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Date : 20151203


Dossier : IMM‑951‑15

Référence : 2015 CF 1337

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Montréal (Québec), le 3 décembre 2015

En présence de monsieur le juge Locke

ENTRE :

LEN VAN HEEST

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   La nature de l’affaire

[1]               La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire visant une décision rendue par un agent principal de Citoyenneté et Immigration Canada (l’agent), par laquelle il rejetait une demande de résidence permanente fondée sur des motifs d’ordre humanitaire. La décision est datée du 10 février 2015.

[2]               Pour les motifs qui suivent, la demande est rejetée.

II.                Les faits

[3]               Le demandeur, M. Van Heest, a immigré au Canada avec sa famille lorsqu’il était encore un bébé, en 1958. Pour des raisons qui ne sont pas connues, il n’a jamais obtenu sa citoyenneté canadienne. À l’âge de seize ans, il a fait l’objet d’un diagnostic de troubles bipolaires. Il connaît de ce fait des épisodes maniaques au cours desquels il devient agité et hostile et témoigne d’une pensée désorganisée, ce qui peut l’entraîner à causer du tort à lui‑même et aux autres. Le demandeur fait l’objet d’un certificat en vertu de la Mental Health Act, RSBC (1996), chapitre 288, et il a été hospitalisé à de nombreuses reprises. Il a aussi un casier judiciaire chargé en raison d’infractions diverses qui, selon ses dires, auraient principalement été commises lorsqu’il a interrompu son traitement médical.

[4]               Le 2 janvier 2008, une mesure de renvoi a été prise contre lui pour grande criminalité en vertu de l’alinéa 36(1)a) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27, parce qu’il avait été déclaré coupable d’une infraction entraînant une peine d’emprisonnement de plus de six mois. Le 7 octobre 2008, il a obtenu, à l’égard de cette mesure de renvoi, un sursis de quatre ans, sursis assorti de conditions. Le 12 février 2009, il a enfreint ces conditions du fait qu’il a été déclaré coupable d’avoir proféré des menaces. Le ministre a fait appel du sursis accordé au demandeur, mais, le 30 novembre 2009, la Section d’appel de l’immigration a ordonné que, pour des motifs d’ordre humanitaire, le sursis accordé au demandeur perdure jusqu’à décembre 2012. Entre mai et novembre 2012, environ 32 rapports de police ont été déposés contre le demandeur. Le 4 décembre 2012, il a été déclaré coupable d’avoir proféré des menaces et de possession d’une arme dans un dessein dangereux, ce qui a de nouveau eu pour effet d’annuler le sursis à son renvoi. Le 29 octobre 2014, le demandeur a déposé une demande de résidence permanente fondée sur des motifs d’ordre humanitaire. La demande a été rejetée le 10 février 2015. Le demandeur demande maintenant le contrôle judiciaire de cette décision.

III.             La décision

[5]               L’agent a tenu compte de la situation personnelle du demandeur et il a conclu que les difficultés auxquelles ce dernier serait exposé s’il devait obtenir un visa de résident permanent à partir de l’étranger, selon la procédure normale, ne seraient pas inhabituelles et injustifiées ou excessives.

[6]               Pour en venir à cette conclusion, l’agent a tenu compte des antécédents criminels du demandeur en relation avec sa maladie mentale. Il a estimé que la gravité des infractions commises l’emportait largement sur les autres facteurs que le demandeur avait invoqués en sa faveur.

[7]               L’agent a tenu compte de la correspondance adressée par le gestionnaire d’instance médicolégale du demandeur (Dean Meyerhoff), par son intervenant externe (John Leevers) et par son psychiatre (le docteur Mark Tapper), au sujet duquel l’agent a fait remarquer qu’il avait contribué à la stabilisation et au maintien de la santé mentale du demandeur. Mais il a également constaté que le demandeur avait eu accès à ces mêmes services de soutien auparavant, qu’il n’avait pas pris ses médicaments qui lui avaient été prescrits et qu’il avait, par conséquent, commis d’autres infractions. Il a jugé que le demandeur savait que d’autres déclarations de culpabilité entraîneraient son renvoi. Les objectifs de la législation canadienne en matière d’immigration sont notamment de protéger la santé et la sécurité des Canadiens et de garantir la sécurité de la société canadienne. L’agent a conclu que, compte tenu de la fréquence et de la gravité des actes criminels du demandeur (lesquels prenaient parfois une forme violente et comportaient l’usage d’armes), il représentait une menace pour la sécurité des Canadiens.

[8]               Pour ce qui est de l’autonomie du demandeur et du soutien que lui offre sa famille, l’agent a fait remarquer que le demandeur entretenait une relation étroite de dépendance mutuelle avec sa mère et que, par conséquent, la séparation d’avec elle pourrait être difficile. Il a cependant conclu que les problèmes liés à cette séparation étaient une conséquence intrinsèque et non pas inhabituelle du renvoi du Canada, conséquence que les membres de la famille et le demandeur lui‑même devaient assumer. 

[9]               Le demandeur a fait valoir que son renvoi du Canada l’empêcherait de gérer sa maladie mentale, car il n’avait pas de famille, pas de ressources financières et pas d’endroit où vivre aux Pays‑Bas. De plus, il ne parle pas le néerlandais. En réponse à ces observations, l’agent a examiné le témoignage fourni par F.W. Verbaas, avocat aux Pays‑Bas, dans lequel ce dernier faisait remarquer que le demandeur, à titre de citoyen néerlandais, aurait droit à des prestations sociales, dont un logement et des soins de santé, quoiqu’il soit nécessaire de prendre des dispositions à l’avance pour obtenir ces services.  M. Verbaas a ajouté que la langue ne serait pas un obstacle difficile à surmonter, puisque tous les Néerlandais, en particulier les médecins et les pharmaciens, ont une certaine connaissance de l’anglais. L’agent a donc conclu que les difficultés auxquelles le demandeur serait exposé dans son établissement aux Pays‑Bas ne seraient pas inhabituelles et injustifiées ou excessives.

[10]           En conclusion, l’agent a estimé que le demandeur n’avait pas fait la preuve qu’il serait personnellement et directement touché par des conditions défavorables dans le pays qui constitueraient des difficultés inhabituelles et injustifiées ou excessives. Il a donc rejeté la demande de dispense présentée par le demandeur afin de se soustraire à l’obligation de présenter sa résidence permanente de l’extérieur du Canada, en concluant qu’une telle dispense n’était pas justifiée par des considérations d’ordre humanitaire.

IV.             Les questions en litige

[11]           Selon le demandeur, les questions que la Cour doit trancher sont les suivantes :

  1. L’agent a‑t‑il commis une erreur en concluant que les difficultés auxquelles le demandeur serait exposé s’il était renvoyé aux Pays‑Bas n’étaient qu’un élément accessoire du processus de renvoi?
  2. L’agent a‑t‑il commis une erreur en ne tenant pas compte des éléments de preuve relatifs aux services médicaux et sociaux auxquels le demandeur aurait accès s’il était renvoyé aux Pays‑Bas?
  3. Le renvoi du demandeur constituerait‑il une violation de son droit de ne pas être assujetti à un traitement ou une peine cruels et inusités en vertu de l’article 12 de la Charte canadienne des droits et libertés, Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, constituant l’annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R.‑U.), 1982, c 11 [la Charte].

V.                La norme de contrôle applicable

[12]           Les parties ont tout d’abord convenu que les deux premières questions devraient être examinées en fonction de la norme de la raisonnabilité.

[13]           Toutefois, dans son exposé des arguments supplémentaires, le demandeur nuance sa position en faisant valoir que l’agent a commis une erreur de droit en exerçant indûment son pouvoir discrétionnaire du point de vue de la nature et de la portée de ce pouvoir, et que la norme de contrôle applicable en l’occurrence est celle de la décision correcte. À l’appui de ce dernier argument, le demandeur cite l’affaire Kanthasamy c Canada (Citoyenneté et Immigration), entendue par la Cour suprême du Canada (CSC) le 16 avril 2015 et dans laquelle a été discutée la norme de contrôle judiciaire qu’il convenait d’appliquer dans la détermination de la nature et de la portée du pouvoir discrétionnaire d’un agent (cause no 35990). L’affaire n’a pas encore été jugée. 

[14]           Je suis d’avis que la norme de contrôle judiciaire applicable aux deux premières questions en litige est celle de la raisonnabilité : voir Baker c Canada (Citoyenneté et Immigration), [1999] 2 RCS 817, au paragraphe 62. Premièrement, ces questions ont trait à la façon dont l’agent a compris et appliqué les faits pertinents. Cela n’a rien à voir avec sa façon d’interpréter la nature et la portée de son pouvoir discrétionnaire. Deuxièmement, la norme de contrôle applicable ne change pas du fait qu’un argument a été soulevé (sans être encore accepté) devant la CSC.

[15]           Pour ce qui est de la troisième question, l’argument de la violation de la Charte n’a pas été soumis à l’agent dans la décision contestée. Par conséquent, aucune norme de contrôle ne s’applique à cette question.

VI.             Analyse

A.                Le préjudice auquel le demandeur serait exposé s’il est renvoyé

[16]           Le demandeur estime que l’agent n’a pas compris la nature de ses problèmes de santé mentale et qu’il n’a donc pas correctement tenu compte du préjudice auquel il serait exposé s’il est renvoyé du Canada.

[17]           Il est vrai que, dans la décision de l’agent, certaines déclarations peuvent sembler dures et insensibles à l’égard des troubles de santé mentale du demandeur et du lien entre ses troubles et ses comportements criminels :

  • [traduction] « Le demandeur [...] était censé, comme tout autre membre de la société, se comporter en citoyen respectueux des lois. »
  • [traduction] « J’estime que le demandeur était conscient des conséquences de ses actes. Il savait que d’autres déclarations de culpabilité donneraient lieu à son renvoi. »

[18]           Je ne suis cependant pas convaincu que l’agent n’a pas compris la nature des troubles de santé mentale du demandeur. Il a correctement exposé les faits relatifs au diagnostic et il a tenu compte de l’argument du demandeur concernant le lien entre ses troubles et ses actes criminels. Mais il a analysé ce fait au regard de la fréquence et de la gravité des infractions commises par le demandeur.

[19]           L’agent a également pris acte du fait que le soutien apporté par son gestionnaire d’instance médicolégale (M. Meyerhoff), son intervenant externe (M. Leevers) et son psychiatre (le docteur Tapper) [traduction] « l’ont aidé à stabiliser et à maintenir jusqu’à un certain point sa santé mentale ». Il a cependant rappelé que ce soutien n’a pas toujours suffi à garantir que le demandeur prenne ses médicaments qui lui avaient été prescrits et à éviter qu’il commette des actes criminels.

[20]           Ayant traité du comportement criminel du demandeur et rappelé que l’objectif de la législation canadienne en matière d’immigration est de protéger la santé et la sécurité des Canadiens et de garantir la sécurité de la société canadienne, l’agent a conclu que le demandeur représentait un risque pour la sécurité des Canadiens. C’était une conclusion raisonnable. Compte tenu des antécédents de récidive du demandeur (même après plusieurs sursis prononcés à l’égard de son renvoi), il semble très probable qu’il récidivera encore.

[21]           Le demandeur fait remarquer que ses antécédents criminels se composent principalement de menaces et qu’ils ne comprennent pas de lésions corporelles graves. Il estime qu’il ne représente pas une menace aussi grave que pourraient le laisser croire ses nombreux antécédents criminels. C’est possible, mais je ne peux pas conclure que l’agent a commis une erreur dans son analyse à cet égard.

[22]           Le demandeur fait remarquer que, s’il est renvoyé du Canada, il perdra le soutien de son gestionnaire d’instance médicolégale, de son travailleur d’approche et de son psychiatre, ainsi que celui de sa mère. Il fait valoir que l’agent n’a pas correctement tenu compte du préjudice qu’il pourrait subir s’il perdait ce soutien. Je pense que l’agent a analysé cette question de façon raisonnable. Il a fait état de la relation de dépendance mutuelle entre le demandeur et sa mère et du fait que celui‑ci n’a jamais travaillé et a toujours compté sur l’aide sociale.

[23]           L’agent a tenu compte du soutien sur lequel le demandeur compte au Canada et de celui qu’il pourrait obtenir aux Pays‑Bas. Il a pris acte du fait que la séparation du demandeur d’avec son réseau de soutien pourrait être difficile, mais il a estimé que cette séparation était une conséquence intrinsèque du processus de renvoi. Selon lui, le préjudice que le demandeur pourrait subir ne serait pas inhabituel et injustifié ou excessif, comme il doit être établi dans une demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire. Le fait que l’agent ait conclu que la séparation du demandeur d’avec son réseau de soutien soit une conséquence intrinsèque du processus de renvoi peut donner l’impression qu’il n’a pas correctement évalué la nature de la maladie mentale du demandeur et l’importance de son réseau de soutien, mais d’autres parties de l’analyse effectuée par l’agent indiquent le contraire. Selon moi, la conclusion de l’agent était raisonnable.

[24]           Il convient de se rappeler que la décision contestée n’est pas une mesure de renvoi, mais une décision refusant au demandeur le droit de demander le statut de résident permanent à partir du Canada (ce qui est une situation exceptionnelle) au lieu de le faire depuis l’étranger comme tout le monde.

[25]           Si le demandeur n’est pas renvoyé dans les conditions actuelles, où sa maladie mentale paraît bien gérée, il semblerait s’ensuivre qu’il ne pourrait jamais être renvoyé. Le demandeur pourrait bien en effet faire valoir qu’il ne devrait jamais être renvoyé du Canada. On pourrait dire, entre autres, que le Canada essaie de se débarrasser d’un résident problématique et que c’est au Canada de régler un problème qui a son origine chez lui au lieu de le confier à un autre pays. Il se peut bien, mais ce n’est pas déterminant. Ce qui m’intéresse, c’est le caractère raisonnable de la décision de l’agent. Selon moi, les sursis antérieurs accordés au demandeur (assortis de conditions) supposaient intrinsèquement que toute violation des conditions imposées pourrait se solder par le renvoi de l’intéressé. Ces conditions ont effectivement été violées, et le rejet de la demande de résidence permanente fondée sur des considérations d’ordre humanitaire en est une conséquence qui ne surprend pas. 

B.                 La disponibilité de services aux Pays‑Bas

[26]           Le demandeur fait remarquer que deux lettres ont été versées au dossier concernant la disponibilité de services médicaux et sociaux aux Pays‑Bas : l’une provenant de l’avocat néerlandais F.W. Verbaas et l’autre d’un médecin néerlandais du nom de Petra Evers. L’agent a formulé des commentaires sur la lettre de M. Verbaas, mais pas sur celle de la docteure Evers. Le demandeur estime que la décision de l’agent devrait être annulée parce que celui‑ci a mal interprété l’information fournie par M. Verbaas et qu’il n’a absolument pas tenu compte de l’information fournie par la docteure Evers.

[27]           Pour ce qui est de M. Verbaas, le demandeur estime que l’agent n’a pas mesuré l’importance des démarches administratives qu’il aurait à faire avant d’obtenir des services médicaux et sociaux aux Pays‑Bas. Je ne suis pas d’accord. L’agent a bien tenu compte de ces questions et il a mesuré les difficultés préalables à l’obtention de ces services. Je ne suis pas disposé à conclure que l’examen qu’il en a fait était déraisonnable. Il a également tenu compte de l’argument du demandeur à l’égard des difficultés que celui‑ci éprouverait aux Pays‑Bas en raison de son ignorance de la langue du pays et il a conclu que le demandeur s’en sortirait puisque [traduction] « tous les Néerlandais ont une certaine connaissance de l’anglais ». Il est peut‑être exagéré de dire que tous les Néerlandais ont une certaine connaissance de l’anglais, mais cela ne suffit pas à justifier l’annulation de la décision de l’agent.

[28]           La lettre de la docteure Evers traitait des difficultés auxquelles le demandeur pourrait s’attendre en ce qui a trait à l’accès aux soins et aux traitements médicaux, et notamment à obtenir une assurance maladie aux Pays‑Bas, compte tenu de l’importance d’un traitement régulier pour l’intéressé. Là encore, j’estime que l’agent a raisonnablement tenu compte de ces difficultés. Sa décision prend acte des difficultés à obtenir des services médicaux aux Pays‑Bas et de l’importance pour le demandeur de prendre régulièrement ses médicaments.  Il n’était pas nécessaire que l’agent renvoie spécifiquement à la lettre de la docteure Evers.

C.                 L’argument fondé sur la Charte

[29]           À l’appui de l’argument selon lequel son renvoi aux Pays‑Bas constituerait une violation de son droit de ne pas être assujetti à un traitement ou peine cruels ou inusités, conformément à l’article 12 de la Charte, le demandeur cite un rapport du Comité des droits de l’homme des Nations Unies concernant une personne identifiée sous l’appellation A.H.G. (numéro de communication 2091/2011), à savoir un Jamaïcain du nom d’Audley Horace Gardner, qui souffrait de troubles mentaux et résidait au Canada depuis longtemps et qui avait été renvoyé en Jamaïque (après le rejet de sa demande de résidence permanente pour des motifs d’ordre humanitaire) en raison d’infractions criminelles graves liées à sa maladie mentale.

[30]           Le rapport concluait que le renvoi de M. Gardner en Jamaïque, qui l’avait brutalement privé de services médicaux et du soutien de sa famille au Canada, famille dont il dépendait, [traduction] « constituait une violation par [le Canada] de son obligation découlant de l’article 7 du Pacte [international relatifs aux droits civils et politiques ». L’article 7 ressemble un peu à l’article 12 de la Charte : « Nul ne sera soumis à la torture ni à des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. En particulier, il est interdit de soumettre une personne sans son libre consentement à une expérience médicale ou scientifique. »

[31]           Il est vrai que le rapport en question renvoie à des faits présentant certaines similarités avec ceux de l’espèce, mais il est indispensable de rappeler qu’il y est question d’une situation propre à la Jamaïque. Le fait que le renvoi d’une personne en Jamaïque pourrait constituer un traitement ou une peine cruels et inusités ne permet pas de déterminer si le renvoi d’une personne aux Pays‑Bas constitue un traitement ou une peine cruels et inusités. À titre d’exemple, je n’ai rien vu qui indique que le mode d’accès aux soins médicaux aux Pays‑Bas soit de quelque façon analogue à la situation en Jamaïque à cet égard.

[32]           Le demandeur renvoie à la décision Médecins canadiens pour les soins aux réfugiés c Canada (Procureur général), 2014 CF 651, au paragraphe 614 [Médecins canadiens pour les soins aux réfugiés], pour analyser les facteurs qui devraient entrer en ligne de compte dans la question de savoir si un traitement ou une peine est « cruel et inusité » :

[614]    Pour décider si un traitement ou une peine est « cruel et inusité », les tribunaux canadiens ont examiné de nombreux facteurs dans le cadre d’une sorte d’analyse ‘coûts-bénéfices’. Ces facteurs comprennent la question de savoir si le traitement va au‑delà de ce qui est nécessaire pour atteindre un objectif légitime, s’il existe des solutions de rechange appropriées, si le traitement est arbitraire, ainsi que s’il a une valeur ou une fin sociale. Parmi les autres considérations pertinentes, mentionnons la question de savoir si le traitement en question est inacceptable pour une grande partie de la population, s’il s’accorde avec les normes publiques de la décence ou de l’intégrité, s’il choque la conscience collective et s’il est d’une sévérité inhabituelle et donc dégradante pour la dignité et la valeur de l’être humain : [renvoi omis].

[33]           Compte tenu de toutes les circonstances de l’espèce, notamment des nombreux antécédents criminels du demandeur, des violations répétées des conditions associées aux sursis de renvoi qui lui avaient été accordés, et du système assez développé de services médicaux et sociaux aux Pays‑Bas, je ne suis pas convaincu que la décision d’imposer au demandeur de présenter une demande de résidence permanente depuis l’étranger choque la conscience générale ou suscite des préoccupations concernant l’un ou l’autre des facteurs signalés dans le paragraphe qui précède.

[34]           Le défendeur fait valoir entre autres i) que l’argument du demandeur concernant la violation de la Charte ne doit pas être examiné, parce qu’il n’a pas été invoqué devant l’agent et ii) que, même si l’argument était examiné, les éléments de preuve fournis ne l’étayent pas suffisamment.

[35]           Quant à savoir s’il y aurait lieu d’examiner l’argument de la violation de la Charte, je suis également d’avis que la question n’a pas été soulevée devant l’agent et qu’elle ne serait donc pas examinée, en principe, dans le cadre d’un contrôle judiciaire. Il me faut cependant trancher cette question parce que j’estime, comme le défendeur, que les éléments de preuve ne permettent pas de conclure que le renvoi du demandeur constituerait une violation de ses droits en vertu de l’article 12 de la Charte. Il me faudrait être convaincu que son renvoi soulève des préoccupations semblables à celles de l’affaire Médecins canadiens pour les soins aux réfugiés.

VII.          Conclusion

[36]           Pour les motifs qui précèdent, je conclus que l’agent n’a pas commis d’erreur qui puisse justifier l’annulation de sa décision. De plus, je ne suis pas convaincu qu’il y a eu violation des droits du demandeur en vertu de la Charte. La présente demande de contrôle judiciaire est donc rejetée.

[37]           Le demandeur estime que son argument concernant la violation de l’article 12 de la Charte soulève une question grave de portée générale qui justifierait que je la certifie pour les besoins d’un appel. Je ne suis pas d’accord. Selon moi, les faits de l’espèce sont si spécifiques que cette question n’a pas de portée générale. Je ne certifierai pas la question.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande est rejetée. Il n’y a pas de question grave de portée générale. 

« George R. Locke »

Juge

Traduction certifiée conforme

Maxime Deslippes


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑951‑15

 

INTITULÉ :

LEN VAN HEEST c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Vancouver (COLOMBIE‑BRITANNIQUE)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 3 SEPTEMBRE 2015

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE lOCKE

 

DATE :

LE 3 DÉCEMBRE 2015

 

COMPARUTIONS :

M. Peter Golden

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Mme Helen Park

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

GOLDEN & GOLDEN LAW

Avocats

Victoria (Colombie‑Britannique)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

WILLIAM F. PENTNEY

Sous‑procureur général du Canada

Vancouver (Colombie‑Britannique)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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