au Canada. Ces facteurs sont aggravés par l’évolution rapide de sa relation avec le demandeur.

D.                Équité procédurale

[23]           Le demandeur fait erreur en invoquant l’absence d’audience. Il soutient que, comme la crédibilité est en cause, il avait droit à une audience pour pouvoir dissiper les réserves exprimées au sujet de sa crédibilité.

[24]           La crédibilité n’était toutefois pas en cause. La SAI a examiné la preuve en présumant qu’elle était crédible et elle l’a acceptée. La question portait sur la suffisance et non sur la crédibilité de la preuve.

[25]           La tenue d’une audience n’était donc pas nécessaire. Il n’y a pas eu déni de justice naturelle ou manquement à l’équité procédurale.

IV.             Conclusion

[26]           Pour ces motifs, la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

[27]           Les parties ont été autorisées à formuler des observations au sujet d’une question à certifier.


JUGEMENT

LA COUR STATUE QUE la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

« Michael L. Phelan »

Juge

Traduction certifiée conforme

Evelyne Swenne, traductrice-conseil


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑270‑15

 

INTITULÉ :

RAMSAWACK CHOTAI c MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 17 NOVEMBRE 2015

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE PHELAN

 

DATE DES MOTIFS :

LE 2 DÉCEMBRE 2015

 

COMPARUTIONS :

Wennie Lee

 

POUR LE demandeur

 

Suzanne M. Bruce

 

POUR LE défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Lee & Company

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LE demandeur

 

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE défendeur

 

 

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